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22/09/2020 | CADHP | N°017/2017

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 22 septembre 2020, 017/2017


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Y AG A ET AUTRES
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 017/2017
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
A Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A. Exceptions d’incompétence de la Cour
1 Exception d’incompétence matérielle
il, Exception d’incompétence temporelle

B. Autres aspects de la compétence
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
A. Conditions de recevabilité en litige entre les Parties
1 Ex...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Y AG A ET AUTRES
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 017/2017
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
A Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A. Exceptions d’incompétence de la Cour
1 Exception d’incompétence matérielle
il, Exception d’incompétence temporelle
B. Autres aspects de la compétence
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
A. Conditions de recevabilité en litige entre les Parties
1 Exception tirée du non-épuisement des recours internes
il, Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
B. Autres aspects de la recevabilité
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 10
10
11
14
14 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAY A, Vice-président ; Ben KIOKO, Cb Bg
B, Bu AI, As Cf C, Ak AL, Stella
|. ANUKAM, Bb Cc X, Bk AN, Bt Bs Z El —] uges ; et de
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement de
la Cour (ci-après désigné « le Règlement»), la J uge Imani D. ABOUD, Présidente de
la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
Y AG A et autres
Assurant eux-mêmes leur défense
Contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
Représenté par
M. Av Cg AK, Ce At, Bureau du Solicitor General.
Après en avoir délibéré
rend l’Arrêt suivant :
L LES PARTIES
1. Les sieurs Y AG A, Bn Bc Ar,
Ck Cd et Ac Bi AHci-après dénommés les « Requérants ») sont
des ressortissants tanzaniens qui, au moment du dépôt de la Requête,
purgeaient une peine de trente (30) ans de réclusion à la prison centrale
d’Uyui dans la région de Tabora après avoir été reconnus coupables de vol à main armée et de viol en réunion. Ils contestent la conduite de leur procès
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également
déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du
Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour recevoir
des requêtes émanant d'individus et d'organisations non gouvernementales
(ci-après désignée «la Déclaration»). Le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l'Union
africaine (ci-après dénommée la « CUA ») un instrument de retrait de sa
Déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole. La Cour a jugé que
ce retrait n’a aucun effet, d’une part, sur les affaires pendantes et d’autre
part, sur les nouvelles affaires déposées avant l'entrée en vigueur du retrait,
un an après son dépôt, le 22 novembre 2020!.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier devant la Cour que le 27 décembre 1999, les
Requérants ont perpétré un vol à main armée au préjudice d’un tenancier
de boutique, le délestant de la somme de cent soixante mille (160 000)
shillings tanzaniens, au moment où celui-ci s’apprêtait à ouvrir son
échoppe. Au cours du vol, les Requérants ont demandé au tenancier
d'appeler le propriétaire de la boutique, dont le domicile était attenant à
l’'échoppe, ce qu’il a fait. Le propriétaire de la boutique et son épouse ont
alors ouvert la porte de leur maison. C’est alors que le propriétaire a été
agressé parles Requérants à l’aide d’une barre de fer et, le laissantallongé
1Andrew Br Bv c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 88 37 à 39.
sur le sol, ceux-ci ont conduit son épouse à l’extérieur où ils l’ont violée
collectivement.
4, Le 16 février 2001, les Requérants ont été accusés conjointement, avec
d’autres personnes ne comparaissant pas devant la Cour de céans, de deux
infractions, à savoir : vol à main armée et viol en réunion, devant le Tribunal
de district de Musoma. Le 16 juillet 2002, ils ont été reconnus coupables
des deux infractions et condamnés à trente (30) ans de réclusion pour le
vol à main armée et à la réclusion à perpétuité pour le viol en réunion, ces
peines devant être purgées concurremment. Les Requérants ont interjeté
appel de cette décision devant la Haute Cour de Tanzanie siégeant à
Al, qui a confirmé la décision de la juridiction inférieure le 2 juillet
2004. Ils ont ensuite formé un recours devant la Cour d'appel, qui l’a rejeté
dans son intégralité le 16 mars 2007.
B. Violations alléguées
5, Les Requérants allèguent la violation des droits suivants :
i. Le droit à l’égalité devant la loi et une égale protection de la Cour protégé
par l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
ï. Le droit à un procès équitable protégé par l’article 7(1) de la Charte ;
iii. Le droit à la défense inscrit à l’article 7(1)(c) de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. LaRequête a été déposée le 13 juin 2017. Le 10 août 2017, les Requérants
ontintroduit une demande de jonction d’instances et de procédures avec la
Requête n° 010/2016, Bq Ai Ax c. République-U nie de
Tanzanie.
