372 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL
Ax c. Tanzanie (compétence et recevabilité)
RJ CA 372 3 (20(9)
(2019) 3 Requête 030/2015, Au Az Ax c. République-Unie de
Tanzanie
Arrêt du 4 juillet 2019. Fait en en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges A B, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE, MUKAMULISA,
S'est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Le requérant a allégué que l'Etat défendeur a violé son droit à la
justice devant les juridictions nationales. La Cour a estimé qu'elle était
compétente, mais a rejeté l'affaire pour défaut d’épuisement de recours
internes.
J uridiction (compétence matérielle, 22, 23)
Recevabilité (nature de la requête 32 ; épuisement de recours internes,
41-43)
Les parties
Au Az Ax (ci-après dénommé le « requérant ») est un ressortissant tanzanien, producteur de tabac résidant dans le village de Kigwa, région de Be. Il allègue que l'État défendeur a violé ses droits en empêchant que justice lui soit rendue devant les juridictions nationales.
La requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « l'État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte »), le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. L'État défendeur a également déposé, le 29 mars 2010, la déclaration prévue à l’article 34(6), par laquelle il a accepté la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales ayant le statut d'observateur auprès de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci — après, « la Commission »).
Il
A.
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Objet de la requête
Faits de la cause
Il ressort du dossier qu'en 1996, le requérant a conclu un accord verbal avec la société DIMON Tanzanien vue d'obtenir un prêt d’un million trois cent quatre-vingt-dix mille (1 390 000) shillings tanzaniens et des intrants agricoles, contre l'engagement de vendre sa production de tabac à Y Bb. Toutefois, il n'a reçu qu'une avance de sept cent mille (700 000) shillings tanzaniens, en plus des intrants agricoles.
Le requéranta donc intenté une action en justice contre la société DIMON Tanzania et celle qui lui a succédée, Y Ay At Ao Ltd aux fins, entre autres,! de réclamer un montant de six cent soixante-quinze millions six cent trente-cinq mille neuf cent vingt et un (675.635.921) shillings tanzaniens, à titre de dommages-intérêts spéciaux et généraux pour rupture de contrat. La plainte a été déposée le 26 septembre 2000 en l’affaire civile No. 163 de 2000 devant la Haute cour de Tanzanie à Dar es Salam (ci-après dénommée «la Haute cour »).
La Haute cour a rejeté la plainte et condamné le requérant aux dépens le 19 août 2008, au motif qu'il n'existait aucun contrat entre les parties. Néanmoins, après avoir interjeté appel devant la Cour d'appel de Tanzanie siégeant à Dar es Salam (ci-après dénommée « la Cour d'appel » ) dans l'appel civil No. 108 de 2009, le requérant a partiellement obtenu gain de cause, la Cour d'appel ayant conclu à l'existence d'un contrat entre Y Bb Bd et lui, et à la violation de ce contrat. L'affaire a, par la suite, été renvoyée devant la Haute cour pour évaluation des dommages généraux.
La Haute cour a accordé au requérant des dommages-intérêts généraux à hauteur de six millions (6.000.000) de shillings tanzaniens, assortis d’un intérêt de 10% par an jusqu'à la date du paiement intégral. S'estimant lésé par ce montant, le requérant a interjeté l'appel civil No. 76 de 2011 devant la Cour d'appel. Le 20 décembre 2011, la Cour d'appel a rejeté l'appel et l'a condamné aux dépens.
Le requérant a, en outre, introduit une requête aux fins de taxation du mémoire de frais, qui a été rejetée pour forclusion, par une
La plainte était également intentée pour diffamation et poursuite abusive, motifs sur lesquels le requérant a été débouté.
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ordonnance rendue le 28 novembre 2012.
