104 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3
RJ CA 104
Requête 016/2017, Af Ba J ohnson c. République du Ghana
Arrêt du 28 mars 2019. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
uges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA, ANUKAM et ABOUD
Le requérant a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort.
Après que sa condamnation et sa peine aient été confirmées par la Cour
d'appel, il a introduit une requête devant le Comité des droits de l'homme
des Nations Unies (CDH) qui a estimé que l'imposition de la peine de
mort obligatoire violait le droit à la vie énoncé à l’article 6(1) du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. Le requérant a alors
saisi la Cour africaine suite au défaut de mise en œuvre des conclusions
du CDH par l'État défendeur. La Cour a déclaré la requête irrecevable au
motif qu’elle avait fait l'objet d'un règlement antérieur par le CDH.
Recevabilité (affaire réglée, 46-56 ; examen des conditions de
recevabilité, 57)
Opinion individuelle : BENSAOULA
Recevabilité (examen des conditions de recevabilité, 11)
Opinion dissidente : BEN ACHOUR
Recevabilité (introduction dans un délai raisonnable, 2 ; affaire réglée,
Opinion dissidente : TCHIKAYA
Recevabilité (affaire réglée ; 13, 19, 22, 23)
Les parties
Le sieur Af Ba Be Zci-après dénommé « le requérant »), possède la double nationalité ghanéenne et britannique. Il a été reconnu coupable pour meurtre, condamné à la peine capitale et se trouve actuellement en attente de son exécution.
La présente requête vise la République du Ghana (ci-après dénommée « l'État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 1er juin 1989, au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») le 16 août 2005. L'État défendeur a également déposé, le 10 mars 2011, la déclaration Il
A.
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prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales.
Objet de la requête
Faits de la cause
Il ressort de la requête que le 27 mai 2004, un ressortissant américain avait été tué près du village de Bs dans la région de Greater Accra au Ghana. Accusé d'avoir commis ce crime, le requérant a été traduit en justice, mais il a nié les faits. Le 18 juin 2008, la Haute cour d’Accra, siégeant en procédure accélérée, l'a déclaré coupable de meurtre et l'a condamné à la peine capitale. Le requérant a interjeté appel de la déclaration de culpabilité et de la peine prononcée par la Cour d'appel, faisant valoir que la peine capitale en elle-même est certes autorisée aux termes de l’article 13(1) de la Constitution du Ghana, mais que la peine de mort obligatoire est contraire à la Constitution, celle-ci étant muette à ce sujet. Au soutien de cet argument, le requérant fait valoir que la peine de mort obligatoire viole le droit de ne pas être soumis à des peines ou traitements inhumains et dégradants, le droit de ne pas être privé arbitrairement de la vie ainsi que le droit à un procès équitable, tous ces droits étant inscrits dans la Constitution du Ghana.
Le 16 juillet 2009, la Cour d'appel a rejeté le pourvoi, aussi bien sur la déclaration de culpabilité que sur la peine prononcée.
Par la suite, le requérant a introduit devant la Cour suprême, un recours en annulation de la condamnation et de la peine prononcée. Le 16 mars 2011, ledit recours a été rejeté.
Le requérant a alors introduit deux demandes de grâce présidentielle auprès du Président de la République du Ghana, respectivement en décembre 2011 et en avril 2012.
En juillet 2012, le requérant a saisi le Comité des droits de l'homme des Nations Unies (ci-après désigné le « CDH ») d'une Communication au titre du Premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (du 16 décembre 1966).
Le 27 mars 2014, le CDH, dans ses constatations, a indiqué que la seule peine prévue pour meurtre au Ghana étant la peine capitale, les juridictions n'avaient aucun autre choix que de prononcer la peine prévue par la loi. Le CDH a conclu que l'imposition automatique et obligatoire de la peine capitale 106 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
constituait une privation arbitraire de la vie, en violation de l’article 6(1) du Protocole international relatif aux droits civils et politiques (ci-après désigné le « PIDCP »).! Le Comité a enjoint à l'État défendeur de fournir un recours effectif au requérant, y compris la commutation de la peine prononcée. Le CDH a également rappelé à l'État défendeur qu'il avait l'obligation de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent plus à l'avenir, notamment en adaptant sa législation pour la mettre en conformité avec les dispositions du PIDCP.
10. Le CDH a demandé à l'État défendeur de lui communiquer, dans un délai de cent quatre-vingts (180) jours, les informations sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations ; il a égalementdemandé à l'Étatdéfendeurde publierses constatations et d’en faire une large diffusion dans le pays. Le CDH a rappelé à l'État défendeur qu'en devenant partie au Premier Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, il reconnaissait la compétence du CDH pour déterminer s’il y a eu violation du Pacte et proposer des mesures de réparation efficaces et effectives lorsqu'une violation est établie.’
11. L'État défendeur n'a donné aucune suite aux constatations du CDH et le requérant attend son exécution, sa peine n'ayant pas été commuée.
12. L'État défendeur n'ayant donné aucune suite aux constatations du CDH, le requérant a donc décidé de saisir la Cour de céans en vue d'obtenir la protection de ses droits. Tout en reconnaissant qu'il existe un moratoire de facto de longue date sur les exécutions dans l’État défendeur, le requérant affirme que cette situation n’a aucune incidence sur le fond de la requête.
B. Violations alléguées
13. Le requérant allègue que l'imposition de la peine capitale obligatoire, sans tenir compte des circonstances particulières de l'infraction ou du délinquant, viole les droits ci-après :
a. Le droit au respect de sa vie, inscrit à l’article 4 de la Charte ;
c. L'interdiction des peines ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants inscrite à l’article 5 de la Charte ;
d. Le droit à un procès équitable, inscrit à l'article 7 de la Charte ;
1 L'article 6(1) est libellé comme suit : « Tout être humain a le droit inhérent à la vie. Ce droit est protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ».
2 Communication No. 2117/2012, Af Ba Be AJ Bg, Comité des droits de l'homme, CCPRC/C/110/D/2012.
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e. Le droit à la sécurité de sa personne, inscrit à l'article 6(1), le droit à la protection contre les peines inhumaines prévu à l'article 7, le droit à un procès équitable garanti à l'article 14(1) ainsi que le droit à la révision de la peine prononcée, inscrit à l’article 14(5) du PIDCP ;
f. Le droit à la vie et le droit à la protection contre les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants prescrits à l'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (ci-après désignée la « DUDH »).
14. Le requérant soutient que l'État défendeur a également violé l'article 1 de la Charte, pour avoir manqué à l'obligation qui est la sienne de faire respecter les droits mentionnés ci-dessus.
I. Résumé de la procédure devant la Cour
15. La requête a été reçue au greffe de la Cour le 26 mai 2017. Le 22 juin 2017, le greffe l’a communiquée à l’État défendeur, lui demandant d'indiquer les noms et adresses de ses représentants dans les trente (30) jours à compter de la date de réception de la notification et de déposer sa réponse à la requête dans les soixante (60) jours suivant sa réception, en vertu des articles 35(2)(a) et 35(4)(a) du Règlement intérieur de la Cour (ci-après « le Règlement »).
16. Le 28 septembre 2017, à la demande du requérant, la Cour a rendu une ordonnance portant mesures provisoires, enjoignant à l'État défendeur de sursoir à l'exécution du requérant jusqu'à ce que l'affaire soit jugée au fond.
17. Le 28 mai 2018, le greffe a reçu la réponse de l’État défendeur à la requête ainsi que le rapport sur la mise en œuvre de l'ordonnance portant mesures provisoires. Le 31 mai 2018, le greffe a notifié ces documents au requérant, l’invitant à déposer, le cas échéant, sa réplique à la réponse de l'État défendeur dans les trente (30) jours suivant la réception de la notification. Le greffe a reçu la réplique du requérant le 5 juillet 2018.
18. Le 10 août 2018, le greffe a reçu les observations du requérant sur les réparations et les a communiquées à l'État défendeur le 14 août 2018, l'invitant à déposer sa réponse aux observations dans les trente (30) jours suivant la réception de la notification.
19. Le 11 septembre2018, le greffe a reçu une lettre du requérant demandant l'autorisation de déposer des observations supplémentaires sur la recevabilité de la requête et indiquant la liste des conseils qui comparaîtraient à l'audience publique, le cas échéant.
20. Le 7 novembre 2018, le greffe a écrit au requérant, avec copie à l'État défendeur, l’informant que la Cour avait rejeté sa demande 108 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
visant à déposer des observations supplémentaires sur la recevabilité de la requête.
21. Le 14 décembre 2018, le greffe a reçu la réponse de l’État défendeur aux observations du requérant sur les réparations et l’a transmise à celui-ci le 19 décembre 2018, pour information.
