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26/09/2019 | CADHP | N°025/2015

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 26 septembre 2019, 025/2015


Texte (pseudonymisé)
520 RECUEIL
Vedastus DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA Requête 025/2015, Majid Goa alias Vedastus c. République-Unie de
Tanzanie
Arrêt du 26 septembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges ORE, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUMAM
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Le requérant a été reconnu coupable et condamné à 30 ans
d'emprisonnement pour viol. Il a allégué que l’État défendeur av

ait violé
ses droits en ne tenant pas compte de sa défense d’alibi et en négligeant
les contradicti...

520 RECUEIL
Vedastus DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA Requête 025/2015, Majid Goa alias Vedastus c. République-Unie de
Tanzanie
Arrêt du 26 septembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges ORE, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUMAM
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Le requérant a été reconnu coupable et condamné à 30 ans
d'emprisonnement pour viol. Il a allégué que l’État défendeur avait violé
ses droits en ne tenant pas compte de sa défense d’alibi et en négligeant
les contradictions et les divergences dans les déclarations des témoins.
Il a également allégué qu’il n'avait pas bénéficié d’une assistance
judiciaire gratuite. La Cour a rejeté son allégation relative à la preuve.
Elle a toutefois conclu à une violation du droit du requérant à l'assistance
judiciaire.
Recevabilité (épuisement de recours internes, recours constitutionnel
32 ; introduction dans un délai raisonnable, 41, 42)
Procès équitable (évaluation des preuves, 56, 65 ; assistance judiciaire,
71,
Réparations (préjudice moral, 89)
Les parties
Majid Goa alias Vedastus (ci-après dénommé « le requérant » est un ressortissant de la République-Unie de Tanzanie, qui purge actuellement une peine de 30 ans de réclusion à la suite de sa condamnation pour viol sur une mineure âgée de 12 (douze) ans. L'État Défendeur est la République-Unie de Tanzanie, (ci-après dénommé « l’État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Par ailleurs, le 29 mars 2010, Il a également déposé la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il a accepté la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d'individus et d'ONG.
Il Vedastus c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520 521
Objet de la requête
Faits de la cause
Il ressort du dossier que le 20 décembre 2005, le Tribunal de district de Tarime, siégeant en l'affaire pénale No. 418 de 2005, a déclaré le requérant coupable du crime de viol sur une mineure de douze (12) ans et l’a condamné à une peine de trente (30) ans de réclusion.
Le requérant a introduit un recours devant la Haute cour siégeant à Bq dans l'appel pénal No. 35 de 2006, contestant la déclaration de culpabilité et la peine prononcée. La Haute cour a confirmé le jugement du Tribunal de district, le 11 octobre 2006.
Le requérant a par la suite saisi la Cour d’appel de Tanzanie siégeant à Bq en l'affaire pénale No. 303 de 2013, recours qui a été rejeté le 13 août 2014. Non satisfait de l’arrêt de la Cour d’appel, le requérant a formé un recours en révision dans la procédure Misc. Criminal Application No. 11 de 2014 devant la Cour d’appel de Tanzanie siégeant à Bq. Ce recours a été rejeté.
Le 2 octobre 2015, le requérant a saisi la Cour de céans.
Violations alléguées
Le requérant allègue la violation par l’État défendeur des droits garantis aux articles 2, 3(1) et (2) et 7(1) (c) et (d) de la Charte, pour n’avoir pas pris en considération l’alibi invoqué pour sa défense ainsi que les diverses contradictions et incohérences relevées dans les dépositions des témoins. Il soutient en outre qu’il s'est vu refuser le droit à ce que sa cause soit entendue, dans la mesure où il n'avait pas bénéficié d’une assistance judiciaire, aussi bien devant la juridiction de première instance que devant les juridictions d'appel.
Procédure
La requête a été reçue le 2 octobre 2015 et signifiée à l’État défendeur le 4 décembre 2015, ainsi qu'aux entités visées à 522 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l’article 35(3) du Règlement.
9. Les parties ont déposé leurs observations dans les délais fixés par la Cour, et celles de l’une ont été notifiées à l’autre.
10. Le 7 décembre 2018, la Cour a informé les parties que la procédure écrite était close.
IV. Mesures demandées par les parties
11. Le requérant demande à la Cour de rendre les mesures suivantes : « a. Restaurer la justice là où elle a été foulée aux pieds et annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcée et ordonner sa remise en liberté ;
b. Lui octroyer des réparations conformément à l’article 27(1) du Protocole portant création de la Cour ;
c. Annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcée et ordonner sa remise en liberté ;
d. Lui fournir une représentation juridique ou une assistance judiciaire en vertu de l’article 31 du Règlement intérieur et de l'article 10(2) du Protocole.
e. Ordonner toute(s) autre(s) mesure(s) qu’elle estime appropriée(s), au vu des circonstances de l’espèce ».
12. Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour de céans de rendre les mesures suivantes :
« a. Dire que la Cour n’est pas compétente pour examiner la requête ;
b. Dire que la requête ne remplit pas les conditions de recevabilité énoncées à l’article 40(1 à 7) du Règlement intérieur de la Cour et aux articles 56 et 6(2) du Protocole ;
c. Rejeter la requête, en application de l’article 38 du Règlement intérieur de la Cour ;
d. Dire que les frais de procédure sont à la charge du requérant ;
e. N’accorder aucune réparation au requérant ».
13. L'État défendeur demande en conséquence à la Cour de dire qu’il n’a pas violé les articles 2, 3(1), 3(2), 7(1)(c) et 7(1)(d) de la Charte.
14. Dans sa réplique, le requérant demande à la Cour de rejeter les exceptions soulevées par l’État défendeur et soutient que la requête est fondée et qu’elle doit être examinée.
V. Compétence
15. Conformément à l’article 3(1) du Protocole, « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre Cs c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520 523
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les Etats concernés ». En application de l’article 39(1) du Règlement, « La Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence
16. L'État défendeur soulève une exception d’incompétence matérielle de la Cour.
Exception d’incompétence matérielle
17. L’État défendeur fait valoir que les requérants n’ont pas correctement invoqué la compétence de la Cour. À cet égard, il soutient que les articles 3(1) du Protocole et 26 du Règlement ne confèrent à la Cour que la compétence pour connaître des affaires ou des différends relatifs à l’application et à l'interprétation de la Charte, du Protocole et de tout autre instrument relatif aux droits de l'homme et ratifié par l’État concerné. Selon l’État défendeur, la Cour n’est donc pas compétente pour examiner la présente requête en tant que juridiction de première instance ou d’appel. 18. Pour sa part, le requérant soutient que sa requête porte sur des violations de droits fondamentaux de l'homme, qui relèvent de la compétence de la Cour de céans.
19. La Cour a conclu dans ses arrêts antérieurs qu’en vertu de l’article 3 du Protocole, elle est compétente dès lors que les requêtes dont elle est saisie portent sur la violation de droits protégés par la Charte, le Protocole ou tout autre instrument des droits de l'homme ratifié par l’État concerné.‘
20. La Cour réaffirme sa jurisprudence bien établie selon laquelle elle n’est pas une juridiction d'appel des décisions des instances nationales.’ Elle a souligné, cependant, que « [c]ela ne l'empêche
Requête No. 003/2012. Arrêt du 28 mars 2014 (recevabilité), Ag Av Ba c. République-Unie de Tanzanie, para 114 ; Requête No. 005/2013. Arrêt du 20 novembre 2015 (fond), An Ao c. République-Unie de Tanzanie (fond), 45 ; Requête No. 053/2016. Arrêt du 28 mars 2019 (fond), Bv Av c. République- Unie de Tanzanie (fond), para 24.
Requête No. 001/2013. Arrêt du 15 mars 2013 (compétence), Cg Ck Bn c. République du Malawi, para 14 ; Requête No. 025/2016. Arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), At Bm c. République-Unie de Tanzanie, para 26 ; Requête No. 024/2015. Arrêt du 07 novembre 2018 (fond et réparations),
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pas d'examiner les procédures pertinentes devant les instances nationales pour déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites dans la Charte ou avec tout autre instrument ratifié par l’État concerné ».°
21. La Cour relève que la présente requête porte sur des allégations de violations des droits de l'homme protégés aux articles 2, 3 et 7 de la Charte. Lorsqu'elle les examine à la lumière des instruments internationaux, elle ne s’arroge pas le statut de juridiction d'appel ou de première instance. En conséquence, l’exception de l’État défendeur est rejetée.
22. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a la compétence matérielle en l'espèce.
B. Sur les autres aspects de la compétence
23. La Cour relève que sa compétence personnelle, temporelle et territoriale n’a pas été contestée par l’État défendeur et que rien dans le dossier n’indique qu'elle n’est pas compétente en l'espèce. La Cour constate donc qu’en l’espèce, elle a :
i. La compétence personnelle, étant donné que l’État défendeur est partie au Protocole et qu’il a déposé la déclaration prévue à l’article 34(6), ce qui permet aux individus de la saisir directement, conformément à l’article 5(3) du Protocole.
ii. La compétence temporelle, dans la mesure où les violations alléguées sont continues de par leur nature et que le requérant reste condamné, sur la base de ce qu’il considère comme des irrégularités.*
iii. La compétence territoriale, les faits de la cause s'étant produits sur le territoire d’un État partie au Protocole, à savoir l’État défendeur.
24. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente.
Cu Ai c. République-Unie de Tanzanie, para 33 ; Requête No. 006/2015. Arrêt du 23 mars 2018 (fond), Cc Ah BCb CrA et Aa Cc BCo BdA c. République-Unie de Tanzanie, para 35.
