782 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
X c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RICA 782
Requête 059/2019, XYZ c. République du Bénin
Arrêt du 2 décembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte français
faisant foi.
Juges ORE, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA, ANUKAM et
ABOUD
Le requérant qui a requis l’anonymat a allégué que le Conseil d'orientation
et de supervision (COS) mis en place pour organiser un recensement
électoral et établir un fichier électoral informatisé permanent n’était pas
composé de manière à garantir son impartialité. La Cour n’a pas ordonné
les mesures provisoires demandées étant donné que le requérant n'avait
pas fourni la preuve du préjudice irréparable que le COS lui aurait causé.
Compétence (prima facie, 13-17)
Mesures provisoires (preuves, 24)
Opinion dissidente : BEN ACHOUR
Opinion dissidente : BENSAOULA
Les parties
Le 2 septembre 2019, le requérant (ci-après désigné XYZ), un citoyen béninois ayant requis l'anonymat, a saisi le greffe d’une requête contre la République du Benin, portant fonctionnement de la structure administrative indépendante en charge de la gestion du fichier électoral national et de l’établissement de la liste électorale permanente informatisée dénommée Conseil d'orientation et de supervision (COS).
Au cours de sa 53ème session ordinaire la Cour avait accordé la demande d’anonymat du requérant.
Le 26 septembre 2019, le requérant a soumis une demande d'ordonnance de mesures provisoires.
La République du Bénin (ci-après dénommée « l’État défendeur »), est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désigné « le Protocole »), le 22 août 2014. L'État défendeur a également déposé, le 8 février 2016, la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir Il
IV.
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les requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales
Objet de la requête
Le requérant allègue que dans le cadre des préparatifs pour l’organisation des élections l'Etat défendeur a mis en place une structure administrative dénommée Conseil d'orientation et de supervision (COS). Cet organe a la responsabilité dans le cadre de la mise en œuvre de la loi No 2009-10 du 13 mai 2009 d'organiser le recensement électoral national approfondi et l'établissement de la liste électorale permanente informatisée
Le requérant met en doute la partialité du COS parce que ses membres ne représentent que les partis politiques de la mouvance présidentielle, aucun parti politique de l’opposition n’en fait partie Le requérant dit que du fait de cette situation, les dernières élections parlementaires se sont déroulées sans la participation des partis de l'opposition, ce qui pour lui est en violation de la constitution et des textes internationaux en matière de démocratie et des élections. Il estime que le caractère partial de cette structure fait aussi que les élections locales prévues pour se tenir en début de l’année 2020, ne peuvent être libres et démocratiques, ce qui est une menace pour la démocratie béninoise
Les violations alléguées
Le requérant allègue les violations suivantes :
i Obligation pour l’État béninois de créer des organes électoraux indépendants et impartiaux.
Il Droit de participer librement à la direction des affaires publiques de son pays
Il Droit à une égale protection de la loi
IV. Droit à la paix, la sécurité nationale et internationale
Des dispositions de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance
Résumé de la procédure devant la cour de céans
Le 02 septembre 2019, la Cour a reçu une requête portant sur le fonctionnement de la structure administrative indépendante en charge de la gestion du fichier électoral national et de l'établissement de la liste électorale permanente informatisée 784 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
dénommée Conseil d’orientation et de supervision (COS).
10. Le 26 septembre 2019, le requérant a soumis une demande de mesures provisoires portant sur le fonctionnement de cette structure administrative.
11. La demande de mesures provisoires a été signifiée à l’État défendeur le 4 Octobre 2019 et un délai de quinze (15) jours lui a été accordé pour y répondre. L'État défendeur a demandé un délai supplémentaire qui lui a été accordé et il a jusqu’au 24 novembre 2019 pour répondre, mais à ce jour, il n’a pas répondu.
V. Sur la compétence de la cour
12. Lorsqu'elle est saisie d’une requête, la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence, sur la base des articles 3, 5(3) et 34 (6) du Protocole.