8. Parla suite, le requérant a, le 23 novembre 2015, saisi la Cour de céans de la requête No. 030/2015.
B. Violations alléguées
9. Le requérantallègue les violations suivantes :
«ii. Les juridictions subordonnées à la Cour de céans ont commis une erreur de droit en accordant un montant dérisoire à titre de dommages-intérêts, en contradiction avec les lois nationales de Tanzanie;
ii. Les juridictions subordonnées à cette auguste Cour ont nié mes droits en statuant que le plaignant n’avait pas été diffamé;
iii. Le requérant n'a pas été remboursé à hauteur du montant des frais de procédure encourus dans le cadre de cette affaire, malgré les dépens adjugés en sa faveur par la Haute cour;
iv. Le 30 avril 1997, le requérant a été détenu illégalement pendant 8 heures dans les bureaux du Regional Crime Officer (Division régionale des enquêtes criminelles) à Be, sans aucune justification ;
v. La procédure devant la Haute cour a duré neuf ans, alors que trois témoins seulement ont comparu de part et d'autre ;
vi. La Cour d'appel a commis une erreur de droit en ne procédant pas à une évaluation [des dommages-intérêts, mais plutôt] en renvoyant le dossier à la Haute cour pour cette évaluation … »
IN. Résumé de la procédure devant la Cour
10. La requête a été déposée au greffe le 23 novembre 2015 et plus tard, à la demande de la Cour, complétée par des observations déposées le 12 avril 2016. Celles-ci ont été notifiées à l’État défendeur le 9 juin 2016.
11. Le 24 mai 2017, le greffe a reçu la réponse de l’État défendeur et, le même jour, l’a transmise au requérant. Le requérant a soumis sa réplique à la réponse de l'État défendeur le 5 décembre 2017. 12. Le 5 juillet 2018, le greffe a demandé aux parties de soumettre leurs observations sur les réparations. Le 2 août 2018, le greffe a reçu les observations du requérant sur les réparations et les a transmises à l'État défendeur le 3 août 2018. L'État défendeur
n’a pas soumis d'observations, malgré les différents rappels à Ax c. Tanzanie (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 372 375
cet effet.
13. Le 26 juin 2019, les parties ont été informées de la clôture de la procédure écrite.
IV. Mesures demandées par les parties
14, Le requérant demande à la Cour de :
« i. Dire que sa requête est recevable ;
ii, Lui accorder des dommages-intérêts généraux d'un montant de deux milliards cinq cent millions (2.500.000.000) de shillings tanzaniens ; ii. Ordonner à l’État défendeur de lui présenter des excuses ;
iv. Lui accorder une assistance judiciaire ;
v. Ordonner le règlement de son mémoire de frais ; et
vi. Ordonner toute autre réparation qu'elle estime appropriée. »
15. En ce qui concerne les réparations, le requérant demande à la Cour de rendre les mesures suivantes :
«i. Ordonner à l'État défendeur de lui verser la somme de quatre milliards deux cent soixante-douze millions quatre cent quatre-vingt- six mille six cents (4.272.486.600) shillings tanzaniens en réparation du préjudice matériel subi résultant de la rupture du contrat et du retard occasionné par les juridictions nationales ;
ï. Ordonner à l'État défendeur de lui verser la somme de deux milliards quatre cents millions (2.400.000.000) de shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice lié aux frais encourus dans le cadre de la procédure devant les juridictions nationales. »
16. L'État défendeur prie la Cour de rendre les mesures suivantes : « i. Déclarer qu’elle n'est pas compétente pour entendre de l'espèce ; ii. Dire que la requête est irrecevable car elle ne satisfait pas à la condition de recevabilité énoncée à l'article 40(2) du Règlement de la Cour (ci-après dénommé « le Règlement »), à savoir : être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ; ii. Dire que la requête est irrecevable car elle ne satisfait pas à la condition de recevabilité prévue à l'article 40(6) du Règlement, à savoir : être introduite dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ;
iv. Dire que le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n'a pas violé les droits de l'homme du requérant ;
v. Dire que le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n'a violé aucune procédure prévue par la loi ;
vi. Dire que tous les aspects de la procédure au civil ont été menés en conformité avec la loi ;
vil. Ne pas faire droit à la demande de réparations du requérant ;
viii. Rejeter la requête au motif qu’elle n'est pas fondée, en application de l’article 38 du Règlement de la Cour ;
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ix. Condamner le requérant aux dépens. »
17. En vertu de l'article 3(1) du Protocole, « [Ia Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés ». Par ailleurs, l'article 39(1) du Règlement prévoit que « [IJa Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence. ».
A. Exception d’incompétence matérielle de la Cour
18. L'État défendeur soutient que la compétence de la Cour n»a pas été invoquée, le requérant n'ayant pas, ni sollicité, ni fait référence à l'interprétation ou l'application de la Charte, du Protocole ou de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme ratifié par l'État défendeur. En outre, il fait valoir que le requérant n’a satisfait à aucune des conditions prévues à l'article 26(1) (b-e) du Règlement.
