AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Z AG ET AM AG
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
REQUÊTE N°008/2020
ARRÊT
23 J UIN 2022
€ SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Les violations alléguées
Ill RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDE DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR
Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
Sur les autres aspects de la compétence de la Cour …
VI SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
Sur l’exception tirée du non épuisement des recours internes
Sur les autres conditions de recevabilité
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 10
11
15
15 La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Blaise TCHIKAYA, Vice-
président, Ben KIOKO, By Bf A, Br AK, M-Thérèse
MUKAMULISA, As Cd AI, Am AL, Stella |. ANUKAM,
Ax Ca C, Bl X —Juges ; et Robert ENO, Greffier.
En l’affaire :
Z AG et AM AG
Représentés par Maître Issiaka MOUSTAFA, Avocatau Barreau du Bénin,
Contre
République du BÉNIN
Représenté par M. Bv AN, Agent J udiciaire du Trésor.
après en avoir délibéré,
Rend le présent arrêt :
l. LES PARTIES
1. Les sieurs Z AG et AM AG, (ci-après dénommés « les
Requérants ») sont des ressortissants de la République du Bénin. Ils
allèguent la violation de leurs droits consécutive aux procédures judiciaires et administratives initiées à leur encontre.
2. La Requête est dirigée contre la République du Bénin (ci-après dénommée
« l’État Défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples (ci-après, désignée « la Charte ») le 21 octobre
1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et
des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et
des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») le 22 août 2014. Le 08 février 2016, l’État Défendeur a déposé la Déclaration prévue par l’article
34(6) dudit Protocole (ci-après désignée « la Déclaration ») en vertu de
laquelle il a accepté la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes
émanant des individus et des organisations non gouvernementales. Le 25
mars 2020, l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union
africaine l'instrument de retrait de ladite Déclaration. La Cour a décidé que
ce retrait n’a aucune incidence, ni sur les affaires pendantes ni sur les
nouvelles affaires dont elle a été saisie avant la prise d’effet dudit retrait un
an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 26 mars 2021!
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. II ressort de la Requête introductive d'instance que la mairie de Cotonou a
délivré aux Requérants un permis de construire? un hôtel de quatre (4)
étages dénommé « RAMADA » sur la parcelle objet du titre foncier 6063
du livre foncier de Cotonou sis au quartier Bo.
4. Les Requérants affirment que le projet hôtelier, initialement de quatre (4)
étages, a été modifié pour atteindre huit (8) étages et à cet effet, la société
anonyme dénommée Laboratoire d'essais et de recherches en génie civil
(LERGC) a effectué des études du sol et de la structure dont les résultats
sont consignés dans un rapporten date du 12 avril 20173
5. Is indiquent que le 31 janvier 2017,* la mairie de Cotonou a suspendu les
travaux de construction pour défaut de permis de construire portant sur les
huit (8) étages. Le 18 avril 2017, les Requérants ont déposé une autre
! Bz Cc Cj c. République du Benin, CAfDHP, Requête n° 003/2020, ordonnance (mesures provisoires), 5 mai 2020, 85 4-5 et Corrigendum du 29 J uillet 2020.
2 Permis de construire n°2015/n°0094/MCOT/SG/DSEF/DAD/SAC du 06 juillet 2015.
3 Rapport n°001/04/17/LERGC/RE/A du 12 avril 2017 : étude géotechnique dans le cadre de la construction d’un immeuble de type R+8 avec sous-sol sur la parcelle Titre foncier 6063 sis à Djomehountin commune de Cotonou.
* Procès-verbal de suspension de notification des travaux du 31 janvier 2017.
demande de permis de construire devant ladite mairie concernant les huit
(8) étages. Les Requérants affirment que le 31 mai 2017 la Commission
nationale en charge de l'instruction des demandes de permis de construire
a examiné leur dossier et exigé des documents complémentaires qui lui ont
été transmis par la suite.