13. Toutefois, s'agissant des mesures provisoires, conformément à sa jurisprudence constante, la Cour n’a pas à s'assurer qu’elle a compétence sur le fond de l'affaire, mais simplement qu’elle a compétence prima facie.
14. Aux termes de l’article 5(3) du Protocole, « La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d'introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole ».
15. Comme mentionné au paragraphe 2 de la présente Ordonnance, l'État défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a également fait la Déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes des individus et des organisations non gouvernementales conformément à l’article 34(6) du Protocole lu conjointement avec l’article 5(3) du Protocole.
16. Sur le fond, les droits dont le requérant allègue la violation sont protégés par la Charte, le Protocole de la Communauté Economique de l’Afrique de l'Ouest (CEDEAO) sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité et la Charte Africaine sur la Démocratie, les Elections et la Gouvernance (CADEG) qui sont des instruments que la Cour est habilitée à interpréter et appliquer en vertu de l’article 3(1) du Protocole.
17. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence prima facie pour connaitre de la requête.
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VI. Sur les mesures provisoires demandées
18. Le requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur : i. De surseoir aux travaux du Conseil d'orientation et de supervision (COS) installé par la Cour constitutionnelle le 06 septembre 2019 et à la tenue des élections communales, municipales et locales en attendant la décision sur le fond de la requête principale.
ii. De s'abstenir de tout acte ou de toute action qui pourrait causer des dommages irréparables et susceptibles de préjudicier irrémédiablement à la requête principale devant la Cour jusqu’à ce qu’elle ait statué sur ladite requête.
iii. De faire rapport à la Cour dans un délai qu’il plaira à la Cour de fixer.
19. La Cour relève que l’article 27(2) du Protocole dispose comme
d'éviter des dommages irréparables à des personnes la Cour ordonne les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes ».
20. L'article 51(1) du Règlement intérieur, par ailleurs, dispose que :« La Cour peut, soit à la demande d’une partie ou de la Commission, soit d'office, indiquer aux parties toutes mesures provisoires qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice ».
21. Au vu de ce qui précède, la Cour tiendra compte du droit applicable en matière de mesures provisoires, qui ont un caractère préventif et ne portent pas préjudice du fond de la requête. La Cour ne peut les ordonner pendente lite que si les conditions de base requises sont réunies : l'extrême gravité, l’urgence et la prévention de dommages irréparables sur les personnes.
22. La Cour note que le requérant met en doute le fonctionnement de la structure administrative le COS qui du fait de sa composition déséquilibrée entre le pouvoir en place et les partis d’opposition, ne serait pas impartiale.
23. La Cour note que la demande de mesures provisoires qui vise à suspendre le fonctionnement de la COS touche aussi la question du fond sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer à l'avenir. 24. La Cour relève aussi que le requérant ne fournit pas de preuves du caractère, urgent et grave et le risque de dommages irréparables que cette structure pourrait lui causer, comme cela est exigé par 786 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l’article 27 du Protocole.
25. Au vu de ce qui précède, la demande de mesures provisoires est rejetée.
VII. Dispositif
26. Par ces motifs,
La Cour, a la majorité de 9 pour et 2 contre, les juges Ag Ao et Ak An ayant vote contre.
i. Décide de ne pas accorder les mesures provisoires.
Opinion dissidente : BEN ACHOUR
1. Je suis au regret de ne pas partager la décision de la Cour de rejeter la demande en indication de mesures provisoires formulée par le requérant XYZ dans l'affaire l’opposant à la République du Bénin (requête No. 59/2019).
2. La demande du requérant consiste à ce que la Cour ordonne à l’État défendeur de :
«i. de surseoir aux travaux du Conseil d'orientation et de supervision (COS) installé par la Cour constitutionnelle le 06 septembre 2019 et à la tenue des élections communales municipales et locales en attendant la décision sur le fond de la requête principale.
ii. de s'abstenir de tout acte ou de toute action qui pourrait causer des dommages irréparables et susceptibles de préjudicier irrémédiablement à la requête principale devant la Cour jusqu'à ce qu’elle ait statue sur ladite requête.
iii. de faire rapport à la Cour dans un délai qu’il plaira à la Cour de fixer. »
3. Avant de nous intéresser au cas présent, il y a lieu de relever que la plupart des juridictions internationales sont habilitées à prononcer des mesures provisoires ou conservatoires.! Il en a été ainsi de la Cour permanente de justice internationale (CPJI).
