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28/11/2019 | CADHP | N°014/2015

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 novembre 2019, 014/2015


Texte (pseudonymisé)
654 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations)
3 RJCA 654 (2019)
(2019) Requête 014/2015, Jibu Amir alias Bh et Ad Bz alias Bd c.
République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 28 novembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Les requérants ont été reconnus coupables et condamnés à 30
ans d'emprisonnement pour vol à main

armée. Ils ont affirmé que la
condamnation était « irrégulière » et qu»ils se sont vus refuser le...

654 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations)
3 RJCA 654 (2019)
(2019) Requête 014/2015, Jibu Amir alias Bh et Ad Bz alias Bd c.
République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 28 novembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Les requérants ont été reconnus coupables et condamnés à 30
ans d'emprisonnement pour vol à main armée. Ils ont affirmé que la
condamnation était « irrégulière » et qu»ils se sont vus refuser le droit à
une assistance judiciaire gratuite et n’ont pas été informés de leur droit à
une représentation légale. La Cour a estimé que les requérants avaient
été reconnus coupables et condamnés sur la base de la législation en
vigueur au moment de la commission du crime. Cependant, la Cour
a estimé que le fait de ne pas fournir aux requérants une assistance
judiciaire gratuite et des informations sur leur droit d’être représentés
viole la Charte.
Compétence (compétence matérielle, 18)
Recevabilité (épuisement des recours internes, recours constitutionnel,
35, 36 ; griefs déjà soulevés devant la Cour, 37 ; introduction dans un
délai raisonnable, 49-51)
Procès équitable (légalité, 67 ; assistance judiciaire gratuite, 77-79)
Réparations (dommages-intérêts pour préjudice moral, 94, 95)
Opinion individuelle : BENSAOULA
Recevabilité (épuisement des recours internes, 18 ; introduction dans
un délai raisonnable, 23)
Les parties
Les sieurs Jibu Amir alias Bh et Ad Bz alias Bd (ci- après dénommés « les requérants ») sont des ressortissants tanzaniens qui purgent actuellement une peine de 30 ans de réclusion chacun à la prison centrale d'Ukonga à Dar-es-Salaam, pour vol à main armée.
La requête est déposée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après désignée « l’État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. En outre, l'État défendeur a déposé, le 29 mars Il Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 655
2010, la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il a accepté la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes de particuliers et d'ONG.
Objet de la requête
Les faits de la cause
Il ressort du dossier devant la Cour de céans que le 31 décembre 2001, à 19 heures, les requérants, en association avec d’autres personnes qui ne comparaissent pas devant cette Cour, ont volé une somme de douze mille (12 000 ) shillings tanzaniens au préjudice de Bx Br dans sa boutique. Au cours du vol, l’un des requérants, Ax Bh, a tiré avec un pistolet sur Bx Br et son épouse Bl Br qui essayaient de s'enfuir. Bx Br a en outre été blessé à la machette par l’autre requérant, Ad Bd, pour le contraindre à leur remettre de l'argent, ce qu’il a finalement fait. Après quoi, les requérants ont pris la fuite. Par la suite, les voisins des victimes sont accourus sur les lieux du crime et les ont conduites au poste de police de Temeke, puis à l'hôpital.
Trois (3) des témoins à charge, à savoir PW1, PW2 et PW3, ont déclaré devant le Tribunal de district de Temeke à Dar-es-Salaam qu'ils se trouvaient sur les lieux du vol. En outre, PW1 a témoigné qu'il avait servi les requérants dans sa boutique le jour du crime, tandis que PW2 ne pouvait identifier que le deuxième requérant. Les requérants ont ensuite été traduit le 25 février 2004 devant le Tribunal de district, qui les a reconnus coupables de vol à main armée conformément aux articles 285 et 286 du Code pénal de l’État défendeur, et condamnés à une peine de 30 ans de réclusion.
S'estimant lésés par la déclaration de culpabilité et la peine prononcée à leur encontre, les requérants ont fait appel devant la Haute cour de Tanzanie, puis devant la Cour d’appel qui les ont déboutés les 21 juin 2009 et 14 avril 2011 respectivement. Les requérants ont alors formé le 19 avril 2011 un recours en révision de leur procès, qui a lui aussi été rejeté le 20 mars 2015.
Violations alléguées
Les requérants allèguent que l’État défendeur leur a infligé une peine «abusive» et a également ignoré leur droit à une assistance judiciaire gratuite, soulignant qu’en conséquence, l’État défendeur 656 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
a violé leurs droits protégés par la Constitution tanzanienne et par les articles 1, 2, 3, 6 et 7(1)(c) et (2) de la Charte.
IN. Procédure
8. La requête a été reçue le 6 juillet 2015 et signifiée à l’État défendeur et aux entités énumérées à l’article 35(3) du Règlement respectivement les 23 septembre 2015 et 19 octobre 2015.
9. Les parties ont reçu chacune les observations de l’autre et ont déposé leurs conclusions dans le délai imparti par la Cour.
10. Le 24 septembre 2019, la Cour a informé les parties de la clôture de la procédure écrite.
IV. Mesures demandées par les parties
11. Les requérants demandent les mesures suivantes à la Cour :
«i. Dire que l’État défendeur a violé leurs droits garantis par les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7(1)(c) et (2) de la Charte africaine;
ii. Enjoindre à l’État défendeur de les remettre en liberté étant donné qu’ils ont déjà purgé la peine prévue aux articles 285 et 286 du Code pénal, le vol ayant été commis le 31 décembre 2001;
iii. Ordonner des réparations en leur faveur si leurs demandes et leur requête sont fondées;
iv. Dire que l’État défendeur lui fasse rapport sur la mise en œuvre de l’arrêt qu’elle rendra… ».
12. L'État défendeur demande à la Cour de dire:
«i. Que la Cour de céans n’est pas compétente pour statuer sur la requête;
ii. Que la requête ne satisfait pas aux conditions de recevabilité énoncées à l’article 40(6) du Règlement de la Cour;
iii. Que les frais de procédure sont à la charge des requérants;
iv. Que la peine de 30 ans imposée par l’État défendeur n’enfreint ni la Charte ni sa Constitution et est donc légale;
v. Que l’État défendeur n’a violé aucun des droits des requérants tel
V. Compétence
13. Conformément à l’article 3 du Protocole:
"1. [Na Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 654 657
«2.En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide ».