22. Le 4 février 2019, les parties ont été informées de la clôture de la procédure écrite.
23. Le 20 mars 2018, le greffe a informé le requérant que la Cour ne tiendrait pas d'audience publique en la cause.
IV. Mesures demandées par les parties
24. Le requérant demande à la Cour de rendre les mesures ci-après : Sur le fond
« a. Dire que la peine capitale obligatoire prononcée à l'encontre du requérant constitue une violation des articles 4, 5 et 7 de la Charte et des articles 6(1), 7, 14(1) et 14(5) du PIDCP et 3, 5 et 10 de la DUDH.
b. Dire que pour n'avoir adopté aucune mesure, ni législative ni autre, visant à donner effet aux droits du requérant tels qu’ils sont prévus aux articles 4, 5 et 7 de la Charte, l'État défendeur a violé l'article 1 de la Charte.
pour commuer la peine capitale prononcée en peine de réclusion à perpétuité ou toute peine, autre que la peine capitale, en tenant compte des circonstances particulières de l'accusé, de l'infraction ainsi que de la violation de ses droits garantis par la Charte.
d. Ordonner à l’État défendeur de prendre des mesures législatives ou autres mesures de réparation pour mettre en œuvre les décisions de la Cour dans leur application à d'autres personnes ».
Sur les réparations
« a. Ordonner à l'État défendeur de ne pas appliquer la peine capitale prononcée contre le requérant et de prendre immédiatement des mesures correctives, par commutation ou par tout autre moyen, et substituer rapidement à la peine capitale la peine de réclusion à perpétuité ou toute peine autre que la peine capitale, en tenant compte des circonstances particulières de l'infraction, de l'accusé et de la violation des droits de celui-ci garantis par la Charte et par les autres instruments pertinents des droits de l'homme.
b. Ordonner à l’État défendeur de modifier sa législation afin de la mettre en conformité avec les dispositions pertinentes des instruments internationaux applicables, notamment les articles 3(2), 4, 5 et 7 de la Charte, 6(1), 7, 14(1) et 14(5) du PIDCP et 3, 5, 7 et 10 de la DUDH, par amendement de l'article 46 de la Loi régissant les infractions pénales (1960) (Criminal Offences Act (Loi 29)) afin que la peine capitale ne soit plus obligatoire pour crise de meurtre.
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c. Ordonner à l'État défendeur de revoir, dans les six (6) mois suivant la date du présent arrêt, les peines de tous les détenus qui ont fait l'objet d’une condamnation obligatoire à la peine capitale et adopter des mesures correctives, par la commutation de ces peines ou par d’autres mesures, afin de rendre leurs peines conformes au présent arrêt.
d. Dire que l'arrêt de la Cour constitue une forme de réparation pour le préjudice moral subi par le requérant suite à la peine capitale obligatoire prononcée injustement à son encontre et qui a eu pour conséquence son emprisonnement en attendant l'application de la peine. Ordonner également à l'État défendeur de verser au requérant une compensation dont le montant sera fixé par la Cour, à titre de réparation pour le préjudice subi.
e. Ordonner toute autre mesure de réparation que la Cour estime appropriée.
f. Ordonner à l'État défendeur de publier, dans les six mois suivant le prononcé de l'arrêt :
* Un résumé en anglais de l’arrêt, préparé par le greffe de la Cour, au Journal Officiel du Ghana.
* Un résumé en anglais de l'arrêt, préparé par le greffe, dans un quotidien national de large diffusion,
* La totalité de l'arrêt, en anglais, sur le site officiel de l'État défendeur et l'y maintenir pendant une période d'un an au moins.
e. Ordonner à l'État défendeur de lui faire rapport, dans les six (6) mois suivant le prononcé de l'arrêt, sur l'état d'exécution de toutes les mesures qui y ont été ordonnées.
f. Ordonner que chaque partie supporte ses propres frais ».
25. Pour sa part, l'État défendeur sollicite de la Cour les mesures suivantes :
Sur le fond
« a. Dire que la peine capitale a été prononcée dans le respect de la procédure judiciaire en vigueur au Ghana et qu'elle ne constitue donc pas une violation des articles 4, 5 et 7 de la Charte.
b. Dire que l'État défendeur n'a pas violé l’article 1 de la Charte.
c. Rejeter la requête dans son entièreté.
d. Rejeter toutes les demandes de réparations formulées par le
Sur les réparations
« a. Dire que la peine capitale a été prononcée dans le respect de la procédure judiciaire applicable au Ghana et qu’en conséquence, elle ne constitue pas une violation des articles 4, 5 et 7 de la Charte.
b. Dire que l'État défendeur n'a pas violé l’article 1 de la Charte.
c. Dire que le requérant n’a pas fourni de justifications à l’appui de 110 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
sa demande de réparations et que les mesures de réparation demandées sont rejetées en conséquence ».
26. En vertu de l'article 3(1) du Protocole, la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés. Par ailleurs, l’article 39(1) du Règlement prévoit que « [IJa Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence … ».
27. Le requérant soutient que la Cour a déjà conclu que tant que les droits dont la violation est alléguée par le(s) requérant(s) sont protégés par la Charte ou par tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’État concerné, elle a compétence pour connaître de l'affaire.” En l'espèce, le requérant invoque des dispositions spécifiques de la Charte, du PIDCP et de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) dont il allègue la violation par l'État défendeur et soutient que la Cour a la compétence matérielle pour connaître de l'affaire.
28. Le requérant affiime en outre qu’en l'espèce, la Cour a la compétence personnelle, temporelle et territoriale pour examiner
29. L'Étatdéfendeur n'a pas déposé d'observations surla compétence de la Cour en l'espèce.
30. Nonobstant l'absence de toute exception soulevée par l'État défendeur contestantla compétence de la Cour de céans, celle-ci doit procéder à un examen préliminaire de sa compétence avant
3 Requête No. 006/2013. Arrêt du 18 mars 2016 (fond), Ah Bj Ae et neuf autres c. République-Unie de Tanzanie, para 57.
4 Le Charte, requérant 6(1), des allègue articles la violation 7 et 14(5) du par l'État PIDCP défendeur etdes articles des articles 3, 5 et 10 4, de 5 et la 7 DUDH. de la Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3 RJCA 104 111
31. En l'espèce, la Cour constate qu'elle a :
i. la compétence matérielle, étant donné que le requérant fait état de violations de droits protégés par la Charte et par d'autres instruments relatifs aux droits de l'homme et ratifiés par l’État défendeur ;
ïL la compétence personnelle, étant donné que l'État défendeur est partie au Protocole et qu'il a déposé la déclaration prévue à l'article 34(6), qui permet aux individus de la saisir directement, conformément à l’article 5(3) du Protocole ;
ii. la compétence temporelle, dans la mesure où les violations alléguées se poursuivent, le requérant étant toujours incarcéré, sur la base de ce qu'il estime contraire aux dispositions de la Charte et des autres instruments relatifs aux droits de l'homme ;°
iv. la compétence territoriale, les faits de la cause s'étant produits sur le territoire de l'État défendeur, État partie au Protocole.
32. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour examiner la présente requête.
VI. Recevabilité
33. Conformément à l’article 6(2) du Protocole, « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l'article 56 de la Charte ». En application de l'article 39 du Règlement, « la Cour procède à un examen préliminaire [... ] des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l'article 40 du présent Règlement ».
34. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance l'article 56 de la Charte, dispose que pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
« 1. Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec bActe constitutif de Union africaine et la Charte;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes, s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
Requête No. 013/2011. Arrêt du 21 juin 2013 (fond), Ayants-droit de feus Ar Bn et autres c. An Am Zci-après « Bn c. An Am »), paras 73 à 74.
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6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l'Union africaine. »
35. Le requérant soutient encore que son identité est indiquée dans la requête, dans la mesure où il n'a pas demandé de garder l'anonymat. Il affirme en outre que la requête est conforme aux objectifs de l'Union africaine, car elle invite la Cour à déterminer si l'État défendeur s’acquitte de son obligation de protéger des droits garantis par la Charte. À cet égard, le requérant cite l’affaire Af Av c. Tanzanie, dans laquelle la Cour a conclu qu'une requête est recevable lorsqu'elle expose des faits qui révèlent une violation prima facie d'un droit protégé.®
36. Le requérant soutient en outre que la requête ne contient pas de termes outrageants ou insultants et qu'elle n'est pas uniquement fondée sur des nouvelles diffusées par des médias de communication de masse.
37. Toujours selon le requérant, les recours internes ont été épuisés étant donné qu'il a interjeté appel de la décision le condamnant à la peine capitale obligatoire, devanttoutes les instances judiciaires nationales, notamment la Cour suprême du Ghana, qui est la plus haute instance judiciaire du pays, dont les arrêts ne peuvent faire l’objet d'aucun autre recours.
