La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2019 | CADHP | N°007/2017

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 04 juillet 2019, 007/2017


Texte (pseudonymisé)
Ag
Ag c.
3 RJCA 395 c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 395 395
Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) Requête 007/2017, Ac Ag c. République du Rwanda
Arrêt du 4 juillet 2019. Fait en arabe, français et en anglais, le texte
français faisant foi.
Juges A B, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE, CHIZUMILA,
BENSAOULA, TCHIKAYA, ANUKAM et ABOUD
S'est récusée en application de l’article 22 : MUKAMULISA
Le requérant allègue que son véhicule a été injustement confisqué par
la police. Il lui a été rendu par la suite après plus de deux moi

s, la police
ayant admis que la confiscation était illégale et versé une indemnité
au requérant pou...

Ag
Ag c.
3 RJCA 395 c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 395 395
Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) Requête 007/2017, Ac Ag c. République du Rwanda
Arrêt du 4 juillet 2019. Fait en arabe, français et en anglais, le texte
français faisant foi.
Juges A B, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE, CHIZUMILA,
BENSAOULA, TCHIKAYA, ANUKAM et ABOUD
S'est récusée en application de l’article 22 : MUKAMULISA
Le requérant allègue que son véhicule a été injustement confisqué par
la police. Il lui a été rendu par la suite après plus de deux mois, la police
ayant admis que la confiscation était illégale et versé une indemnité
au requérant pour confiscation illégale de son véhicule. Le requérant
a allégué que la garde présidentielle avait de nouveau confisqué son
véhicule etl'avaitaccusé de conduite en état d'ébriété, accusation ensuite
été remplacée par le défaut de présentation d’un permis de conduire. Il
affirme que ses efforts pour obtenir réparation auprès du Président de
la république et du Sénat ont été vains et a prié la Cour de lui accorder
réparation pour les violations causées, notamment en ordonnant que lui
soit restitué son véhicule ou qu'il reçoive une indemnisation. La Cour a
estimé que le requérant avait utilisé des recours administratifs et non
judiciaires et qu'il n'avait donc pas épuisé les recours internes.
Procédure (jugement par défaut, 19)
Recevabilité (épuisement des recours internes, 34; 38)
Opinion individuelle : BENSAOULA
Procédure (jugement par défaut, 5; 14)
Les parties
Le requérant, Ac Ag, est un ressortissant de la République du Rwanda (ci-après désignée « l'État défendeur »), résidant à Kigali, qui se plaint d'avoir été victime de violations de ses droits en rapport avec l'exercice de son activité de transport urbain.
L'État défendeur est devenu partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 25 mai 2004. Il a également déposé, le 11 janvier 2013, la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales. Cependant, le 29 février 2016, l'État défendeur a porté à la connaissance de la Commission de l’Union africaine sa décision de retirer sa déclaration. Le 3 mars 2016,
396
Il
A.
10.
RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l'Union africaine en a informé la Cour. Le 3 juin 2016, la Cour a rendu une ordonnance, indiquant que le retrait de la déclaration prendra effet le 1er mars 2017!
Objet de la requête
Faits de la cause
Le requérant affirme que son minibus de marque Ap a été injustement saisi par la police de RAWMAGANA pour une période allant du 28 janvier 2009 au 7 mai 2009. Au terme de cette période, les services de police ont avoué que cette saisie était illégale et lui ont accordé une indemnisation à hauteur de trente-quatre mille deux cents (34 200) francs rwandais.
Le requérant fait valoir qu'en date du 07 mai 2009, dès que le minibus saisi lui a été restitué, il l'a directement conduit au garage pour des réparations. Le 31 mai 2009, le véhicule a de nouveau été confisqué par des militaires de la garde présidentielle.
Il ajoute que la police a d'abord inventé une infraction de conduite en état d'ivresse, qu’elle a par la suite requalifié en infraction de défaut de présentation du permis de conduire. Selon le requérant, cette contradiction prouve que le véhicule a été arbitrairement confisqué.