Les Requérants ajoutent qu’en raison de ce que le bâtiment était exposé à
la corrosion et la dégradation, ils ont adressé au ministère du cadre de vie
et du développement plusieurs courriers afin que celui-ci donne un avis
favorable à la reprise des travaux. Mais ces courriers sontrestés sans suite.
Ils soulignent qu’ils se trouvaient dans cette situation quand, le 05 juin 2019,
un contrôle de conformité a été effectué par la mairie de Cotonou qui a
conclu avoir constaté plusieurs irrégularités sur l'immeuble en construction,
notamment, huit (8) étages au lieu des quatre (4) autorisés et la
modification substantielle de la rampe d'accès au parking, des escaliers
ainsi que des ouvertures du bâtiment.
Les Requérants affirment qu'ils ont été cités à comparaître, le 12 juin 2019,
par le procureur de la République par devant le Tribunal de Première
instance de Cotonou pour l'infraction de non-conformité des ouvrages au
permis de construire et pour entendre ordonner, en conséquence, la
démolition du bâtiment en construction. Les Requérants précisent qu'ils ont
été cités à comparaitre sans avoir été, au préalable, mis en demeure de
prendre des mesures de conformité en application de l’article 49 du décret
n° 2014-205 du 13 mars 2014 portant réglementation de la délivrance du
permis de construire en République du Bénin alors que leur permis de
construire n’a pas été annulé.
Ils ajoutent que le 27 septembre 2019, suivant un jugement n° 044/3ème CD
(ci-après désigné « le jugement du 27 septembre 2019 »), le Tribunal les a
déclarés coupables de l'infraction susvisée, puis condamnés au paiement
d’une amende de cinq cent mille (500 000) FCFA, la démolition de
l'immeuble ayant, en outre, été ordonnée.
10. Le 1°" octobre 2019, les Requérants ont interjeté appel du jugement du 27
septembre 2019 devant la Cour d’Appel de Cotonou, laquelle a rendu un
arrêt de confirmation le 24 mars 2020.
B. Les violations alléguées
11. Les Requérants allèguent la violation des droits suivants :
- le droit à un procès équitable, protégé par l’article 7(2) de la
Charte ;
- le droit de propriété, protégé par l’article 14 de la Charte ;
Il. — RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
12. Le 17 février 2020, les Requérants ont déposé la Requête introductive
d'instance ainsi qu’une demande de mesures provisoires. Elles ont été
notifiées à l’État défendeur le 25 février 2020 aux fins de réponse sur la
demande de mesures provisoires dans un délai de huit (8) jours et celle au
fond dans un délai de soixante (60) jours, à compter de la réception de la
notification.
13. Le 28 février 2020, la Cour a rendu une Ordonnance de mesures
provisoires dont le dispositif est ainsi conçu :
Ordonne à l’État défendeur de :
i) Surseoir à toute mutation du titre foncier n° 14140 volume LXIX folio
149 de la circonscription de Cotonou au profit de l’adjudicataire ou
de tout tiers bénéficiaire et à toute mesure de dépossession du
Requérant de l'immeuble dont s’agit, en exécution du }] ugement du
27 septembre 2019, en attendant l'examen au fond de la Requête de
la Cour.
ï) — Faire rapport à la Cour dans un délai de quinze (15) jours à compter
de la date de réception de la présente Ordonnance, sur les mesures
prises pour la mettre en œuvre.
14. Les Parties ont déposé leurs conclusions sur le fond etles réparations dans
les délais prescrits par la Cour.
15. Les débats ont été clos le 28 mars 2022 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDE DES PARTIES
16. Les Requérants demandent à la Cour de :
i. Se déclarer compétente ;
ii. Déclarer la requête recevable ;
iii. Dire que la République du Bénin a violé les articles 7(2) et 14 de la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples ;
iv. Ordonner l’annulation du jugement n°044/3° CD du 27 septembre 2019 du
Tribunal de Première instance de première classe de Cotonou ;
v. Donner acte au Requérant de ce qu’il produira des preuves certifiées par
des experts des préjudices par lui subis ;
vi. Condamner l’État du Bénin à leur payer la somme de 20 000 000 000 FCFA
à titre de dommages-intérêts ;
vi. Ordonner à la République du Bénin de faire rapport à la Cour dans tel délai
qu’il plaira à la Cour de fixer sur la mise en œuvre de la décision à
intervenir ;
viii. Mettre les frais de procédures à la charge de la République du Bénin.