14. Conformément à l’article 39(1) du Règlement, «La Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence …».
15. L'État défendeur a soulevé des exceptions d’incompétence matérielle de la Cour.
Exceptions d’incompétence matérielle
16. L'État défendeur affirme que les requérants ont soulevé pour la première fois devant la Cour de céans deux allégations pour lesquelles ils lui demandent de statuer comme une juridiction de première instance, et qui portent sur l’inconstitutionnalité de la peine et leur droit de se faire représenter par un conseil.
17. Les requérants soutiennent que l’article 3(1) du Protocole habilite la Cour à interpréter et appliquer la Charte. Ils font valoir que la Cour est compétente, leur requête alléguant la violation de droits protégés par la Charte.
18. La Cour, invoquant l’article 3 du Protocole, a toujours conclu qu’elle a compétence matérielle dès lors que la requête dont elle est saisie allègue la violation des droits de l'homme et que, pour qu’elle puisse exercer sa compétence, il suffit que l’objet de la requête se rapporte aux droits garantis par la Charte ou par tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme ratifié par
19. En l'espèce, la Cour fait observer que les requérants invoquent dans leur requête des allégations de violation des droits de
Voir Bk An c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2015) 1 RICA 465 para 45; Bx Ar Ae et autres c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RICA 358 (« Bx Ae c. Tanzanie (recevabilité)»), para 115; Ci Au Ay c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RICA 398, para 114; Requête No. 20/2016. Arrêt du 21 septembre 2018 (fond et réparations), Bm Bi c. République-Unie de Tanzanie («Bm Bi c. Tanzanie (fond et réparations) »), para 25 ; Requête No. 001/2015. Arrêt du 7 décembre 2018 (fond et réparations), Cq Bc c. République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommé «Cq Bc c. Tanzanie (fond et réparations)»), para 31; Requête No. 024/15. Arrêt du 7 décembre 2018 (fond et réparations), Bp Ai c. République-Unie de Tanzanie (« Bp Ai c. Tanzanie (fond et réparations) », para 29.
658 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l'homme protégés par les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la Charte. En vertu de l’article 3 du Protocole, l'examen de ces allégations relève du mandat de la Cour, qui consiste à interpréter et à appliquer la Charte et tout autre instrument international pertinent des droits de l’homme ratifiés par l’État défendeur.
20. De ce fait, la Cour a compétence pour examiner et se prononcer sur la requête.
21. En conséquence, la Cour rejette cette exception de l’État défendeur et déclare qu’elle a la compétence matérielle.
B. Autres aspects de la compétence
22. La Cour relève que l’État défendeur n’a pas contesté sa compétence personnelle, temporelle et territoriale et que rien dans le dossier n’indique qu’elle n’a pas ces compétences. La Cour en conclut qu’elle a:
i. La compétence personnelle, étant donné que l’État défendeur est partie au Protocole et a fait la déclaration prévue à l’article 34(6) dudit Protocole, par laquelle il a accepté que les requérants, conformément à l’article 5(3) du même Protocole, déposent la requête en l’espèce.
ii. La compétence temporelle compte tenu du fait que les violations alléguées sont de nature continue, les requérants étant toujours condamnés sur la base de ce qu’ils considèrent comme des
iii. La compétence territoriale étant donné que les faits de la cause se sont produits sur le territoire d’un État partie au Protocole, en l'occurrence, l’État défendeur.
23. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître de l'espèce.
24. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, «la Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte». Conformément à l’article 39(1) de son Règlement, «[I]a Cour procède à un examen préliminaire .…. des conditions de la recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l’article
2 Voir Ayants droits de feus Ap Bw, Bu Ab dit Ablasse, Cc Bw et Blaise IIboudo et Mouvement Burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Aq Ba (exceptions préliminaires) (2013) RICA 204, paras 71 à Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 659
40 du Règlement».
25. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance le contenu de l’article 56 de la Charte, dispose comme suit:
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après:
1. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale;
6. Être introduite dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine ».
Conditions de recevabilité en discussion entre les parties
26. L'État défendeur soutient que la requête ne satisfait pas à deux conditions de recevabilité, à savoir l'épuisement des recours internes prévue à l’article 40(5) du Règlement et le dépôt de la requête dans un délai raisonnable après l'épuisement des recours internes, en vertu de l’article 40(6) du Règlement.
Exception d’irrecevabilité relative au non-épuisement des recours internes
27. L'État défendeur, citant la décision de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples dans l'affaire Cg Al Cr Cn A Bs et autres c. Tanzanie, affirme que l'exigence d’épuisement des recours internes est un principe essentiel en droit international et que ce principe exige du plaignant qu’il « utilise tous les recours judiciaires » devant les tribunaux nationaux avant de saisir un organe international 660 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
comme la Cour.
28. À cet égard, l’État défendeur fait valoir que les requérants disposaient de recours judiciaires qu’ils auraient dû épuiser. Il soutient qu’il a promulgué la loi relative à l'application des droits et devoirs fondamentaux pour mettre à disposition la procédure à suivre afin de faire respecter les droits constitutionnels et fondamentaux énoncés à l’article 4 de cette loi.
29. L'État défendeur affirme que les droits invoqués par les requérants sont énoncés à l’article 13(6)(a) de la Constitution de Tanzanie de 1977, et fait valoir que même si les requérants allèguent de la violation de leurs différents droits reconnus par la Constitution, ils n’ont pas soulevé ces allégations lors du procès devant la Haute cour comme l'exige l’article 9(1) de la loi relative à l’application des droits et devoirs fondamentaux.
30. L'État défendeur soutient que les requérants n’ayant pas saisi la Haute cour de la violation de leurs droits ou n'ayant pas soulevé cette question lors du procès, l'ont privé de toute possibilité de réparer la violation alléguée au niveau interne.
31. En outre, l’État défendeur réaffirme que les requérants soulèvent pour la première fois ces allégations devant la Cour de céans et qu’il n’a donc jamais eu la possibilité de les examiner devant les tribunaux nationaux.
32. Les requérants conviennent que le droit international des droits de l'homme reconnaît effectivement le principe de l'épuisement des recours internes. Mais, ils soutiennent qu'après avoir été condamnés par le Tribunal de district, ils ont interjeté appel devant la Haute cour et la Cour d'appel, puis ont formé un recours en révision de la décision de la Cour d’appel devant cette même Cour. Ils affirment donc que «tous les recours internes disponibles ont été complètement épuisés».
33. Invoquant l’arrêt de la Cour dans l'affaire Bk An c. République-Unie de Tanzanie, les requérants affirment qu'après avoir saisi la Cour d’appel, il n’aurait pas été raisonnable d'introduire une nouvelle affaire relative aux droits de l'homme devant la Haute cour, juridiction inférieure à la Cour d'appel.