Le requérant déclare en outre que même si l’une de ces deux infractions avait réellement été commise, la sanction n'aurait pas dû être la confiscation du véhicule, en vertu des dispositions des articles 24, 25 et 26 de la loi No. 34/1987 relative à la police de roulage et circulation routière au Rwanda.
Le requérant soutient avoir adressé, le 8 mai 2010, une requête au Président de la République alors en visite à Kigali. Celui-ci a ordonné au Commissaire de police de suivre l'affaire. Au cours de l'enquête, la police a constaté l'implication de la garde présidentielle et l'enquête a été bloquée.
Le requérant affirme qu’en date du 6 avril 2011, son véhicule a été vendu aux enchères, comme le confirme la lettre du Procureur général No. 1535/D11/A/ONP] /INSP du 19 juillet 2011.
Le requérant ajoute que par la lettre No. 0873/SEN/SG/DC/AA/ ME/2015 du 11 juin 2015, le Sénat a voulu l’obliger à accepter
Requête No. 003/2014. Ordonnance du 3 juin 2016, IngabireVictoire Ai c. République du Rwanda, sur le retrait par l’État défendeur de la déclaration faite en vertu de l'article 34(6) du Protocole.
Ag c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 395 397
le prix de vente aux enchères du véhicule, sans aucune autre indemnisation. Lorsqu'il a exprimé son mécontentement quant au contenu de l’offre faite par le Sénat, il a été emprisonné le 16 juin 2015, pour outrage et diffamation allégués visant le Président de
B. Violations alléguées
11. Le requérant affirme que l’État défendeur a :
« i. violé son droit à la propriété prévu aux articles 17(2) de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) et 14 de la Charte ;
ii. omis de se prévaloir des recours internes requis en vertu de l'article 2(3)(c) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
I. Résumé de la procédure devant la Cour
12. La requête a été reçue au greffe de la Cour le 24 février 2017 et le greffe l’a signifiée le 31 mars 2017 à l’État défendeur, l’invitant à soumettre la liste de ses représentants dans les trente (30) jours et à déposer sa réponse à la requête dans les soixante (60) jours suivant réception de la notification, conformément aux articles 35(2)(a) et (4)(a) du Règlement intérieur de la Cour.
13. Le 9 mai 2017, le greffe a reçu une lettre de l’État défendeur lui rappelant le retrait de sa déclaration faite en vertu de l'article 34(6) du Protocole et l'informant qu'il ne participerait à aucune procédure devant la Cour. || a demandé par conséquent à la Cour de s'abstenir de lui transmettre toute information relative aux affaires concernant le Rwanda.
14. Le 22 juin 2017, la Cour a répondu à l'État défendeur, en précisant « qu'en tant qu'institution judiciaire et conformément aux dispositions du Protocole et de son Règlement intérieur, la Cour est tenue de communiquer toutes les pièces de procédure aux parties concernées. En conséquence, toutes les pièces de procédure des affaires concernant le Rwanda dont la Cour est saisie doivent être signifiées à l’État défendeur y compris les arrêts clôturant ces affaires ».
15. Le 30 juin 2017, la requête a été transmise aux États parties au Protocole et au Conseil exécutif de l'Union africaine, par l'intermédiaire de la Présidente de la Commission de l'Union africaine, conformément à l’article 35(3) du Règlement.
16. Le 25 juillet 2017, la Cour a accordé une première prorogation de quarante-cinq (45) jours du délai accordé à l'État défendeur pour déposer sa réponse. Le 23 octobre 2017, la Cour a accordé 398 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
une deuxième prorogation de quarante-cinq (45) jours, indiquant qu’elle rendra un arrêt par défaut à l'expiration de ce délai si la réponse n'était pas déposée.
17. Enapplication de l'article 63 du Règlement, la Cour, à sa quarante- neuvième session ordinaire tenue du 16 avril au 11 mai 2018, a décidé de se prononcer sur le fond et les réparations dans un même arrêt. À cet effet, le 12 juillet 2018, le requérant a été invité à déposer ses observations sur les réparations dans un délai de trente (30) jours, mais il n'a pas réagi.
