772 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3
XYZ c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RJCA (2019) Requête 057/2019, XYZ c. République du Bénin
Ordonnance du 2 décembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte
français faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA, ANUKAM et
ABOUD
Le requérant anonyme a affirmé qu’une condamnation pénale de l’ancien
Premier Ministre de l’État défendeur violait le droit de ce dernier à un
procès équitable et son droit à la participation politique et a demandé
des mesures provisoires afin que l'homme politique soit autorisé à se
présenter à la prochaine élection présidentielle. La Cour a rejeté la
demande car le requérant n’a pas fourni suffisamment d’informations
montrant l'existence d’une extrême gravité ou urgence et le risque de
préjudice irréparable pour lui.
Compétence (prima facie, 16-20)
Mesures provisoires (preuves, 25)
Les parties
Le 03 aout 2019, un citoyen béninois (ci-après dénommé XYZ) qui a requis l’anonymat, a saisi la Cour d’une requête de demande de mesures provisoires contre l’État du Benin. Dans la même requête, Il a aussi demandé à la Cour de se prononcer sur des questions de fond.
Au cours de sa 53eme session ordinaire la Cour avait accordé la demande d’anonymat du requérant.
La République du Bénin (ci-après désignée « l’État défendeur »), est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21 octobre 1986, au protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « le Protocole »), le 22 aout 2014. L'État défendeur a également déposé, le 8 février 2016, la déclaration prévue à larticle 34(6) du Protocole par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales.
Il XYZ c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RICA 772 773
Objet de la requête
Dans la demande, le requérant allègue que l’ancien Premier Ministre de l’État défendeur Monsieur Ae Ab' a été accusé par le Ministère public et poursuivi pour avoir fait une déclaration inexacte à la Chambre des comptes de la Cour Suprême pour obtenir une validation de ses comptes de campagne dans le cadre de la présidentielle de 2016.
Le requérant soutient que, le 02 août 2019, la 3ème Chambre de citation directe du tribunal de première instance de Cotonou a reconnu M. Ab coupable de « faux » et de dépassement de « fonds de campagne électorale », et l'a condamné à cinq ans d’inéligibilité et à six mois de prison avec sursis. || a par ailleurs été condamné à une amende de 50 millions de francs CFA ;
Le Conseil de Ae Ab aurait saisi la Cour constitutionnelle soulevant une exception d’inconstitutionnalité conformément à l’article 577 du Code de procédure pénale et à l’article 122 de la Constitution, au motif qu’une remise de cause qu’il a sollicitée pour obtenir une communication de pièces lui a été refusée, en violation des droits de la défense ; que le juge a également violé la présomption d’'innocence. La Cour constitutionnelle a rejeté le recours l’estimant irrecevable.
Sur le fond le requérant a attaqué cette décision de la Cour constitutionnelle.
Le requérant soutient que l'objectif de toute cette procédure devant les juridictions béninoises est d'empêcher Monsieur Ae Ab d’être candidat aux prochaines élections présidentielles. Le requérant soutient que si cette interdiction devenait effective, cela limiterait son droit de choisir le représentant de son choix dans le cadre de la prochaine élection présidentielle de 2021. Le requérant attire l’attention de la Cour sur l’urgence de cette affaire parce que les dossiers de candidature aux prochaines élections doivent être déposés d'ici dix-huit (18) mois au maximum. Il prie donc la Cour de rendre une ordonnance en indication des mesures provisoires.
L'Etat estime que la demande de mesures provisoires visant la non-exécution du jugement de la Chambre de citation directe du Tribunal de première instance de Cotonou est sans objet, parce que conformément au code de procédure pénale l’appel est suspensif. M. Ab a interjeté appel le 06 août 2019 donc l'exécution du jugement du Tribunal de première instance est de
Du gouvernement de l'ancien Président de la République Af Ac Aa.
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ce fait suspendue.
10. L'Etat défendeur dit également que les conditions requises à l’article 27 du Protocole pour accorder des mesures provisoires, notamment l'extrême gravité ou l’urgence, le risque de dommage irréparable ne sont pas réunies.
11. Au vu de ce qui précède, l'Etat défendeur demande à la Cour de déclarer irrecevable la demande de mesures provisoires.