38. Le requérant fait valoir qu'il est profane en la matière, indigent et incarcéré et qu'après avoir épuisé tous les recours internes, il a tenté en vain d'exercerdes recours « extraordinaires », en déposant une demande de grâce présidentielle et une Communication auprès du CDH avant de saisir la Cour de céans. II affirme donc que la requête a été déposée dans un délai raisonnable, compte tenu du temps mis à explorer les « mesures extraordinaires » avant de saisir la Cour. À l'appui de ses arguments, il se fonde notamment sur l’affaire Bh Ak c. Tanzanie.”
39. Enfin le requérant affirme que la requête ne soulève aucune question soumise par les parties et déjà tranchée en vertu des
6 Requête No. 003/2012. Arrêt du 28 mars 2014 (compétence et recevabilité), Af Av c. République-Unie de Tanzanie, para 123.
7 Requête No. 005/2013. Arrêt du 20 novembre 2015 (fond), Bh Ak c. République-Unie de Tanzanie, (ci-après désigné « Bh Ak c. Tanzanie »), paras 73 et 74.
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principes de la Charte des Nations Unies, de l'Acte constitutif de l'Union africaine, des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine.
40. À cet égard, le requérant fait valoir que les constatations du CDH sur cette affaire n'empêchent pas la recevabilité de la présente requête, conformément à l'article 40(7) du Règlement, car le CDH n'a examiné aucune question ni aucun point en vertu des principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l'Union africaine, des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l'Union africaine. D'autre part, les constatations du CDH étaient basées sur le PIDCP, qui comporte ses propres dispositions détaillées en matière de droits de l’homme, qui sont également indépendantes et différentes de celles de la Charte des Nations Unies et des autres instruments cités à l'article 40(7) du Règlement.
41. Le requérant affirme en outre qu’aucune question abordée dans les constatations du CDH n'a été résolue par les parties, étant donné que l'État défendeur a choisi de ne faire aucun cas de ces constatations, si bien que toutes les questions demeurent pendantes et non résolues, dans leur entièreté.
42. L'État défendeur fait valoir que pour apprécier la recevabilité de la requête, la Cour doit être guidée par les articles 56(5) de la Charte, 6(2) du Protocole et 40 du Règlement.
43. La Cour relève, en ce qui concerne la recevabilité de la requête, que l'État défendeur a simplement indiqué qu’en statuant sur la recevabilité, la Cour tient compte des articles 56(5) de la Charte, 6(2) du Protocole et 40 du Règlement. L'État défendeur n'a pas soulevé d'exception particulière sur la recevabilité de la requête. 44. Toutefois, de sa propre initiative, la Cour entend déterminer, en vertu de l’article 39 du Règlement, si la présente requête remplit les conditions de recevabilité énoncées aux articles 40 du Règlement et 56 de la Charte.
45. La Cour relève que la requête indique l'identité du requérant, qu’elle est compatible avec l’Acte constitutif de l'UA et avec la Charte, étant donné qu'elle invite la Cour à déterminer si l'État défendeur a respecté les obligations qui sont les siennes en matière de protection des droits du requérant inscrits dans la Charte ; qu’elle ne contient pas de termes outrageants ou 114 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
insultants à l'égard de l’État défendeur, de ses institutions ou de l'UA etne se limite pas à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse, et que la requête a été introduite après l'épuisement des recours internes, le recours en appel introduit par le requérant ayant été rejeté par la Cour suprême, qui est la plus haute juridiction de l'État défendeur, et qu'elle a été portée devant la Cour de céans dans un délai raisonnable après épuisement des recours internes.® La Cour conclut en conséquence que la requête remplit les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56(1) à 56(6) de la Charte et reprises à l'article 40(1) à 40(6) du Règlement.
46. La Cour fait toutefois observer qu'en vertu de l'article 56(7) de la Charte, qui reprend en substance l'article 40(7) du Règlement, les requêtes sont examinées si « elles ne concernent pas des cas qui ont été réglés … conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine et soit des dispositions de la présente Charte ». 47. La Cour note que déterminer la conformité de la requête à cette disposition équivaut à s'assurer aussi bien que l'affaire n'a pas été « réglée » et qu'elle ne l'a pas été « conformément aux principes » de la Charte des Nations Unies, ou de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine, ou des dispositions de la Charte.’
48. La Cour fait encore observer que la notion de « règle- ment » exige la combinaison de trois principales conditions : (i) l'identité des parties ; (ii) l'identité des requêtes ou leur nature supplémentaire ou alternative ou encore si l'affaire découle d’une requête introduite dans l'affaire initiale ; et (iii) l'existence d’une première décision sur le fond. La Commission africaine a elle aussi adopté la même position en déclarant qu’une affaire est considérée conforme aux exigences de l’article 56(7) de la Charte africaine si elle concerne les mêmes parties, les mêmes faits et
8 Ar Bn AJ An Am Zexceptions préliminaires), para 121 ; Bh Ak c. Tanzanie, paras 73 et 74 ; Requête No. 006/2015. Arrêt du 23 mars 2018 (fond), Cc Ao et un autre c. République-Unie de Tanzanie, para 61.
9 AI Ac Ar c. Côte d'Ivoire, para 44,
10 John Voir CADHP, Freeth ‘(representés Communication No. Norman 409/12, Luke MunyanduTembani et treize autres, et Benjamin 112 ; EACJ, Affaire No. 1/2007 par J ames Au BlY c. et Angola al c. Secrétaire général e para la Communauté des États de l'Afrique de l'Est et un autre (2007) AHRLR 119, paras 30-32 ; CIADH, Requête No. 7920, Arrêt du 29 1988, Velasquez-R odriguez c. Honduras, Application de la Convention juillet la Prévention et la répression du para crime 24(4) de génocide ; (AG c. pour Serbie-et- Monténégro), Arrêt du 26 février 2007, CI] ., Collection 2007, p. 43.
Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3 RJCA 104 115
est réglée par un mécanisme international ou régional."
49. La première condition n'est pas contestée par les parties, Af Ba Be étant la même personne qui a introduit une communication contre l’État défendeur devant le CDH. La Cour en conclut que la première condition est remplie dans la mesure où les parties dans la présente requête et dans celle introduite devant le CDH sont les mêmes.
50. Pour ce qui est des deuxième et troisième conditions, la Cour relève que dans la communication examinée par le CDH, le requérant soutient que la peine capitale obligatoire prononcée pour toutes les infractions de meurtre, empêche le Tribunal de première instance de déterminer si une telle sanction est appropriée et de ce fait, la peine capitale constitue une violation de son droit à la vie, prévu à l'article 6(1) du PIDCP. Le requérant affirme en outre que l'imposition de la peine de mort, sans aucun pouvoir judiciaire discrétionnaire pour imposer une peine moins lourde, constitue une violation du droit de ne pas être soumis à des peines ou traitements inhumains ou dégradants en vertu de l’article 7 du PIDCP et du droit à un procès équitable, étant donné qu'un aspect de ce droit est le droit à la révision de sa condamnation devant une juridiction supérieure, prévu à l'article 14(1) et (5) du PIDCP. Enfin, le requérant soutient que l’État défendeur n'a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2(3) du PIDCP, à savoir garantir que le requérant reçoive une réparation efficace de la violation de ses droits et il a demandé au CDH d'émettre des constatations à cet effet.
51. En l'espèce, la Cour note qu'il existe une décision sur le fond sur la communication qui a été adressée au CDH ; aucune des parties ne nie l'existence d’une telle décision.” La Cour fait observer que l'État défendeur a décidé certes de ne pas suivre les constatations du CDH, mais il n'en demeure pas moins que l'affaire n’a pas été examinée et donc réglée au sens des articles 46(7) du Règlement et 56(7) de la Charte. L'important ici est qu’une décision soit rendue par un organe ou une institution disposant d’un mandat juridique pour examiner le différend au niveau international.
52. La Cour note en outre que même si la communication devant le CDH et les constations de cette instance étaient basées sur le PIDCP etnon sur la Charte des Nations Unies ou l’Acte constitutif
11 CADHP, Communication No. 266/03, Cb Bz Ag et autres c.
Cameroun, para 86.
12 Af Ba Be AJ Bg (CDH).
116 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
de l'UA ou les dispositions de la Charte, les principes contenus dans les dispositions du PIDCP sur lesquels les constatations du CDH était fondées sont identiques à ceux de la Charte.!* Le CDH a donc tranché les mêmes questions dont la Cour a été saisie par le requérant.
53. Comme la Cour l’a indiqué plus haut, si la requête ultérieure ne peut être dissociée des requêtes précédemment examinée(s) par un autre tribunal, il en résulte que la question sera réputée résolue, d'autant plus que « l'identité des prétentions s'entend également de leur caractère additionnel, alternatif ou découlant d’une demande examinée dans une cause précédente ».!* Par conséquent, en appliquant le raisonnement qui précède, la présente affaire a été réglée par la CDH au sens des articles 56(7) de la Charte et 40(7) du Règlement.