19. L'État défendeur affiime que le requérant s’est contenté d’énumérer les préjudices qu'il estime avoir subis à la suite de l'application du code de procédure civile dans le cadre de l'affaire civile initiale No. 163 de 2000 et des appels en matière civile No. 108 de 2009 et 76 de 2011. L'État défendeur soutient également que la Cour ne saurait se déclarer compétente en se fondant sur des allégations d'application erronée du code de procédure civile au cours du procès en première instance.
20. Le requérant soutient que la Cour est compétente pour entendre et juger de cette affaire. En effet, la Cour est habilitée à intervenir dans les cas de violation des droits de l'homme, situation à laquelle il se trouve confronté, ses droits ayant été violés par les juridictions internes.
21. || ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que la Cour a la compétence requise pour connaître d’une requête dont elle est saisie lorsque l'objet de cette requête porte sur des allégations Ax c. Tanzanie (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 372 377
de violation des droits protégés par la Charte ou par tout autre instrument international des droits de l'homme ratifié par l’État
22. En l'espèce, la Cour note que le requérant énumère divers griefs contre l'application faite du Code de procédure civile, comme l'indique l’État défendeur dans ses observations. Néanmoins, le requérant allègue également qu'au niveau de la Haute cour, il a fallu neuf ans pour que son affaire soit jugée alors que trois (3) témoins seulement avaient comparu. La Cour estime que cette violation alléguée relève du champ d'application de la disposition du « droit d'être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale » prévu à l’article 7(1)(d) de la Charte.
23. La Cour en conclut que sa compétence matérielle est établie et rejette l'exception de l'État défendeur.
Autres aspects de la compétence
24, La Cour relève que sa compétence personnelle, temporelle et territoriale n'a pas été contestée par l'État défendeur et que rien dans le dossier n'indique qu'elle n'est pas compétente. La Cour constate donc qu'en l'espèce, elle a :
i. La compétence personnelle, étant donné que l'État défendeur est partie au Protocole et qu'il a déposé la déclaration prévue l'article à 34(6), ce qui a permis au requérant de la saisir, conformément à l’article 5(3) du Protocole.
ii. La compétence temporelle, dans la mesure où au moment des violations alléguées, l’État défendeur avait déjà ratifié la Charte et y était dès lors lié.
li. La compétence territoriale, les faits de la cause s'étant produits sur le territoire d'un État partie au Protocole, à savoir l'État défendeur.
Voir Requête No. 005/2013. Arrêt du 20 novembre 2015 (fond), Ac An c. République-Unie de Tanzanie (ci-après désigné « Ac An c. Tanzanie (fond) »). 45 Requête No. 001/2012. Arrêt du 28 2014
« Am Am Ap C Ae c. ; Tanzanie et autres (recevabilité) c. République-Unie »), de 115 Tanzanie ; mars Requête (ci-après No. (recevabilité), 003/2012, désigné Arrêt du Omary 28 mars 2014, Ai As Aw C c. R épublique- -Unie de Tanzanie (ci-après désigné « Ai Aw c. Tanzanie (recevabilité) »), para 114 ; Requête No. 20/2016. Arrêt du 21 septembre 2018 (fond et réparations), Ad Aa c.
et République-Unie réparations) »), de para Tanzanie 25 ; Requête (ci-après No. désigné 001/2015. « Anaclet Arrêt Paulo du 07 c. décembre Tanzanie (fond 2018 (fond et réparations), Bc Ak c. République-Unie de Tanzanie (ci-après désigné No. 024/15. « Armand Arrêt du Ak 07 décembre c. Tanzanie 2018 (fond (fond et et réparations) réparations), »), Werema para 31 W'angoko ; Requête c. République-Unie de Tanzanie (ci-après désigné « Af Aj c. Tanzanie (fond et réparations) »), para 29.
Requête No. 011/2011. Arrêt du 14 juin13 (fond), Av Aq Ba c. République-Unie de Tanzanie, para 84.
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25. Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître de la présente affaire.
26. Aux termes de l'article 6(2) du Protocole « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l'article 56 de la Charte ». Conformément à l’article 39(1) de son Règlement intérieur, « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence et des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et 40 du présent Règlement ».
27. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance l'article 56 de la Charte, est libellé comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l'article 56 de la Charte auxquelles renvoie l'article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l'Union africaine ».
28. L'État défendeur soulève deux exceptions, à savoir la non- compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte, ainsi que le délai non raisonnable de saisine de la Cour.