34. La Cour note que conformément à l’article 40(5) du Règlement, une requête déposée devant elle doit satisfaire à la condition d’épuisement des recours internes. La règle de l'épuisement des Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 661
recours internes renforce la primauté des tribunaux nationaux par rapport à la Cour, dans la protection des droits de l'homme et, dès lors, vise à donner aux États la possibilité de faire face aux violations des droits de l'homme commises sur leur territoire avant qu’une instance internationale de défense des droits de l'homme ne soit appelée à déterminer la responsabilité des États dans de telles violations.°
35. Dans sa jurisprudence constante, la Cour a toujours jugé qu’un requérant n’est tenu d’épuiser que les recours judiciaires ordinaires. En outre, dans nombre d’affaires impliquant l’État défendeur, la Cour a conclu maintes fois répété que les recours en inconstitutionnalité et en révision, dans le système judiciaire tanzanien, sont des recours extraordinaires que les requérants ne sont pas tenus d’épuiser avant de la saisir.”
36. En l’espèce, il ressort du dossier que les requérants ont fait appel de leur condamnation et de leur peine devant la Haute cour, appel rejeté le 21 juin 2009, puis devant la Cour d'appel de Tanzanie, organe judiciaire suprême de l’État défendeur, qui a le 14 avril 2011 confirmé les décisions de la Haute cour et du Tribunal de district. En plus d’avoir exercé les recours judiciaires ordinaires, les requérants ont également tenté, bien que sans succès, la procédure de recours en révision devant la Cour d'appel. L'État défendeur avait donc l'opportunité de remédier aux violations dénoncées.
37. En ce qui concerne les griefs soulevés devant cette Cour pour la première fois, à savoir l’illégalité de la peine infligée aux requérants et le refus de l'assistance judiciaire gratuite, la Cour relève que les violations alléguées se sont produites au cours de la procédure devant les juridictions internes. La Cour estime donc que ces griefs font partie du « faisceau de droits et garanties» objet ou fondement de leurs recours en appel, griefs que les juridictions nationales ont donc amplement eu la possibilité de réparer, même si les requérants ne les ont pas explicitement soulevés.“
Requête No. 006/2012. Arrêt du 26 mai 2017. Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya, paras 93-94.
Bk An c. République-Unie de Tanzanie (fond), para 64. Voir également la Requête No. 006/2013. Arrêt du 18 mars 2016 (fond), Aj Av Ag et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie, para 95.
Voir Bk An c. Tanzanie (fond), (2015) 1 RICA 482 op. cit., para 65; Ah Bn c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 624, paras 66-70 ; Ck Ao c. République-Unie de Tanzanie (fond), para 44.
Requête No 003/2015. Arrêt du 28 septembre 2017 (fond), At Ac Am et un autre c. République-Unie de Tanzanie, (ci-après dénommé « At Ac Am et un autre c. Tanzanie (Fond)), para 54 662 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
Il serait par ailleurs déraisonnable d'exiger des requérants qu'ils déposent une nouvelle requête devant les juridictions internes pour demander réparations de ces violations.” Les requérants sont donc réputés avoir épuisé les recours internes par rapport à ces griefs.
38. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité de l’État défendeur relative au non-épuisement des recours internes.
iii Exception d’irrecevabilité relative au non-dépôt de la requête dans un délai raisonnable
39. L'État défendeur soutient que les requérants ne se sont pas conformés à l'exigence énoncée à l’article 40(6) du Règlement, selon laquelle une requête doit être déposée devant la Cour de céans dans un délai raisonnable après l'épuisement des recours internes. Il affirme que l'affaire des requérants devant les juridictions nationales s’est achevée le 14 avril 2011 et que les requérants ont déposé leur requête devant la Cour quatre (4) ans et trois (3) mois plus tard.
40. L'État défendeur attire l’attention de la Cour sur le fait que même si l’article 40(6) du Règlement ne fixe pas le délai dans lequel les individus sont tenus de déposer une requête, la Commission africaine dans l'affaire Ch Be c. Zimbabwe (2008), ainsi que les Cours interaméricaine et européenne des droits de l'homme ont estimé qu’une période de six (6) mois constituait un délai raisonnable.
41. L'État défendeur affirme en outre que les requérants n’ont pas fait mention de quelque obstacle qui les aurait empêchés d'introduire la requête dans un délai de six (6) mois et, pour cette raison, soutient que la requête, mérite d’être déclarée irrecevable.
42. Dans leur réplique, les requérants soutiennent que le recours en révision de la décision de la Cour d’appel a été rejeté le 20 mars 2015, soit trois (3) mois et six (6) jours avant le dépôt de la requête devant la Cour de céans.
43. Citant la jurisprudence de la Cour dans les affaires Ci Au Ay B Bv et Ck Ak B Bv, les requérants soutiennent que la Cour de céans a refusé d'appliquer la période de six (6) mois que l’État défendeur considère comme norme de délai raisonnable dans la jurisprudence internationale
7 Bk An c. Tanzanie (fond) paras 60 à 65 ; At Ac Am et un autre c. République-Unie de Tanzanie, para 54.
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 663
en matière de droits de l'homme.
44. Les requérants ont également cité à l'appui de leur affirmation l'affaire Ap Bw c. Aq Ba dans laquelle la Cour a conclu que le caractère raisonnable du délai doit être apprécié au cas par cas. À cet égard, ils soutiennent que la Cour devrait considérer le fait qu’ils soient profanes et incarcérés et qu’ils n’aient pas bénéficié de l’assistance judiciaire lors de la procédure devant les juridictions internes, comme des circonstances atténuantes dans son appréciation du caractère raisonnable ou non du délai de sa saisine.
45. La Cour fait observer que l’article 56(6) de la Charte ne fixe pas un délai pour sa saisine. L'article 40(6) du Règlement, qui en reprend la substance, mentionne juste un « délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ». La Cour rappelle sa jurisprudence établie selon laquelle « … le caractère raisonnable d’un délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire et doit être apprécié au cas par cas ».°
46. Il ressort du dossier que les recours internes ont été épuisés le 14 avril 2011, avec l'arrêt prononcé par la Cour d'appel. En principe, cette date est celle à partir de laquelle le délai raisonnable, au sens des articles 40(6) du Règlement et 56(6) de la Charte, doit être calculé.
