Ck et autres
Ck et autres c.
RJ CA 459 c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459 459
Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 Requête 008/2015, Ae Ad Ck etautres c. République
Unie de Tanzanie
Arrêt du 26 septembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi
uges ORE KIOKO, BEN ACHOUR MATUSSE MENGUE
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S'est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Sept requérants, dont cinq ont été reconnus coupables et condamnés
ont allégué discrimination dans l'exercice du
de pour grâce meurtre, présidentielle. En une deux ont été pouvoir
coupables de vol à main armée outre, etcondamnés d’entre à à 30 eux, ans qui d'emprisonnement, reconnus
ont allégué avoir été condamnés à une peine plus lourde que celle
prévue par la législation interne au moment de leur condamnation. La
Cour a déclaré la demande relative à l'exercice du pouvoir de grâce
présidentielle irrecevable pour non-épuisement des recours internes et
n’a constaté aucune violation quant aux condamnations prononcées
pour vol à main armée.
Compétence (compétence matérielle, 30)
Recevabilité (épuisement des recours internes, 51 52 ; recours
constitutionnel, 57)
Procès équitable (légalité, 64)
Opinion individuelle : TCHIKAYA
Recevabilité (épuisement des recours internes, 9)
Opinion dissidente : BENSAOULA
Recevabilité (requête conjointe, 19)
Opinion dissidente : BEN ACHOUR
Recevabilité (requête conjointe, 15 ; recours constitutionnel, 17, 18)
Les parties
Ae Ad Ck, Ax Cl Bg, J uma Xc Bw, Am Al Cg, Michael J airos, Cj Aw Cv, Ac M. Cy Bci-après dénommés « les requérants ») sont tous des ressortissants de la République- Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « l'Etat défendeur »). Le premier requérant, Ae Ad Ck et le septième requérant, Ac M. Cy, onttous les deux, été reconnus coupables et condamnés pour vol à main armée, tandis que les 460
Il
A.
RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
autres requérants étaient reconnus coupables et condamnés pour meurtre. Même si les requérants ont été reconnus coupables dans des affaires et à des périodes différentes, ils ont déposé conjointement la présente requête, invoquant le même grief, à savoir l'exercice de la prérogative de grâce présidentielle. Pour l'État défendeur à l'exception du deuxième requérant, décédé le 11 mai 2015, tous les requérants purgent actuellement leurs peines respectives à la prison centrale d’Ukonga à Dar es- Salaam.
L'État défendeur est devenu partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Il a également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l'article 34(6) du Protocole, par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales.
Objet de la requête
Faits de la cause
Il ressort de la requête que le premier requérant, Ae Ad Ck, a été poursuivi pour vol à main armée devant le Tribunal de district de Mwanza. Le 7 mai 2004, il a été reconnu coupable et condamné à trente (30) ans de réclusion. Le septième requérant, Ac M. Cy, a également été poursuivi pour vol à main armée devant le Tribunal de district de Handeni à Cp. Il a été déclaré coupable et condamné à trente (30) ans de réclusion le 5 août 2002.
Le deuxième requérant, Ax Cl Bg, poursuivi pour meurtre devant la Haute Cour à Dar es-Salaam, a été déclaré coupable et condamné à la peine capitale le 15 février 1989. Le 21 septembre 2005, sa peine a été commuée en réclusion à perpétuité. Le troisième requérant, J uma Xc Bw, poursuivi pour meurtre devant la Haute Cour à Dar es-Salaam, a été déclaré coupable et condamné à la peine capitale le 27 juillet 1983. Sa sentence a été commuée en réclusion à perpétuité le 14 février 2012.
Le quatrième requérant, Julius J oshua Masanja, poursuivi pour meurtre devant la Haute Cour à Ak, a été déclaré coupable et condamné à la peine capitale le 11 août 1989. Le 13 février 2002, sa peine a été commuée en réclusion à perpétuité. Le cinquième requérant, Michael J airos, poursuivi pour meurtre Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 459 461
devant la Haute Cour, à Morogoro, a été déclaré coupable et condamné le 25 mai 1999 à la peine capitale, peine commuée en réclusion à perpétuité le 12 février 2006. Le sixième requérant, Cj Aw Cv, poursuivi pour meurtre devant la Haute Cour de Kigoma, a été déclaré coupable et condamné à la peine capitale en 1994, peine commuée en réclusion à perpétuité le 28 juillet 2005.
Les requérants ont déposé une requête conjointe. Ils affirment tous avoir été lésés par la manière dont les autorités de l'État défendeur ont appliqué le droit de grâce, qui est une prérogative du Président de l'État défendeur. Toutefois, le premier et le septième requérants contestent, en plus la légalité de la peine prononcée à leur encontre pour vol à main armée.
Violations alléguées
Tous les requérants soutiennent que l'État défendeur pratique la discrimination à l'égard des détenus condamnés à de longues peines, dans la manière dont il applique le droit de grâce prévu à l’article 45 de sa Constitution ; selon les requérants, l’État défendeur les exclut systématiquement de cette grâce, violant ainsi l'article 2 de la Charte et l’article 13(1)(2)(3)(4) et (5) de sa Constitution. Ils affirment en outre que l'isolement et la discrimination que subissent les prisonniers purgeant de longues peines sont fondés sur leur statut social et économique, étant donné qu'ils ne sont pas élargis pour bonne conduite lorsqu'ils ont purgé le tiers de leur peine, comme tous les autres prisonniers. Il y a donc violation des articles 3, 19 et 28 de la Charte.
Les requérants font également valoir que l'État défendeur traite les prisonniers reconnus coupables de corruption et d’autres crimes économiques avec davantage de ménagement et leur est plus propice qu'aux autres prisonniers, étant donné qu'ils peuvent bénéficier deux fois de la grâce présidentielle, privilège qui n’est pas accordé aux autres condamnés. Selon les requérants, il s'agit d'une violation des articles 3(1) et (2) de la Charte, 7 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (ci-après « la DUDH ») et 107A(2)(a) de la Constitution de la Tanzanie.
Les requérants font également valoir que l'État défendeur applique le droit de grâce de manière discriminatoire entre prisonniers condamnés pour les mêmes infractions ; certains sont élargis, affirment-ils, alors que d’autres sont condamnés à la 462 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
prison à perpétuité. Ils en concluent que cette situation constitue une violation de l'article 4 de la Charte.
10. Les requérants soutiennent également que les articles 445 et 446 de l'ordonnance portant fonctionnement du système pénitentiaire (quatrième édition) de 2003 prescrivent que toute affaire qui a donné lieu à une peine de réclusion à perpétuité soit soumise au Président de la République pour réexamen. Les requérants affirment que l’État défendeur ne respecte pas ces dispositions, en particulier en ce qui concerne les détenus qui purgent une peine de longue durée. Ils ajoutent que l’État défendeur applique la libération conditionnelle avec discrimination, uniquement en faveur des condamnés pour infractions mineures. Cette discrimination dans l'application de la loi et le déni de la libération conditionnelle constituent un traitement cruel et une violation des articles 9(1) et (2) de la Charte et 5 de la DUDH.
11. Les requérants font encore valoir que les prisonniers ne reçoivent aucune rémunération pour les travaux qu’ils effectuent pendant leur séjour en prison et, qu'à leur libération, ils ne reçoivent ni capital de départ, ni pension de réinsertion ; ils sont simplement abandonnés à eux-mêmes, ce qui constitue une violation de l’article 15 de la Charte.
12. Ils font valoir en outre que leurs droits ont été violés, compte tenu de leur longue période de détention provisoire dans l'attente de l'issue de leur procès, et que cette période n'a pas été prise en compte et déduite de la peine, contrairement aux articles 5 de la
13. Les requérants font encore valoir que la saisine de la Haute cour de l'État défendeur d'une requête en inconstitutionnalité est inutile, car cette juridiction n’est ni indépendante, ni juste, ni équitable, et tout particulièrement lorsqu'elle statue sur des revendications portant sur des défaillances du système judiciaire. Selon les requérants, l'État défendeur écarte ces revendications, sans même les entendre sur le fond, violant ainsi les articles 8 et 10 de la DUDH.
14. Outre les griefs mentionnés plus haut, qui concernent tous les requérants, le premier et le septième requérants affirment que la peine prononcée, soittrente (30) ans de réclusion, était plus lourde que la peine prévue au moment de leur condamnation, ce qui est
et contraire à l'article 13(6)(c) de la Constitution et aux articles 285 286 du Code pénal de l'État défendeur. Ils soutiennent en outre que les articles 4(c) et 5(a) de la loi sur les peines minimales sont frappés de nullité car contraires à l’article 64(5) de la Constitution Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459 463
de l’État défendeur ; les peines prononcées sont donc illégales, inconstitutionnelles et en violation de l’article 7(2) de la Charte.