18. Le 12 octobre 2018, le greffe a porté à l'attention de l’État défendeur qu'au cours de sa 50ème session ordinaire, la Cour a décidé de lui accorder un dernier délai supplémentaire de 45 jours et que, passé ce délai, elle statuera sur la requête par défaut conformément à l'article 55 du Règlement et ce, dans l'intérêt de la justice. La notification a été envoyée par courrier et l’État défendeur l'a reçue le 16 octobre 2018.
19. Bien qu'ayant reçu toutes ces notifications, l'État défendeur n’a répondu à aucune d'elles.
20. Par conséquent, dans l'intérêt de la justice, la Cour rendra un arrêt par défaut, conformément à l’article 55 du Règlement.
21. Le 28 février 2019, la procédure écrite a été close et les parties en ont été dûment notifiées.
IV. Mesures demandées par les parties
22. Le requérantdemande à la Cour de rendre les mesures suivantes : «i, ordonner à l'État défendeur de lui payer des dommages et intérêts pour préjudices subis ;
li. ordonner à l'État défendeur de lui restituer son véhicule ou de le dédommager en lui remettant un véhicule similaire ;
iii. dire que le Rwanda a violé des instruments juridiques pertinents des droits de l’homme qu’il a ratifiés. »
23. Le requérant n'a pas déposé de demande détaillée sur les réparations.
24. L'État défendeur ayant refusé de participer à la procédure n'a formulé aucune demande.
2 Requête No. 003/2014. Arrêt du 07 décembre 2018, (réparations) Am Aa Ai C Al, 2 RJ CA 209, paras 14,15 et 17.
Ag c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 395 399
Compétence
25. En vertu de l'article 3(1) du Protocole, « La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés ». Par ailleurs, l'article 39(1) du Règlement prévoit que « [IJa Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence … ».
26. Après avoir procédé à l'examen préliminaire de sa compétence, etétant donné que rien dans le dossier n'indique qu'elle n'est pas compétente au regard de sa compétence, la Cour conclut qu'en l'espèce, elle a : ;
i. Compétence personnelle étant donné que l’État défendeur est partie au Protocole et a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) dudit Protocole, ce qui a permis au requérant de saisir la Cour au sens de l'article 5(3) du Protocole. Par ailleurs, la requête a été déposée dans le délai d’un (01) an fixé par la Cour pour la prise d’effet du retrait de la déclaration de l’État défendeur ;
ii. Compétence matérielle, le requérant alléguant la violation des articles 1 et 14 de la Charte, de l'article 2(3)(c) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), de l’article 6(1) du P acte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et de l'article 17(2) de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH). Tous ces instruments ont été ratifiés par l’État défendeur ; en outre, la Cour est investie du pouvoir de les interpréter et de les appliquer en vertu de l’article 3 du Protocole ;
ii. Compétence temporelle, les violations alléguées étant de nature continue;
iv. Compétence territoriale car les faits de la cause se sont produits sur le territoire d'un État partie au Protocole, à savoir l'État défendeur. 27. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence pour connaître de l'espèce.
VI. Recevabilité
28. Aux termes de l'article 6(2) du Protocole « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».
29. Conformément à l'article 39(1) de son Règlement intérieur, « La Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence et des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les 400 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
articles 50 et 56 de la Charte et 40 du présent Règlement ».
30. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance l'article 56 de la Charte, est libellé comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l'article 56 de la Charte auxquelles renvoie l'article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes, s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l'Union africaine ».
30. La Cour note que les conditions de recevabilité énoncées à l’article 40 du Règlement ne sont pas en discussion entre les parties, l’État défendeur n'ayant pas participé à la procédure. Toutefois, en application de l'article 39(1) de son Règlement, la Cour procède à l'examen des conditions de recevabilité de la Requête.
31. || ressort clairement du dossier que l'identité du requérant est connue, et qu'il est de nationalité rwandaise. La requête n'est pas incompatible avec l'Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte. Elle n'est pas rédigée dans un langage outrageant ou insultant, et ne se fonde pas exclusivement sur des informations diffusées par les moyens de communication de masse.