1 R Bernrahdt (ed) Aj Ac Af Z Ad Am BAh/ Aa, Springer-Verlag, 1994) ; L Collins ‘Provisional and Protective Measures in International Litigations’ (1992) 234 Recueil des Cours de l'Académie de Droit International.
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Il en est ainsi aujourd’hui de la Cour internationale de justice (CIJ),? de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH} et de la Cour interaméricaine des droits de l'homme,“ de la Cour de
justice de l’Union européenne (CJUE),® de la Cour de justice de la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (CJCEDEAO).S Il en est également ainsi des organes « quasi juridictionnel » tels que le Comité des droits de l'homme,” le Comité contre la torture“
Article 41(1) du Statut de la Cour internationale de justice dispose que « La Cour a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire ».
Article 99 du Règlement de la Cour : « 1. La chambre ou, le cas échéant, le président de la section ou un juge de permanence désigné conformément au paragraphe 4 du présent article peuvent, soit à la demande d’une partie ou de toute autre personne intéressée, soit d'office, indiquer aux parties toute mesure provisoire qu’ils estiment devoir être adoptée dans l'intérêt des parties ou du bon déroulement de la procédure. 2. Le cas échéant, le Comité des Ministres est immédiatement informé des mesures adoptées dans une affaire. 3. La chambre ou, le cas échéant, le président de la section ou un juge de permanence désigné conformément au paragraphe 4 du présent article peuvent inviter les parties à leur fournir des informations sur toute question relative à la mise en œuvre des mesures provisoires indiquées. 4. Le président de la Cour peut désigner des vice- présidents de section comme juges de permanence pour statuer sur les demandes de mesures provisoires. »
Article 63(2) de la Convention : « Dans les cas d'extrême gravité requérant la plus grande célérité dans l'action, et lorsqu'il s'avère nécessaire d'éviter des dommages iréparables à des personnes, la Cour pourra, à l’occasion d’une espèce dont elle est saisie, ordonner les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes. S'il s’agit d’une affaire dont elle n’a pas encore été saisie, elle pourra prendre de telles mesures sur requête de la Commission ».
Article 25(1) du Règlement : « 1. À tous les stades de la procédure, en cas d’affaires d’une extrême urgence et d’une extrême gravité, et lorsqu'il s'avère nécessaire de prévenir des dommages irréparables aux personnes, la Cour peut ordonner, ex officio, ou à la requête d’une partie, dans les conditions prévues à l'article 63.2 de la Convention, les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes. »
Article 160 du Règlement de procédure de la Cour : « 1. Toute demande de sursis à l'exécution d’un acte d’une institution aux termes des articles 278 TFUE et 157 TCEEA n’est recevable que si le demandeur a attaqué cet acte dans un recours devant la Cour. 2. Toute demande relative à l’une des autres mesures provisoires visées à l'article 279 TFUE n’est recevable que si elle émane d’une partie à une affaire dont la Cour est saisie et si elle se réfère à ladite affaire ».
Article 79 du Règlement de procédure de la CIJCEDEAO « Les demandes visées à l’article 20 du Protocole spécifient l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure provisoire sollicitée. 2. La demande est présentée par acte séparé et dans les conditions prévues aux articles 32 et 33 du présent règlement ».