15. La requête a été déposée le 17 avril 2015 et notifiée le 28 septembre 2015 à l'État défendeur.
16. Le 22 septembre 2016, le greffe a reçu la réponse de l’État défendeur à la Requête.
17. Le 26 septembre 2017, le greffe a reçu la réplique des requérants à la réponse de l'État défendeur et l'a transmise à celui-ci le 2 octobre 2017.
18. Le 10 mai 2018, le greffe a reçu les observations des requérants sur les réparations etles a transmises à l'État défendeur le 22 mai 2018.
19. Malgré plusieurs rappels etprorogations de délai, l'État défendeur n’a pas déposé ses observations sur les réparations.
20. Le 11 avril 2019, la procédure écrite a été close et les parties en ont été dûment informées.
IV. Mesures demandées par les parties
21. Même si le premier et le septième requérants ont soulevé un grief supplémentaire distinct des allégations portées conjointement par tous les requérants, ces derniers n'ont demandé aucune mesure distincte et ils demandent donc conjointement à la Cour ce qui
i. Déclarer la requête recevable ;
ii. Dire que leurs droits fondamentaux ont été violés, du fait des actes de l’État défendeur contraires à la Constitution ;
ii. Ordonner le « recouvrement et la jouissance » de leurs droits fondamentaux au regard des violations commises par l'État défendeur ;
iv. Ordonner à l'État défendeur de reconnaître les droits et les devoirs inscrits dans la Charte et prendre les mesures législatives ou autres pour donner effet à ces droits ;
v. Ordonner l'annulation des décisions de l'État défendeur qui constituent une violation de leurs droits et ordonner la remise en liberté des requérants ;
vi. Ordonner des mesures de réparation ;
vil. Ordonner toute autre mesure ou réparation que la Cour estime appropriée au regard des circonstances de l'espèce.
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22. Ence qui concerne la compétence etla recevabilité de la requête, l'État défendeur demande à la Cour ce qui suit :
« i. Dire que la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples n'est pas compétente pour examiner l'affaire ;
ii. Constater que la requête ne remplit pas les conditions de recevabilité prévues à l'article 40(5) du Règlement et aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole ;
iii. Constater que la requête ne remplit pas les conditions de recevabilité prévues à l'article 40(6) du Règlement et aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole ;
iv. Déclarer la requête irrecevable ;
v. Rejeter la requête avec dépens ».
23. Sur le fond de la requête, l'État défendeur demande ce qui suit à la Cour : ;
« i. Dire que l'État défendeur n'a pas violé les articles 13(1)(2)(3)(4) et (5), 13(6)(c) et 107A(2)(a) de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie ;
ii. Dire que l’État défendeur n’a pas violé les articles 2, 3(1)(2), 4, 5, 7(2), 9(1) (2), 15,19 et 28 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
iii. Dire que l'État défendeur n’a pas violé les articles 5, 7, 8 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme ;
iv. Dire que l’Étatdéfendeur ne maintient pas illégalementles requérants en détention et qu’il n’a pas violé leurs droits fondamentaux ;
v. Dire que l'État défendeur ne pratique pas de discrimination entre les prisonniers dont la peine est de longue durée et ceux qui sont condamnés à de courtes peines ;
vi. Constater que les articles 4(c) et 5(a) de la loi sur les peines minimales sont valides et n'enfreignent pas les droits fondamentaux des requérants ;
vii. Constater que les articles 4(c) et 5(a) de la loi sur les peines minimales sont compatibles avec l’article 64(5) de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie de 1977 ;
viii. Dire que la peine de trente (30) ans de réclusion prononcée pour vol à main armée était conforme à la loi ;
ix. Déclarer la requête non fondée et la rejeter en conséquence ;
x. Ne pas faire droit à la demande de réparations des requérants ;
xi. Ordonner que les frais de la procédure en l'espèce soient à charge des requérants ».
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Compétence
24, En vertu de l'article 3(1) du Protocole, « [[Ja Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés. » Par ailleurs, l'article 39(1) du Règlement prévoit que « [IJa Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence. ».
A. Exceptions d'incompétence matérielle
25. L'État défendeur soulève deux exceptions d'incompétence matérielle de la Cour, d’une part que, les requérants demandent à la Cour d'agir en tant que juridiction de première instance et d'autre partque, la présente requête constitue, en ce qui concerne le premier requérant, un abus de procédure, car elle équivaut à engager plusieurs actions sur les mêmes faits.
Exception relative au fait qu’il est demandé à la Cour de se prononcer comme juridiction de première instance
26. L'État défendeur soutient que les requérants demandent à la Cour d'agir en tant que juridiction de première instance et de se prononcer sur des questions dont ses juridictions internes n’ont jamais été saisies. L'État défendeur soutient en outre que la Cour n’a pas compétence pour siéger en tant que juridiction de première instance. À l'appui de son argument, l'État défendeur souligne que tous les requérants contestent la constitutionnalité de l’article 51 de la loi de 1967 qui régit les établissements pénitentiaires ; celle des articles 445 et 446 du Règlement pénitentiaire et la loi sur les Commissions de libération conditionnelle. Le premier et le septième requérants contestent quant à eux la constitutionnalité des articles 4(c) et 5(a) de la loi sur les peines minimales. Tous les requérants allèguent également la violation de l’article 13 de la Constitution de l’État défendeur. Celui-ci soutient que les requérants n'ont jamais soulevé aucun de ces griefs devant les juridictions internes.
27. Dans leur réplique, les requérants affirment que la Cour est compétente en vertu des articles 3 du Protocole et 26(a) du Règlement. Ils ajoutent que la nature des mesures qu'ils demandent confère compétence à la Cour, du fait que dans leur requête, ils demandent à la Cour d'examiner le comportement de 466 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l'État défendeur, à la lumière des normes internationales et des instruments des droits de l'homme qu’il a ratifiés.
28. La Cour relève que l'exception soulevée par l'État défendeur tient essentiellement au fait qu'il est demandé à la Cour de siéger en tantque juridiction de première instance. Même si l'État défendeur a soulevé cette exception au motif qu’elle porte sur la compétence matérielle de la Cour, la Cour relève que l'État défendeur a, pour l'essentiel, fait valoir que la Cour n'est pas valablement saisie, étant donné qu'aucun des requérants n'a tenté d'utiliser les mécanismes nationaux pour faire valoir leurs droits.
29. Dans la mesure où l'exception de l’État défendeur porte sur l'épuisement de recours internes, la Cour traitera cette question ultérieurement dans le présent arrêt. Néanmoins, la Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3 du Protocole, elle a la compétence matérielle dès lors que la requête dont elle est saisie porte sur des allégations de violation des dispositions d'instruments internationaux auxquels l’État défendeur est partie.! En l'espèce, la Cour note que les requérants allèguent des violations de la Charte, à laquelle l'État défendeur est partie, et de la DUDH. À ce propos, la Cour rappelle qu’elle a conclu, dans l'affaire Cw Bp Cw c. République-Unie de Tanzanie, que la DUDH n'est certes pas un instrument des droits de l'homme soumis à la ratification des États, mais qu’elle a été reconnue comme partie intégrante du droit international coutumier et que pour cette raison, la Cour esttenue de l'interpréter et de l'appliquer.
30. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu'elle à la compétence matérielle en l'espèce.
1 Voir Requête No. 025/2016. Arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), Bc Xa c. République-Unie de Tanzanie, paras 20-21 ; Requête No. 024/2015. Arrêt du 7 novembre 2018 (fond et réparations), Bf Cb c. République-Unie de Tanzanie (2018) 2 RICA 493, para 31 ; Requête No. 006/2015. Arrêt du 23 mars 2018 (fond), Xd At BBv BdA et Ar Xd BCz CsA c. République-Unie de Tanzanie (2018) 2 RJ CA 297, para 36.
2 Requête No. 012/2015. Arrêt du 23 mars 2018 (fond), para 76.
Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459 467
Exception relative au fait que la requête viole le principe de la chose jugée
31. L'État défendeur soutient que le premier requérant, Ae Ad Ck, a déjà saisi la Cour de céans d'une requête — à savoir la Requête No. 005/2015 — portant sur les mêmes questions qu'il soulève en l'espèce. Pour cette raison, l'État défendeur soutient que la Cour n'a pas compétence pour connaître des questions qui ont déjà été soulevées devant elle.