7. Le 9 février 2018, la Cour a rejeté la demande de jonction d’instances en
indiquant que les débats avaient déjà été clos dans le cadre de la Requête n° 010/2016, Bq Ai Ax c. République-Unie de Tanzanie
et qu’une jonction entraînerait un retard dans l’examen de cette requête.2
8. Le 12 février 2018, la Requête a été communiquée à l’État défendeur et
celui-ci a déposé sa réponse le 17 août 2018.
9. Les Parties ont soumis leurs observations sur le fond de la Requête et sur
les réparations après avoir bénéficié de plusieurs prorogations de délai.
10. Les débats ont été clos le 27 juillet 2022 et les Parties ont été dûment
informées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
11. Les Requérants demandent à la Cour de « rétablir la justice là où elle a été
bafouée, d'annuler la déclaraton de culpabilité et la peine
d'emprisonnement prononcées à leur encontre et d'ordonner leur remise en
12. En ce qui concerne la compétence et la recevabilité, l’État défendeur
demande à la Cour de conclure comme suit :
1. L’honorable Cour africaine des droits de l’homme et des peuples n’est pas
compétente pour statuer sur la présente Requête ;
2. La Requête ne satisfait pas aux conditions de recevabilité énoncées à
l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ou de l’article 6(2) du
Protocole ;
3. La Requête ne satisfait pas aux conditions de recevabilité énoncées à la
règle 40(6) du Règlement intérieur à l’article 6(2) de la du Protocole ;
4. La Requête est irrecevable ;
5. La Requête est rejetée conformément à l’article 38 du Règlement intérieur
de la Cour;
6. Mettre les frais de procédure à la charge du Requérant.
? La Cour a rendu son arrêt dans la requête n° 010/2016 le 25 septembre 2020.
13. S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
1. Dire que gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé
les droits des Requérants prévus à l’article 3(2) de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples ;
2. Dire que le gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé
les droits des Requérants prévus à l’article 7(1)(c) de la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples ;
3. Rejeter la Requête au motif qu’elle est sans fondement;
4. Rejeter la demande de réparations formulée par les Requérants ;
5. Dire que les Requérants purgent une peine légitime ;
6. Rejeter les demandes des Requérants ;
7. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge des
Requérants.
V. SUR LA COMPÉTENCE
14. La Cour fait observer que l’article 3 du Protocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États
concernés.
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour estcompétente, la Cour décide.
15. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [I] a Cour procède à examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au Protocole
etau présent Règlement».
16. Il ressort des dispositions suscitées que la Cour doit, à titre préliminaire,
procéder à un examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles
exceptions d’incompétence qui s’y rapportent.
17. L'État défendeur soulève deux exceptions tirées de la compétence
matérielle et temporelle de la Cour.
A. Exceptions d’incompétence de la Cour
i. Exception d’incompétence matérielle
18. L'État défendeur soutient que la Cour n’est pas compétente pour connaître
de la présente Requête, car celle-ci soulève des questions de fait et de droit
qui ont été tranchées de manière définitive par sa Cour d'appel. L’État
défendeur fait valoir qu’il est demandé, en l’espèce, à la Cour de siéger en
tant que juridiction d'appel.
19. S’appuyant sur la règle 26 du Règlement et sur l’arrêt rendu dans l'affaire
Ernest Bz Aa c. République du Malawi, l’État défendeur fait
également valoir que la Cour n’est pas compétente pour annuler la
condamnation et les peines prononcées à l'encontre du Requérant, ni pour
ordonner sa remise en liberté, ces décisions ayant été confirmées par sa
plus haute juridiction.
20. Les Requérants affirment, quant à eux, que la Cour est compétente pour
statuer sur la présente Requête « conformément aux articles 3 et 27 du
Protocole ». Ils soutiennent, en outre, que la compétence de la Cour s’étend
à l'examen de la conformité des procédures engagées devant les
juridictions nationales avec la Charte.
21. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, qu’en vertu
de l’article 3(1) du Protocole, elle est compétente pour examiner toute
requête introduite devant elle dès lors que celle-ci allègue la violation de
droits garantis par la Charte, le Protocole ou par toutautre instrument relatif
aux droits de l'homme ratifié par l’État défendeur.