54. De l'avis de la Cour, et en ce qui concerne la condition de recevabilité prévue à l’article 56(7) de la Charte, peu importe que la décision du CDH ait été appliquée ou non. Peu importe également que ladite décision soit considérée comme ayant force obligatoire ou non. Dans sa jurisprudence, la Cour s’est toujours gardée d'examiner des questions pendantes devant la Commission ou réglées par celle-ci, cela malgré le fait que les conclusions de la Commission sont appelées des «recommandations» qui ne sont pas contraignantes.!* En l'espèce, le requérant a choisi de saisir le Comité des droits de l'homme, et non la Cour de céans, plus d’un an après le dépôt par le Ghana de la déclaration prévue à l'article 34(6) du Protocole. Dans ces conditions, le requérant ne peut donc pas invoquer le fait que l'instance qu'il a choisie ne rend pas de décisions contraignantes et que du fait que les constatations du CDH n’ont pas été suivies d'effet, la question n’a pas été réglée, au sens de l'article 56(7) de la Charte.
55. La Cour tient à réaffirmer que la justification de l’article 56(7) de la Charte est d'empêcher que les États membres soient poursuivis deux fois pour les mêmes violations des droits de l'homme. À ce
13 Par exemple, l’article 6(1) du PIDCP garantit le droit à la vie qui est également prévu dans la Charte ; l’article 7 du PIDCP interdit la torture, les peines et les traitements cruels, inhumains ou dégradants tout comme l’article 5 de la Charte ; et le droit à un procès équitable prévu par l’article 14 du PIDCP est également garanti par l’article 7 de la Charte.
14 AI Ar c. Côte d'Ivoire, para 51.
15 Voir Urban Requête Mkandawire No. 003/2011. c. République Arrêt du du Malawi, 21 juin 2013 para (compétence 33. et recevabilité),
Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 104 117
propos, la Commission africaine a tiré la conclusion suivante :!6 « Il s'agit de la règle non bis in idem (également connue sous le nom de Principe d'interdiction de double poursuite pour un même fait, dérivant du droit pénal) qui veille à ce que, dans ce contexte, aucun État ne puisse être deux fois poursuivi ou condamné pour la même violation alléguée des droits de l'homme. En effet, ce principe est attaché à la reconnaissance du statut fondamental de la chose jugée (res judicata) des décisions rendues par des tribunaux internationaux et régionaux et/ ou des institutions telles que la Commission africaine. Res judicata est le principe selon lequel la décision définitive d’un tribunal compétent ou d'une Cour compétente a autorité de la chose jugée sur les parties dans tout litige ultérieur portant sur le même fait) ».
56. La Cour en conclut que la présente requête ne remplit pas la condition de recevabilité énoncée à l'article 56(7) de la Charte reprise à l'article 40(7) du Règlement.
57. La Cour rappelle que les conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de la Charte sont cumulatives et dès lors qu'une condition n’est pas remplie, la requête ne peut plus être examinée dans son entièreté. En l'espèce, la requête ne remplissant pas la condition énoncée à l'article 56(7) de la Charte, la Cour la déclare irrecevable.
VII. Frais de procédure
58. Le requérant demande à la Cour de dire que chaque partie supporte ses propres frais de procédure.
59. L'État défendeur n’a fait aucune observation à ce sujet.
60. En vertu de l’article 30 du Règlement intérieur « à moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
61. En l'espèce, la Cour ne voit aucune raison de déroger à la disposition de l’article 30 de son Règlement ; elle ordonne donc à
16 CADHP, Communication No. 260/02, Bk At Ca c. Cameroun, para 52. 17 Voir CADHP, Communication No. 277/2003, As et autres c. Bt Zci-après « As c. Botswana »), para 96 et CADHP, Communication No. 334/06, Al Bb for Ay By et Bp c. Égypte (ci-après « Al Bb c. Égypte »), para 80.
118 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
chaque partie de supporter ses frais de procédure.
La Cour,
A l'unanimité :
Sur la compétence
i. Se déclare compétente ;
Sur la recevabilité
à la majorité de huit (8) J uges contre deux (2), les J uges Bx Aa B et Br AH ayant émis une opinion dissidente :
ii. Déclare la requête irrecevable ;
Sur les frais de procédure
ii. Ordonne que chaque partie supporte ses frais de procédure.
Opinion individuelle : BENSAOULA
[1.] ] e partage l'opinion de la majorité des juges quant à la recevabilité de la requête, la compétence de la cour et du dispositif.
[2.] En revanche je pense que la manière dont la cour a traité la recevabilité de la requête va à l'encontre :
* De la demande du défendeur et
Des dispositions des articles 56 de la chartre, 6 /2 du protocole et 39 et 40 du règlement.
1. A l’encontre de la demande du défendeur :
[3.] En effet aux termes de l’article 39 du règlement il est fait obligation à la Cour de procéder à un examen préliminaire de sa compétence et des conditions de recevabilité telles prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l'article 40 du règlement.
[4.] Ce qui, implique clairement que :
A. Si les parties émettent des exceptions quant aux conditions liées à la compétence et la recevabilité, la Cour doit les examiner :
* S'il s'avère que l'une d'elles est fondée, elle jugera en Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3 RJCA 104 119
conséquence.
« Si par contre aucune ne l'est, la Cour est dans l'obligation de discuter les autres éléments non discutés par les parties et de conclure en conséquence.
B. Si les parties ne discutent pas les conditions, la Cour est dans l'obligation de le faire et cela dans l'ordre énoncé dans les articles 56 de la Charte et 40 du règlement.
[5.] Il me parait illogique que la Cour sélectionne l’une des conditions tel le délai raisonnable par exemple, alors que l'identité pose problème et n’est donc pas couverte.
[6.] Dans l'affaire objet de l’opinion individuelle, il est clair que si le défendeur a requis « que la Cour soit guidée par les articles 56(5) de la Charte, 6(2) du protocole et 40 du règlement » (paragraphe 43 de l’arrêt) cette demande signifie en toute simplicité qu’il est demandé à la Cour de s'assurer que chaque condition requise par l’article 40 est couverte.
[7.1] Qu'en répondant à la demande du défendeur par le paragraphe 43 dans l'arrêt « que le défendeur a simplement indiquée que la Cour statuant sur la recevabilité tienne compte des articles 56(5) de la Charte, 6(2) du protocole et 40 du règlement » et donc qu’ « il n'a pas soulevé d'exception particulière sur la recevabilité de la requête » la cour a mal interprété les propos du défendeur.
2. Des dispositions des articles 56 de la Charte, 6(2) du protocole et 39 et 40 du règlement.
[8.] Il est à noter que dans son paragraphe 45, la Cour en voulant « déterminé » si la requête remplissait les conditions énoncées au paragraphe 44 de l'arrêt n'a fait que reprendre les conditions des articles sus visés sans réellement les analyser (paragraphes 45 et 46 de l'arrêt) quant à leur majorité et que par contre la Cour s'est attardée sur la condition numéro 7 de l’article 40 du règlement dans les paragraphes 50 et suivants de l'arrêt donnant ainsi l'impression que les conditions énumérées se dépassent l’une l’autre par importance ou finalité; ce qui n’est aucunement l'esprit des articles sus vises et l'intention du législateur
[9.] Au vu de l’article 40 du règlement dans son paragraphe 6 il est clairement dit des requêtes qu'elles soient « introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant 120 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
commencé à courir le délai de sa propre saisine »
[10.] Il est clair que le législateur a donc dicté deux options quant à la manière de définir le début du délai raisonnable :
a. la date de l'épuisement des recours internes ce que la cour aurait pu fixer par la date de l'arrêt de la cour suprême de mars 2011 et qui aurait engendre un délai de 6 ans et 2 mois à la date du dépôt de la requête 27 mai 2017.
b. la date retenue par la cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine telle la date de la décision rendue par le comité des droits de Lhomme ou toute autre que la cour aurait décidé de prendre en considération.
[11.] En passant sous silence cette date et en se contentant de dire au paragraphe 45 de l'arrêt « et qu’elle a été porté devant la cour de céans dans un délai raisonnable après épuisement des recours internes » et de conclure « que la requête remplit les conditions de recevabilités énoncées à l'article 56(1) à 56(6) de la Charte reprises à l’article 40(1) à 40(6) du règlement » la Cour a failli à son obligation de déterminer le fondement juridique et légal de ses conclusions.