32. En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, le requérant affirme avoir saisi les hautes autorités politiques et administratives du pays, notamment la Police, le Parquet, le Ministère en charge des transports, le Ministère de la sécurité intérieure, le Ministère de la Justice, le Parlement, le Sénat, le Président de la République, la Commission nationale des droits de l'homme et la Société civile pour trouver une solution à son Ag c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 395 401
problème, mais ses démarches ont été vaines.
33. Le requérant soutient en outre que « saisir les juridictions n'a pas été envisagé du fait qu’un dossier dans lequel la garde présidentielle serait impliquée n'a aucune chance d'aboutir au niveau des juridictions. En outre, la requête aujourd'hui serait irrecevable en raison des délais prévus par les dispositions de l’article 339 de la loi No. 18/2004 du 20 juin 2006 portant Code de procédure civile, commerciale, sociale et administrative ».
34, Comme elle l’a déjà affirmé, la Cour estime que « les recours internes qui doivent être épuisés par les requérants sont des recours judiciaires ordinaires »,* sauf s'il est manifeste que ces recours ne sont pas disponibles, efficaces et suffisants ou si les procédures y relatives se prolongent de façon anormale.* Il s'ensuit que les recours non judiciaires exercés par le requérant en l'espèce n'ont aucune pertinence en ce qui concerne l'épuisement des recours internes requis en vertu de l’article 56 (article 40 du Règlement).
35. En l'espèce, le requérant a reconnu qu'il n'avait pas exercé les recours internes, alléguant que :
«i. Ces recours n'auraient pu prospérer parce qu'un élément de la garde présidentielle était impliqué ;
ii. Le délai pour saisir les juridictions nationales était expiré lorsque les démarches devant les autorités administratives et politiques ont pris
36. En ce qui concerne la première allégation, la Cour estime que le requérant fait valoir que la procédure devant les juridictions de l'État défendeur ne pouvait prospérer, sans pour autant apporter le moindre élément de preuve pour étayer son allégation. La Cour rejette donc cette allégation du requérant”
37. S'agissant de la deuxième allégation, la Cour fait observer que le requérant n'a pas introduit son recours devant les juridictions nationales car, comme il l’affirme lui-même, il tentait d'obtenir un règlement du différend auprès des instances administratives et politiques. Cependant, rien n'empêchait le requérant d'exercer
3 Requête No. 007/2013. Arrêt du 03 juin 2016 - Ad Ak Ar c. République- Unie de Tanzanie, 1 RJCA 624, para 64 ; voir également Requête No. 005/2013. Arrêt du 20 novembre 2015 - Alex Ah c. République-Unie de Tanzanie, 1 RJCA 482, para 64 ; et Requête No. 006/2013. Arrêt du 10 mars 2016 - Ae Ab Af & 9 autres c. République-Unie de Tanzanie, 1 RJ CA 526, para 95.
4 Requête No 004/2013. Arrêt du 5 décembre 2014 (fond) - An Aq Ao c. As Aj, 1 RJCA 324, para 77 ; voir également Requête No. 003/2012. Décision (recevabilité et compétence) - Peter Chacha c. République-Unie de Tanzanie, 1 RJ CA 413, para 40.
5 Alex Ah c. Tanzanie, para 140.
402 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
simultanément les recours non judiciaires et judiciaires. Il aurait donc dû exercer les recours requis pour épuiser les recours internes.
38. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le requérant n'a pas épuisé les recours qui lui sont disponibles dans l'État défendeur et qu'aucun des motifs avancés pour le justifier ne fait partie des exceptions prévues à l'article 40(5) du Règlement.
VII. Procédure
39. La Cour note que l'article 30 de son Règlement intérieur dispose « à moins que la Cour n'en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure. »
40. Compte tenu des circonstances de l'espèce, la Cour décide que chaque partie supportera ses frais de procédure.
41. Par ces motifs, la Cour :
À l'unanimité,
i. Déclare qu’elle est compétente ;
ii. Dit que les recours internes n’ont pas été épuisés ;
iii. Déclare la requête irrecevable ;
iv. Dit que chaque partie supportera ses frais de procédure.