47. En l'espèce, la requête a été déposée devant la Cour le 6 juillet 2015, soit quatre (4) ans et deux (2) mois et vingt-trois (23) jours après l'épuisement des recours internes. La principale question à trancher c'est de savoir si un retard de quatre ans et deux mois est, dans les circonstances de l'espèce, raisonnable, au sens de
Voir Ayants droit de feus Ap Bw, Bu Ab alias Ablasse, Cc Bw, Blaise llboudo et Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Aq Ba (fond) (2014) 1 RICA 226 op.cit., para 121; At Cl c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), para 51; Bq Au c. République-Unie de Tanzanie (fond), para 24; Arrêt du 28 mars 2019 (fond). Bg Bb Af c. République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « Bg Bb Af c. Tanzanie (fond et réparations) »), para 54.
664 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l’article 40(6) du Règlement.
48. La Cour relève du dossier qu’à la suite du rejet de leur recours en appel, les requérants, le 19 avril 2011, ont saisi la Cour d'appel d’une requête en révision, rejetée le 20 mars 2015. La Cour fait observer que les requérants ont exercé le recours en révision alors même qu'il s'agissait d’un recours extraordinaire.
49. De l'avis de la Cour, le fait que les requérants aient tenté d'exercer le recours en révision ne doit pas être utilisé à leur détriment et doit être considéré comme facteur de détermination du délai raisonnable au sens de l’article 40(6) du Règlement.® À cet égard, la Cour prend note du fait que les requérants ont déposé leur requête devant cette Cour seulement trois mois après le rejet de leur demande de réexamen par la Cour d'appel le 20 mars 2015. 50. La Cour relève que les requérants sont profanes, incarcérés et n’ont pas bénéficié de l'assistance gratuite d’un avocat.
51. Étant donné ces circonstances, la Cour estime que le délai de quatre (4) ans et deux (2) mois et vingt-trois (23) jours mis pour déposer la requête devant elle est raisonnable au sens de l’article 40(6) du Règlement et de l’article 56(6) de la Charte.
52. Sur la base de ce qui précède, la Cour rejette l'exception d'irrecevabilité relative au non-respect par les requérants de la condition du dépôt de la requête dans un délai raisonnable après épuisement des recours internes.
B. Conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les parties
53. La Cour constate que le respect des conditions énoncées à l’article 40, alinéas 1, 2, 3, 4 et 7 du Règlement et relatives respectivement à l'identité du requérant, aux termes utilisés dans la requête, à la compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l'Union africaine, à la nature des preuves présentées et au règlement antérieur de l'affaire, n’est pas en discussion entre les parties, et que rien dans le dossier n'indique que ces conditions n’ont pas été respectées.
54. En conséquence, la Cour estime que toutes les conditions de recevabilité ont été remplies et que la requête est recevable.
9 Voir Cq Bc c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), para 56; Requête No. 024/2015. Bp Ai c. Tanzanie (fond et réparations), para 49.
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 665
VII. Fond
55. Les requérants allèguent la violation des articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 9 de la Charte. La Cour note toutefois que les griefs des requérants se limitent à trois allégations, notamment:
a. |llégalité de la déclaration de culpabilité et de la peine prononcée contre les requérants;
b. Défaut d’assistance judiciaire gratuite aux requérants;
c. Déni du droit à l'information;
En ce qui concerne d'autres allégations relatives à la violation des articles 1, 2, 3, 4, 5 et 6 de la Charte, la Cour estime qu’il n'est pas nécessaire de les examiner. En conséquence, elle Cour limitera son évaluation aux trois questions susmentionnées.
A. Allégation relative à l’illégalité de la déclaration de culpabilité et de la peine
56. Les requérants allèguent qu’ils ont été inculpés et condamnés pour vol qualifié en vertu des articles 285 et 286 du Code pénal, qui prévoient pour cette infraction une peine de quinze (15) ans
57. Les requérants soutiennent que l’argument de l’État défendeur selon lequel les articles 285 et 286 du Code pénal devraient être lus conjointement avec l’article 5(b) de la loi sur la détermination de la peine minimale «est sans fondement».
58. Les requérants affirment que le Code pénal, qui définit l'infraction de vol à main armée, prévoit une peine moins lourde que la loi sur les peines minimales, qui prescrit une peine de trente ans de réclusion; ils ajoutent que la disposition du Code pénal qui établit l'infraction remplace donc la loi sur les peines minimales. Les requérants font ainsi valoir que les juridictions internes se sont fourvoyées en les condamnant à une peine de trente (30) ans de réclusion.
59. L'État défendeur réfute toutes les allégations soulevées par les requérants, notant que trente (30) ans de réclusion est la peine applicable pour vol avec violence, conformément aux articles 285 et 286 du Code pénal, lus conjointement avec l’article 5(b) de la loi de 1972 sur les peines minimales, modifiée par la loi No. 10 de 1989 et la loi No. 6 de 1994.
60. L'État défendeur affirme que l’article 5(b) (ii) de la loi sur les peines minimales s'applique à «tout vol qualifié commis par son auteur au moyen d’une arme ou d’un instrument dangereux» ou en compagnie d’un ou de plusieurs personnes qui se livrent à des 666 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
violences physiques lors du vol.
61. L'État défendeur affiime que les faits de la cause s’inscrivent parfaitement dans le scénario envisagé dans la loi sur les peines minimales et qu’en conséquence, les allégations des requérants sont sans fondement et méritent d’être rejetées.
62. L'article 7(2) de la Charte dispose :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n'a pas été prévue au moment où l'infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant ».
63. La Cour note que l’article 7(2) de la Charte consacre le principe de la légalité des infractions et des peines, qui interdit notamment qu’une peine soit infligée si elle n’a pas été prévue par une loi en vigueur au moment où l'infraction qui a donné lieu à cette peine a été commise.
64. En l'espèce, la question pertinente à trancher est de savoir si les lois de l’État défendeur prévoyaient la peine de trente ans de réclusion infligée aux requérants au moment où l'infraction pour laquelle ils ont été déclarés coupables a été commise.
65. Il ressort du dossier de l'affaire devant la Cour que l'incident qui a conduit à l’arrestation des requérants s’est déroulé le 31 décembre 2001. Après leur arrestation, les requérants ont été inculpés et reconnus coupables de vol avec violence, en application des articles 285 et 286 du Code pénal tel que modifié par la loi No. 10 de 1989.