17. L’État défendeur demande à la Cour de :
i. Constater qu’il n’y a pas violation de droits de l’homme allégué.
ïi. Constater que le Requérant sollicite l’annulation du jugement n° 044/3° CD
du 27 septembre 2019 rendu par le tribunal de première instance de
première classe de Cotonou.
ii. Constater que la Cour elle-même a déjà dit qu’elle n’est pas une juge d’appel
des décisions rendues par les juridictions internes ;
iv. Dire que la Cour est incompétente ;
v. En conséquence, se déclarer incompétente.
vi. Constater qu’au moment de l'examen de la requête les recours internes
n’étaient pas épuisés avant que les Parties ne saisissent la CADHP ;
vil. Constater que les voies de recours internes sont disponibles, efficaces et
offrent une chance de réussite ;
vii. En conséquence, déclarer la Requête de Messieurs Z AG et AM
AG irrecevable.
ix. Constater qu’il n’y a jamais eu violation du droit à un procès équitable.
x. Constater que l'infraction de non-conformité des ouvrages au permis de
construire est constituée à l’égard des Requérants.
xi. Constater que la démolition des ouvrages ordonnées par le juge est une
sanction prévue par le décret 2014-2015 du 13 mars 2014 portant
réglementation de permis de construire en République du Bénin.
Xi. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(2) de la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples.
xiii. Constater que l’État Défendeur n’a nullement violé le droit de propriété des
Requérants et par conséquent n’a pas violé les dispositions de l’article 14
de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
xiv. Constater que les Requérants ne prouvent pas le supposé préjudice subi du
fait de l’État défendeur ;
xv. Constater que l’État défendeur n’a commis aucune faute à l’origine d’un
supposé dommage pouvant justifier une quelconque indemnisation ;
xvi. Dire qu’il n’y a pas lieu à réparation ;
Xvii. En conséquence, rejeter purement et simplement la requête introductive
d'instance de Messieurs Z AG et AM AG.
V. SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR
18. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
19. Parailleurs, aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « la Cour procède
à un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte,
au Protocole etau [.…] Règlement »*,
20. Sur la base des dispositions précitées, la Cour doit, pour chaque requête
procéder à un examen de sa compétence et statuer, le cas échéant, sur les
21. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’incompétence
matérielle de la Cour.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
22. L'État défendeur déclare que la demande des Requérants porte sur
l'annulation du jugement du 27 septembre 2019 et affiime que cette
demande équivaut à solliciter que la Cour remette en cause des décisions
rendues par ses juridictions internes.
23. Il soutient que la Cour exercerait dès lors une compétence d'appel alors
que selon sa jurisprudence, notamment l’arrêt dans l'affaire Bi An
c. République Unie de Tanzanie, elle n'est pas un juge d'appel des
juridictions internes. L'État défendeur demande, par conséquent, à la Cour
de se déclarer incompétente.
24. Les Requérants font valoir que lorsqu'une décision de justice est, en elle-
même, attentatoire aux droits de l’homme, la Cour qui a reçu mandat de
protéger les droits de l'homme des citoyens, n’a d’autres choix que
d’intervenir et dénoncer cette violation.
25. Ils précisent qu’il ne s’agit pas de contrôler la légalité d'une décision rendue
par une juridiction nationale mais de constater la violation manifeste des
droits de l'homme contenue dans un acte judiciaire. Ils ajoutent que si la
Cour ne peut pas apprécier la bonne application des textes de droit interne
5 Article 39(1) du Règlement de la Cour du 2 juin 2010.
par les juges nationaux, elle reste compétente pour relever les violations
des droits de l'homme même lorsqu’elles ont pour origine une décision
interne.