Article 92 du Règlement intérieur du Comité : « Avant de faire connaître à l’État partie intéressé ses vues définitives sur la communication, le Comité peut informer cet État de ses vues sur l'opportunité de prendre des mesures provisoires pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime de la violation alléguée. Ce faisant, le Comité informe l'État partie que l'expression de ses vues sur l’adoption desdites mesures provisoires n'implique aucune décision sur la communication quant au fond. »
Article 114(1) du Règlement du Comité : « 1. Le Comité, un groupe de travail ou le(s) Rapporteur(s) chargé(s) des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection peut (peuvent), à tout moment après avoir reçu une requête, adresser 788 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
ou encore de la Commission africaine des droits de l'homme et
4. Le texte de référence pour la Cour de céans en matière de mesures provisoires est l’article 27(2) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples en date 9 juin 1998 portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après le Protocole) qui dispose que : « Dans les cas d'extrême gravité ou d’urgence et lorsqu'’il s'avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes, la Cour ordonne les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes. »
5. Pour sa part, l’article 51(1) du Règlement intérieur de la Cour est venu préciser cette disposition du Protocole en ces termes :
« Conformément au paragraphe 2 de l'article 27 du Protocole, la Cour peut, soit à la demande d’une partie ou de la Commission, soit d’office, indiquer aux parties toutes mesures provisoires qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice. »
6. En l'espèce, le requérant critique la composition partisane du Conseil d'orientation et de supervision (COS), et compte tenu de l’imminence de l'échéance électorale, prévue, en principe, pour le premier trimestre de l’année 2020, il craint que le temps que la Cour examine l’affaire au fond, il ne soit trop tard, c’est-à-dire que les élections se soient déjà tenues.
7. Pour rejeter la demande de mesures provisoires, la Cour estime que la question du sursis aux travaux du COS préjuge du fond de l'affaire et que les preuves de l'urgence et de la gravité de la situation n’ont pas été fournies par le requérant :
« 23. La Cour note que la demande de mesures provisoires qui vise à suspendre le fonctionnement de la COS touche aussi la question du fond sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer à l'avenir.
24. La Cour relève aussi que le requérant ne fournit pas de preuves du caractère, urgent et grave et le risque de dommages irréparables que cette structure pourrait lui causer, comme cela est exigé par l’article 27 du Protocole.
25. Au vu de ce qui précède, la demande de mesures provisoires est rejetée. »
8. Nous ne partageons pas l’opinion de la majorité, car il nous
à l'État partie intéressé une demande pressante afin qu’il prenne les mesures provisoires que le Comité juge nécessaires pour éviter qu'un préjudice irréparable ne soit causé à la victime ou aux victimes de la violation alléguée. »
9 Article 98(1) du Règlement de procédure de la Commission : « À tout stade de la Communication, et avant la décision sur le fond, la Commission peut, sur sa propre initiative ou à la demande d’une partie à la Communication, indiquer à l'État partie concerné aussitôt que l'exige la situation, les mesures conservatoires à adopter pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la ou aux victimes de la violation alléguée ».
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semble que la demande de mesures provisoires satisfait aux deux critères posés par l’article 27(2) du Protocole, à savoir, d’une part, « l’extrême gravité ou l'urgence » (l) et, d'autre part, la possibilité de « dommages irréparables » (Il), étant entendu que ces deux critères sont à la fois cumulatifs et réciproquement connectés. Quant à l'affirmation que l'examen de la demande de mesures provisoires « touche aussi la question au fond » cela relève de l'évidence même. Aucun examen d’une demande de mesures provisoires ne peut faire abstraction du fond de l'affaire, mais la décision de mesures provisoires ne préjuge pas du fond (III).
L’extrême gravité ou l’urgence
Les mesures provisoires s’intègrent dans les mesures d’urgence ordonnées par les juridictions. Elles ont été transposées du droit processuel interne au droit international. Elles présentent, dans l’ordre international, plusieurs similitudes avec certaines procédures d'urgence internes comme la procédure du sursis à exécution bien connue en droit administratif. Comme le relève très justement le juge Cançado Trindade, les mesures provisoires revêtent une « dimension préventive » dans la protection internationale des droits de l'homme. || précise qu’elles « représentent aujourd’hui, une véritable garantie juridictionnelle de caractère préventif et constituent l’un des aspects les plus gratifiants de l’action de sauvegarde internationale des droits fondamentaux de la personne humaine »."°
10. Concernant les pouvoirs de la Cour africaine d'indiquer des mesures provisoires, ce caractère de procédure d'urgence est mis en exergue par le texte du Protocole qui conditionne l’exercice de ce pouvoir « [dJans les cas d'extrême gravité ou d'urgence ». Par conséquent, la Cour doit vérifier s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un réel risque qu’une action préjudiciable aux droits du requérant ne soit commise avant que la Cour ne rende sa décision sur le fond. || s'agit donc de parer au plus vite pour éviter toute complication de la situation.