66. La Cour note que dans les lois de l’État défendeur, la peine prévue pour le vol avec violence est similaire à celle prescrite pour le vol à main armée, à savoir au moins trente (30) ans de réclusion, conformément à l’article 5(b) de la loi de 1972 sur les peines minimales, telle que modifiée par l'amendement de 1994 sur les lois écrites. La Cour l’a déjà affirmé dans les affaires Ah Bn c. République-Unie de Tanzanie” et Ck Ao c. République-Unie de Tanzanie, dans lesquelles elle a conclu que «la peine applicable au vol à main armée en République-Unie
10 Ah Bn c. Tanzanie (fond), (2016) 1 RICA 624 para 210.
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 667
de Tanzanie est, depuis 1994, de trente ans de prison »."!
67. Il s’ensuit que les requérants ont été déclarés coupables en application de la législation en vigueur à la date de l’infraction, soit le 31 décembre 2001, et que la peine qui leur a été infligée était également prévue dans une loi antérieure à la commission de l'infraction, à savoir la loi de 1972 sur les peines minimales, modifiée par la loi No 10 de 1989 et la loi No 6 de 1994.
68. L'allégation des requérants selon laquelle la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à leur encontre constituent une violation de la Charte n’est donc pas fondée.
69. La Cour en conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7(2) de la Charte.
Allégation de défaut d’assistance judiciaire gratuite aux requérants
70. Les requérants soutiennent qu’ils n’ont bénéficié d'aucune assistance judiciaire gratuite tout au long de leurs procès devant les juridictions nationales, alors que cette assistance est prescrite par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en son article 14(3), et à l’article 7(1)(c) de la Charte.
71. Invoquantles arrêts de la Cour de céans dans l'affaire Bk An c. République-Unie de Tanzanie et de la Haute cour d’appel dans l'affaire An Cj c. République, les requérants soutiennent qu’ils ont été inculpés et déclarés coupables pour une « infraction très grave» passible d’une «peine sévère» d’emprisonnement et que les procès étaient très techniques, appelant à des solides connaissances et compétences en matière juridique. Les requérants indiquent en outre qu’ils n'avaient pas les moyens financiers pour engager eux-mêmes leurs avocats, alors que l'État défendeur se faisait représenter par divers State Attorneys. Selon les requérants, toutes ces circonstances justifiaient l’octroi d’une assistance judiciaire gratuite et le fait que l’État défendeur ne l’ait pas fait leur a porté préjudice et constitue une violation de leur droit à un procès équitable.
72. L'État défendeur réfute l’allégation des requérants et demande qu’ils en apportent la preuve irréfutable. || fait valoir que le droit de représentation en justice n’est pas obligatoire dans sa législation nationale et que l’aide judiciaire n’est fournie que si l’accusé n’a
11 Ck Ao c. Tanzanie (fond), para 85.
668 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
pas les moyens de s’en payer et que l'intérêt de la justice l’exige. 73. En outre, l’État défendeur affirme que le fait que les requérants n’étaient pas représentés ne signifie pas qu’ils ont été de quelque manière désavantagés. Dans le même ordre d'idées, il fait valoir que le droit des requérants à la défense était garanti pendant leur procès et leurs recours ultérieurs. Invoquant son Code de procédure pénale (2002), l’État défendeur soutient que dans sa juridiction, les preuves doivent être recueillies en présence de l’accusé afin que ce dernier soit bien informé lors de se défendre.
74. L'article 7(1) (c) de la Charte dispose:
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
[...] c) Le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ».
75. La Cour constate que l’article 7(1)(c) de la Charte ne prévoit pas explicitement le droit à une assistance judiciaire gratuite. Néanmoins, elle a souligné que cette disposition de la Charte, interprétée à la lumière de l’article 14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après dénommé PIDCP),* établit que le droit à la défense inclut le droit à une assistance
76. La Cour constate en outre qu’en l'espèce, les requérants n’ont pas bénéficié de l'assistance judiciaire gratuite tout au long des procédures de première instance et d'appel devant les juridictions nationales. Ce fait n’est pas contesté par l’État défendeur, qui affirme simplement que la fourniture d’une assistance judiciaire gratuite n’est pas automatique, mais dépend de sa capacité économique ainsi que de celle des requérants.
77. Toutefois, à maintes occasions, la Cour a statué qu’une personne inculpée d’une infraction pénale avait droit à une assistance judiciaire gratuite même sans en avoir fait la demande, à
12 L'État défendeur a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 11 juin 1976.
13 Bk An c. Tanzanie (fond), para 114 ; Ca Cd c. Tanzanie (fond), para 72; Requête No. 003/2015. Arrêt du 28 septembre 2018 (fond), At Ac Am et un autre c. Tanzanie, para 104.
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 669
condition que l'intérêt de la justice l'exige. Tel sera par exemple le cas lorsqu’un accusé est indigent et inculpé d’une infraction grave passible d’une peine sévère.“
78. En l'espèce, les requérants ont été inculpés pour une infraction grave, à savoir le vol avec violence, passible d’une peine sévère, d’au minimum trente (30) ans de réclusion. En outre, l’État défendeur n’a présenté aucun élément de preuve permettant de contester l’affirmation selon laquelle les requérants étaient profanes et indigents, sans connaissances ni aptitudes techniques et juridiques leur permettant de défendre adéquatement leur cause au cours de leurs procédures en première instance et en appel. Dans ces circonstances, la Cour estime que l'intérêt de la justice justifiait que les requérants bénéficient d’une assistance judiciaire gratuite.
79. La Cour prend note de l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle les requérants n’ont été nullement désavantagés de n’avoir pas d'assistance judiciaire, car ils ont été en mesure de se défendre. Toutefois, la Cour observe qu’il n’est pas nécessaire que les requérants démontrent que l'absence d'assistance judiciaire leur a occasionné quelque désavantage au cours de leur procès et de leurs appels. Dans la mesure où l'intérêt de la justice nécessitait la fourniture d’une assistance judiciaire gratuite et que l’État défendeur ne l’a pas fournie, sa responsabilité sera engagée. Cela n'empêche pas les requérants de se défendre.
80. La Cour souligne en outre que le fait que l’État défendeur cite sa législation interne qui exige la fourniture d’une assistance judiciaire ne suffit pas pour démontrer que les requérants ont effectivement bénéficié de l'assistance judiciaire gratuite. La thèse de l’État défendeur à cet égard n’est donc pas fondée.
81. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte.
C. Allégation de déni du droit à l’information
82. Selon les requérants, le fait de n'avoir pas été informés de leurs droits liés à leur procès équivaut à un déni du droit à l'information. Les requérants font valoir qu’ils n’ont pas été informés de leur droit à une représentation juridique ou à un procès équitable par
14 Bk An, Ibid., para 123, voir aussi Ah Bn c. Tanzanie (fond), paras 138-139.
670 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
les tribunaux nationaux.