3 An Ao c. Tanzanie (fond), para 130. Voir aussi Requête No. 010/2015, Arrêt du 28 septembre 2017 (fond), Cn Ap c. République-Unie de Tanzanie (fond), para 28 ; Requête No. 003/2014, Arrêt du 24 novembre 2017 (fond), Ay Bp Au c. République du Rwanda (fond), para 52 ; Requête No. 007/2013; Arrêt du 03 juin 2013 (fond), Cm Bs c. République- Unie de Tanzanie, (ci-après désigné « Cm Bs c. Tanzanie (fond) »), para 29 ; At Bm c. République-Unie de Tanzanie, para 26.
4 Voir Requête No. 013/2011. Arrêt du 21 juin 2013 (exceptions préliminaires), Bx Ab, Cg Bz, Ce Al et Mouvement burkinabè des droits de l’homme c. As Ar (ci-après désigné « Bz et autres c. As Ar (exceptions préliminaires) »), paras 71-77.
Vedastus c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520 525
VI. Recevabilité
25. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ». Conformément à
l’article 39(1) de son Règlement, «la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence et des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et 40 du présent Règlement ». 26. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance l’article 56 de la Charte, est libellé comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine ».
Conditions de recevabilité en discussion entre les parties
27. L'État défendeur fait valoir que la requête ne remplit pas deux des conditions de recevabilité, à savoir celle relative à l'épuisement des recours internes, prévue à l’article 40(5) du Règlement, ainsi que celle portant sur l'exigence de déposer les requêtes dans un délai raisonnable après épuisement des recours internes,
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énoncée à l’article 40(6) du Règlement.
Exception relative au non-épuisement des recours internes
28. L'État défendeur soutient que le requérant soulève devant la Cour de céans des allégations de violation de son droit à l'égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi ainsi que de son droit à un procès équitable, ces deux droits étant garantis et protégés aux articles 12 à 29 de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie.
29. L'État défendeur affiime également qu’il a promulgué la loi relative aux droits fondamentaux et devoirs (Bg Cp and Cd Bl Act), qui consacre le respect des droits constitutionnels et fondamentaux énoncés en son article 4.5 Il soutient en outre que cette loi est applicable devant la Haute cour et que le requérant n'ayant pas eu recours à cette procédure, s’est privé de la possibilité d’obtenir réparations des violations alléguées.
30. Pour sa part, le requérant soutient que sa requête remplit les conditions de recevabilité, car elle a été introduite après avoir épuisé les recours internes, dans la mesure où il a saisi la Cour d'appel qui a rendu son arrêt le 13 août 2014, et qu’il a introduit une requête en révision dudit arrêt. I conclut qu’il a « effectivement épuisé tous les recours judiciaires disponibles ».
31. La Cour fait observer qu’il ressort du dossier que le requérant a interjeté appel du jugement de la Haute cour portant condamnation rendu le 11 octobre 2006, devant la Cour d'appel de la Tanzanie, la plus haute juridiction de l’État défendeur, et que celle-ci a confirmé le jugement de la Haute cour, le 13 août 2014.
32. La Cour relève en outre qu'elle a conclu antérieurement dans plusieurs affaires visant l’État défendeur, que les recours en
« Toute personne qui allègue que des dispositions des articles 12 à 29 de la présente Constitution ont été, sont ou risque d'être enfreints à son égard, sans préjudice de toute autre action légalement disponible, peut exercer un recours devant la Haute cour ».
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inconstitutionnalité et en révision dans le système judiciaire tanzanien sont des recours extraordinaires que le requérant n’est pas tenu d’épuiser avant de la saisir. Il est donc établi que le requérant en l'espèce a épuisé tous les recours internes disponibles.
33. Pour cette raison, la Cour rejette l'exception relative au non- épuisement de recours internes.
Exception relative au non-respect du délai raisonnable pour le dépôt de la requête
34. L'État défendeur soutient que la requête n’a pas été déposée dans un délai raisonnable conformément à l’article 40(6) du Règlement. Il fait valoir que l'affaire concernant le requérant a été tranchée le 13 août 2014 et qu’une période d’un (1) an et un (1) mois s’est écoulée avant que le requérant ne saisisse la Cour de céans.
35. Notant que l’article 40(6) ne fixe pas de délai limite dans lequel les requêtes doivent être déposées, l’État défendeur attire l'attention de la Cour de céans sur le fait que la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a estimé qu’une période de six mois est considérée comme un délai raisonnable.”
36. Toujours selon l’État défendeur, le requérant n’a pas fait état d'obstacles quelconques qui l’auraient empêché de déposer la requête dans le délai de six mois et, pour ces raisons, la requête doit être déclarée irrecevable.
37. Le requérant affirme pour sa part que la décision relative à son recours devant la Cour d’appel a été rendue le 13 août 2014 et qu’il a par la suite introduit un recours en révision, qui était pendant au moment où il a saisi la Cour de céans. Le requérant soutient donc que sa requête a été introduite dans un délai raisonnable.