22. La Cour rappelle en outre que, même si elle n'exerce pas de compétence
d'appel à l'égard des décisions rendues par les juridictions internes, elle est
compétente, conformément aux dispositions de l’article 3(1) du Protocole,
pour apprécier si les obligations contractées en vertu de la Charte et de tout
autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État défendeur ont
été respectées.
23. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a la compétence
matérielle pour connaître de la Requête.
ii. Exception d’incompétence temporelle
24. L'État défendeur fait valoir que les violations alléguées ne sont pas
continues dans la mesure où les Requérants purgent, à bon droit, une peine
pour la commission d’une infraction sanctionnée par la loi. I! soutient donc
que la Cour n’a pas la compétence temporelle pour examiner la présente
Requête.
25. Les Requérants n’ont pas conclu sur cette exception.
26. La Cour relève que les violations alléguées en l’espèce reposent sur une
allégation de déni du droit à un procès équitable devant les juridictions
nationales, survenu entre 2001 et 2007. Les violations alléguées se sont
donc produites après que l’État défendeur a ratifié la Charte et le Protocole,
même si elles sont survenues avant le dépôt de la Déclaration le 29 mars
2010. Toutefois, elles se sont poursuivies dans la mesure où les
Requérants purgent toujours des peines fondées sur des condamnations
prononcées à l'issue de procédures devant les juridictions nationales qui,
de leur point vue, sont inéquitables.°
3 Ay Ah c. Tanzanie, $ 24; Be Aw c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 031/2015, Arrêt du 28 novembre 2019, $ 28 (ii) ; Ao Bp et autres c. Ap Az (exceptions préliminaires) (25 juin 2013), 1 RJ CA 204, 88 71 à 77.
27. La Cour fait en outre observer, conformément au principe de non-
rétroactivité, qu’elle ne peut examiner des allégations de violations des
droits de l'homme survenues avant la prise d'effet des obligations de l’État
défendeur, que lorsque lesdites violations ont un caractère continu, comme
c’est le cas en l'espèce et comme indiqué au paragraphe précédent.
28. En conséquence, la Cour rejette l’exception et déclare qu’elle a la
compétence temporelle en l'espèce.
B. Autres aspects de la compétence
29. La Cour relève, s'agissant de sa compétence personnelle, que, comme
indiqué précédemment dans le présent Arrêt, l'État défendeur est partie au
Protocole et que, le 29 mars 2010, il a déposé auprès de la Commission de
l’Union africaine la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole. Par la
suite, le 21 novembre 2019, il a déposé un instrument de retrait de ladite
Déclaration.
30. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la Déclaration
n'a pas d'effet rétroactif et qu’il n’entre en vigueur qu’un an après sa
notification, soit le 22 novembre 2020 en l'espèce. La présente Requête,
introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son avis de retrait, n’en
est donc pas affectée. En conséquence, la Cour conclut qu’elle a la
compétence personnelle en l'espèce.
31. La Cour relève qu’elle a la compétence territoriale, les violations alléguées
s’étant produites sur le territoire de l’État défendeur.
32. Compte tenu de ce qui précède, la C our conclut qu’elle estcompétente pour
examiner la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
33. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
34. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [I] a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, etau
présent Règlement.
35. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat;
b. Être compatibles avec l'Acte constitutif de l'Union africaine et la
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la
procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.
36. L'État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la Requête, la
première étant tirée du non-épuisement des recours internes et, la
deuxième du non-respect de l’exigence du dépôt des requêtes dans un
délai raisonnable après épuisement des recours internes.
A. Conditions de recevabilité en litige entre les Parties
i. Exception tirée du non-épuisement des recours internes
37. L'État défendeur soutient que la Requête a été déposée prématurément
devant la Cour de céans, les Requérants ayant dû introduire un recours en
inconstitutionnalité devant la Haute Cour pour dénoncer la violation de leurs droits.
38. L'État défendeur soutient, en outre, que les Requérants auraient pu former
un recours en révision de l'arrêt de la Cour d'appel conformément aux
dispositions de la règle 66 (Partie II! B) du Règlement de la Cour d’appel de
Tanzanie (2009).
39. L'État défendeur faitenfin valoir que les recours internes étaient disponibles
aux Requérants et que les procédures desdits recours n'étaient pas
prolongées de façon anormale.
40. Les Requérants soutiennent, pour leur part, que leur Requête devrait être
jugée recevable conformément aux articles 5(3) et 6(1) et (2) du Protocole.