IN. Les violations alléguées
12. Le requérant allègue les violations suivantes :
i. Droit à un procès équitable en vertu de l’article 7(1)(d) de la Charte ; ii. Droit de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu tels que protégés par l’article 13 (1) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
IV. Résumé de la procédure devant la Cour de céans
13. Le 3 août 2019, le requérant a soumis une requête demandant à la Cour d’ordonner des mesures provisoires et aussi de se prononcer sur des questions de fond.
14. La demande de mesures provisoires a été signifiée à l’État défendeur le 15 août 2019 et il a répondu le 30 septembre 2019 dans les délais de la prolongation accordée par la Cour.
V. Sur la compétence de la Cour
15. Lorsqu'elle est saisie d’une requête, la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence, sur la base des articles 3, 5(3) et 34(6) du Protocole.
16. Toutefois, s'agissant des mesures provisoires, conformément à sa jurisprudence abondante, la Cour n’a pas à s'assurer qu’elle a compétence sur le fond de l'affaire, mais simplement qu’elle a compétence prima facie.?
17. Aux termes de l’article 5(3) du Protocole, « La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées de statut d’observateur auprès de la Commission d'introduire des requêtes directement devant elle, conformément
2 Requête No. 002/2013 ; Ordonnance du 15 mars 2013 portant mesures provisoires, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye 10 ; Requête No. 024/2016 ; Ordonnance du 03 juin 2016 portant mesures provisoires, Ag Ad c. République-Unie de Tanzanie, para 8.
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à l’article 34(6) de ce Protocole ».
18. Comme mentionné au paragraphe 2 de la présente Ordonnance, l'État défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a également fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes d’individus et des organisations non gouvernementales conformément à l’article 34(6) du Protocole lu conjointement avec l’article 5(3) du Protocole.
19. En l’espèce, les droits dont le requérant allègue la violation sont protégés par la Charte, le Protocole de la Communauté Economique de l'Afrique de l’ouest (CEDEAO) sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité et la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance (CADEG) qui sont des instruments que la Cour est habilitée à interpréter et appliquer en vertu de l’article 3(1) du Protocole.
20. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence prima facie pour connaitre de la requête.
VI. Sur les mesures provisoires demandées
21. Le requérant demande à la Cour d’ordonner à :
ii L'Etat défendeur de prendre toutes mesures utiles pour surseoir à l'exécution du jugement correctionnel en date du 02 août 2019 de la 3ème chambre de citation directe du tribunal de première instance de première classe de Cotonou dans la procédure COTO/2018/ RP/05806 entre le Ministère public et Monsieur Ae Ab B’à ce que la Cour se prononce sur l’objet de la requête principale en
i. L'Etat défendeur de faire rapport à la Cour dans un délai qu’il plaira à la Cour de fixer.
22. La Cour relève que l’article 27(2) du Protocole dispose comme suit :
« Dans les cas d'extrême gravité et lorsqu'il s'avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes la Cour ordonne les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes . » 776 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
23. L'article 51(1) du Règlement intérieur, par ailleurs, dispose que : « La Cour peut, soit à la demande d’une partie ou de la Commission, soit d'office, indiquer aux parties toutes mesures provisoires qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice. »
24. Au vu des dispositions ci-dessus, La Cour tiendra compte du droit applicable en matière de mesures provisoires, qui ont un caractère préventif et ne préjugent pas du fond de la requête. La Cour ne peut les ordonner pendente lite que si les conditions de base requises sont réunies : l'extrême gravité, l'urgence et la prévention de dommages irréparables sur les personnes.
25. La Cour constate que le requérant n’a pas fourni assez d'informations pour démontrer l’extrême gravite ou l'urgence et le risque de dommage grave et irréparable pour lui.
26. La Cour prend aussi en compte l’argument de l’État défendeur selon lequel, conformément à la loi, l'exécution du jugement de première instance est suspendue suite à l'appel interjeté par M. Ae Ab.
27. Compte tenu de ce qui précède, la demande de mesures provisoires est rejetée.
VII. Dispositif
28. Par ces motifs,
La Cour,
À l’unanimité :
i. Rejette la demande de mesures provisoires.