Voir An Ao c. Tanzanie (fond), op. cit. para 65; Requête No. 007/2013. Arrêt du 03 juin 2013 (fond), Cm Bs c. Tanzanie (fond), paras 66 à 70; Requête No. 011/2015. Arrêt du 28 septembre 2017 (fond), Cn Ap c. Tanzanie, para 44.
Br Af c. Zimbabwe (2008) AHRLR 146 (CADHP 2008).
528 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
38. La Cour fait observer que l’article 56(6) de la Charte n'indique pas de délai précis dans lequel elle peut être saisie d’une requête. L'article 40(6) du Règlement, qui reprend en substance l’article 56(6) de la Charte, mentionne simplement « [u]n délai raisonnable à compter de la date à laquelle les recours internes ont été épuisés ou à compter de la date fixée par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
propre saisine ».
39. La Cour rappelle sa jurisprudence dans laquelle elle a conclu « [q]ue le caractère raisonnable du délai de saisine dépend des circonstances spécifiques de l'affaire et devrait être déterminé au cas par cas ».5
40. Il ressort du dossier devant la Cour que les recours internes ont été épuisés le 13 août 2014, date à laquelle la Cour d'appel a rendu son arrêt tandis que la présente requête a été introduite le 2 octobre 2015, soit un (1) an, un (1) mois et vingt (20) jours après l'épuisement de recours internes. La Cour est donc appelée à déterminer si ce délai est raisonnable.
41. La Cour relève que le requérant est en prison, que sa liberté de mouvements est restreinte et qu’il n’a qu’un accès limité à l'’information.° Par ailleurs, il n’a pas bénéficié de l'assistance d’un avocat tout au long de son procès en première instance et en appel. En outre, il a choisi d’introduire un recours en révision devant la Cour d'appel le 8 septembre 2014," malgré le fait qu’il s’agit d’un recours qu’il n’était pas tenu d’épuiser avant de saisir la Cour de céans. L'ensemble de ces circonstances a contribué au fait que le requérant a saisi la Cour un (1) an, un (1) mois et vingt (20) jours après l'épuisement des recours internes.
42. En conséquence, la Cour estime raisonnable le délai dans lequel le requérant l’a saisie, à savoir un (1) an, un (1) mois et vingt (20) jours après l'épuisement des recours internes et rejette en
8 An Ao c. Tanzanie (fond), op. cit., para 73 ; Voir également Bz et autres c. As Ar, op.cit., para 121 ; At Bm c. Tanzanie (fond et réparations), para 51 ; Bv Av c. Tanzanie (fond), para 24 ; Bi Bc Ae c. République-Unie de Tanzanie (ci-après « Lucien lkili Ae c. Tanzanie (fond et réparations) », para 54.
9 Voir An Ao c. Tanzanie (fond), para 74 ; At Bm c. Tanzanie (fond et réparations), para 56.
10 Voir Requête No. 024/2015. Arrêt du 07 décembre 2018 (fond et réparations), Bu Ci c. République-Unie de Tanzanie (fond and réparations) »), para 49; Requête No. 001/2015. Arrêt du 07 décembre 2018 (fond et réparations), Cu Ai c. République-Unie de Tanzanie, para 56.
Vedastus c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520 529
conséquence l'exception soulevée.
B. Conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les parties
43. Les conditions qui ne sont pas en discussion entre les parties sont celles relatives à l'identité du requérant, à la compatibilité de la requête avec l'Acte constitutif de l’Union africaine, aux termes utilisés dans la requête, à la nature des preuves, au principe selon lequel la requête ne doit pas concerner des affaires qui ont été tranchées conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies ou de l’'Acte constitutif de l'Union africaine, soit aux dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine (alinéas 1, 2, 3, 4 et 7 de l’article 40 du Règlement). La Cour relève que rien dans le dossier n'indique qu’une de ces conditions n’a pas été remplie en l'espèce.
44. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la présente requête remplit toutes les conditions de recevabilité énoncées aux articles 56 de la Charte et 40 du Règlement et la déclare recevable en conséquence.
VII. Fond
45. Le requérant allègue la violation de droits garantis aux articles 2, 3 et 7 de la Charte. Dans la mesure où les allégations de violation des articles 2 et 3 découlent de l’allégation de violation de l’article 7, la Cour examine d’abord cette dernière.
A. Violation alléguée de l’article 7 de la Charte
46. Lerequérantallègue la violation de son droit à un procès équitable par les juridictions nationales, du fait qu’elles n’ont pris en compte ni les incohérences des éléments de preuve d’identification qui ont fondé sa condamnation ni son alibi et qu’elles ne lui ont pas fourni une assistance judiciaire.
i. Allégation d’incohérence des éléments de preuve
47. Le requérant affirme que dans les dépositions des quatre témoins à charge, il n’était pas identifié correctement comme étant l’auteur du crime de viol. || affirme également qu’il y avait des incohérences évidentes dans les dépositions des témoins à 530 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
charge quant à l'identité de l’auteur du crime de viol.