32. La Cour relève que les requérants n'ont déposé aucune observation sur ce point.
33. La Cour fait observer que cette exception ne concerne que le premier requérant en l'espèce. La Cour rappelle également que les requérants dans l'affaire No. 005/2015 sont Af Cc Ck et Ae Ad Ck. || est donc clair que le premier requérant en l'espèce était effectivement partie à une précédente affaire devant la Cour. La Cour rappelle que la requête No. 005/2015 a été déposée le 11 février 2015 et que le jugement a été rendu le 11 mai 2018. Comme indiqué plus haut, les requérants ont déposé la présente requête le 17 avril 2015. Il est donc clair qu'au moment où la présente requête a été déposée, le requérant avait une instance distincte pendante devant la Cour de céans.
34. La Cour relève cependant que dans la requête No. 005/2015, les requérants avaient allégué un certain nombre de violations de leurs droits notamment la manière dont ils avaient été arrêtés, jugés et condamnés devant les autorités judiciaires de l'État défendeur.* Dans le cadre des revendications soulevées dans la requête No. 005/2015, le premier requérant a avancé l'argument qu'il avait été condamné à 30 ans de réclusion pour vol à main armée alors que cette peine n'étaitpas prévue parla loi au moment où l'infraction avait été commise, ce qui est exactement le même
Requête No. 005/2015, Arrêt du 11 mai 2018 (fond), Af Cc Ck et autre c. République-Unis de Tanzanie (2018) 2 RJ CA 325, paras 11 et 12.
468 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
grief qu'il soulève conjointement avec le septième requérant en l'espèce.
35. La Cour fait observer que même si l'État défendeur soulève cette question sous forme d'exception contestant la compétence matérielle de la Cour, il s'agit en réalité d'une allégation qui s'oppose à la recevabilité de la plainte du premier requérant, au motif qu’elle est en violation du principe de la chose jugée, au sens de l’article 56(7) de la Charte. La Cour entend dès lors examiner cette exception, le cas échéant, lorsqu'elle abordera la question de la recevabilité de la requête en l'espèce.
B. Sur les autres aspects de la compétence
36. La Cour relève que les autres aspects de sa compétence ne sont pas contestés par les Parties et que rien dans le dossier n'indique qu'elle n’est pas compétente. La Cour conclut donc qu’en l'espèce, elle a :
i. La compétence personnelle, étant donné que l’État défendeur est partie au Protocole et qu’il a déposé la déclaration requise ;
i. La compétence temporelle dans la mesure où les violations alléguées avaient cours lorsque la requête a été déposée, l'État défendeur étant déjà partie au Protocole et ayant déjà déposé sa déclaration ;
li. La compétence territoriale, les violations alléguées s'étant produites sur le territoire de l'État défendeur.
37. De ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence pour connaître de l'espèce.
38. Aux termes de l'article 6(2) du Protocole « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l'article 56 de la Charte ». Conformément à l’article 39(1) de son Règlement intérieur, « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence et des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et 40 du présent Règlement ».
39. Au sens de l'article 40 du Règlement, qui reprend en substance l’article 56 de la Charte, les requêtes sont recevables si elles remplissent les conditions ci-après :
« 1. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte ;
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3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l'Acte constitutif de l'Union africaine, et soit des dispositions de la Charte ».
40. Même si les parties reconnaissent que certaines des conditions de recevabilité ont été remplies, l'État défendeur soulève cependant deux exceptions. La première est relative à l'épuisement des recours internes etla seconde à la question de savoir si la requête a été déposée dans un délai raisonnable après épuisement des recours internes.
41. Pour sa part, l’État défendeur affirme que les requérants n’ont pas épuisé les recours internes, du fait qu'ils n’ont jamais soulevé les griefs dont la Cour de céans est saisie devant l’une quelconque de ses juridictions de base. L'État défendeur soutient également que les requérants auraient pu introduire une requête en inconstitutionnalité, en vertu de la loi sur les droits fondamentaux et les devoirs (Ap Xb and An Cf Act), pour dénoncer les violations alléguées de leurs droits, en particulier concernant la discrimination alléguée en rapport avec l'exercice du droit de grâce présidentielle.
42. L'État défendeur ajoute qu'exception faite du premier, du cinquième et du sixième requérants, aucun des autres requérants n’a jamais demandé la révision des procès les concernant, même s'ils ont formé des recours devant la Cour d'appel, mais qui ont été rejetés.
43. Les requérants soutiennent que les condamnés qui purgent de longues peines d'emprisonnement et ayant épuisé tous les recours internes après leurs procès initiaux n’ont plus aucune autre possibilité de faire reconnaître leurs griefs que de recourir à l’article 45 de la Constitution de l'État défendeur, qui prévoit la grâce présidentielle, prérogative dévolue au Chef de l'État défendeur.
44. Les requérants soutiennent également qu'il est inutile de tenter d'exercer le recours prévu par la Loi sur les droits fondamentaux et les devoirs, car les juridictions de l'État défendeur ne sont ni 470 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
indépendantes ni équitables, ni justes, lorsqu'elles doivent se prononcer sur des questions qui touchent au système judiciaire lui-même.
45. Dans leur mémoire en réplique, les requérants soutiennent également qu'à l'exception du deuxième requérant, ils ont tous interjeté appel de leurs déclarations de culpabilité devant la Cour d'appel mais que leurs recours ont été rejetés. Ils affirment également qu'’au-delà de la Cour d'appel, il n'existe aucune autre instance dans l’État défendeur devant laquelle ils peuvent former un recours judiciaire.
46. La Cour relève que l'exception de l'État défendeur tient essentiellement au fait que les requérants auraient dû au préalable former un recours en inconstitutionnalité pour contester, entre autres, la constitutionnalité de la loi sur les établissements pénitentiaires et la loi sur les Commissions de libération conditionnelle.
47. La Cour relève également que l'enjeu de la requête s'articule autour de la manière dont l'État défendeur a appliqué le droit de grâce présidentielle. Toutes les autres violations alléguées par les requérants sont, d’une manière ou d'une autre, en corrélation avec l'application de l'exercice de ce droit de grâce.
48. Pour se prononcer sur la recevabilité de la requête, la Cour estime qu’il convient d’établir une distinction entre les différents requérants avant de se prononcer sur la question. En effet, d’une part, tous allèguent principalement la violation de leurs droits à l'égalité et à la non-discrimination au regard de la manière dont le droit de grâce présidentielle a été exercé et, d'autre part, le premier et le septième requérants, outre les allégations portées par les autres requérants, contestent aussi la légalité des peines prononcées à leur égard pour vol à main armée. La Cour entend examiner ces allégations l'une après l'autre.
49. Ence qui concerne la violation alléguée des droits des requérants au regard de la manière dont le droit de grâce présidentielle a été exercé, la Cour relève que les requérants ne contestent pas le fait que la loi sur les droits fondamentaux et des devoirs leur offrait la voie pour un recours devant la Haute cour contestant la violation alléguée de leurs droits. Or, les requérants soutiennent plutôt qu’ « il est tellement inutile et inconséquent de déposer une nouvelle requête devant la Haute cour de l'État défendeur», car cette juridiction n’est ni indépendante ni impartiale, surtout Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459 471
lorsqu'elle doit rendre justice pour des violations qui sont le fait du système judiciaire lui-même. ».
50. La Cour tient à rappeler que dans l'affaire Bi Cu c. République du Mali elle à établi que « l'épuisement des recours internes est une exigence du droit international et non une question de choix et qu'il appartient au plaignant d'entreprendre toutes les démarches nécessaires pour épuiser ou au moins essayer d’épuiser les recours internes ; qu’il ne suffisait pas que le plaignant mette en doute l'efficacité des recours internes de l’État du fait d'incidents isolés ».*
51. En l'espèce, la Cour conclut que tous les requérants auraient pu saisir la Haute cour pour contester la légalité de l'application de la grâce présidentielle, de la loi relative au système pénitentiaire, de la loi sur les Commissions de libération conditionnelle et des autres lois qu'ils estiment avoir contribué à la discrimination dont ils allèguent avoir été victimes. Les requérants n'auraient pas dû ignorer, de manière désinvolte, les recours disponibles dans l'État défendeur, sans même tenter de les exercer.
52. Compte tenu de ces circonstances, la Cour conclut que les requérants n’ont pas épuisé les recours internes comme l'exige l’article 56(5) de la Charte, repris à l'article 40(5) du Règlement. 53. La Courrappelle que les conditions de recevabilité énoncées dans la Charte et dans le Règlement sont cumulatives, de telle manière que lorsqu'une requête ne remplit pas l'une des conditions exigées, elle ne peut pas être examinée.’ Dans ces conditions, la Cour considère qu'il n'est donc pas nécessaire d'examiner les autres conditions de recevabilité, dans la mesure où elles concernent l’allégation portée par tous les requérants, que leurs droits ont été violés du fait de la manière dont la prérogative de grâce présidentielle a été exercée.