Opinion dissidente : BEN ACHOUR
1. J'ai voté contre l'arrêt ci-dessus (Af Ba Be c. République du Ghana) pour deux raisons.
2. J’estime en effet, que la Cour aurait dû déclarer la requête irrecevable non pas sur la base des articles 56(7)* de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après la Charte) et 40(7) du Règlement intérieur de la Cour (ci-après le Règlement), mais plutôt sur la base des articles 56(6)? de la Charte et 40(6) du Règlement, c'est-à-dire, pour inobservation par le requérant, Af Ba Be Zci-après le requérant) d’un délai raisonnable après l'épuisement des voies de recours
1 Pour un commentaire sur cet article : Voir F Ouguergouz ‘Article 56’ in M Bf (dir) La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et le Protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. Commentaire article par article (2011) 1044,
2 Pour un commentaire sur cet article, voir Ouguergouz (n 1) 1043.
Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3 RJCA 104 121
internes (ci-après VRI) pour introduire sa requête devant la Cour de céans (I).
3. Parailleurs, et à supposer que ledit délai est raisonnable, comme l’affirme la Cour dans le paragraphe 45 de l'arrêt, la Cour aurait dû déclarer la requête recevable et aller au fond de l'affaire, le cas n'ayant pas été, à mon avis, « réglé conformément, soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit à la Charte de l'Organisation de l'Unité africaine et soit des dispositions de la présente Charte ». Les Constations du Comité des droits de l'homme de l'ONU (ci-après CDH) ne valent pas, à mon avis ‘règlement’ du cas (Il)
|. L’inobservation du délai raisonnable pour la saisine de la Cour
4. L'exigence formulée par la Charte et reprise par le règlement de la Cour d'introduction de la requête dans un délai raisonnable est une exigence fondée sur la nécessaire sécurité juridique. C'est une exigence qu'on retrouve dans les trois instruments régionaux relatifs aux cours des droits de l'homme. Mais alors que les Conventions interaméricaine et européenne ont précisément fixé le délai à six mois à partir de l'épuisement des VRI, la Charte a laissé le champ libre à l'appréciation souveraine de la Commission d'abord, et de la Cour ensuite, eu égard aux circonstances particulières de chaque espèce.
5. Dans le cas de l'espèce, il y a lieu de rappeler que la requête a été introduite devant la Cour le 26 mai 2017, alors que la Cour suprême du Ghana, juridiction placée au sommet de la hiérarchie du système judiciaire ghanéen a rendu son arrêt définitif, rejetant l'appel du requérant et confirmant la peine capitale prononcée contre lui, le 16 mars 2011.* Ainsi un délai de six ans et deux mois s’est écoulé entre le jour du prononcé de l'arrêt de la Cour suprême du Ghana et l'introduction de la requête devant la Cour de céans. Un tel délai a-t-il des justifications à la fois objectives et subjectives ?
6. La Cour n'a même pas essayé de justifier ce retard mis par le requérant pour la saisir. Elle est passée rapidement et sans la moindre analyse sur toutes les conditions de recevabilité énumérées par les articles 56(1) à 56(6) de la Charte et 40(1) à
3 Art 35 (1) de la Convention européenne et 46 (1) b) de la Convention
interaméricaine
4 paragraphe 26 de l'arrêt.
122 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
40(6) du Règlement. Elle a traité les six chefs d'irrecevabilité en un seul paquet estimant « [glue la Requête indique l'identité du Requérant, qu'elle est compatible avec l’Acte constitutif de l'UA et avec la Charte, étant donné qu'elle invite la Cour à déterminer si l'État défendeur a respecté les obligations qui sont les siennes en matière de protection des droits du requérant inscrits dans la Charte ; qu’elle ne contient pas de termes outrageants ou insultants à l'égard de l'État défendeur, de ses institutions ou de l'UA etne se limite pas à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse, et que la Requête a été introduite après l'épuisement des voies de recours internes, le recours en appel introduit par le Requérant ayant été rejeté par la Cour suprême, qui est la plus haute juridiction de l'État défendeur, et qui a été portant (sic) devant la Cour de céans dans un délai raisonnable après épuisement des voies de recours internes ». Et la Cour de conclure « La Cour conclut en conséquence que la Requête remplit les conditions de recevabilités énoncés à l’article 56(1) à 56(6) de la Charte et reprises à l’article 40(1) à 40(6) du Règlement ».
7. 1l estregrettable que la Cour traite une question aussi importante par une simple affirmation : « [e]t qui a été portant (sic) devant la Cour de Céans dans un délai raisonnable ». Ainsi, la Cour ferme les yeux sur le délai mis par le requérant pour la saisir et ne fournit aucune justification sur la recevabilité de la requête de ce point de vue.
8. Pour d'autres chefs d'irrecevabilité de la requête, la Cour a pourtant fourni une explication, bien que sommaire. Il en est ainsi lorsqu'elle évoque la compatibilité de la requête avec l'Acte constitutif de l'UA et avec la Charte, étant donné, selon elle, que la requête « [invite la Cour à déterminer si l'État défendeur a respecté les obligations qui sont les siennes en matière de protection des droits du Requérant inscrits dans la Charte ». Il en est de même pour l'épuisement des VRI lorsque la Cour relève que « [I]e recours en appel introduit par le Requérant ayant été rejeté par la Cour suprême, qui est la plus haute juridiction de l’État défendeur ». Mais pour le délai raisonnable aucune justification, fut-elle sommaire n’est avancée !
9. Le fait que l'Etat n'ait opposé à la requête aucune exception de recevabilité ne peut justifier ce passage à grande vitesse, en une seule phrase, sur six conditions de recevabilité que la Cour a le devoir d'analyser. La Cour semble avoir été pressée de s’attarder sur une seule condition, celle prévue par l’article 56(7) de la Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 104 123
Charte et 40(7) du Règlement.
10. Or, il était de la plus haute importance, pour une bonne administration de la justice et pour respecter le Protocole et le règlement, que la Cour accordât plus d'attention à la question du délai comme elle l'a toujours fait dans sa jurisprudence antérieure. 11. Dans d’autres affaires, où pourtant les délais d'introduction de la requête étaient moins longs, la Cour a toujours analysé les raisons qui auraient empêché les requérants d'être plus diligents en matière de respect du « délai raisonnable ».
12. En effet, dans sa jurisprudence antérieure, la Cour a, certes, toujours été très sensible à la situation personnelle des requérants (indigence, analphabétisme, détention, la formation de recours extraordinaires ou non judicaires, etc.) et a toujours manifesté une grande souplesse dans la commutation du délai raisonnable .° 13. La Cour a toujours, et très justement, tenu à statuer au cas par cas afin de ne pas s'enfermer dans une attitude très rigide et strictement arithmétique. Dans son arrêt Bm Bd Bm et Ce Bd Bm du 7 décembre 2018, la Cour a retenu comme délai raisonnable une période de cinq ans et cinq mois. Cependant, la Cour a abondamment justifié cette largesse en ces termes : « [L]a Cour relève en outre que la requête a été déposée devant elle le 2 octobre 2015, soit cinq (5) ans et cinq (5) mois après que cette déclaration a été déposée. Entre ces deux dates, les requérants avaient toutefois tenté d'exercer devant la Cour d'appel un recours en révision, rejeté le 19 mars 2015, pour cause de dépôt tardif. Compte tenu de cette situation, la question à trancher est de savoir si une période de cinq ans et cinq mois au cours de laquelle les requérants auraient pu déposer leur requête devant la Cour est raisonnable »?. Elle ajoute « [L]a Cour relève que les requérants n'invoquent aucune raison particulière pour expliquer pourquoi il leur a fallu cinq ans etcinq mois pour la saisir, puisqu'ils en avaient la possibilité, l'État défendeur ayant déposé la déclaration prévue par le Protocole,
5 La Cour européenne des droits de l'homme, bien que liée par le délai de six mois considère également ; « Pour rechercher s'il y a eu dépassement du délai raisonnable, il faut avoir que égard aux circonstances de la cause et aux critères
consacrés le comportement par la jurisprudence du requérant et de celui la Cour, des autorités en particulier compétentes la complexité ainsi de que l'affaire, l'enjeu Arrêt du litige pour l'intéressé ». Arrêt Bc Ad Bq c. Portugal, requête n° 3532/97, Grande chambre 6 avril 2000.
6 Dans son arrêt Ayants droit de feus Ar Bn du 21 juin 2013, la Cour déclare que « le caractère raisonnable d'un délai de saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire, et doit être apprécié au cas par cas ». (para 121) 7 para 48 de l'arrêt.