48. Il affirme en outre que du fait que l'infraction a été commise de nuit, les témoins ne pouvaient pas bien identifier l’auteur. Il soutient en conséquence que le tribunal de première instance n'aurait pas dû se fonder sur les dépositions de ces témoins à charge pour le déclarer coupable.
49. L'État défendeur réfute toutes les allégations du requérant comme étant sans fondement. Il fait valoir que celui-ci avait été correctement identifié, en particulier parce que les témoins le connaissaient avant la commission du crime et ils l’ont bien vu sur le lieu du crime.
50. L'État défendeur ajoute que l’un des témoins à charge était l'oncle du requérant et beau-frère de la victime ; qu’ils le connaissaient bien tous les deux et qu'ils l’ont donc facilement identifié comme étant l’auteur du crime. || affirme en outre que les preuves présentées par les témoins à charge étaient solides et concordantes.
51. Aux termes de l’article 7 de la Charte,
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
a. Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ;
b. Le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
c. Le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;
d. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale. »
52. La Cour tient à rappeler sa jurisprudence établie, d’après laquelle : « …les juridictions nationales jouissent d’une large marge d'appréciation pour évaluer la valeur probante des éléments de preuve, et qu’en tant que juridiction internationale des droits de l'homme, elle ne peut pas se Vedastus c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520 531
substituer aux juridictions nationales pour examiner les détails et les particularités des preuves présentées dans les procédures internes »."
53. De plus, la Cour réitère sa position au sujet des preuves qui servent de base à la condamnation d’un requérant :
« S'agissant en particulier des preuves qui ont servi de base à la condamnation du requérant, la Cour estime qu’il ne lui revient pas en effet de se prononcer sur leur valeur pour revoir cette condamnation. Toutefois, elle considère que rien ne lui interdit d'examiner ces preuves comme éléments du dossier qui lui est soumis, afin de voir si de façon générale, la manière dont le juge national les a appréciées a été conforme aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 7 de la Charte ».‘?
54. La Cour fait observer que lorsqu’une déclaration de culpabilité repose sur l'identification visuelle ou par la voix, tout risque d'erreur doit être écarté et l’identité du suspect établie avec certitude.* Cela exige que l'identification soit corroborée par d’autres preuves par indices et fasse partie d’une description logique et cohérente du lieu du crime.
55. En l'espèce, il ressort du dossier que les juridictions internes ont condamné le requérant sur la base des preuves d'identification visuelle présentées par quatre témoins à charge. Ceux-ci se sont immédiatement rendus sur les lieux du crime après avoir entendu les cris de la victime appelant au secours. Par ailleurs, les témoins connaissaient le requérant avant que le crime ne soit commis ; certains étaient ses voisins et d’autres ses parentés. Les juridictions nationales ont examiné les circonstances du crime pour écarter tout risque d'erreur et ont conclu que le requérant avait été formellement identifié comme étant l’auteur du crime
56. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l'appréciation des faits et des éléments de preuve par les juridictions internes et le poids qu’elles leur ont accordé ne révèlent aucune erreur manifeste et n’ont entraîné aucun déni de justice à l'égard du requérant qui nécessiterait son intervention. La Cour rejette donc l’allégation du requérant selon laquelle les juridictions nationales n’ont pas pris
11
12
Ch C By, para 66 ; Bv Av c. Tanzanie (fond), para 52.
13 Aw Ch C By (fond), op. cit., para 68 ; Cm Bs c. Tanzanie (fond) para 175 ; At Bm c. Tanzanie (fond et réparations), para 64 ; At Bm c. Tanzanie (fond et réparations), para 60.
14 At Bm c. Tanzanie (fond et réparations), para 60.
532 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
en compte les incohérences des éléments de preuve ayant fondé sa condamnation.
ii. Allégation selon laquelle l’alibi du requérant n’a pas été pris en compte
57. Le requérant affirme avoir été privé de son droit à un procès équitable, dans la mesure où le Tribunal de première instance et, par la suite, les juridictions d’appel n’ont pas tenu compte de son alibi.
58. L'État défendeur réfute ces allégations. || fait valoir que le Tribunal de première instance a rendu son jugement après s'être assuré que le requérant n’avait pu apporter le moindre élément susceptible de semer le doute sur le dossier sans faille du Ministère public.
59. Dans le même ordre d'idées, l’État défendeur soutient que les juridictions d'appel ont pleinement évalué l’alibi du requérant et l'ont déclaré non crédible.
60. L'État défendeur conclut sur ce point que l’alibi allégué par le requérant a été « déclaré sans valeur probante » et qu’il n’était en fait qu’une idée qui lui est venue après coup et qui ne devrait pas être prise en compte et que pour ces raisons, la requête est sans fondement et devrait être rejetée.