54. À la lumière de ce qui précède et pour autant que la requête concerne tous les requérants ainsi que la violation alléguée de leurs droits au regard de la manière dont la prérogative de grâce présidentielle a été exercée, la Cour conclut que la requête est irrecevable, du fait qu'elle ne remplit pas les conditions énoncées
Requête No. 009/2016. Arrêt du 26 novembre 2017 (compétence et recevabilité), Bi Cu c. République du Mali (2017) 2 RJ CA 122, para 53.
Requête No. 016/2017, Arrêt du 28 mars 2019, (compétence et recevabilité), Ab Ce J ohnson c.…. République du Ghana, para 57.
472 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
à l'article 56(5) de la Charte, tel qu'il est repris à l’article 40(5) du Règlement de la Cour.
55, Nonobstant ce qui précède, la Cour rappelle que le premier et le septième requérants ont porté une allégation supplémentaire distincte des griefs formulés conjointement partous les requérants en l'espèce et qui conteste la légalité de la peine prononcée pour vol à main armée. À cet égard, la Cour fait observer, en premier lieu, que la légalité de la peine pour vol qualifié soulève la question du droit des requérants à un procès équitable.
56. La Cour fait également observer que le premier et le septième requérants ont fait appel de leurs déclarations de culpabilité et de leurs peines respectives devant la Cour d'appel, qui a rejeté leurs recours. La question de la légalité de leur déclaration de culpabilité et de leur peine se trouvait donc imbriquée dans le faisceau des droits et des garanties que les requérants étaient en droit d'invoquer et sur lesquels la Cour d'appel aurait pu se prononcer lors de la procédure en appel. Étant la plus haute juridiction de l'État défendeur, la Cour d'appel a donc eu la possibilité de se prononcer sur l'allégation relative à la légalité des peines invoquées par les requérants.
57. En outre, la Cour rappelle sa jurisprudence et réitère sa position selon laquelle le recours en inconstitutionnalité, tel qu'il est prévu dans le système judiciaire de l'État défendeur, est un recours extraordinaire que le requérant n'est pas tenu d'épuiser avant de saisir la Cour de céans.® Pour cette raison, la Cour estime que le premier et le septième requérants n'étaient pas tenus de déposer une requête en inconstitutionnalité avant de saisir la Cour africaine.
58. En conséquence, la Cour dit que la requête est recevable pour autant qu'elle se rapporte aux allégations du premier et du septième requérants, et que l'exception de l’État défendeur est donc rejetée.
59. Ayant déclaré irrecevables les allégations communes à tous les requérants et ayant conclu que seule la requête du premier et du septième requérants est recevable, la Cour procède à présent à l'examen de la requête en l'espèce sur le fond.
6 Requête No. 053/2016, Arrêt du 28 mars 2019 (fond), Oscar ] osiah c. République- Unie de Tanzanie, » Paras 38 et 39 et Requête No. 006/2013, Arrêt du 18 mars 2016 (fond), By Ci Bl et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (2016) 1 RJ CA 526, para 95.
Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 459 473
VII. Fond
60. Le premier et le septième requérant font valoir que les droits fondamentaux qui leur sont garantis à l’article 13(6)(c) de la Constitution de l'État défendeur ont été violés, en ce que les requérants ont été condamnés à trente (30) ans de réclusion, peine plus lourde que celle qui était en vigueur au moment de la commission de l'infraction. Ils soutiennent en outre que l'infraction de vol à main armée a été définie par promulgation de la loi No. 4 de 2004 portant modification du Code pénal, en son article 287 A. 61. Le premier et le septième requérant soutiennent également que les articles 4(c) et 5(a)(ii) de la loi sur les peines minimales obligatoires sont frappés de nullité du fait qu'ils sont contraires à l’article 64(5) de la Constitution.” Ils estiment donc que la peine prononcée était inconstitutionnelle, car contraire aux dispositions de l'article 7(2) de la Charte.
62. Pour sa part, l'État défendeur soutient que la peine applicable pour vol à main armée est de 30 (trente) ans de réclusion, en vertu de l’article 5 de la loi sur les peines minimales. L'État défendeur soutient en outre que l'infraction de vol à main armée était bien prévue par la loi avant la promulgation du Code pénal tel qu'il a été modifié en son article 287A.
63. L'État défendeur ajoute que les articles 4(c) et 5(a) de la Loi sur les peines minimales sont valables, dans la mesure où ils ne sont en aucune manière contraires à l’article 64(5) de sa Constitution.
64. La Cour relève que nonobstant les arguments du premier et du septième requérants sur la violation alléguée de leur droit à un
7 L'article 4(c) est libellé comme suit : « Lorsqu'une personne est déclarée coupable par une juridiction pour une infraction définie après la date d'entrée en vigueur de la présente loi, que cette infraction ait été commise avant ou après cette date, le tribunal condamne cette personne à une peine d’ emprisonnement d'au moins : C) trente (30) ans, lorsque l'infraction commise est prévue à l'Annexe III de la résente loi. » Etaux termes de l’article 5(a)(ii) : « Nonobstant les dispositions de ‘article 4 - (a)(ii) si au moment de l'infraction, la personne est munie d’une arme ou d’un instrument dangereux ou offensif, ou est en compagnie d'une ou plusieurs personnes, ou si immédiatement avant ou après la commission du vol, elle blesse, at, frappe ou utilise toute autre forme de violence personnelle contre un tiers, elle sera condamnée à une peine d'emprisonnement de trente ans au moins » (traduction).
474 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
procès équitable, arguments fondés sur la peine prononcée, les requérants ont confirmé dans leur réplique qu’ils ne contestaient pas les mesures demandées par l'État défendeur sur la légalité des peines prononcées en vertu de la loi sur les peines minimales. Toutefois, la C our tient à rappeler que, comme elle l'a toujours fait observer antérieurement, la peine de trente (30) ans de réclusion est, depuis 1994, la peine minimale applicable à l'infraction de vol à main armée dans l'État défendeur. La Cour, réitérant ses conclusions précédentes, dit en conséquence que la peine de 30 ans de réclusion est conforme à la loi applicable dans l'État défendeur.
65. L'allégation de violation de l'article 7(2) de la Charte, portée par le premier etle septième requérants en invoquant la peine de trente (30) ans prononcée à leur encontre est donc rejetée.
66. Le premier et le septième requérants demandent à la Cour d’ordonner des mesures de réparation pour remédier aux violations de leurs droits fondamentaux, conformément aux articles 27(1) du Protocole et 34(1) du Règlement et d’ordonner également toute autre réparation qu'elle estime appropriée au regard des circonstances de l'espèce.
67. Pour sa part, l'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparations.
68. L'article 27(1) du Protocole est libellé comme suit : « Lorsqu'elle estime qu'il y a eu violation d'un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d'une réparation ».
69. À cet égard, l'article 63 du Règlement intérieur de la Cour prévoit que « [IJ]a Cour statue sur la demande de réparation (...) dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme
8 Requête No. 011/2015. Arrêt du 28 novembre 2017, Bb Bt c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2017) 2 RJ CA 105, para 85.
Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459 475
ou des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».
70. La Cour relève qu’en l'espèce, aucune violation n'a été constatée et qu'en conséquence, la question des réparations ne se pose pas. La Cour rejette donc la demande de réparations formulée par les requérants.
IX. Sur les frais de procédure
71. Les requérants demandent à la Cour d'ordonner que les frais de procédure soient à la charge de l'État défendeur.
72. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la requête avec dépens.
73. En vertu de l'article 30 de son Règlement, « à moins que la Cour n'en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
74. Compte tenu des dispositions ci-dessus, la Cour décide que chaque partie supporte ses frais de procédure.
X. Dispositif
La Cour,
À l'unanimité :
Sur la compétence
|. Rejette les exceptions d’incompétence ;
ii. Déclare qu'elle est compétente.
Sur la recevabilité
À la majorité de huit (8) juges contre deux (2), les juges Rafaâ Ben Achour et Bo Ay ayant émis une opinion dissidente.
ii. Déclare la requête irrecevable, en ce qui concerne tous les requérants pour non-respect de l'exigence de l’article 56(5) de la Charte, reprise à l'article 40(5) du Règlement, pour autant qu'elle de rapporte à la violation alléguée de leurs droits, en rapport avec la manière dont le droit de grâce présidentielle a été appliqué.
iv. Déclare la requête recevable en ce qui concerne l'allégation du premier et du septième requérants sur la légalité de la peine 476 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
prononcée pour vol à main armée.