83. Les requérants soutiennent en outre que les juridictions nationales ont l’obligation d’informer les accusés de tous leurs droits au début du procès et invoquent à cet égard l'arrêt An Cj c. République rendu par la Haute cour de Tanzanie.
84. L'État défendeur soutient que l’allégation est dénuée de fondement et que les requérants n'ont pas démontré en quoi ni comment le droit à l'information leur a été refusé.
85. La Cour note que les requérants allèguent la violation de leur droit à l’information, l’État défendeur ne les ayant pas informés de leur droit à la représentation juridique. La Cour est d’avis que le contenu de l’allégation des requérants porte davantage sur le droit à un procès équitable, en particulier sur le droit d’être informé de son droit à un conseil, que sur le droit à l’information. Elle en tiendra compte en conséquence.
86. La Cour fait observer que même si l’article 7 de la Charte ne prévoit pas expressément le droit d’être informé de son droit à un conseil, l’article 14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)* exige que dans les affaires pénales, tout accusé soit informé de son droit à l’assistance judiciaire. Comme l’a, à maintes reprises, affirmé la Cour européenne des droits de l’homme, le droit d’être informé de son droit à une assistance judiciaire est essentiel au respect de son droit à la défense et les autorités ont l'obligation positive d'informer les accusés dès que possible et de manière proactive de leur droit à la représentation juridique.
87. En l’espèce, l’État défendeur ne conteste pas l’allégation des requérants selon laquelle ils n’ont été informés de leur droit à un avocat ni avant ni pendant leur procès, mais affirme simplement que leur argument est sans fondement. La Cour n’a également trouvé dans le dossier aucun élément indiquant que les autorités
15 L'État défendeur est devenu État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 11 juin 1976.
16 Voir, par exemple, CEDH, Requête No. 4268/04, arrêt du 11 décembre 2008, Panovits c. Chypre para 72-75 ; CEDH, Requête No 54784/00, 10 août 2006, Cm c. Bulgarie para 61.
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 671
de l’État défendeur les ont informés. L'État défendeur n’a pas non plus expliqué pourquoi les requérants n’ont pas été informés de leur droit d’avoir un avocat de leur choix. De toute évidence, ce manquement a restreint le droit des requérants de se défendre pendant leur procès et leurs appels.
88. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’omission de l’État défendeur d’informer les requérants de leur droit à l’assistance judiciaire constitue une violation de l’article 7(1)(c) de la Charte lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP.
89. Les requérants demandent à la Cour de conclure à la violation de leurs droits, de les remettre en liberté et de rendre une ordonnance de réparation et de supervision de la mise en œuvre de ses décisions.
90. L'État défendeur quant à lui demande à la Cour de constater qu’il n’a violé aucun des droits des requérants et de rejeter la requête.
91. Aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris par le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation ».
A. Réparations pécuniaires
92. La Cour note que l’État défendeur a violé le droit des requérants à un procès équitable en ne leur fournissant pas d'assistance judiciaire gratuite et leur droit d’être informés du droit à un avocat, dans le cadre de la procédure pénale à leur encontre. À cet égard, la Cour réitère sa position sur la responsabilité des États, selon laquelle « toute violation d’une obligation internationale ayant causé un préjudice entraîne l'obligation de fournir une réparation 672 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
93. Dans sa jurisprudence, la Cour a établi que le préjudice moral est présumé en cas de violation des droits de l'homme et que la quantification des dommages à cet égard doit être équitable eu égard aux circonstances de l'espèce.“ La Cour a adopté la pratique consistant à accorder une somme forfaitaire dans de
94. La Cour conclut que les violations qu’elle a constatées en l'espèce ont sans aucun doute causé une certaine forme de préjudice moral aux requérants. Le fait de ne pas avoir été informés de leur droit à l'assistance d’un avocat et de ne pas avoir bénéficié d’une assistance juridique au cours de leur procès et de leurs appels leur a manifestement causé un préjudice moral en raison de leur méconnaissance des procédures judiciaires et de leur manque de compétences techniques et juridiques pour défendre leur cause. 95. En conséquence et en vertu de son pouvoir discrétionnaire, la Cour leur alloue à chacun un montant de trois cent cinquante mille (350 000) shillings tanzaniens à titre de compensation
Réparations non pécuniaires
96. En ce qui concerne la remise en liberté demandée par les requérants, la Cour précise qu’elle ne peut être ordonnée que dans des circonstances spécifiques et impérieuses,”* par exemple, « si un requérant démontre à suffisance ou si la Cour elle-même établit à partir de ses conclusions que l'arrestation ou la condamnation du requérant est entièrement fondée sur des considérations arbitraires et que son maintien en détention
17 Voir Az Ck Ak B Bv (réparations) (2014) 1 RICA 74, para 27 et Requête No. 010/2015. Arrêt du 11 mai 2018, Cp Ce c. République-Unie de Tanzanie (fond), para 83.
18 Ayants-droits de feus Ap Bw, Bu Ab alias Ablasse, Cc Bw, Blaise IIboudo et Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Aq Ba (réparations) (2015) 1 RJCA 258, para 55.
19 Bg Bb Af Bb c. Tanzanie. Arrêt (fond et réparation) op. cit, para 119
20 Voir Bm Bi c. Tanzanie (fond et réparations), para 107; Bo Aw c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), para 85.
21 Bk An c. Tanzanie (fond) 1 RICA 482, op. cit. para 157; Co By c. Tanzanie (fond), para 101; Bo Aw c. Tanzanie (fond et réparations), para 82; Requête No. 006/2016. Arrêt du 07 décembre 2018 (fond), Cb Bf c. République-Unie de Tanzanie, para 84; Ca Cd c. Tanzanie (fond), para 96; Cq Bc c. Tanzanie (fond et réparations), para164.
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 673
entraînerait un déni de justice ».”
97. En l’espèce, la Cour a établi que l’État défendeur a enfreint le droit des requérants à un procès équitable relativement à leur droit d’être informés de leur droit à une représentation juridique et de leur droit à une assistance judiciaire gratuite, en violation de l’article 7(1)(c) de la Charte lu conjointement avec l’article 14(3) (d) du PIDCP. Sans en minimiser la gravité, la Cour estime que la nature de la violation dans le contexte particulier de l'espèce ne révèle aucune circonstance de nature à faire du maintien en détention des requérants un déni de justice ou une décision arbitraire. Les requérants n’ont pas non plus démontré l’existence d’autres raisons spécifiques ou impérieuses pouvant justifier une ordonnance de remise en liberté.