Opinion individuelle : BENSAOULA
1. ] e partage l'opinion de la majorité des juges quantà la compétence de la Cour et l'irecevabilité de la requête.
2. En revanche je pense que la manière dont la Cour a traité « le défaut » va à l'encontre :
* des dispositions de l’article 55 du Règlement intérieur.
« de l’article 28 paragraphe 6 du Protocole.
* de sa jurisprudence et du droit comparé.
3. En effet, l’article 55 du Règlement dispose dans son paragraphe Ag c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 395 403
« Lorsqu'une partie ne se présente pas ou s'abstient de faire valoir ses moyens, la Cour peut, à la demande de l’autre partie, rendre un arrêt par défaut après s'être assurée que la partie défaillante a dument reçu notification de la requête et communication des autres pièces de la procédure ».
Il est clair qu'aux termes de ce paragraphe 1 de l’article 55 que la décision de rendre un arrêt par défaut doit répondre à certains critères :
« l'absence de l'une des parties ou
« l'abstention à faire valoir les moyens,
* la demande de l'autre partie,
« la notification à la partie défaillante de la requête,
* la communication des autres pièces de procédure.
L'élément essentiel dans ce paragraphe est que le défaut doit être prononcé « à la demande de l'autre partie ». Donc, rendre une décision sur le défaut ne peut être qu'une question de forme certes, mais pas de procédure qui nécessite une discussion de fond quant à ses éléments d'appréciation et une assise légale. Or, Il ne ressort ni du dossier ni des demandes du requérant que celui-ci a sollicité la Cour de rendre un arrêt par défaut d’une part, et que la Cour a non seulement inséré sa décision de rendre l'arrêt par défaut dans le chapitre procédure devant la Cour, d'autre part.
En plus, la Cour n'a donné aucune assise légale à cette décision de rendre l'arrêt par défaut sans la demande de l'autre partie se contentant de déclarer dans son paragraphe 15 « titre III, résumé de la procédure devant la Cour » que « le 12 octobre 2018, le greffe a porté à l’attention de l’État défendeur qu’au cours de sa 50ème session ordinaire la Cour a décidé de lui accorder un dernier délai supplémentaire de 45 jours et que passé ce délai elle statuerait sur la requête par défaut conformément à l’article 55 du Règlement et ce dans l'intérêt de la justice …. » et de conclure dans son paragraphe 14 au même titre que « par conséquent, dans l'intérêt de la justice, la C our rend le présent arrêt par défaut, conformément à l'article 55 du Règlement ».
Aucune référence aux fondements de « cet intérêt de la justice » ni en quoi rendre un arrêt par défaut était fondamental pour la Cour d'autant plus que ces arrêts ne sont pas susceptibles d'opposition ni d'appel ni comment une telle décision prise de son pouvoir discrétionnaire pouvait faire référence à l’article 55 404 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
du Règlement qui ne vise pas ce pouvoir discrétionnaire.
8. Plus encore la référence à l'arrêt Ingabiré n’est nullement une assise à cette décision du défaut car dans cet arrêt à aucun moment dans le corps de l'arrêt ni dans son dispositif il a été question d'un arrêt par défaut, aucune partie ne l'ayant demandé et que le chapitre (14) visé par cette référence déclare en ces termes « … par conséquent, dans l'intérêt de la justice la Cour examine la présente demande en réparation en l'absence de la réponse de l'état défendeur ».
9. Rendre un arrêt en l'absence du défendeur n'est en aucun cas la définition juridique du défaut qui répond, aux termes de l’article 55 suscité, à des conditions qui doivent être obligatoirement contrôlées par la Cour.
10. Il est clair et, tel que mentionné plus haut, que l'arrêt par défaut doit répondre à certaines conditions et que la Cour est dans l'obligation d’asseoir toute décision qu’elle rend, à plus forte raisons quand c'est à l'encontre de dispositions claires d'un article du règlement.