Sur le fond
v. Dit que l'État défendeur n'a pas violé le droit du premier et du septième requérants à un procès équitable au regard de l'article 7(2) de la Charte, du fait de la peine prononcée pour vol à main armée.
Sur les réparations
vi. Rejette les mesures de réparation demandées par les requérants.
Sur les frais de procédure
vi. Décide que chaque partie supporte ses frais de procédure.
Opinion individuelle : TCHIKAYA
1. Comme mes honorables collègues, j'ai souscrit au dispositif du présent arrêt (Ae Ad Ck et autres c. République-Unie de Tanzanie). La requête qui l'introduisait devant la Cour de céans était en définitive, après de longues délibérations, irrecevable. J'en explique par cette opinion les raisons et montre par ailleurs que la Cour aurait dû examiner davantage l'argument tiré de la grâce présidentielle qui était, en
l'examen, je partage l'avis que le dispositif en aurait été identique du fait de l'irrecevabilité préalable. Toutefois, le droit applicable sur la question de la « grâce présidentielle » en droit international des droits de l'homme méritait d’être clarifié.
2. Les Sieurs Ae Ad Ck, Ax Cl Bg, Bz Xc Bw, Am Al Cg, Michael ] airos, Cj Aw Cv, Ac M. Cy, ressortissants de Tanzanie, ont été condamnés pour meurtre et vol à main armée dans diverses affaires. À l'exception d’Ax Cl Bg, décédé le 11 mai 2015, ces requérants purgent leur peine à la prison centrale d’Ukonga à Dar-es-Salaam. La requête fut conjointe. Les requérants y déclarent tous, sans données juridiques particulières, « avoir été lésés par la manière dont les Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 459 477
autorités de l'État défendeur ont appliqué le droit de grâce, qui est une prérogative du Président de l'État défendeur ».!
L'affaire ne renouvellera pas la jurisprudence de la Cour. Elle est un cas d'espèce. En germe dans l’affaire Be (15 décembre 2009)? mais manifestement présente dans Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye du 3 juin 2013, l'examen préalable des affaires a pris une place déterminante dans le travail de la Cour. L'arrêt Ae et autres vient confirmer une tendance judiciaire : d’une part, nombreuses affaires, comme la présente, achoppent devant l'exigence préalable de recevabilité ; et, d’autre part, ne reste plus au juge que le devoir de juridiction, c'est-à-dire, la décision d’écarter de l'examen au fond les affaires qui n’accomplissent pas les conditions de recevabilité.
Confirmation des règles préalables de recevabilité des affaires (article 56 de la Charte et 6 du Protocole)
L'affaire Ae Ad Ck et autres vient confirmer la doctrine de la Cour africaine sur la recevabilité des requêtes, en application des articles 56 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et 6(2) du Protocole créant la Cour et 40 du Règlement de la Cour. Cet aspect de la procédure a constitué aussi la base de défense de l’État défendeur. La Tanzanie soutenait notamment que « les requérants auraient pu introduire une requête en inconstitutionnalité, en vertu de la loi sur l'application des droits et devoirs fondamentaux ».* Elle soulignait ainsi le manquement des requérants à l'épuisement préalable des recours internes. Il ajoutait, à l'inverse des requérants, qu’« exception faite du premier, du cinquième et du sixième requérants, aucun des autres requérants neavait demandé le réexamen des procès les concernant, même s»ils ont interjetés
CAfDHP, Arrêt, Ae Ad Ck et autres c. République-Unie de Tanzanie, 26 Septembre 2019, para 6.
CAfDHP, Affaire Be c. Sénégal (compétence), 15 décembre 2009 1 RJCA 1 ; Op. Individuelle, Juge Fatsa Ouguergouz v. B Tchikaya ‘La première décision au fond de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples : l’Affaire Be c. Sénégal (15 décembre 2009)" (2018) 2 Annuaire africain des droits de l'homme 509.
CAfDHP, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (radiation) (3 juin 2013) (2019) 1 RJCA 22 Opinion individuelle, Juge Fatsa Ouguergouz.
CAfDHP, Arrêt, Ae Ad Ck et autres c. Tanzanie, op. cit, para 41.
478 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
des appels devant la Cour d'appel, qui ont été rejetés ».” Dans sa réponse, la Cour vient confirmer la règle, sans cesse rappelée dans sa jurisprudence. Elle note que dans l'affaire E poux Cu c. République du Mali, elle avait établi que l'épuisement des recours internes estune exigence du droitinternational etnon une question de choix et qu’il appartient au plaignant d'entreprendre toutes les démarches nécessaires pour épuiser (….) qu'il ne suffisait pas que le plaignant mette en doute l'efficacité des recours internes de l’État du fait d'incidents isolés». ” La Cour concluait, comme en l'espèce, que la requête était irrecevable.
5. Cette affaire Ae et autres comportait une particularité. Deux des sept requérants avaient une requête supplémentaire. Le premier etle septième requérants avaient déposé une requête distincte des griefs formulés conjointement. Ils contestaient la légalité de la peine prononcée pour vol à main armée. Se posait donc, pour eux, la question du droit des requérants à un procès équitable. Ces deux ont fait appel de leurs déclarations de culpabilité et de leurs peines respectives devant la Cour d'appel, qui a rejeté leurs recours. Étant la plus haute juridiction de l’État défendeur, la Cour d'appel a donc eu la possibilité de se prononcer sur la légalité des peines invoquées parles requérants. En conséquence, la requête du premier et du septième requérant était recevable. L'exception de l'État défendeur était donc sur ce point rejetée. La Cour concluait que « l'État défendeur n'a violé aucune loi »,° elle restait dans le sens de ses décisions antérieures!” et celui du droit international en la matière.
5 Idem., para 42.
6 26 CAfDHP, septembre Arrêt, 2017, Bi Cu 53 ; c. v. République aussi, CAfDHP, du Mali Arrêt, (compétence Ab Ce et recevabilité), J ohnson c. Ghana (compétence et para recevabilité), 28 mars 2019, para 50.
7 CAfDHP, Arrêt, Ae Ad Ck et autres c. Tanzanie, op. cit., para 50.
8 Idem., paras 55, 57 et 75 (v).
9 Ibidem., para 75
10 CAfDHP, Libye (fond), Arrêts, 2016, Commission 1 RJCA, africaine 158 ; Urban des droits Mkandawire de l'homme c. Malawi et des (recevabilité) peuples c. 1 RICA, 291 (2019) ; Ao Br Bj et autres c. Tanzanie (recevabilité) (2013), (o1st 1 RJCA, 371 ; Ab Ai Bx c. Tanzanie (recevabilité) (2014) 2019) 1 RJ CA, 413.
11 Voir CAfDHP, Arrêt, Cx Cn Co c. Ah Bq, 5 décembre 2014. La Cour y reprend la communication Zimbabwe Lawyers for Aw Xb Y Aa Xe bien établie du of droit Zimbabwe coutumier c. Zimbabwe, international elle selon indiquait quelle avant : « C’est d'entamer une règle des poursuites judiciaires au niveau international, les divers recours internes fournis Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459 479
6. Le regretté Jean Rivero!’ voyait dans ces règles préalables aux recours internes une influence du droit interne sur l’ordre judiciaire international. Paradoxe instructif, car c'est le droit judiciaire international qui exige que l’ordre judiciaire national examine souverainement et primordialement les violations alléguées par un requérant national. La finalité de ceci étant de corriger le manquement au droit dans le lieu de sa commission. C’est le sens majeur de cette règle de l'épuisement préalable des recours internes. La question est sans doute différente et spéciale pour celles des règles qui touchent aux domaines réservés de l'État (L'État Westphalien dans les mots d'Alain Pellet),!* comme il en a été dans cette affaire Ae et autres, avec la question posée par les conditions d'usage du « pardon présidentiel ».