11. L’urgence ne s’apprécie bien évidemment pas in abstracto, mais sur la base des faits de l'espèce tels qu’ils ressortent aussi bien de la demande de mesures provisoires que de la requête au
10 AAC Trindade ‘Les mesures provisoires de protection dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme’, Conférence prononcée le 2 juillet 2002 dans le cadre de la table ronde organisée par l'Institut international des droits de l'homme et l'Université de Paris Il à Strasbourg. http://Wwww.corteidh.or.cr/ tablas/r26311.pdf 790 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
fond. Une demande de mesures provisoires ne peut être prise en considération par la Cour, si une requête au fond n’a pas été introduite devant la Cour. Cependant, pour ordonner des mesures provisoires, la Cour n’a pas besoin d'établir l'existence de violations de la Charte ou de tout autre instrument des droits de l'homme ratifié par l'Etat défendeur, ni de conclure de façon définitive sur les faits. En effet, tout Requérant peut se prévaloir, dans le cadre d’une demande en indication de mesures provisoires, des droits que lui reconnaît la Charte, dès lors qu’il est établi que la poursuite de l’action étatique contestée risque de priver l’arrêt au fond de la Cour de toute effectivité et le rendre de ce fait la requête sans objet.
12. En l'espèce, il est établi prima facie que la composition du COS pose problème dans la mesure où aucun parti politique d'opposition n’y est représenté. Par ailleurs, la date rapprochée des élections communales, municipales et locales est un élément fondamental que la Cour aurait dû prendre en considération pour conclure que l'élément de l'urgence est établi et ordonner, sur cette base, le sursis à la poursuite des travaux du COS, d'autant plus qu’il est absolument certain que la Cour ne sera pas en mesure de se prononcer sur le fond de l'affaire avant le déroulement desdites élections.
13. Le deuxième critère posé par l’article 27(2) du Protocole se réfère à la notion de « dommages irréparables ». Le but des mesures provisoires que la Cour est susceptible de prononcer consiste à « éviter » ces dommages irréparables aux personnes.
14. En effet, il y a lieu d’indiquer des mesures provisoires dès que le comportement de l'Etat défendeur risque de causer au requérant un préjudice qu’il sera par la suite très difficile ou impossible d'effacer ou de réparer de manière adéquate. Par conséquent, l'objectif des mesures provisoires est d'éviter l’aggravation du différend et de permettre une bonne administration de la justice. 15. C’est ainsi par exemple, que dans l'affaire LaGrand, la Cour internationale de justice, a rendu le 3 mars 1999, une ordonnance en indication de mesures conservatoires par laquelle elle imposait aux Etats-Unis entre autres de « prendre toutes les mesures dont ils dispos[aient] pour que [le ressortissant allemand] ne [fût] pas exécuté tant que la décision en la présente instance n’aura|[it] pas été rendue ». Les deux ressortissants allemands ont, cependant,
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été exécutés par les Etats-Unis.
16. Dans l'affaire du personnel diplomatique et consulaire des Etats- Unis à Téhéran, la ClJ a considéré que « [Ja persistance de la situation qui fait l’objet de la requête expose les êtres humains concernés à des privations, à un sort pénible et angoissant et même à des dangers pour leur vie et leur santé et par conséquent, une possibilité sérieuse de préjudice irréparable» et la Cour de conclure « [q]ue les circonstances exigent qu'elle indique des mesures conservatoires, ainsi qu’il est prévu à l’article 41 du Statut, en vue de sauvegarder les droits invoqués ».”