61. La Cour relève qu'aux termes de l’article 7(1) de la Charte : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ».
62. Dans ses arrêts antérieurs, la Cour a conclu « [q]u’un procès équitable requiert que la condamnation d’une personne à une sanction pénale et particulièrement à une lourde peine de prison, soit fondée sur des preuves solides. C’est tout le sens du droit à la présomption d’innocence consacré également par l’article 7 de la Charte ».°
63. La Cour rappelle également que dans un arrêt antérieur, elle avait estimé que « lorsqu’un alibi est établi avec certitude, il peut être
15 Cm Bs c. Tanzanie (fond), para 174; Requête No. 016/2016. Arrêt du 21 septembre 2018 (fond et réparations), Bk Ca c. République-Unie de Tanzanie, para 72.
Vedastus c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520 533
décisif sur la question de la culpabilité de la personne poursuivie
64. La Cour relève que selon l’alibi invoqué par le requérant, celui-ci était au marché de Busulwa où il vendait de la canne à sucre au moment où le crime a été commis. Cette affirmation a toutefois été réfutée par le témoin à charge PW1, un voisin qui lors du contre-interrogatoire, a affirmé que le requérant ne pouvait pas se rendre au marché de Busulwa le 19 août 2005, du fait que c'était un vendredi et que ce n’était donc pas un jour de marché. De plus, le requérant n’a fourni aucun élément pour corroborer son alibi. La Cour constate en outre que rien dans le dossier n’indique que dans leur jugement les juridictions nationales ont commis des erreurs manifestes, qui nécessiteraient son intervention.
65. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation du requérant selon laquelle les juridictions nationales n’ont pas examiné son alibi et dit que le droit du requérant à un procès équitable n’a pas été violé.
iii. Défaut allegué de fournir une assistance judiciaire au requérant
66. Selon le requérant, l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte, pour ne lui avoir pas fourni une assistance judiciaire, pendant son procès, tant en première instance qu’en appel.
67. L'État défendeur soutient que le fait que le requérant n’avait pas bénéficié d’une assistance judiciaire n’a entraîné aucun déni de justice. Citant l’article 7(1)(c) de la Charte, l’État défendeur affirme que le requérant a délibérément pris la décision d’assurer lui-même sa défense. L'État défendeur cite également l'affaire Bb c. France,” dans laquelle la Cour européenne des droits de l'homme a estimé qu’un accusé qui décide d'assurer lui- même sa défense doit faire preuve de diligence, et soutient que le requérant ne l’a pas fait. L'État défendeur affirme donc qu'il n’a pas violé le droit du requérant à l’assistance judiciaire.
68. Selon l’État défendeur, les dispositions de l’article 7(1)(c) ne précisent donc pas suffisamment que l’État doit fournir une assistance judiciaire gratuite pour chaque procès en matière pénale et que si le requérant souhaite être représenté devant une
16 Cm Bs c. Tanzanie (fond), para 191; Requête No. 006/2015. Arrêt du 23 mars 2018 (fond), Cc Ah and Aa Cc c. République-Unie de Tanzanie, para 104.
17 Affaire Bb c. France, Requête No. 12914/87, 22 juin 1993, CEDH, Series A, 261.
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juridiction, il est tenu d’en formuler la demande auprès de l’État ou des organisations non gouvernementales. L'État défendeur soutient en outre que le droit à la représentation juridique n’est pas un droit absolu et que la personne accusée doit en faire la demande, ce droit étant tributaire de la disponibilité des ressources financières.
69. La Cour note que l’article 7(1)(c) de la Charte ne prévoit pas explicitement le droit à une assistance judiciaire gratuite. Toutefois, la Cour de céans a interprété ces dispositions à la lumière de l’article 14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après dénommé « le PIDCP »),'® et conclu que le droit à la défense comprend celui de bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite.’ La Cour a également établi que toute personne accusée d’une infraction pénale a droit à une assistance judiciaire gratuite sans être obligée d’en faire la demande, lorsque l'intérêt de la justice l'exige. C’est le cas lorsque la personne poursuivie est indigente et est accusée de délit grave, passible d’une peine
70. La Cour fait observer que le requérant n’a pas bénéficié d’une assistance judiciaire gratuite tout au long de la procédure devant les juridictions nationales. Elle relève en outre que l’État défendeur ne conteste pas que le requérant est indigent, que l'infraction est grave et que la peine prévue par la loi est lourde, mais il se contente d’affirmer que le requérant n’a pas fait de demande d’assistance judiciaire.
71. Étant donné que le requérant était accusé d’un crime grave, à savoir viol sur une mineure âgée de 12 ans, passible d’une lourde peine obligatoire de trente (30 ans de réclusion,” l'intérêt de la justice exigeait que le requérant bénéficie d’une assistance
18 L'État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juin 1976.
19 An Ao c. Tanzanie (fond), para 114 ; voir aussi Aw Ch C By (fond), para 72 ; Requête No. 003/1015. Arrêt du 28 septembre 2018 (fond), At Ac Bo et un autre c. Tanzanie, para 104.