Il. La grâce présidentielle, le droit applicable
7. Dans un énoncé clair, la Cour poursuit en indiquant que: « dans la mesure où la requête concerne tous les requérants ainsi que la violation alléguée de leurs droits au regard de la manière dont la prérogative de grâce présidentielle a été exercée, la Cour conclut que la requête est irrecevable, du fait qu'elle ne remplit pas les conditions énoncées à l'article 56(5) de la Charte, tel qu'il est repris à l’article 40(5) du Règlement de la Cour». Ainsi
par l'État doivent être épuisés (...). « Les mécanismes internationaux ne sont pas des mécanismes de substitution pour la mise en œuvre des droits de l'homme au niveau national, mais devraient être considérés comme des outils visant à assister les autorités nationales dans l'établissement d’une protection suffisante des droits de l'homme dans leur territoire. Si les droits humains d’une personne sont violés et qu'elle souhaite porter l'affaire devant un organe international, elle doit tout d’abord avoir essayé d'obtenir réparation auprès des autorités nationales. Il faudra montrer qu'il a été donné à l’État l'occasion de trouver une solution à l'affaire avant de recourir à un organisme international. Ceci reflète le fait que les États ne sont pas considérés comme ayant violé leurs obligations eu égard aux droits humains s'ils offrent des recours véritables et efficaces aux victimes de violations de leurs droits humains » (Voir Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Zimbabwe Lawyers for Aw Xb Y Aa Xe X Bk c. Zimbabwe, Communication No. 293/04, 7-22 mai 2008, para 60).
12 J Rivero ‘Le problème de l'influence des droits internes sur la Cour de Justice de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier’ (1958) AFDI 295-308.
13 Ce concept d'État Westphalien, en ce Qu'il renforce la juxtaposition des États, donne une extension de ce domaine réservé encore plus importante : A Pellet ‘Histoire du droit international : Irréductible souveraineté 7” in G Guillaume (dir) La vie internationale (2017) 7-24.
14 Voir CAfDHP, Arrêt, Ae Ad Ck et autres c. Tanzanie, op. cit, para 54.
480 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
les conditions de recevabilité étant cumulatives, l'examen des éléments tirés de la grâce présidentielle s'avérait superflu.
8. Ce pouvoir d'annuler une peine, voire d'anéantissement d'une procédure de poursuite, estconféré à la plus haute autorité politique du pays. C’est un « pied de nez » monarchique, et même une entorse licite, faite à la puissance du pouvoir judicaire. Ce pouvoir de grâce existe dans presque tous les systèmes démocratiques.‘ En l'occurrence, en l'affaire Ae et autres, les requérants n’en contestaient pas le fondement, mais « alléguaient tout principalement la violation de leurs droits à l'égalité et à la non- discrimination au regard de la manière dont le droit de grâce présidentielle a été exercé ».! Les arguments utilisés par les requérants en étaient encore plus explicites. Ils disaient que « l'État défendeur traite les prisonniers reconnus coupables de corruption et d’autres crimes économiques avec davantage de ménagement (..) que les autres prisonniers, étant donné qu'ils peuvent bénéficier deux fois de la grâce présidentielle, privilège non accordé aux autres condamnés. D'où la violation des articles 3(1) et (2) de la Charte, 7 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. ». Se trouvait dans ces mots des requérants une dénonciation d’un exercice prétendument arbitraire du droit de grâce présidentielle. La Cour de céans devait-elle, dans le cas d'espèce, en connaitre ?
9. La justiciabilité internationale des actes discrétionnaires des Chefs d'États reste en débat.” L'application du droit international, y compris celui des droits de l'homme, s'en tient, pour l'essentiel, à un principe qui devrait remonter aussi loin qu'à l’Affaire Lotus de 1927,L à savoir : « Tout ce que l'on peut demander à un État, c'est de ne pas dépasser les limites que le droit international trace à sa compétence; en deçà de ces limites, le titre de juridiction qu'il exerce se trouve dans la souveraineté ». Il en résulte donc que la question est celle de savoir si les actes internes portant la grâce présidentielle sont détachables ou non de la fonction présidentielle. Fonction dont le régime juridique appartient globalement à la souveraineté interne des États. Le droit
15 F Laffaille ‘Droit de grâce et pouvoirs propres du chef de l'État en Italie’ (2007) 59 Revue internationale de droit comparé 761-804.
16 Voir SATDHP, Arrêt, Ae Ad Ck et autres c. Tanzanie, op. cit. para 48.
17 M Cosnard ‘Les immunités du chef d'État SFDI, Le chef d'État et le droit international. Colloque de Clermont (juin 2001), Paris, Pedone, 2002, p. 201.
18 Yep 19. Affaire du « Lotus », France, arrêt du 7 septembre 1927, Série A, n° 10, p.
Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 459 481
applicable à l'exercice de la grâce présidentiel, sauf arbitraire contrôlé par le droit international, assorti au droit interne des États. Il revenait aux requérants, pas à la Cour, d'en apporter les éléments dont le caractère variable selon les systèmes juridiques nationaux semble évident. Il est indiscutable que le contrôle du droit international sur cet aspect n'est pas nul. Or, l'affaire Ae Ad Ck et autres n’y faisait aucune contribution, ils se bornaient à déclarer le caractère arbitraire de l'usage par l'État défendeur de la grâce présidentielle.
10. Les actes de l'exécutif, rattachés au pouvoir, ne relèvent pas de la compétence judiciaire qu'exerce normalement le juge interne du fait de la séparation des pouvoirs. Bm Bh!° proposait de les soumettre au pouvoir constitutionnel. Ceci semble une vue de l'esprit, car ce dernier reste tributaire du droit interne, lequel reste sous le contrôle du souverain. Le droit supranational, intégré au droit international, exercerait un contrôle de ces actes auquel serait assujetti, non pas la grâce présidentielle elle-même, mais son administration ou son exercice. Deux conditions cependant : que ces actes soient détachables de l'exercice du domaine réservé de l'État, ensuite, que ces actes, après validation des conditions de recevabilité, soient réellement entachés d'arbitraire. 11. || en résultait que, même si en /’Affaire Ae et autres, il était soutenu par les requérants que l'État défendeur « excluait systématiquement de cette grâce les détenus qui purgent de longues peines, violant ainsi l'article 2 de la Charte et l'article 13(1) (2) (3) (4) et (5) de la Constitution de l'État défendeur »,? la Cour de céans refusait d'accéder à la demande. Les éléments de procédure et de fond n'y étant pas rigoureusement associés.
Opinion dissidente : BENSAOULA
1. J'aurai partagé l'opinion de la majorité des juges quant au dispositif de l'arrêt, malheureusement la manière dont la Cour a
19 D Mauss ‘Bm Bh, un missionnaire du droit constitutionnel’ (2004) RFDC 461-463.
20 v. CAfDHP, Arrêt, Ae et autres, op. cit, para 7.
482 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
traité la recevabilité de la requête va à l'encontre des principes qui gèrent la requête collective.
2. En effet, il ressort de la requête collective déposée le 17 avril 2015 que les requérants au nombre de sept ont allégués des violations relatives aux droits de l'homme par l'État défendeur mais il est à noter que:
3. Si Ae Ad Ck et Ac Cy ont tous les deux été reconnus coupables et condamnés pour vol à main armée, les décisions les condamnant n'ont pas été rendues par les mêmes juridictions; donc que les procédures engagées qui ont conduit à la condamnation de l’un et de l’autre sont complètement séparées en dates, en faits et en droit.
4 Eneffet, le premier nommé a été poursuivi pour vol à main armée devant le tribunal de district de Mwanza, reconnu coupable en date du 7 mai 2004 et condamné à 30 ans de réclusion, tandis que le second nommé poursuivi pour vol à main armée devant le tribunal de district de Handeni à Cp a été déclaré coupable et condamné à 30 ans de réclusion le 5 août 2002.
5. Quantaux requérants Ax Cl Bg et] uma Xc Bw, le premier nommé poursuivi pour meurtre devant la Haute cour à Dar Es Salaam a été déclaré coupable et condamné à la peine capitale le 15 février 1989 et le 21 septembre 2005 sa peine a été commuée en réclusion à perpétuité; le second nommé poursuivi pour meurtre a été déclaré coupable par la Haute cour de Dar Es Salam le 27 juillet 1983 et condamné à mort, sa sentence a été commuée en réclusion à perpétuité le 14 février 2012.
6. Les requérants Am Al Cg et Au Cm ont été quant à eux pour le premier poursuivi pour meurtre devant la Haute cour de Ak déclaré coupable et condamné à la peine capitale le 11 août 1989, sa peine commuée en réclusion à perpétuité le 13 février 2002 et pour le second poursuivi pour meurtre devant la Haute cour à Morogoro déclaré coupable et condamné le 25 mai 1999 à la peine capitale, peine commuée en réclusion à perpétuité le 12 février 2006. Enfin, le requérant Cj Aw Cv poursuivi pour meurtre devant la Haute cour de Kigoma a été déclaré coupable et condamné à la peine capitale commuée en réclusion à perpétuité le 28 juillet 2005.
7. Sieffectivement tous ces requérants reprochent à l’Etat défendeur des violations des droits de l'homme, les requérants Ae et Ac en plus remettent en question la légalité de la peine prononcée contre eux.