17. Ainsi, et comme le relève la CIJ « [le droit pour la Cour d’indiquer des mesures conservatoires, prévu à l’article 41 du Statut. a pour objet de sauvegarder les droits des parties en attendant que la Cour rende sa décision, qu’il présuppose qu’un préjudice irréparable ne doit pas être causé aux droits en litige devant le juge et qu'aucune initiative concernant les mesures litigieuses ne doit anticiper sur l’arrêt de la Cour »".
18. Dans la jurisprudence de toutes les instances internationales de protection des droits de l'homme le caractère irréparable du préjudice est déterminant pour l’indication de mesures provisoires. Il en est ainsi pour les juridictions régionales,"* mais également pour les comités conventionnels des Nations Unies ou pour la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Dans la plupart des cas, les mesures provisoires concernent des ordres d’expulsion, des ordonnances d’extradition ou des peines
19. Dans cette affaire XYZ c. la République du Bénin, la Cour n’a pas cherché à s'assurer de la date des élections. Elle s'est contentée d'affirmer que « La Cour relève aussi que le Requérant ne fournit pas de preuves du caractère, urgent et grave et le risque de
11 CIJ, Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Ae BC c. Iran), Ordonnance du 15 décembre 1979, para 42 et 43.
12 ClJ, Affaire relative à la compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord c. Islande), demande en indication de mesures conservatoires, Ordonnance du17 août 1972.
13 A titre d’exemple, la CEDH a reçu en 2018, (1540) demandes de mesures provisoires contre (1683) en 2017. La Cour a fait droit à la demande dans 143 cas (contre 117 en 2017, soit une augmentation de 22 %) et l’a rejetée dans 486 cas (contre 533 en 2017, soit une diminution de 9 %). Les autres demandes ne relevaient pas du champ d'application de l’article 39 du règlement. Cinquante- neuf pourcent des demandes accueillies concernaient des affaires d'expulsion ou d'immigration. Source : CEDH, Analyse statistique 2018.https://www.echr.coe.int/ Documents/Stats_analysis_2018_FRA.pdf
14 P Al AJuridictions internationales et procédures d'urgence en matière des droits de l'homme’ (2011) Cahier africain des droits de l’homme 341-366.
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dommages irréparables que cette structure pourrait lui causer, comme cela est exigé par l’article 27 du Protocole », alors qu’il revenait à la Cour elle-même, dans le cadre de son pouvoir d'instruction de le faire. En vertu de sa mission de protection des droits de l'homme, la Cour a le devoir de s'assurer que la violation alléguée d’un droit de l'homme n’est pas susceptible de produire un dommage irréparable et que la violation soit largement consommée au moment où la Cour examinera l'affaire au fond. En s'abstenant de le faire, la Cour pourrait se trouver à examiner un requête devenue sans objet. Nous citerons de nouveau le juge Cançado Trindade qui abonde dans ce sens lorsqu'il écrit que « [l'objet des mesures conservatoires ou provisoires dans le contentieux international (dans le cadre du Droit international public) est bien connu : préserver les droits revendiqués par l’une des parties quant au fond de l'affaire, empêchant ainsi que celle-ci ne soit dépourvue d'objet et d’efficacité, et que le résultat final du procès en soit frustré »"5.
IN. L’ordonnance de mesures provisoires ne préjuge pas du fond
20. Par définition, la mesure ordonnée par la Cour est simplement provisoire. Cela veut dire que, non seulement, elle n’est pas définitive mais qu’elle est également révisable voire révocable à tout moment si, compte tenu des circonstances de l'affaire, la Cour l’estime nécessaire. Cela relève de la nature même de l'ordonnance de mesures provisoires ainsi que du pouvoir discrétionnaire d’appréciation de la Cour.