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A. Exception tirée de l’incompatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte
29. L'État défendeur affirme que la requête n’est pas compatible avec l'Acte constitutif de l’Union africaine ainsi qu'avec les dispositions de la Charte, conformémentaux articles 6 du P rotocole et 40(2) du Règlement de la Cour. L'État défendeur soutient que le requérant ne s’attarde que sur des détails techniques du procès civil dont il a fait l'objet.
30. Le requérant n'a pas abordé cette question dans ses observations écrites.
31. La Cour relève que l'objectif clé de l'Acte constitutif de l'Union africaine qui estlié à la procédure sur la recevabilité devantelle est de «promouvoir et protéger les droits de l'homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de
32. La Cour note en outre que le requérant allègue des violations de ses droits garantis par la Charte et ne fonde pas son allégation simplement sur des détails techniques du procès civil. Les violations alléguées dans la requête sontliées au droità un procès équitable qui relève du champ d'application de la Charte, laquelle garantit ce droit. En outre, l'État défendeur n’a pas démontré en quoi la requête n’est pas compatible avec l'Acte constitutif de
4 Article 3(h).
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l'Union africaine ou la Charte.
33. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette cette exception d'irrecevabilité de l'État défendeur.
B. Exception liée au non-dépôt de la requête dans un délai raisonnable
34. L'État défendeur affirme que la demande n’a pas été déposée dans un délai raisonnable au sens de l’article 40(6) du Règlement qu’elle n'est donc pas recevable. Le délai pertinent est celui qui s'est écoulé entre la décision de la Cour d'appel dans l'appel civil No. 76 de 2011 du 20 décembre 2011 et le 17 juin 2016, date à laquelle l'État défendeur a reçu la requête. Le délai, pour l'État défendeur, est donc de cinq (5) ans et six (6) mois et ne peut être considéré comme raisonnable.
35. L'État défendeur affiime en outre que l’évolution de la jurisprudence internationale en matière de droits de l'homme a établi comme délai raisonnable une période de six (6) mois et cite à cet égard l’affaire Ab c. Zimbabwe (2008), AHRLR 146 devant la Commission. L'État défendeur ajoute que la Cour de céans existait déjà lorsque le requérant a introduit son recours devant la Cour d'appel et qu'il aurait donc pu former un recours devant cette Cour dans un délai de six mois.
36. Enfin, selon l’État défendeur, le caractère raisonnable d’un délai doit être évalué au cas par cas et le requérant, qui n'était ni emprisonné ni indigent, était plutôt en mesure de se payer les services et d’avoir accès à un avocat, « pouvant bien être au courant de l'existence de cette Cour », mais a laissé le délai raisonnable s'écouler.
37. Le requérant soutient que son procès devant les juridictions internes a pris fin le 18 juin 2013, faisant référence à la procédure civile d'imposition de sa note de frais sur reçu No. 50456103. Il fait observer que la requête devant la Cour de céans a été déposée le 23 novembre 2015, la période écoulée n'était donc que de deux ans.
38. La Cour note que l'État défendeur conteste la recevabilité de la requête au regard de l'exigence du dépôt de la requête dans un Ax c. Tanzanie (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 372 381
délai raisonnable après l'épuisement des recours internes. La Cour observe cependant qu'il lui incombe de s'assurer d'abord que les recours internes ont été épuisés avant de statuer sur l'exigence du dépôt de la requête dans un délai raisonnable après l'épuisement desdits recours. En effet, si elle venait à établir que les recours internes n’ont pas été épuisés, il serait superflu de déterminer si la requête a été déposée ou non dans un délai raisonnable. La Cour va donc déterminer si le requérant a épuisé les recours internes.
39. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle les recours qu’un requérant est tenu d'épuiser pour se conformer à l’article 40(5) du Règlement sont des recours judiciaires ordinaires, lorsqu'ils sont disponibles et ne se prolongent pas de façon anormale. À cet égard, l’État défendeur a déjà eu à indiquer à la Cour de céans qu'il disposait d'un mécanisme permettant à toute partie s'estimant victime de violations des droits de l'homme de porter plainte contre celles-ci. L'État défendeur a déclaré qu'il avait promulgué la loi sur les droits et devoirs fondamentaux afin d’habiliter la Haute cour à connaître des plaintes en violation des droits de l'homme.