8. Ilestclairde ce quiprécède que chaque requérants'estvu poursuivi accusé et condamné par des instances judicaires différentes, à des dates différentes, pour des faits aux évènements différents,
Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459 483
même si les chefs d’inculpations sont de même qualification pour certains etles condamnations de même nature.
La lecture faites des définitions de la requête collective nous la fait résumer en une action ou un recours en justice ou une procédure qui permet à un grand nombre de personnes de poursuivre une personne morale ou physique afin d'obtenir une obligation de faire, de ne pas faire ou de donner.
10. est Originaire des États-Unis, le premier recours collectif a eu lieu dans les années 1950 après l'explosion du navire cargo à Ag Bn où 581 personnes avaient péri et dont les ayants droits victimes ont par une requête collective engagés une action en justice aux fins de réparations. Cette procédure est maintenant répandue dans plusieurs pays du common law mais aussi dans plusieurs pays européens.
11. L'avantage de ce recours est qu'un grand nombre de plaintes individuelles est jugé dans un procès unique lorsque les faits et les normes sont identiques, pour éviter de répéter des jours durant avec les mêmes témoins, les mêmes pièces et les mêmes questions de procès en procès. Il résout aussi le problème du financement des avocats lorsque la compensation est modeste, assure à tous les requérants de recevoir une compensation en évitant que les premiers à déposer une requête soient servis en premier sans rien laisser pour les suivants, centralise toutes les plaintes et partage équitablement les compensations entre les demandeurs en cas de victoire et enfin || évite la contradiction entre plusieurs décisions.
12. Les victimes le sont d'une situation similaire, le dommage causé par une même personne avec une cause commune, le préjudice doit être commun, les questions auxquelles les juges doivent répondre doivent être communes en faits et en droit.
13. Le choix entre recours collectif etrecours individuel doit être évalué au cas par cas, les préjudices majeurs n'étant généralement pas appropriés pour un traitement collectif car la plainte implique presque toujours des questions de droits et de faits qui devront être jugés à nouveau sur une base individuelle.
14. Il ressort du droit comparé, comme de certaines décisions rendues par des instances internationales des droits de l'homme qu’une requête collective est soumise à des conditions outre de recevabilité et de compétence, d'existence d’un lien suffisant qui tiré des éléments suivants :
* Identité des faits ;
* Identité de juridiction ;
* ldentité de procédure ayant conduit à la condamnation des requérants.
484 et RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
15. Dans son arrêt Hirsi J amaa et autres contre Italie rendu par la grande chambre le 23 février 2012, la CÉDH avait été saisie par 24 requérants (11 libyens et 13 Erythréens).
16. En l'espèce, plus de 200 migrants avaient quitté la Libye à bord de trois embarcations dans le but de rejoindre les côtes italiennes. Le 6 mai 2009 alors que les embarcations se trouvaient à 35 miles au Sud de Lampedusa dans les eaux internationales, elles ont été interceptées par des gardes côtes italiens et les migrants ont été reconduits à Tripoli. Les requérants, 11 ressortissants somaliens et 13 Érythréens soutenaient que la décision des autorités italiennes de les renvoyer vers la Libye les avait d'une part, exposés au risque d'y être soumis à de mauvais traitements d'autre part, au risque d'être soumis à de mauvais traitements en cas de rapatriement vers leurs pays d'origine (la somalie et l'Érythrée). Ils invoquaient ainsi la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ils estimaient également avoir fait l'objet d’une expulsion collective prohibée par l’article 4 du protocole numéro 4. Enfin, ils invoquaient la violation de l’article 13 de la CÉDH puisqu'ils considéraient n'avoir aucune voie de recours effective en Italie pour se plaindre des atteintes alléguées à l’article 3 et à l’article 4 du protocole No. 4.
17. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l'homme le 26 mai 2009. Dans l'arrêt rendu, la Cour européenne des droits de l'homme va estimer que les requérants relevaient tous de la juridiction de l'Italie au sens de l'article 1 de la CEDH se plaignant des mêmes faits et allégeaient les mêmes violations et va conclure à l'unanimité la recevabilité de la requête collective et à la violation de l'article 4 du protocole.
18. Dans le même sens la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples dans l'arrêt By Ci Bl et 9 autres contre la Tanzanie rendu le 18 mai 2016 a considéré que la requête remplissait les conditions de recevabilité d’une requête collective citée plus haut car poursuivi pour des faits identiques dans une procédure identique devant les mêmes juridictions et dans un même arrêt sur le plan national.
19. Devant cet état de fait, la Cour dans son arrêt objet de l'opinion dissidente, en déclarant la requête recevable sans asseoir sa décision sur des raisons légales de la recevabilité de la requête collective et en passant sous silence cette particularité de la requête a failli aux principes de la motivation énoncés dans l’article Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459 485
61 du règlement eta complètement viré de sa jurisprudence et de celle des juridictions internationales des droits de l'homme.
Opinion dissidente : BEN ACHOUR
1. Dans l'arrêt ci-dessus, Ae Ad Ck et autres c. République-Unie de Tanzanie, je ne partage pas la décision de la majorité des juges de la Cour déclarant d’une part, irrecevable la requête « [e]n ce qui concerne tous les requérants pour non- respect de l'exigence de l’article 56(5) de la Charte, qui est reprise à l’article 40(5) du Règlement, pour autant qu'elle se rapporte à la violation alléguée de leurs droits en rapport avec la manière dont le droit de grâce présidentielle a été appliqué»! et d'autre part, déclarant « [IJa requête recevable relativement à l’allégation du premier et du septième requérants concernant la légalité de la peine prononcée pour vol à main armée»? et donc de statuer au fond sur les prétentions du premier et septième requérants, qui sont du reste, les prétentions communes de tous les requérants. A mon avis, la requête dans son ensemble aurait dû être déclarée
les autres.
2. En ayant recours à cet artifice juridique de traiter les mêmes requérants de manière différente, la Cour a d’une part, brisé l'unité de la requête présentée par les sept requérants à la fois (!). Par ailleurs, et au-delà de ce premier reproche, en déclarant irrecevable la requête concernant tous les requérants quant «à la manière dont le droit de grâce présidentielle a été appliquée», la Cour a fait fi de sa jurisprudence constante relative aux recours extraordinaires, notamment le recours en inconstitutionnalité devant les juridictions tanzaniennes (Il).
1 Point (iii) du dispositif.
2 Point (iv) du dispositif.
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l. La méconnaissance de l’unité de la requête
3. Il est important de noter de prime abord que le 17 avril 2015, la Cour a été saisie d'une même et unique requête, introduite par sept individus « [invoquant le même grief à savoir l'exercice de la prérogative de la grâce présidentielle ».’ Deux d’entre eux (premier et septième requérants) ont été reconnus coupables et condamnés pour vol à main armée, les cinq autres ont été reconnus coupables et condamnés pour meurtre. Tous ces requérants, à l'exception de l'un d’entre eux (deuxième requérant) purgent leurs peines respectives à la prison centrale de Dar es
4. || est important d'insister sur le fait qu'aucun des sept requérants n’a invoqué un seul grief qui lui soit propre, c’est-à-dire un grief distinct de celui invoqué par tous les autres. La requête, en plus de l'unité des requérants, se caractérise donc, également, par l'unité de son objet et par l'unité des griefs invoqués.
5. Examinant tout d’abord la recevabilité de la requête, comme l'y invite l'article 6(2) du Protocole et 39(1) de son Règlement, la Cour se penche sur l'examen des exceptions d'irrecevabilité soulevées par l'État défendeur dont notamment celle, récurrente, du non épuisement des voies de recours internes (Voir le Règlement Intérieur).
6. L'argument principal de l'État défendeur est que « [I]es requérants auraient pu introduire une requête en inconstitutionnalité, en vertu de la loi sur l'application des droits et devoirs fondamentaux, pour dénoncer les violations alléguées de leurs droits, en particulier concernant la discrimination alléguée en rapport avec l'exercice du droit à la grâce présidentielle ».° Il y a lieu de souligner que, dans son argumentation, l’État défendeur n'a pas distingué entre les requérants. Il a traité la requête comme un tout et a demandé à la rejeter en bloc pour irrecevabilité.