124 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
qui les autorise d'introduire directement des requêtes devant la Cour. Toutefois, même s'ils n'étaient pas tenus de le faire, les requérants avaient choisi d'exercer le recours en révision susmentionné devant la Cour d'appel. Il ressort clairement du dossier que le retard de cinq ans et cinq mois était dû au fait que les Requérants attendaient l'issue de la procédure de révision et qu'au moment où ils ont saisi la Cour de céans, il ne s'était écoulé que six mois après la déclaration d'irrecevabilité de leur recours en révision pour dépôt tardif ».°
14. Alors que c'est la première fois qu'elle est saisie dans un délai de six ans et deux mois après l'épuisement des recours internes, voilà la Cour qui pousse son libéralisme jusqu'à vider l'exigence du « délai raisonnable » de tout contenue et ouvre la voie à l'insécurité juridique que la Charte, reprise par le Règlement, a voulu prévenir. En passant de la sorte, totalement sous silence, cette question d'ordre public dans la procédure devant elle, la Cour, laisse la porte du contentieux ouverte ad vitam æternam. En admettent un délai aussi long de six ans et deux mois sans raisons factuelles décisives, la Cour est allée trop loin en besogne, ôtant ainsi tout effet utile aux articles 56(6) de la Charte et 40(6) du règlement. Elle a grand ouvert une porte qu'il lui sera très difficile de refermer, ce qui ne va pas, par ailleurs, dans le sens de l'encouragement des Etats à faire la déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour pour recevoir les recours individuels et les recours des ONG conformément à l'article 34(6) du Protocole.
15. En l'espèce, il y a lieu de relever que le requérant ne s’est pas empressé de saisir la Cour. Il a attendu le 26 mai 2017 pour le faire. Pendanttoute cette période, il s'estoccupé à former d'autres recours au plan interne (demande de grâce présidentielle)°
8 para 49 de l'arrêt.
9 La République du Ghana est l’un des 29 Etats à respecter un moratoire sur les exécutions. En cas de peine de mort, il est de coutume de demander la grâce présidentielle. Le Président ghanéen a souvent commué la peine de mort en Agyekum réclusion Kufuor à perpétuité. a commué Ainsi, la en peine 2009, de tous le Président les condamnés sortant à du mort Ghana en prison John à vie, ou en peine d'emprisonnement de vingt ans pour ceux qui ont déjà passé dix ans dans les couloirs de la mort. De même les condamnés à mort sérieusement malades ont pu être libérés après un rapport médical. Nous n'avons cependant pas d’informations, si le Requérant Af Ba Be a pu bénéficier d’une telle mesure. https:/Www.peinedemort.org/document/3481/Grace_presidentielle_ Ghana_condamnes_mort
En 2014 également, à l'occasion du 54 ème anniversaire de la République du Ghana, le Président J ohn Bw Az a commué la peine de mort de 21 condamnés en prison à vie. https://Wwww.peinedemort.org/document/7564/grace_ Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3 RJCA 104 125
et devant une instance internationale (le Comité des droits de l’homme) ; recours qui ne sont pas considérés par la Cour africaine comme des recours devant être épuisés. Le paragraphe 57 de l'arrêt le souligne bien.
16. Selon une jurisprudence constante de la Cour, la demande de grâce présidentielle n’est pas considérée comme une VRI à épuiser par les requérants. Par conséquent on ne peut pas considérer la date du refus de la grâce comme point de départ pour le calcul du délai d'introduction du recours devant la Cour africaine. Dans son arrêt du 3 juin 2016, Cf Aw c. R épublique-unie de Tanzanie, la Cour a décidé que « [I]es recours qui doivent être épuisés sont des recours judicaires ordinaires ». A l'évidence, la demande de grâce présidentielle ne fait pas partie de cette catégorie.
17. De même, le recours à une instance internationale, universelle ou régionale, juridictionnelle ou non juridictionnelle, ne peut pas constituer une VRI. C’est par définition une voie de recours externe dont d'ailleurs, la recevabilité est conditionnée par l'épuisement de VRI. Dans ses Constatations du 27 mars 2014, le CDR note « [I]e Comité s'est assuré, comme il esttenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il note que les recours internes ont été épuisés. L'État partie n'a pas contesté cette conclusion. Les conditions énoncées à l'article 5(2)(a) du Protocole facultatif sont donc remplies ».
18. En réalité, le requérant, las des tergiversations de l'Etat défendeur, a décidé de saisir cette Cour six ans et deux mois après le prononcé de l'arrêt de la Cour suprême rejetant son appel et confirmant sa peine et plus de quatre ans après les Constatations du CDH. Tous ces éléments sont des non évènements pour la Cour !
19. A mon avis, non seulement le délai de six ans et deux mois mis pour saisir la Cour dépasse toutes les limites du raisonnable mais méritait d'être relevé. J usqu'à cet arrêt, jamais la Cour africaine n’a poussé son indulgence jusqu'à cette limite et jamais elle n'a traité cette question de cette manière aussi rapide et non argumentée.
Le règlement du cas par le Comité des droits de
20. Comme les articles 56(6) de la Charte et 40(6) du Règlement, les articles 56(7) et 40(7) du règlement ont pour objectif la 126 et RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
préservation de la sécurité juridique en évitant qu’un cas de violation des droits de l'homme soit examiné par plusieurs instances internationales à la fois. En vertu de ces articles, une requête pour être recevable doit « Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine et soit des dispositions de la présente Charte ». Ces articles ne mentionnent pas les instances devant lesquelles le principe « non bis in idem » doit être mis en œuvre. Il se contente d’une formulation très laconique en renvoyant aux principes de la Charte des Nations unies
21. Estimant le délai de six ans et deux mois raisonnable, la Cour a déclaré la requête irrecevable sur la base des articles 56(7) de la Charte et 40(7) du Règlement. Elle a estimé que le cas a été « réglé » « conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine et soit des dispositions de la présente Charte ». Pour arriver à cette conclusion (le règlement de l'affaire par le CDH), la Cour se réfère à son arrêt Ar c. Côte d'Ivoire du 22 mars 2018, dans lequel elle affirme : « [L]a Cour fait encore observer que la notion de « règlement » exige la combinaison de trois principales conditions : (i) l'identité des Parties ; (ii) l'identité des requêtes ou leur nature supplémentaire ou alternative ou encore si l'affaire découle d’une requête introduite dans l'affaire initiale; (iii) l'existence d’une première décision sur le fond ».!°
22. En procédant à la vérification de ces trois conditions dans le cas de l'espèce, la Cour omet de relever que dans le cas Ar, l'affaire a été tranchée par un organe juridictionnel sous régional, à savoir la Cour de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO), alors que le cas Af a fait l'objet de Constations par un organe quasi juridictionnel, le CDH, dont les décisions” n’ont pas autorité de chose jugée.
23. A mon avis, le cas n'a pas été « réglé » par le CDH. L'acte émis par le CDH est juridiquement dénommé « Constatations » (views en anglais). Comme leur nom l'indique, les Constatations du CDH ne font que “constater”, ’observer”, “relever” une situation de violation des droits de l'homme contraire au Pacte international sur les droits civils et politiques. C'est la raison pour laquelle le Comité utilise des termes diplomatiques et non autoritaires à la fin de sa décision puisqu'il « [s]ouhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les
10 para 48 de l'arrêt.
Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 104 127
mesures prises pour donner effet aux présentes constatations » et que « [l}'État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans le pays ». Le souhait et l'invitation ne créent pas une obligation juridique contraignante à la charge de l'Etat. Etant partie au Pacte, l'Etat doit faire tout son possible pour faire cesser la violation.
24. Dans le sens contraire, une décision de caractère juridictionnel « règle » le cas, c'est — à — dire clôt le débat. Elle tranche le contentieux, en disant le droit. I| pèse dans ce cas sur l'Etat une véritable obligation de résultat et non une simple obligation de moyens.
25. La Cour ayant jugé que la requête est recevable parce qu'elle a été introduite dans un délai raisonnable, elle aurait dû se livrer à une analyse de la notion de règlement pour arriver à la conclusion que la requête est recevable et aller ainsi à l'examen du fond.
26. Ainsi, la seule et unique irrecevabilité de la requête découle de l’inobservation du délai raisonnable par le requérant pour introduire sa requête et non du règlement du cas par le CDH.
27. Ayant fait preuve d'une souplesse extrême quant à la condition posée par les articles 56(6) de la Charte et 40(6) du Règlement relatifs au délai raisonnable, la Cour aurait du déclarer la requête également recevable par rapport aux articles 56(7) de la Charte et 40(7) du Règlement. Les Constatations du CDH ne valant pas règlement du cas.
Opinion dissidente : TCHIKAYA
1. Tout en le regrettant, je ne partage pas la décision rendue par la Cour ce 29 mars 2019 et les motivations qui s'y attachent en l’affaire, Af Ba J ohnson c. Ghana. Mieux aurait valu sans doute que l'avis de la majorité futle mien, mais les arguments m'en 128 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
semblent insuffisants. Les raisons de cette opinion dissidente sont présentées sous-dessous.
2. Le désaccord que j'exprime porte sur le résultat des motivations de la Cour dans son ensemble et sur les conclusions de son dispositif. Par ailleurs, ainsi que l’a suffisamment montré la Cour, elle attache une attention particulière aux questions concernant la préservation des aspects essentiels des droits l'homme, notamment l'intégrité des personnes et le droit à la vie, l'espèce Af Ba J ohnson en offrait l’occasion.