20 An Ao, Ibid., para 123. Voir aussi Cm Bs c. Tanzanie (fond), paras 138 et 139.
21 Le juge n’exerce pas de discrétion dans l'imposition de la peine.
Vedastus c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520 535
judiciaire gratuite, qu’il en ait fait la demande ou non, sans que cela ne soit subordonné à la disponibilité de ressources financières. De plus, le fait qu’il en ait fait la demande ou non est sans objet. 72. La Cour conclut donc que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte, pour ne lui avoir pas fourni une assistance judiciaire.
B. Violation alléguée du droit à la non-discrimination et
du droit à l’égalité devant la loi et à une égale
protection de la loi
73. Le requérant soutient que les violations de son droit à un procès équitable démontrent également qu’il n’a pas bénéficié d’un traitement égal devant la loi et qu’il a fait l’objet de discrimination de la part des juridictions nationales.
74. L'État défendeur réfute ces allégations et exige du requérant d’en rapporter la preuve irréfutable.
75. L'article 2 de la Charte est libellé comme suit : « Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte, sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de tout autre situation ». 76. Aux termes de l’article 3 de la Charte, « [t]outes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi » et « ont droit à une égale protection de la loi ».
77. La Cour constate que le requérant n’a ni démontré ni étayé en quoi il a fait l’objet de discrimination ou de traitement différent ou inégal ayant entraîné une discrimination au sens des critères énoncés aux articles 2 et 3 de la Charte.
78. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le droit du requérant à la non-discrimination, son droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, droits garantis aux articles 2 et 3 de la Charte, n’ont pas été violés par l’État défendeur.
79. Aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [lorsqu'elle estime 536 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
80. La Cour rappelle ses arrêts antérieurs et réitère sa conclusion que « [p]our examiner les demandes en réparation des préjudices résultants des violations des droits de l'homme, elle tient compte du principe selon lequel l’État reconnu auteur d’un fait internationalement illicite a l'obligation de réparer intégralement les conséquences de manière à couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime ».??
81. La Cour rappelle également que l’objet de la réparation étant d'assurer notamment une restitution intégrale, celle-ci « [djoit autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis ».?*
82. Les mesures qu’un État doit prendre pour réparer une violation des droits de l'homme doivent inclure la restitution, l'indemnisation, la réadaptation de la victime ainsi que les mesures propres à garantir la non répétition des violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire.
83. La Cour rappelle également, en ce qui concerne la question du préjudice matériel, que la règle générale est qu’il doit exister un lien de causalité entre la violation alléguée et le préjudice causé et que la charge de la preuve incombe au requérant qui doit fournir les preuves justificatives de ses prétentions. Pour ce qui est du préjudice moral, la norme de la preuve n’est pas aussi rigide : la Cour peut invoquer des présomptions en faveur du requérant.
22 Cm Bs c. Tanzanie (fond), para 242 (ix) ; Requête No. 003/2014. Arrêt du 07 décembre 2018 (réparations), Ay Bp Au c. République du Rwanda (ci-après dénommé « Ay Au c. Rwanda » (réparations), para 19.
23 Requête No. 007/2013. Arrêt du 04 juillet 2019 (réparations), Cm Bs c. Tanzanie, para 21 ; Requête No. 005/2013. Arrêt du 04 juillet 2019 (réparations), An Ao c. Tanzanie, para 12. Requête No. 006/2013. Arrêt du 04 juillet 2019 (réparations), Ak Bf Aq et 9 autres c. Tanzanie, para 16.
24 Ay Au c. Rwanda (réparations), para 20.
25 Requête No. 011/2011. Arrêt du 13 juin 2014 (réparations), Cl Cn Bj Aj c. République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommé « Cl Cn Bj Aj c. Tanzanie (réparations) »), para 40; Requête No. 004/2013. Arrêt du 03 juin 2016 (réparations), Cq Az Ad c. As Ar (ci-après dénommé « Cq Az Ad c. As Ar (réparations) »), para 15.
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Réparations pécuniaires
84. Dans ses observations sur les réparations, le requérant affirme qu'avant son incarcération, il était cultivateur de canne à sucre et que les revenus tirés de la vente de la canne à sucre étaient d’un million (1 000 000) de shillings tanzaniens par mois.
85. Le requérant affirme en outre qu’il avait une famille avant son incarcération mais qu’il ne sait pas où elle se trouve actuellement. Il ajoute qu’il était propriétaire d’une maison qui a été détruite par des inconnus. Enfin, il affirme qu’il est victime d’une machination et que sa condamnation avait pour seul but de l’anéantir. Il demande en conséquence à la Cour de lui octroyer un montant total de 1 milliard (1 000 000 000) de shillings tanzaniens à titre de « compensation ».
86. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparations formulée par le requérant.