26. Les Requérants estiment, en l'espèce, que la Cour a compétence pour
apprécier si le jugement du 27 septembre 2019 a été rendu conformément
aux exigences portées par la Charte et tout autre instrument international
des droits de l'homme.
27. La Cour considère qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de toutes les affaires dont elle est saisie pour
autant que celles-ci portent sur des allégations de violation de la Charte, du
Protocole et de tout autre instrument relatif aux droits de l'homme ratifié par
28. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence, « qu’elle n’est pas une
instance d’appel des décisions rendues par les juridictions nationales ».
Toutefois, « cela ne l'empêche pas d'examiner les procédures pertinentes
devant les juridictions nationales afin de déterminer si elles sont en
conformité avec les normes prescrites dans la Charte ou avec tout autre
instrument ratifié par l’État concemé. »”
29. La Cour note en l'espèce que les Requérants allèguent la violation du droit
à un procès équitable et du droit de propriété protégés respectivement par
les articles 7(2) et 14 de la Charte, dont l'interprétation et l’application
relèvent de sa compétence matérielle.
6 Bi An c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJCA 482, $ 45 ; Ar Ad Bh et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJ CA 67, $ 34 à 36 ; Av Bj AH Bd et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RJ CA 654, $ 18 ; Aa Ab c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 008/2016, Arrêt du 25 juin 2021 (fond et réparations), & 21.
7 Ar Cb c. République-Unie de Tanzanie (fond) (mars 2019), 3 RJ CA 51, $ 26 ; Ci Cg c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 493, $ 33 ; Ch Aj AJAt CfY et Ck Ch AJBm AzY c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018), 2 RJ CA 297, 8 35.
30. En conséquence, la Cour n’est pas appelée à siéger comme une juridiction
d'appel, mais plutôt à agir dans les limites de son champ de compétence
matérielle. || s’ensuit que l’exception soulevée par l’État défendeur ne peut
être retenue.
31. La Cour en conclut qu’elle a la compétence matérielle.
B. Sur les autres aspects de la compétence de la Cour
32. La Cour observe qu'aucune exception n’a été soulevée quant à sa
compétence personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins,
conformément à l’article 49(1) du Règlement, elle doit s'assurer que les
exigences relatives à tous les aspects de sa compétence sont satisfaites
avant de poursuivre l'examen de la requête.
33. S'agissant de la compétence personnelle, la Cour note que l’État défendeur
est partie à la Charte, au Protocole et a déposé la Déclaration. La Cour
rappelle, comme elle l’a indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt que le
25 mars 2020, l’État défendeur a déposé l'instrument de retrait de la
Déclaration. À cet égard, la Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle le
retrait par l'État défendeur de sa Déclaration n’a pas d'effet rétroactif et n’a
non plus aucune incidence, ni sur les affaires pendantes au moment dudit
retrait, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant la prise
d'effet, douze (12) mois après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le
26 mars 2021. La présente Requête, introduite avant le dépôt, par l’État
défendeur, de son avis de retrait, n’en est donc pas affectée.S.
34. Au regard de la compétence temporelle, la Cour estime qu’elle est établie
dans la mesure où les violations alléguées se sont produites après que
l’État défendeur est devenu partie à la Charte, au Protocole et a déposé la
Déclaration.
8 Voir paragraphe 2 au présent arrêt.
35. Ence qui concerne sa compétence territoriale, la Cour dit qu’elle est établie
dans la mesure où les faits de la cause et les violations alléguées se sont
déroulés sur le territoire de l’État défendeur.
36. Par voie de conséquence, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
examiner la Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
37. L'article 6(2) du Protocole dispose : « la Cour statue sur la recevabilité des
requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte ».
38. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [IJa Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole et au
présent Règlement ».
39. La règle 50(2) du Règlement qui reprend en substance l’article 56 de la
Charte, dispose :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions
ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour
de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l'épuisement des recours internes s’ils existent,
à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
9 Article 40 du Règlement du 02 juin 2010.
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.
40. La Cour note que l’État Défendeur soulève une exception d’irecevabilité
de la Requête tirée du non-épuisement des recours internes.