3. Auregretde devoir être icien désaccord, il estnéanmoins exprimé mon attachement à la défense des droits en cause. Mon désir de consigner officiellement cet inéluctable sentiment né de l'impératif respect des droits humains en vertu des instruments juridiques continentaux se trouverait exhaussé. Comme le constate le Comité des droits de l'homme, M. Af Ba Be, a été condamné à mort et le Ghana}, en procédant à l'exécution de la peine, cet État commettrait une violation des droits qu'il tient des articles 2(1), 3, 6, 5, 7, 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966). Une violation du droit à la vie.
4. Un ressortissant américain a été tué près d’Accra au Ghana, le 27 mai 2004. M. Af Ba J ohnson fut traduit en justice et accusé d'avoir commis ce crime, bien que niant l'infraction. La Haute Cour d’Accra, l'a déclaré coupable du meurtre et l'a condamné à la peine de mort, le 18 juin 2008. Suite à une longue procédure interne marquée par la contestation du bien fondé de la peine de mort infligée, M. Af saisi le Comité des droits de l'homme.
5. Dans sa communication No. 2177/2012, le Comité des droits de l'homme en sa 110ème session du 28 mars 2014, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui sont soumis font apparaître une violation de l'article 6(1) du Pacte. Le Comité souligne que « l'État partie a l'obligation d'assurer à l’auteur un recours utile, y compris sous la forme d'une commutation de la peine de mort. L'État partie esttenu de prendre des mesures pour éviter que de telles violations ne se reproduisent, notamment en adaptant sa législation aux dispositions du Pacte ». L'État défendeur n'en fit aucune suite. Ce sont ces circonstances qui
1 Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Ghana, le 7 décembre 2000.
2 CDH, Communication No. 2177/2012, Af Ba J ohnson c. Ghana, 28 mars 2014, para 9 et suivant.
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ont conduit M. Af a saisir la Cour d'Arusha, qui dans sa décision du 30 mars 2019 s'oppose à la requête en lui opposant, en irrecevabilité, un refus de rejuger l'affaire.
Cette note tend à établir, d'une part, qu’une exception au non bis in idem était possible dans la décision afin de rendre la requête Af recevable (I.) et, d'autre part, que la décision prise est en retrait au regard de l’évolution du droit (II.).
Une exception au non bis in idem était possible
L'application faite par la Cour de céans du principe non bis in idem en l'affaire Af est littérale et ne correspond pas à l'état actuel du principe. Nous considérerons sa signification inconvenante (A), ensuite seront évoquées les exceptions connues qu'on pouvait, de bon droit, apporter (B.).
A. Une interprétation littérale et inconvenant du « non bis in idem »
Le raisonnement de la Cour s'articule autour de l'application de l’article 56. Elle rappelle « la règle énoncée à l'article 56(7) de la Charte africaine de droit de l'homme et des peuples qui vise à empêcher les États membres d'être poursuivis deux fois pour les mêmes violations des droits de l'homme ». La Commission africaine a déclaré sur la même règle qu'« || s'agit de la règle non bis in idem (également connue sous le nom de principe d'interdiction de double poursuite pour un même fait, dérivant du droit pénal) qui veille à ce que, dans ce contexte, aucun État ne puisse être deux fois poursuivi ou condamné pour la même violation alléguée des droits de l'homme ». En effet, ce principe est attaché à la reconnaissance du statut fondamental de la chose jugée (res judicata) des décisions rendues par des tribunaux internationaux et régionaux. ”. Peu importe le contenu que la Commission de Banjul en a donné.
La Cour a tenu compte du principe signifiant, dans ses origines pénalistes et romaines, que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement (une seconde fois) pour les mêmes éléments de droits et de fait. Tout en désignant bautorité de la chose jugée, la signification supprime en effet toute nouvelle poursuite contre la
CAfDHP, Af Ba J ohnson c. Ghana, 30 mars 2019, para 59.
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même personne pour les mêmes éléments.‘ Au sens de l’article 56(7) : les affaires, pour être examinées, doivent remplir les conditions suivantes : « Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine (.…) ». Tels sont les mots de cet article 56, qui, en son alinéa 7, auront pesé dans la délibération de la Cour. L'État défendeur ayant été jugé, en la cause, ne le sera plus une deuxième fois, par la Cour de céans.
10. Des questions affleurent qui conservent une lourde pertinence dans la compréhension de cette affaire. Les réponses à ces dernières n'apparaissent pas à lecture de la décision Af. Or, le principe invoqué par la Cour n’est pas absolu. Il comporte des tempérances, des nuances, voire des exceptions dans nombreux cas déjà soulignés.
11. La CEDH dans l’Affaire A. B. c. Norvège, 15 novembre 2016, notait que « Le justiciable devrait avoir la certitude que, une fois son acquittement ou sa condamnation passés en force de chose jugée, il sera protégé contre l'ouverture de toute nouvelle procédure fondée sur les mêmes faits. Cela ne vaudrait pas si la personne est passible de procédures pénales et administratives prévisibles conduites parallèlement, comme prévu par la loi, et encore moins si la première sanction (la majoration d'impôt) a été prise en compte de manière prévisible dans la décision imposant la seconde sanction (l'emprisonnement) ».° L'hypothèse du cas Af Ba J ohnson est significative de cette motivation de la cour européenne. Ce cas, sanctionnée par le Comité de droit l'homme, au regard de ce qu'il en est advenu, annonçait bien un traitement judicaire complémentaire. Pour le moins, le non bis in idem, ne le couvrait pas. S'étant tenu majoritairement à une lecture littérale du principe, la Cour de céans s'est éloignée des exceptions, maintenant connues, qui s'attachent à ce principe.
4 L'article 14, paragraphe 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; L'article 4 de la Convention européenne des droits de l'homme, para 1 du Protocole additionnel No. 7 : « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ».
5 CEDH, Grande Chambre, Affaire A. B. c. Norvège, 15 novembre 2016, para 79.
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B. Les exceptions connues au non bis in idem auraient dû prévaloir
12. Pour reprendre les termes de la décision, il est souhaitable qu': « aucun État ne puisse être deux fois poursuivi ou condamné pour la même violation alléguée des droits de l'homme ». L'hypothèse Af permettait aux moins pour trois raisons de faire exception au « non bis in idem », posé à l'article 56(7).
13. La première raison est que le « bis » qui suppose une reprise d’une affaire à l'identique, n’y est pas. Il n’est pas en réalité présente dans le cas d'espèce. La situation de fait et de droit est nouvelle. Les demandes soumises à la Cour de céans par le requérant s'appuyaient sur la Communication du Comité.® Des demandes sur le respect de la chose jugée par le Comité, des demandes sur la modifications législatives sur la peine de mort, et des dommages et intérêts ayant trait au préjudice. La voisine Cour interaméricaine de droits de l'homme le dit sans ambages : « Cette Cour considère que si de nouveaux faits ou preuves apparaissent, qui peuvent permettre de trouver les responsables de violations des droits de l'homme, et plus encore, les individus responsables de crimes contre l'humanité, il peut y avoir une réouverture de l'enquête même s’il existe un jugement absolutoire pour la chose jugée, car les exigences de la justice, les droits des victimes et l'esprit et la lettre de la Convention américaine modifient la protection du non bis in idem ».’ La Cour interaméricaine ajoutait que « le principe non bis in idem, même s’il s'agit d'un droit humain reconnu dans l’article 8.4 de la Convention américaine, n'est pas un droit absolu ». Le fait le plus marquant reste la récalcitrante de l’État fasse à la violation constatée par le Comité. Cela justifiait, à elle seule, une décision différente de la Cour.
14. La seconde raison est que le contexte le commandait : la rigueur notionnelle et juridique des droits de l'homme obligeait la Cour. Il eutfallu considérer comme l'a faitle Comité que les faits en cause
6 Sur le fond le requérant demande à la Cour : « a) Dire que la peine capitale obligatoire prononcée contre le Requérant constitue une violation des articles 4, 5 et 7 de la Charte, 6(1), 7, 14(1) et 14(5) du PIDCP et 3, 5 et 10 de la DUDH. b) Dire que l’État défendeur a violé l'article 1 de la Charte pour n'avoir adopté aucune mesure, ni législative ni autre, visant à donner effet aux droits du Requérant prévus aux articles 4, 5 et 7 de la Charte ».
7 CIDH, Affaire Bi Aj et autres c. le Chili, (Exceptions préliminaires, fond, réparations, frais et 26 154 et suivant, La Cour interaméricaine note dépens), aussi : « En conséquence, septembre 2006, l'État para ne peut s'appuyer sur le principe non bis in idem, pour ne pas exécuter l'ordre de la Cour, para 155.