21. Dans plusieurs de ses ordonnances portant mesures provisoires, la Cour a précisé que son pouvoir en la matière ne peut être exercé que compte tenu des circonstances de l'affaire. Cela veut dire, en toute logique, qu'il est impossible d’examiner la demande de mesures provisoire en elle-même et pour elle-même, faisant abstraction des éléments de la requête au fond. Il s'agirait dans ce cas d’un exercice impossible. Pour se déterminer sur la pertinence de la demande de mesures provisoires, la Cour doit impérativement avoir à l'esprit le sérieux de la requête au fond, la nature des violations des droits de l'homme alléguées, les circonstances de ces violations, etc. Comme elle l’affirme dans plusieurs de ses ordonnances ultérieures, « La Cour observe qu’il lui appartient de décider dans chaque cas d'espèce si, à XYZ c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RJCA 782 793
la lumière des circonstances particulières de l'affaire, elle doit exercer la compétence qui lui est conférée par les dispositions
22. De même, la Cour a toujours tenu à préciser dans toutes ses ordonnances que « La présente ordonnance portant décision [sur] les mesures provisoires demeure de nature provisoire et ne préjuge en rien des conclusions de la Cour quant au fond de l'affaire ».7 Par conséquent, dans l’ordonnance ci-dessus, la Cour n’avait pas à rejeter la demande au motif qu’elle « touche aussi la question au fond ». Cela relève de l'évidence même. Toute demande de mesures provisoire touche aussi la question au fond mais elle ne préjuge jamais de la question au fond. C’est cette nuance que nous aurions aimé voir la Cour consacrer dans cette ordonnance.
Opinion dissidente : BENSAOULA
1. Dans l’ordonnance ci-dessus XYZ c. République du Benin, je ne partage pas la décision de la majorité des juges de la Cour :
i) Décidant de ne pas accorder les mesures provisoires demandées
2. En effet il ressort de l'ordonnance que le requérant a demandé à la Cour « d’ordonner à l’État défendeur de sursoir aux travaux de la structure administrative dénommée Conseil d'orientation et de supervision installée par la Cour constitutionnelle aux vus des élections municipales et locales et de s'abstenir de tout acte ou de toute action qui pourrait causer des dommages irréparables » 3. Il ressort des termes de l’article 27(2) du protocole que « dans les cas d’extrême gravité et lorsqu'’ il s'avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes la Cour ordonne les
16 Affaire Suy Y Ai Ab et autres c. République de Côte d'Ivoire, Requête No 44/2019, Ordonnance portant mesures provisoires, 28 novembre 2019
17 Idem.
794 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
mesures provisoires qu’elle juge pertinente »
4. Comme il ressort de l’article 51(1) du règlement intérieur que « la Cour peut, soit à la demande d’une partie ou de la Commission, soit d'office, indiquer aux parties toutes mesures provisoires qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice ».
5. Par définition les mesures provisoires sont des mesures prises en urgence sans préjudicier au fond pour éviter des dommages irréparables et dont les effets cesseront avec la décision que rendra la Cour quant au fond du litige pendant devant elle.
6. L'urgence se mesurant sur le préjudice irréparable ou aggravé et la possibilité du rétablissement des droits à la date ou la décision au fond est prise.
7. Il ressort des faits, bases de la demande de mesures provisoires, que le requérant dans sa requête au fond demande à la Cour d’obliger l’État béninois à créer des organes électoraux indépendants et impartiaux.
8. De constater que l’État a violé ses droits, de participer librement à la direction des affaires publiques de son pays, à une égale protection de la loi, au droit à la paix et la sécurité nationale et internationale et de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance.
9. Il ressort des faits relatés par le requérant et que n’a pas nié l’État défendeur, n’ayant pas répliqué à la requête du requérant bien que dument notifié, que la structure administrative indépendante en charge du fichier électoral national et l’établissement de la liste électorale permanente objet de la demande de mesures provisoires opérera pendant les élections locales prévues pour le premier trimestre 2020 faits que ne nie pas le défendeur aussi pour les mêmes raisons citées plus haut.
10. || ressort également du programme annuel des sessions de la Cour que la première session que tiendra la Cour en l’année 2020 sera au mois de mars.