40. Dans la présente requête, la Cour relève que le requérant a intenté une action civile devant la Haute cour pour rupture de contrat, au moyen de l'affaire civile No. 163-2000, le 19 août 2008. Le requérant a, ensuite, formé un recours devant la Cour d'appel contre la décision de la Haute cour, le 21 septembre 2010. L'affaire a été renvoyée devant la Haute cour aux fins de l'évaluation des dommages-intérêts. C’estainsi que la Haute cour, le 4 avril 2011, à accordé un montant de six millions (6.000.000) de shillings tanzaniens à titre de dommages-intérêts au requérant. Non satisfait de cette somme, le requérant a contesté la décision de la Haute cour devant la Cour d’appel, au moyen d'un second appel qui fut rejeté le 20 décembre 2011. Compte tenu de ces procédures, la Cour estime que le requérant a saisi la plus haute juridiction de l'État défendeur. Toutefois, ce recours portait uniquement sur un litige contractuel.
41. En ce qui concerne le retard allégué des procédures devant la Haute cour, le requérant n'a pas apporté la preuve qu'il a essayé d’épuiser les recours judiciaires internes ; il se limite à déclarer
Voir Ba c. Tanzanie (fond), para 82(1) ; Ac An c. Tanzanie (fond), para 64.
Bc Ak c. Tanzanie (fond et réparations), para 44 ; Ar Al c. Tanzanie (fond et réparations), 37.
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qu'il a introduit une requête auprès du Président de la Cour suprême lui demandant de trouver une solution. La Cour note que la requête auprès du P résident de la Cour suprême constitue un recours non pas judiciaire, mais plutôt administratif.” De plus, le requérant n'a pas prétendu que les recours à épuiser étaient indisponibles, inefficaces ou insuffisants, et rien dans le dossier ne permet d'aboutir à une telle conclusion.
42. La Cour relève que le requérant n'a pas non plus indiqué comment il a épuisé les recours internes en ce qui concerne la « détention illégale » du 30 avril 1997. Au vu des pièces versées au dossier, la Cour note que le requérant a évoqué la question de sa « détention illégale » comme une « poursuite abusive» dans le cadre de sa plainte pour diffamation devant la Haute cour, et que sa détention illégale lui a « forgé une réputation de malhonnête aux yeux des membres de sa communauté villageoise » ; cette plainte n'a donc pas été présentée comme une violation des droits de l'homme, mais plutôt comme une affaire de droit civil.
43. Dès lors, la Cour conclut que le requérant n'a pas épuisé les recours internes et ne s'est donc pas conformé aux dispositions de l'article 40(5) du Règlement. La requête est par conséquent
44. Ayant conclu que la requête est irrecevable en raison du non- épuisement des recours internes, la Cour estime que la question de savoir si la requête a été déposée dans un délai raisonnable est sans objet, dans la mesure où les conditions de recevabilité sont cumulatives.’ De même, la Cour n'a plus besoin de se prononcer sur les autres conditions de recevabilité prévues à l’article 40 du Règlement.
VII. Frais de procédure
45. La Cour note que les parties se sont prononcées sur les frais de procédure. Toutefois, en vertu de l’article 30 du Règlement, « À moins que la Cour n'en décide autrement, chaque partie
7 Ba c. Tanzanie (fond), para 82(3).
8 Voir Requête No. 042/2016. Arrêt du 28 mars 2019 (compétence et recevabilité), Collectif des anciens travailleurs du laboratoire ALS c. République du Mali, para 41; Requête No. 02402016. Arrêt du 21 mars 2018 (recevabilité), Ah Ag et du Ousmane 11 mai 2018 Diabaté (recevabilité), c. République Rutabingwa du Mali, Chrysanthe para 63; Requête c. République No. 022/2015. du Rwanda, Arrêt para 4 Ax c. Tanzanie (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 372 383
supporte ses frais de procédure ».
46. En vertu de la disposition susmentionnée, la Cour décide que chaque partie supportera ses propres frais de procédure.
La Cour,
À l'unanimité :
Sur la compétence
i Rejette l’exception d’incompétence matérielle de la Cour ;
Sur la recevabilité
ii. Rejette l'exception d'irrecevabilité tirée de la non-compatibilité avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte ;
iv. Dit que le requérant n’a pas épuisé les recours internes ;
v. Déclare la requête irrecevable.
Sur les frais de procédure
vi. Décide que chaque partie supporte ses frais de procédure.