98. La Cour rejette donc la demande de remise en liberté des requérants.
IX. Frais de proccédure
99. Conformément à l’article 30 du Règlement, « à moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
100. Dans leurs observations, les deux parties ont chacune demandé à la Cour de condamner l’autre aux dépens.
101. La Cour n’a aucune raison de déroger aux dispositions de l’article 30 du Règlement et, en conséquence, décide que chaque partie supporte ses propres frais.
X. Dispositif
102. Par ces motifs:
La Cour
À l’unanimité :
Sur la compétence
i. Déclare qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iv. Déclare la requête recevable.
22 Bo Aw c. Tanzanie (fond et réparations), para 82.
674 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(2) de la Charte en ce qui concerne la peine infligée aux requérants;
vi. Dit que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) en ce qui concerne non seulement le droit des requérants d’être informés de leur droit à défenseur mais aussi le fait qu'aucune assistance judiciaire gratuite ne leur a été fournie;
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
vi. Ordonne à l’État défendeur de verser aux requérants à titre de réparation équitable la somme de 350 000 shillings tanzaniens chacun, en franchise d'impôts, dans un délai de six mois à compter de la date de notification du présent arrêt, faute de quoi il devra payer des intérêts de retard calculés sur la base du taux en vigueur de la Banque de Tanzanie (Centrale), pendant toute la période de retard de paiement jusqu’au paiement intégral du montant.
vi. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre un rapport dans les six mois à compter de la date de notification du présent arrêt, un rapport sur les mesures prises pour mettre en œuvre les ordonnances énoncées dans cet arrêt et, par la suite, tous les six mois, jusqu’à ce que la Cour considère complète la mise en œuvre de l'arrêt.
Réparations non pécuniaires
ix. Rejette la demande des requérants aux fins de leur remise en liberté.
Sur les frais de procédure
x. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Opinion individuelle : BENSAOULA
1. Je partage l'opinion de la majorité des juges quant à la recevabilité de la requête, à la compétence de la Cour et au dispositif de l’arrêt.
2. En revanche, je ne partage pas les fondements sur lesquels la Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 654 675
Cour a traité :
« La recevabilité de la requête quant à l’exception soulevée par l'Etat défendeur relativement à l’épuisement des recours internes en ce qui concerne la demande des requérants soulevée pour la première fois devant la Cour, à savoir l'illégalité de la peine qui leur a été infligée ;
« Etl’exception relative au délai raisonnable.
Pour ce qui est des fondements de la recevabilité de la requête quant à l’exception soulevée par l’Etat défendeur relativement à l’épuisement des recours internes en ce qui concerne la demande des requérants soulevée pour la première fois devant la Cour, à savoir l’illégalité de la peine qui leur a été infligée, ils sont contraires :
« aux fondements de l'obligation d’épuiser les recours internes avant la saisine de la Cour
Il est constant, dans la jurisprudence de la Cour, qu’elle a reprise dans plusieurs arrêts,' la conclusion de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples selon laquelle la condition énoncée aux articles 56 de la Charte et 40 du Règlement dans leurs paragraphes 5 relatifs à l'épuisement des recours internes « renforce la primauté des tribunaux nationaux par rapport à la Cour dans la protection des droits de l'homme ». Dès lors, elle vise à donner aux États la possibilité de faire face aux violations des droits de l'Homme commises sur leurs territoires, avant qu’une instance internationale de protection des droits de l'Homme ne soit appelée à déterminer leurs responsabilités dans lesdites violations.
4. Pourtant, il ressort de l'arrêt objet de l’opinion individuelle qu’en cette matière, la Cour, s’est appropriée la théorie « des faisceaux de droits » pour sortir certaines demandes de l’obligation des recours internes.
Or, le fondement de cette théorie démontre qu’elle a été créée et employée en matière de droit de la propriété, car souvent, chez les économistes, elle était assimilée à la propriété privée. La démonstration qui découle de la théorie a surtout fait évoluer
Requête No. 006/2012, Arrêt du 26 mai 2017 — Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya, paragraphe 93 ; Requête No. 005/2013, Bk An c. République Unie de Tanzanie, Arrêt du 20 novembre 2015 ; Requête No. 001/2015, Arrêt du 07 décembre 2016 — Cq Bc c. République de Côte d'Ivoire.
676 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
la propriété commune, en ce sens qu’elle a mis l'accent sur les démembrements de la propriété, d’où son application en matière de droits des peuples autochtones.
6. Il ressort des exceptions soulevées par l’État défendeur qu’il reproche au requérant de n’avoir pas exposé certaines demandes devant la justice nationale avant de le faire, pour la première fois, devant la Cour de céans, méconnaissant ainsi la condition de l'épuisement des recours internes. Il en est ainsi de sa demande tendant à dire que la peine de trente (30) ans imposée était inconstitutionnelle et inappropriée et qu’il n’a pas bénéficié de
7. Enréponse à ces allégations, la Cour a, pour ce qui est du recours en inconstitutionnalité,? confirmé sa jurisprudence en considérant que les voies de recours internes ne concernaient que les recours ordinaires et que, dans le cas d'espèce, le requérant les avait épuisés.
8. Elle a ajouté que le droit à l'assistance judiciaire est un droit fondamental du requérant poursuivi pour crime et susceptible d'être condamné à une peine lourde et que donc, la Cour d'Appel aurait dû la discuter bien que le requérant ne l’eut pas soulevé.® 9. Ence qui concerne l’allégation selon laquelle la peine trente (30) ans était inappropriée, la Cour « note que les violations alléguées des droits des requérants sont relatives à la procédure devant les juridictions internes ayant abouti à la déclaration de sa culpabilité et à la peine prononcée à son encontre. Les allégations soulevées par le requérant font donc partie du faisceau des droits et garantis liés à ses recours ou les ayant fondés(…) ».*
10. Dans bon nombre de ses arrêts, la Cour a usé de cette théorie de faisceau de droits pour dégager certaines demandes exposées devant elle des recours internes.°
11. Appliquer cette théorie en matière de recours internes est, à mon avis, dénaturer la base de la théorie même et de ses fondements. Les droits des requérants sont diversifiés et de nature différente. En plus, les allégations y afférentes, dans la Charte, peuvent être intégrées dans un ensemble de droits tels que le droit à
2 Para 35 de l'arrêt.
3 Para 37 de l'arrêt.
4 Para 44 de l'arrêt.
5 Affaire No. 005/2013, Bk An c. République Unie de Tanzanie, Arrêt du 20 novembre 2015 ; Affaire No. 006/2015 As Bj et Aa As B Cf Bt de Tanzanie, Arrêt du 23 mars 2018 ; Affaire No. 003/2015 At Ac Am c. République Unie de Tanzanie, Arrêt du 28 septembre 2017.