11. Devant cet état de faits les probabilités pour que l'affaire au fond soit programmée bien après les élections est à prévoir d’une part. 12. Et que le requérant met en cause la fiabilité de la structure en charge de l'établissement du fichier électoral quant à la garantie d'élections démocratiques ou toutes les catégories du peuple béninois sera représentée d’autres parts.
13. Il est clair que l'urgence en la matière n’est plus à prouver et que les dommages que pourrait subir le requérant par les activités de la structure si elle, restait opérationnelle malgré l'affaire au fond qui remet en question sa nature alléguée non démocratique,
XYZ c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RICA 782 795
seraient irréparables.
14. Et que donc l'extrême gravité et les dommages irréparables éléments clefs énoncés par l’article 27(2) du protocole sont établis.
15. Ainsi la Cour, en se contentant dans ses paragraphes 24 et 25 de conclure que « la demande de mesures provisoires qui vise à suspendre le fonctionnement de l’organe électoral en question touche aussi la question du fond sur lequel la cour est appelée à se prononcer à savoir la possible partialité de cette structure » 16. Et « que le requérant ne fournit pas de preuves du caractère urgent et grave et le risque de dommages irréparables que cette structure pourrait lui causer … »
17. A failli à son obligation de motiver ses décisions de par le fait que suspendre les activités d’une structure clefs dans le processus des élections dans le pays défendeur ne peut et en aucun cas préjudicié au fond de par le fait que si cette structure continue à élaborer dans ce processus des élections et que les élections s'organisent l'affaire au fond n'aura plus raison d’exister car sans objet et de ce fait la Cour aura, par manque de diligence, fait subir au requérant des préjudices irréparables surtout que la demande au fond se base sur l’impartialité et l'indépendance des organes électoraux et ainsi à l’allégation de violation de la charte africaine de la démocratie des élections et de la bonne gouvernance.
18. De par le fait que cette structure selon le requérant, allégation que l’État défendeur n’a pas nié car n'ayant pas répliqué à la requête du requérant, ne représentent que les partis politiques de la mouvance présidentielle et qu'aucun parti politique de l'opposition n’en fait partie. Ce qui met en doute la crédibilité du processus électoral.
19. Que la signification de l'expression « ne préjuge pas du fond de la requête » ne signifie en aucun cas ne pas s’imprégner des circonstances et des faits de la requête principale pour juger l'urgence et les préjudices irréparables mais que les mesures provisoires prises ne touchent pas le fond dans le cas d'espèce dire par exemple que la structure par sa composition n’est pas indépendante et que donc les mesures soient prises sur cette base.
20. Et que dans l'intérêt de la justice et afin que l'affaire au fond ne devienne sans objet par l'exécution effective des travaux de la structure et donc l’organisation des élections premier trimestre 2020.
796 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
ii) Quant au dispositif de l’ordonnance
21. Il ressort du dispositif de l’ordonnance que la Cour s'est contentée de déclarer « la Cour à la majorité de neuf contre deux décide de ne pas octroyer les mesures »
22. A mon avis cette façon de faire est contraire aux termes des articles 3 et 5(3) du protocole et du corps même de l’ordonnance rendue. En effet aux termes des articles 3 et 5(3) du protocole la Cour dès qu’elle est saisie procède à un examen préliminaire de sa compétence.
23. Cette obligation faite à la Cour a été remplie dans les paragraphes 12 à 17 de l'ordonnance avec les références à sa jurisprudence qui, en matière de mesures provisoires, n’oblige pas la Cour à s'assurer qu’elle a compétence sur le fond de l'affaire mais simplement qu’elle a compétence prima facie.
24. Qu’en concluant dans son paragraphe 17 qu’elle avait compétence prima facie la Cour aura ainsi tranché la première phase de ce qui aurait du paraitre dans son dispositif.
Ainsi le dispositif aurait été à mon avis.
25. Par ces motifs
La Cour,
A l’unanimité :
i. Déclare qu’elle a la compétence prima facie
ii. Ala majorité de neuf contre deux
iii. Déclare le demande de mesures provisoires infondée