87. La Cour fait observer qu’elle a déjà conclu que l’État défendeur a violé le droit du requérant à un procès équitable, du fait que celui-ci n’a pas bénéficié d’une assistance judiciaire. À cet égard, la Cour rappelle sa position concernant la responsabilité de l’État, à savoir que « [t]oute violation d’une obligation internationale ayant causé un préjudice entraîne l’obligation de fournir une réparation adéquate ».*
88. La Cour relève en outre que le requérant ne présente aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes de réparation ; il se contente de les énumérer. En conséquence, la Cour rejette la demande d’un milliard (1 000 000 000 de shillings tanzaniens, au motif que cette réclamation n’est pas étayée.
89. Toutefois, la Cour relève que la violation constatée a causé un préjudice au requérant et elle lui accorde, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, un montant forfaitaire de trois cent mille (300 000)
26 Voir Cl Cn Aj c. Tanzanie (réparations), para 27 et Requête No. 010/2005. Arrêt du 11 mai 2018 (fond), Ct Cj c. Tanzanie, para 83 ; At Bm c. Tanzanie, para 89. Bi Bc Ae c. Tanzania (fond et réparations), para 116.
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shillings tanzaniens, à titre de juste compensation.”
B. Réparations non pécuniaires
90. Le requérant demande à la Cour d’ordonner sa remise en liberté. 91. L'État défendeur demande à la Cour de dire que la peine prononcée à l'égard du requérant est conforme à la loi et de rejeter en conséquence sa demande de remise en liberté
92. S'agissant de la demande de remise en liberté du requérant, la Cour a indiqué dans le passé qu’« [e]lle ne peut ordonner la remise en liberté du requérant que dans des circonstances exceptionnelles ou impérieuses».? Tel serait le cas, par exemple, « [s]i un requérant démontre à suffisance ou si la Cour elle- même établit, à partir de ses constatations, que l'arrestation ou la condamnation du requérant repose entièrement sur des considérations arbitraires et que son emprisonnement continu résulterait en un déni de justice».
93. En l'espèce, la Cour estime que le requérant n’a pas démontré l'existence de circonstances exceptionnelles ou impérieuses et la Cour n'en a pas constaté pour justifier une remise en liberté. La Cour estime en outre que le droit du requérant à une assistance judiciaire gratuite a été violé mais que cela n’a pas affecté l'issue de son procès.
94. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette la demande de remise en liberté du requérant.
27 Voir Requête No. 020/2016. Arrêt du 21 septembre 2018 (fond et réparations), Bw Am c. Tanzanie, para 107 ; Requête No. 027/2015. Arrêt du 21 septembre 2018 (fond et réparations), Bt Ax c. Tanzanie, para 85.
28 An Ao c. Tanzanie (fond), op. cit, para 157 ; Bk Ca c. Tanzanie (fond), para 101 ; Bt Ax c. Tanzanie (fond et réparations), para 82 ; Requête No. 006/2016. Arrêt du 07 septembre 2018 (fond), Cf Bh Be c. Tanzanie, para 84 ; Aw Ch C By (fond), para 96 ; Cu Ai c. Tanzanie (fond et réparations), para 164.
29 Bt Ax c. Tanzanie (fond et réparations), para 82.
30 Ibid, para 84.
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IX. Sur les frais de procédure
95. Conformément à l’article 30 de son Règlement, « [à] moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédures ».
96. Dans leurs observations, chacune des parties demande à la Cour d’ordonner que les frais de procédure soient à la charge de l’autre.
97. En l’espèce, la Cour décide que chaque partie supportera ses propres frais de procédure.
X. Dispositif
98. Par ces motifs :
La Cour,
À l’unanimité :
Sur la compétence
i. Rejette l'exception d’incompétence matérielle de la Cour ;
ii. Déclare qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1) de la Charte en ce qui concerne l'appréciation des preuves d'identification et de l’alibi du requérant.
vi. Dit que l’État défendeur a violé le droit du requérant à un procès équitable, pour ne lui avoir pas fourni une assistance judiciaire, en violation des articles 7(1)(c) de la Charte et 14(3)(d) du PIDCP.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
vii. Fait droit à la demande du requérant relative à la réparation du préjudice subi et lui accorde la somme de trois-cent mille (300 000) shillings tanzaniens ;
vi. Ordonne à l’État défendeur de verser au requérant le montant indiqué ci-dessus, en franchise d'impôts, dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, faute de quoi il paiera des intérêts moratoires calculés sur la base du taux en vigueur de la Banque centrale de la République-Unie de Tanzanie pendant toute la période de retard de paiement et, ce, jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
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Réparations non pécuniaires
ix. Rejette la demande du requérant d’être remis en liberté.
Sur la mise en œuvre du présent arrêt et l'établissement de rapports x. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six mois, à compter de la date de notification du présent arrêt, un rapport sur les mesures prises pour mettre en œuvre le présent arrêt.
Sur les frais de procédure
xi. Décide que chaque partie supporte ses frais de procédure.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 025/2015
Date de la décision : 26/09/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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