7. Répondant à cette exception de l'Etat défendeur, la Cour soutient que « [plour examiner la recevabilité de la requête, la Cour
3 Paragraphe 1 de l'arrêt.
5 Paragraphe 41 de l'arrêt.
Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 459 487
estime qu’il convient de faire une distinction entre les différents requérants avant de se prononcer sur cette question ».°
8. Dans ce paragraphe, le raisonnement de la Cour glisse de la forme vers le fond. En effet, la Cour se désintéresse de la question de l'épuisement des recours internes et décide d'opérer une distinction entre les requérants sur la base de leurs prétentions avant de se prononcer sur la recevabilité. Pour la Cour, si les sept requérants « [a]llèguent tous principalement la violation de leurs droits à l'égalité et à la non-discrimination au regard de la manière dontle droit de grâce présidentielle a été exercé [... ], le premier et le septième requérant, outre les allégations portées par les autres requérants, contestent aussi la légalité des peines prononcées à leur égard pour vol à main armée » ; et la Cour de conclure qu’elle « [e]ntend examiner ces allégations l’une après l’autre ».7
9. Or, la recevabilité ne s'applique pas aux « allégations » mais aux conditions de forme de la requête. Comme le stipule l'article 40 du Règlement de la Cour, intitulé « conditions de recevabilité des requêtes » en son paragraphe 5, pour être examinée, la requête doit « [êltre postérieure à l'épuisement des recours internes, s'ils existent [... ] ». Il s'agit par conséquent de voir si les requérants, avant de saisir la Cour africaine, ont utilisé (ou au moins tenté d'utiliser) ce que le droit interne leur fourni comme moyens juridictionnels de faire valoir leurs droits.
10. Poursuivant son raisonnement, la Cour déclare « [e]n ce qui concerne la violation alléguée des droits des requérants par rapport à la manière dont le droit de grâce présidentielle a été exercée, la Cour relève que les requérants ne contestent pas le fait que la Loi sur l'application des droits et des devoirs fondamentaux leur offrait la voie pour un recours devant la Haute Cour contestant la violation alléguée de leurs droits ».® Ce faisant, la Cour laisse supposer qu’elle statue sur le fond de l'affaire.
11. Dans les paragraphes suivants, la Cour revient à la question de l'épuisement des recours internes, rappelant d'abord sa jurisprudence dans l'arrêt Bi Cu c. République du Mali,° constatant ensuite que « [l]es requérants auraient pu saisir la
6 — Paragraphe 48 de l'arrêt (c'est nous qui soulignons).
7 Paragraphe 48 de l'arrêt (c'est nous qui soulignons ).
8 Paragraphe 49.
9 «L'épuisementdes voies de recours internes estune exigence du droitinternational et non une question de choix et qu>il appartient au plaignant d'entreprendre toutes les démarches nécessaires pour épuiser ou au moins essayer d>épuiser les recours internes ; quil ne suffisait pas que le plaignant mette en doute lefficacité des recours internes de l’État du fait d>incidents isolés ».
488 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
Haute Cour [...] et qu’ils n'auraient pas dû ignorer de manière désinvolte (sic) les recours disponibles de l'État défendeur sans même tenter de les exercer »,° et concluant ensuite que « [c] ompte tenu des circonstances, la Cour conclut que la requête est irrecevable, du fait qu'elle ne remplit pas les conditions énoncées à l'article 56(5) de la Charte, tel qu'il est repris à l’article 40(5) du Règlement de la Cour»." L'arrêt aurait pu s'arrêter à ce point et rejeter la requête dans son ensemble.
12. À ce niveau, une question, à laquelle nous n'avons malheureusement pas de réponse se pose : quelle est la relation de cause à effet entre les paragraphes 46 et 47 de l'arrêt d’une part, et les paragraphes 48, 49 et 50 de l'arrêt d’autre part?
13. Pourtant, et malgré le constat de l'irrecevabilité de la requête, réitéré aux paragraphes 53 et 54 de l'arrêt, la Cour se rétracte aux paragraphes 53 à 56 en exceptant le cas du premier et du septième requérant. Pour la Cour, lesdits requérants « [o]nt porté une allégation supplémentaire distincte des griefs formulés conjointement par tous les requérants ».!” Cet élément est un élément de fond non plus de recevabilité. La preuve en est que la Cour « [flait observer, en premier lieu, que la légalité de la peine pour vol qualifié soulève la question du droit des Requérants à un procès équitable ».
14. On ne comprend en conséquence pas pourquoi la Cour estime, pourle cas de cinq requérants qu'ils auraient dû former ce recours et ne pas l’'ignorer de « manière désinvolte » et en dispenser deux autres requérants du fait qu'ils ont fait valoir des allégations supplémentaires par rapports à leurs co-requérants.
15. Ainsi, après avoir distingué là où il n'y avait pas lieu à distinction, la Cour a rompu l'unité de la requête et ne s'est vraiment pas penché sur l'exception soulevée par l’État défendeur.
Il. Le recours en inconstitutionnalité est-il un recours extraordinaire ?
16. Interprétant l'article 56(6) de la Charte adoptée à la Cour par l’article 40(6) du Règlement, la Cour a toujours considéré que les recours internes qui doivent être épuisés postérieurement
10 Paragraphe 51.
11 Paragraphe 54 de l'arrêt
12 Paragraphe 55 de l'arrêt.
Ck et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459 489
à l'introduction de la requête, les recours judiciaires et que ces recours doivent être disponibles, efficaces et suffisants.
17. Traitant de ces cas particuliers des recours en révision et en inconstitutionnalité devant la Cour d'appel dans le système judiciaire tanzanien, la Cour a une jurisprudence abondante et constante. Elle a toujours considéré que ces deux recours sont des « [r]ecours extraordinaires » qui ne sont ni nécessaires, ni obligatoires et qu'en conséquence l'exigence de l'épuisement posée par la Charte et le Règlement ne s'impose pas à leur
18. Dans l’arrêtci-dessus, la Cour donne l'impression d’avoir opéré un revirement de jurisprudence, ou du moins un revirement partiel. En effet, la Cour considère concernant cinq des requérants que « [Nes requérants auraient pu saisir la Haute cour pour contester la légalité de l'application de la grâce présidentielle, de la loi relative au système pénitentiaire, de la loi sur les Commissions de libération conditionnelle et des autres lois qu'ils estiment avoir contribué à la discrimination dont ils allèguent avoir été victimes » et la Cour d'ajouter « [I]es requérants n'auraient pas dû ignorer de manière désinvolte les recours disponibles de l'État défendeur, sans même tenter de les exercer ».! Observons que concernant les lois citées dans ce paragraphe, il s'agit bel et bien du recours en inconstitutionnalité prévu par la loi sur l'application des droits et devoirs fondamentaux de la Tanzanie.
de cinq requérants que le recours en inconstitutionnalité n’est plus considéré par la Cour comme un recours extraordinaire dont sont dispensés les requérants, mais désormais comme un recours nécessaire et obligatoire. Pourtant, et à la différence du traitement réservé à ces cinq requérants, la Cour s'abstient de sanctionner le premier et le septième requérant pour défaut de ce même recours en inconstitutionnalité. À l'égard de ces deux
14 Requête No. 005/2013 Alex Af c. République-Unie de Tanzanie ; Requête No. 006/2013 Wilfred onyange Bl c. R'épublique-U nie de Tanzanie ; Requête No. 007/2013 Ba Av c. République-Unie de Tanzanie ; Requête No. 003/2015 Bc Az As and Charles J ohn Bs Ca c. République- Unie de Tanzanie ; Requête No. 005/2015 Af Cc Ck and Ae Ad Ck c. République-Unie de Tanzanie ; Requête Aj Xd At BBv Bd) and Ar Xd BCz CsA c, République-Unie de Tanzanie ; Requête No. 011/2015 Christopher J onas c. République-Unie de Tanzanie ; Requête No. 027/2015 Minani E varist c. République-Unie de Tanzanie ; Requête No. 006/2016 Ct Cd Aq c. République-Unie de Tanzanie ; Requête No. 020/2016 Bu Ch c. République-Unie de Tanzanie ; Requête No. 016/2016 Cr Cq c. République-Unie de Tanzanie.
15 Paragraphe 51.
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requérants, la Cour réaffirme sa position traditionnelle. Elle rappelle « [s]a jurisprudence et réitère sa position que le recours en inconstitutionnalité, tel que prévu par le système judiciaire de l'Etat défendeur, est un recours extraordinaire que le requérant n’est pas tenu d'épuiser avant de saisir la Cour de céans. Pour cette raison, la Cour estime que le premier est septième requérant n'étaient pas tenu de déposer une requête en inconstitutionnalité avant de saisir la Cour ».!6
20. L'origine de ce traitement différencié des requérants, semble être la conséquence de ce que nous avons développé supra, à savoir le mélange d’éléments de nature différente relatifs d’une part, au fond de l'affaire et d'autre part, relatifs à la procédure.
21. Pour ces raisons j'ai voté contre cet arrêt.
16 Paragraphe 57 de l'arrêt.