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concernaient une matière essentielle des droits de l'homme. Comme l'a si bien souligné la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans Rodriguez Velasquez® en s'appuyant sur les articles 4 (dont alinéa premier indique) : « Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit être protégé par la loi (...). Nul ne peut être privé arbitrairement de la vie, 5 et 7 de la Convention américaine des droits de l'homme qui garantissent le droit à la vie, à l'intégrité physique ». L'exécution de la peine que l’un des organes compétents du système international (le CDH)° venait de considérer comme irrégulière devrait être considérer par les autres organes du système.
15. Cetélément majeur explique en partie pourquoi le requérant s’est résolu à une sorte de « forum shoping » pour saisir « nombreuses » juridictions internationale de droits de l'homme. Le différend arrive devant la Cour le 26 mai 2017 après le prononcé du Comité le 27 mars 2014. Conformément à sa jurisprudence qui apprécie le délai raisonnable selon les circonstances de faits et de droit de l'affaire,’ elle aurait dû aller jusqu’au bout et ne pas juger la requête irrecevable.
16. |ly a une troisième raison. La Cour semble faire la « part belle » à l'État défendeur. Les irrégularités constatées par le Comité perdurent. || eut fallu demander, par cette nouvelle voie judicaire, à l'État défendeur de se conformer à l'ordre international des droits de l'homme.“ De lex lata, le dispositif du Comité reste encore, en l'espèce, le droit applicable. Comme le souligne F atsa Ouguergouz'? dans son commentaire de cet article 56(7), il n'y a interdiction d'aucune sorte de litispendance par cet article 56, les
8 CIDH, Affaire Ax Ai c. Honduras, Exceptions préliminaires, 26 juin 1987 ; fond, 29 juillet 1988, Case No. 7920, Inter-Am. CHR, Res. No. 22/86, OEA/ Ser. L/V/11.61, Doc. 44 ; I.L.M., 1989, p.294.
9 Le CDH dit dans sa communication : « l'imposition automatique de la peine de mort en vertu de l’article 46 de la loi sur les infractions pénales et autres constitue une violation des droits que tient l'auteur du $ 1 de l'article 6 du Pacte. Le Comité
prendre rappelle des aussi mesures à l'État législatives partie qu’en pour devenant s'acquitter partie de au ses Pacte, obligations il s'est juridiques engagé à »
10 CAfDHP, Ap Bu c. Tanzanie, 21 septembre 2018 : La Cour s'exprime de la manière suivante dans « Ayant droit de feu Ar Bn et autres c. Burkina- Faso, la Cour a établi le principe selon lequel le caractère raisonnable d'un délai de saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire et doit être apprécié au cas par cas » para 44.
11 CEDH, Margus c. Croatie, 27 mai 2014 : « Un Etat ne peut s'appuyer sur le principe non bis in idem, pour ne pas exécuter l'ordre de la Cour (...) ».
12 F Ouguergouz La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et le Protocole y relatif portant création de la Cour africaine, Commentaire article par article (2011) 1024 et suivant.
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juges internationaux de droits de l'homme peuvent être appelés, dans le respect de leur compétence, à se compléter. L'espèce permettrait d’une part, de fixer la doctrine de la Cour de Céans sur le non bis in idem et sa base formulée dans l’article 56(7) et d'autre part, cela eut été l'occasion pour la Cour de faire une remarquable contribution judiciaire au « respect du droit à la vie » qui « ne constitue (.. ) pas une prescription à laquelle il peut être dérogé », disait la Cour internationale de justice."
La décision prise est en retrait au regard de l’évolution du droit
17. La décision prise est en retrait au regard de l'évolution du droit sur le sujet. Elle aboutit d’une part, à un anéantissement du contrôle des droits qui résulteraient de ce recours (A), et d'autre part, la mise en exergue des particularités de l'affaire au regard de la récente affaire Ar dont la décision a été rendue en 2018 (B.).
A. L'anéantissement du contrôle attendu
18. Il ne fait aucun doute qu’un arrêt au fond de la Cour de céans aurait eu sa place dans ce différend, plutôt que tel qu’il se présente en irrecevabilité. Le Comité des droits de l'homme dans sa Communication, et conformément à son droit applicable, met en perspective cette idée de contrôle de l'État défendeur. Il dit en effet dans son dispositif : « Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L'État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans le pays ». Il n’est pas excessif de penser que la Cour pouvait s'inspirer des éléments du dispositif du Comité pour prendre position. Les moyens dont pouvait disposer la Cour se trouvent anéantis par cette irrecevabilité.
19. Il existe comme une obligation de complémentarité des organes juridictionnels et quasi-juridictionnels concourant à l’effectivité des droits de l'homme dans champ internationale.“ La Cour
13 CIJ, A.C., Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, Recueil 1996, 8 juillet 1996, para 25.
14 Voir Les analyses de IR J uana ‘Le droit international humanitaire au sein de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'Homme’ (2017) 11 Revue des droit de l'homme.
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dans l'espèce Af disposait de la proximité des instruments régionaux en plus du droit international des droits de l'homme. C'est l'interprétation utile que l’on puisse faire par ailleurs de certaines dispositions du Protocole : « La Cour applique les dispositions de la Charte ainsi que tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par l’État concerné ». Certes, les rédacteurs conventionnels s’en remettent à la signification de bon sens, mais ces dispositions permettent une complémentarité indéniable des moyens juridiques.
20. La Couravaitainsile moyen de contrôler ainsi les droits méconnus par l'État défendeur et les rendre applicable. Devait s'ajouter une base juridique nouvelle, celles des constatations faites par le Comité de droits de l'homme et ses injonctions. Le cas Af diffère de la précédente jurisprudence de la Cour, ] ean-claude Ac Ar c. Cote d'Ivoire, 22 mars 2018.
B. L'affaire Af présente des particularités que J ean- Cd Ac ArA* de 2018 n'avaient pas
21. Pour la Cour, les conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de la Charte sont cumulatives. Une condition ne serait pas remplie que la requête ne pourrait être examinée dans son ensemble!“ Elle a considéré qu'il en est ainsi dans le cas présent différend, comme cela l’a été dans sa jurisprudence récente ] ean- Cd Ac Ar. En l'espèce, la Requête ne remplissait pas la condition énoncée à l'article 56(7) de la Charte, la Cour la
22. Différents éléments marquent d’emblée une différence entre le contexte de l’affaire Ar et celle Af. Ar est une affaire de vente commerciale et de propriété, à la différence de Af. Volens nolens, l'urgence et le niveau de gravité ne sont pas les mêmes quant aux atteintes en jeu. Ce qui ressort des demandes du Comité qui souhaitait « recevoir de l'État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux (…) constatations ». L'État partie « était invité en outre à rendre celles-ci publiques et
15 CAfDHP, AI Ac Ar c. Côte d'Ivoire, 28 mars 2018.
16 CADHP, Communication No. 277/2003, As et autres c. Bt Zci-après dé Initiative é « égyptienne As c. Botswana pour les »), droits para personnels 96 et CADHP, et Bp Communication c. Égypte No. (ci-après 334/06 désigné « Initiative égyptienne c. Égypte »), para 80.
17 La cour avait retenu l'exception d'irrecevabilité tirée de l’article 56(7) de la Charte, para 25.
Be c. Ghana (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 104 135
à les diffuser largement dans le pays ».!® Ce aspect d'urgence et de délai aurait pu alerter la Cour.
23. Un autre élément strictement juridique. Le recours devrait être recevable par le fait qu'il fut possible pour la Cour de considérer que la question Af, telle que circonscrite par le Comité, n'était pas encore réglée. La perpétuation de l'atteinte perdure etla peine de mort obligatoire demeure en droit interne de l'État défendeur. Au paragraphe 7(3) de la Communication, le Comité avait clarifié ce point dans un rappel, à savoir que « l'imposition automatique etobligatoire de la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, incompatible avec le paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte ». Il appuyait cela en ajoutant que « dès lors que la peine capitale est prononcée sans 'que la situation personnelle de l'accusé ou les circonstances particulières du crime ne soient prises en considération.'° L'existence d’un moratoire de fait sur les exécutions ne suffit pas à rendre la peine de mort obligatoire compatible avec le Pacte ». La cour aurait pu faire montre d'un sens d'initiative.
18 CDH, Communication Af Ba J ohnson, para 10.
19 CDH, Zambie, Communication, 18 octobre 2005, Mwamba par. 7.4; c. Zambie, Ab X c. Trinité-et-Tobago, mars 2010, par 6.3; 26 Chisanga mars 2002, c. par. 7.3; Bo c. Saint-Vincent-et-les Grenadines, 18 octobre 2000, par. 8.2. 20 CDH, Communication Aq c. Sri Bv, 17 mars 2009, para 7(2).