41. La Cour relève que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
déposée devantelle doit satisfaire à l’exigence de l'épuisement des recours internes. La règle de l'épuisement des recours internes vise à donner aux
États la possibilité de traiter les violations des droits de l’homme relevant de
leur juridiction avant qu’un organe international des droits de l’homme ne
soit saisi pour déterminer la responsabilité de l'État à cet égard.
42. La Cour de céans a également conclu dans un certain nombre d’affaires
impliquant l’État défendeur que les recours en inconstitutionnalité devant la
Haute Cour et en révision, tels qu'ils s'appliquent dans le système judiciaire
tanzanien, sont des recours extraordinaires qu’un requérant n’est pas tenu
d’épuiser avant de saisir la Cour de céans.°
43. En l'espèce, la Cour relève dans le dossier que les Requérants, après avoir
été condamnés par le Tribunal de district de Musoma le 16 juillet 2002, ont
interjeté appel de la déclaration de culpabilité et de la peine prononcées à
leur encontre devant la Haute Cour de Al, contestant l'équité de la
procédure, et que cet appel a été rejeté le 2 juillet 2004. Ils ont par la suite
saisi la Cour d'appel de Tanzanie, la plus haute juridiction de l’État
défendeur, qui le 16 mars 2007 a confirmé l'arrêt de la Haute Cour. Les
Requérants ont donc épuisé tous les recours internes disponibles.
44. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception tirée du non-épuisement
des recours internes.
ii. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
45. L'État défendeur soutient que la Cour d'appel a rendu son arrêt le 16 mars
2007 alors que les Requérants ont saisi la Cour de céans le 13 juillet 2017.
L’État défendeur rappelle, en outre, qu’il a déposé la Déclaration prévue à
l’article 34(6) le 29 mars 2010 et conclu que les Requérants ont déposé leur
Requête « sept (7) ans et quatre (4) mois » plus tard.
* Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai
5 Voir Bi Am c. Tanzanie (fond), op. cit. S 65; Ai Ba c. Tanzanie (fond) (3 juin 2016), 1 RJCA 599, $$ 66 à 70; Aq An c. Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJ CA 101, $ 44.
46. L'État défendeur fait observer que même si la Charte ne fixe pas de délai
pour la saisine de la Cour par les requérants, la Cour a déclaré qu’elle
examinerait, au cas par cas, le délai qu’il convient de qualifier de
raisonnable. L'État défendeur soutient que la Cour ne devrait pas
considérer que la Requête a été déposée dans un délai raisonnable, la
période de « sept (7) ans et quatre (4) mois » n'étant pas raisonnable.
47. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
48. La Cour relève que la règle 50(2)(f) du Règlement, qui reprend en
substance l’article 56(6) de la Charte, exige qu’une Requête soit déposée
dans :« un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours
internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer
à courir le délai de sa saisine ».
49. La Cour rappelle sa jurisprudence dans laquelle elle a conclu que « … le
caractère raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances
particulières de chaque affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par
cas ».5 Au nombre des circonstances que la Cour a prises en considération
figurent : le fait d’être incarcéré, profane en droit, et de ne pas bénéficier
d’une assistance judiciaire,” d’être indigent, d’être analphabète, de ne pas
avoir connaissance de l'existence de la Cour, de subir des intimidations et
de craindre des représaillesS ainsi que l’exercice de recours
6 Ao Bp et autres c. Ap Az (fonds) op. cit. $ 92. Voir également Bi Am c. Bd
AJ Bi Am c. Tanzanie (fond), op.cit., 5 73; Christopher J onas c. Tanzanie (fond) op.cit., $ 54, By c. Tanzanie (fond) (11 mai 2018), 2 RJ CA 344, $ 83.
8 Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes et Institute for Ab Bf and Development in Bo c. République du Mali (fond) (11 mai 2018) 2 RJ CA 380,5 54.
9 Ci Ch c. Tanzanie (fond et réparations) op.cit., 5 56 ; Bl Bx c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 520, $ 49; Aj Bj Bm c. République du Ghana, (fond et réparations) (28 juin 2019), 3 RJ CA 235, $8 83 à 86.
50. La Cour fait observer que le calcul du délai pour évaluer le caractère
raisonnable du dépôt de la Requête aurait dû se faire à partir de la date à
laquelle la Cour d’appel a rendu son arrêt, à savoir le 16 mars 2007.