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 654 677
l'information, à la liberté d'expression, au procès équitable.
12. Sur le plan national, les codes quels qu’ils soient, spécifient l’étendue et les règles de chaque droit et il appartient au juge national de considérer certains droits comme faisant partie d’un faisceau de droits et de les juger comme tels.
13. En définissant ces faisceaux de droits par rapport au juge national, la Cour a ignoré les compétences et prérogatives des juges d’une façon générale et, en appel, d’une façon plus restreinte, d'autant plus que le requérant n’a, en aucun moment, répondu à l’allégation de l’État défendeur en prouvant que les juges d'appel avaient la faculté de le faire - conformément aux textes nationaux
- et pouvaient, par contre, considérer les demandes exposées devant la Cour africaine, pour la première fois, comme faisant partie d’un faisceau de droits.
« Etaux prérogatives et compétence des juges d’appel devant les juridictions nationales, d’autre part
14. Il est constant que «le recours en appel » répond à deux distinctions :
« L'effet dévolutif de l’appel et
« L'appel cantonné à certains points du jugement.
« Sil’effet dévolutif de l’appel signifie que la Cour d'Appel a entière et totale connaissance du litige et doit statuer en fait et en droit avec les mêmes pouvoirs que le premier juge, la dévolution ne se réalise que si l’appel porte sur toutes les dispositions du premier jugement.
15. L’étendue de l’effet dévolutif de l’appel va être ainsi déterminée par deux actes de procédure que sont la déclaration de l’appel ou l’acte d’appel qui va circonscrire les demandes de l’appelant d’une part et, d’autre part, les conclusions des parties qui peuvent contenir des demandes nouvelles non visées dans l’acte d'appel. « L'appel cantonné signifie, quant à lui, la limitation de l’appel à certains points du jugement.
16. Si le juge statue en dehors de ces deux cas et se prononce sur des demandes non exprimées, il aura statué ultra petita, ce qui engendre des effets quant à l’appréciation de la décision.
17. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la peine de 30 ans était inappropriée, la Cour déclare que «les violations alléguées des droits des requérants sont relatives à la procédure devant les juridictions internes ayant abouti à la déclaration de sa culpabilité et à la peine prononcée à son encontre les allégations soulevées par le requérant font donc partie du faisceau des droits et garanties liés à ses recours ou les ayant fondés, il s'ensuit que les juridictions internes ont eu amplement l’occasion de traiter ces allégations, même sans que les requérants aient eu a les 678 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
18. Cette conclusion de la Cour, pour ce qui est des recours internes par rapport à des demandes n’ayant pas fait l’objet de recours internes, touche profondément aux prérogatives des juridictions d'appel et à l'étendue de leur compétence quant à la discussion de l'affaire engagée devant eux après l'appel d’une part et d'autre part, à la finalité d'imposer les recours internes aux requérants comme un droit des États défendeurs à revoir leurs décisions et éviter de se voir attraire devant des instances internationales.
19. A mon avis, la Cour aurait dû se référer aux textes nationaux qui régissent la procédure et les compétences des juges d'appel en matière pénale et non pas à cette notion élastique qu’est la notion de faisceaux des droits qui, à tous les coups, lui donnera le pouvoir de discuter et de juger des demandes qui n’ont pas fait l’objet de recours internes et minimiser, ainsi, l'importance de ces recours internes par rapport à la saisine de la Cour.
Cela va à l'encontre du fondement des recours internes et des droits des États en la matière.
B. Quant à l’exception relative au délai raisonnable, l’application de cette notion par la Cour va à l’encontre de l’essence même du paragraphe 56 de la Charte, 6(2) du Protocole et 39 et 40 et du Règlement
20. || ressort de l’arrêt’ objet de l’opinion individuelle que bien qu'elle ait déterminé les recours internes comme ayant été épuisés le 14 avril 2011 et qu’ainsi à la date du dépôt de la requête, soit le 06 juillet 2015, quatre (4) ans, deux (2) mois et vingt-trois (23) jours se sont écoulés, la Cour a, dans ses discussions et conclusions en ce qui concerne le dépôt de la requête dans un délai raisonnable, conclu que ce délai reste raisonnable du fait que la requête a été déposée le 06 juillet 2015, trois (3) mois après que le rejet de son recours en révision par arrêt du 20 mars 2015.°
21. En plus, elle a souligné que les requérants sont profanes, incarcérés et n’ont pas bénéficié de l'assistance d’un avocat tout en relevant le fait qu’ils aient eu recours à la révision — un recours extraordinaire — et qu’ils n'étaient pas blâämables pour
6 Para 44 de l'arrêt.
7 Para 36 de l'arrêt.
8 Para 49 de l'arrêt.
Bh et Bd c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 654 679
avoir attendu la décision en la matière.
22. S'il ressort des alinéas 5 de la Charte et du Règlement dans leurs articles respectifs 56 et 40 que la requête doit être déposée postérieurement à l'épuisement des recours internes, les alinéas 6 de ces mêmes articles donnent prérogative à la Cour de déterminer si le délai du dépôt de la requête est raisonnable depuis l'épuisement de ces recours ou la date qu’elle aura retenu pour faire courir le délai de sa propre saisine.
23. Dans le cas d'espèce, la Cour, vu qu’elle a pris en considération des faits survenus après l'épuisement des recours ordinaires, à savoir, la révision, pour fonder le délai de quatre (4) ans, deux (2) mois et trois (3) jours, aurait pu, tout simplement, retenir la date de l'arrêt rendu après le recours en révision. Cela participe de la logique même des prérogatives qui lui sont attribuées par le législateur, dans la deuxième partie de l'alinéa 6 des articles précité et aurait réellement conduit à un délai raisonnable de saisine de trois(3) mois et six (6) jours.
24. Cela aurait été d'autant plus pertinent que la Cour relève comme fondement à ce long délai le fait que les requérants étaient profanes, incarcérés et n'avaient pas bénéficié de l'assistance judiciaire, informations non prouvées dans la mesure où devant la Cour de céans, les requérants n’ont pas eu besoin d'avocats pour se défendre.
9 Para 50 de l'arrêt.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 014/2015
Date de la décision : 28/11/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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