Qu'en statuant de la sorte la Cour a enfreint les dispositions de l’article 28 paragraphe 6 du Protocole qui lui fait obligation de motiver ses arrêts.
[11.] En droit comparé, une jurisprudence abondante soutient ce raisonnement tel l'arrêt du 30 novembre 1987 : H.C/Belgique où la Cour européenne des droits de l'homme a reconnu pour la première fois le droit à la motivation des décisions juridictionnelles en ces termes : « cette imprécision même (imprécision de la notion légale de « circonstances exceptionnelles ») appelait une motivation adéquate des deux décisions litigieuses sur le point considéré. Or, elles se sont bornés à constater l'absence de pareilles circonstances sans expliquer en quoi celles qu'invoquait l'intéressé ne possédaient pas un caractère exceptionnel » (para 53) et dans l'arrêt du 16 décembre 1992 : At c/ la Grèce, la Cour a estimé que « l'obligation de motivation constitue une garantie minimale qui se limite à l'exigence d'une clarté suffisante des motifs sur lesquels les juges fondent leurs décisions ».
[12.] Dans son paragraphe 2, l’article 55 du Règlement spécifie clairement que « la Cour avant de faire droit aux prétentions de la partie comparante, c'est-à-dire à la demande de rendre l'arrêt par défaut, doit s'assurer non seulement qu'elle a compétence, mais également que la requête est recevable et que les conclusions sont fondées en fait et en droit ».
[13.111 est incontestable que ce paragraphe 2 institue d'autres conditions qui orientent la Cour sur la forme et le fond de l'arrêt Ag c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 395 405
par défaut qu'elle rendra.
La Cour doit et avant toute chose :
« s'assurer qu'elle est non seulement compétente,
* Mais également que la requête est recevable
« etque les conclusions sont fondées en fait et en droit.
[14.] Il est incontestable donc que prendre la décision de rendre un arrêt par défaut nécessite une motivation claire et ne peut en aucun cas se suffire d’une ligne dans le chapitre procédure devant la Cour en faisant fi des conditions exigées par l’article 55 citées plus haut.
[15.] A mon humble avis, il ressort de la lecture de ce paragraphe 2 de l'article 55 que l'arrêt par défaut ne peut être rendu si la Cour :
« Se déclare incompétente,
« Déclare la requête irrecevable,
* Ou que les demandes ne sont pas fondées.
[16.] Il est clair qu'à la lecture de l'article susvisé que le défaut ne fait nullement parti de la procédure et qu'il reste une question de forme à laquelle la Cour doit répondre par rapport à sa compétence, la recevabilité et le fondement des prétentions du requérant.
[17.JEt que même si la Cour opte pour user de son pouvoir discrétionnaire de se saisir d’office et de statuer par défaut elle ne peut le faire en considérant ce point de droit qui constitue un des éléments de la procédure et de se contenter d'asseoir sa décision sur l'intérêt de la justice sans préciser et expliquer en quoi rendre un arrêt par défaut est dans l'intérêt de la justice.
[18.] En droit comparé, nombreuses juridictions des droits de l'homme traitent la décision de défaut comme une décision de forme qui vient bien après la compétence et la recevabilité.
[19.]En ne citant qu’une, rendue par la Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest le 16 février 2016, arrêt No. ECW/CC]/JUGG/03/16, la Cour a dans son chapitre II! motifs de la décision, sous le paragraphe libellé « en la forme », après avoir traité la recevabilité de la requête et la compétence, a abordé la question du défaut à l'encontre de la République de Guinée pour après au fond abordé les allégations de violations des droits de l'homme.
[20.] Et par la suite dans son dispositif elle déclare « la Cour statuant publiquement, par défaut à l'encontre de la République de Guinée, en matière de violations des droits de l'homme, en premier et dernier ressort
En la forme … ».
[21.] En jugeant comme elle l'a fait, la Cour a rendu un arrêt dénué de tout fondement juridique et contraire aux dispositions des articles 406 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
sus cités quant au défaut d'autant plus que cette disposition du
défaut n'apparait pas non plus dans son dispositif.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 007/2017
Date de la décision : 04/07/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award