Toutefois, en l'espèce, la date qui doit être prise en compte pour le calcul
du délai est le 29 mars 2010, date à laquelle l’État défendeur a déposé sa
Déclaration, car ce n’est qu'à partir de cette date que les individus pouvaient
saisir la Cour de requêtes dirigées contre l’État défendeur. La Requête
ayant été déposée le 13 juin 2017, le délai à prendre en compte est de sept
(7) ans, deux (2) mois et quinze (15) jours. La question à trancher est celle
de savoir si ce délai est raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte
et de la règle 50(2)(f) du Règlement.
51. À cetégard, la Cour a conclu en particulier que le non-dépôt d’une requête
dans un délai raisonnable du fait de l’indigence et de l’incarcération doit être
prouvé et ne peut être justifié par des affirmations ou des hypothèses
52. La Cour a conclu! qu’une période de cinq (5) ans et quatre (4) mois
constituait un délai de saisine non raisonnable. La Cour a indiqué que les
requérants, bien qu'étant incarcérés et restreints dans leurs mouvements,
n'ont ni affirmé, ni fourni la moindre preuve qu’ils sont illettrés, profanes en
matière de droit ou qu’ils ignoraient l’existence de la C our.!!
53. Enl’espèce, les Requérants n'ont pas soumis d'observations concernantle
dépôt de la Requête dans un délai raisonnable. À l’inverse, l’État défendeur
fait valoir que les Requérants n’ont pas saisi la Cour dans un délai
raisonnable.
54. Face à ces arguments, la Cour observe que bien qu’il ressorte du dossier
que les Requérants étaient incarcérés, aucun élément ne prouve que leur
incarcération a constitué un obstacle au dépôt de la Requête dans les
10 Ag Ca et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 015/2015, Arrêt du 26 septembre 2019 (recevabilité), 5 48.
délais. Dans ces conditions, les Requérants n’ont pas justifié pourquoi il leur
a fallu sept (7) ans, deux (2) mois et quinze (15) jours pour déposer la
Requête. En l'absence de justification claire et convaincante du délai
susmentionné, la Cour conclut que la Requête n’a pas été déposée dans
un délai raisonnable au sens de l'article 56(6) de la Charte et de la
règle 50(2)(f) du Règlement.
55, La Cour accueille donc l’exception de l’État défendeur relative au dépôt de
la Requête dans un délai non raisonnable.
B. Autres aspects de la recevabilité
56. Ayant constaté que la Requête n’a pas satisfait à la condition prévue à la
règle 50(2)(f) du Règlement, la Cour n’a pas à se prononcer sur la
conformité de la Requête aux conditions de recevabilité énoncées à
l’article 56 (1)(2)(3)(4) et (7) de la Charte, telles que reprises à la règle 50(2)
(a) (b) (c) (d) et (g) du Règlement,” ces conditions étant cumulatives.!*
57. Compte tenu de ce qui précède, la Cour déclare la Requête irrecevable.
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
58. L'État défendeur a demandé à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge du Requérant. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
13 Cj Af et Ae Au c. République du Mali (compétence et recevabilité) (21 mars 2018), 2 RJCA 237, $ 63; Bw Bh c. République du Rwanda (compétence et recevabilité) (11 mai 2018), 2 RJ CA 361, $ 48 ; Collectif des anciens travailleurs ALS c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 042/2015, Arrêt du 28 mars 2019 (compétence et recevabilité), $ 39.
59. La Cour relève qu'aux termes de la règle 32(2) du Règlement, « à moins
que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
procédure ».
60. La Cour ne trouve aucune raison de déroger au principe posé par cette
disposition et ordonne en conséquence que chaque Partie supporte ses
frais de procédure.
VIII. DISPOSITIF
61. Parces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
ii Rejette les exceptions d'incompétence
Sur la recevabilité
recours internes ;
iv. Reçoit l'exception d’irrecevabilité tirée du dépôt de la Requête
dans un délai non raisonnable ;
v. Déclare en conséquence la Requête irrecevable.
Sur les frais de procédure
vi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
As Cf C, J uge ; Las Gas pus la
Ak AL, J uge AGE
Bb AM Cc X, J uge ;
Bk AN, J uge fab 7r-45e
Bt Bs Z El, Juge;
Fait à Ad, ce vingt-deuxième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt-


Synthèse
Numéro d'arrêt : 017/2017
Date de la décision : 22/09/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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