A. Sur l’exception tirée du non épuisement des recours internes
41. L’Étatdéfendeur soutient que l’épuisement des recours internes qui estune
condition posée par l’article 56(5) de la Charte et l’article 40 du Règlement
de la Cour" suppose qu’une affaire concernant la violation des droits de
l'homme doit passer par tous les niveaux des juridictions nationales avant
d’être portée devant la Cour.
42. || fait remarquer, en l’espèce, que bien que les Requérants aient interjeté
appel devant la Cour d'appel de Cotonou contre le jugement du 27
septembre 2019, en application de l’article 509 de la loi n°2012-15 du 18
mars 2013 portant code de procédure pénale, ils ont déposé leur Requête
devant la Cour de céans sans attendre le sort de la procédure d’appel. Ils
précisent que la Cour d'appel de Cotonou a vidé sa saisine par un arrêt
n°066/1CC/20 du 24 mars 2020.
43. L'État défendeur en conclut qu’en l’espèce, la Requête a été introduite
avant l’épuisement des recours internes et doit, par conséquent, être
déclarée irrecevable.
44. Dans leur réplique, les Requérants affirment que la règle de l'épuisement
des recours internes implique, entre autres, que les recours judiciaires
disponibles soient efficaces.
45. Ils font valoir, qu’en l'espèce, les recours internes sontinefficaces en raison
du manque d'indépendance du pouvoir judiciaire au regard de l'invasion
massive du pouvoir exécutif dans le Conseil Supérieur de la Magistrature
(ci-après dénommée « CSM ») du fait de l’article 1° nouveau de la loi
organique n° 2018-02 relative au CSM, ce qui remet en cause le principe
de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice.
46. Ils y ajoutent le manque d'indépendance et d’impartialité de M. J ustin
Gbenameto, président de la première Chambre correctionnelle de la Cour
d’appel de Cotonou.
47. Selon les Requérants, M. J ustin Gbenameto « se retrouve sous la servitude
du pouvoir exécutif » parce qu'il a été réhabilité et réintégré dans le corps
de la magistrature par la Cour Constitutionnelle!! malgré une décision de
radiation prise par le Conseil supérieur de la magistrature”? et la décision
d’irrecevabilité!* du recours que celui-ci avait formé contre ladite décision
de radiation.
48. Les Requérants affirment qu’il n'était pas nécessaire de rechercher une
justice efficace devant la Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de
Ak qui a connu de leur appel, ni devant la Cour suprême. Ils
demandent, par conséquent, le rejet de l'exception d'irrecevabilité de la
Requête.
49. La Cour rappelle que conformément à l’article 56(5) de la Charte et la règle
50(2)(e) du Règlement, les requêtes doivent être postérieures à
!! Décision DCC 19-270 du 22 août 2019 de la Cour constitutionnelle.
12 Décision n°001/CSM en date du 14 janvier 2014 du Conseil supérieur de la Magistrature.
13 Décision DCC 14-123 du 03 juillet 2014 de la Cour constitutionnelle.
l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit
manifeste que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale.
50. La Cour souligne que les recours internes à épuiser sont les recours de
nature judiciaire. Ces derniers doivent être disponibles, c’est-à-dire qu’ils
peuvent être utilisés sans obstacle par le requérant, etefficaces en ce sens
qu’ils sont à « même de donner satisfaction au plaignant ou de nature à
remédier à la situation litigieuse »**.
51. La Cour précise, du reste, que le respect de la condition prévue par l’article
56(5) de la Charte et la règle 50(2)(e) suppose que, non seulement, le
requérant initie les recours internes, mais également qu’il en attende
l'issue.!* Dans le même sens, la Cour a également précisé que pour
déterminer s’il y a eu respect de l'exigence de l'épuisement des recours
internes, il faut que l'instance à laquelle le requérant était partie, soit arrivée
à son terme au moment du dépôt de la requête devant la Cour.!°
52. La Cour note, en l'espèce, qu’il n'est pas contesté d’une part que le 1°"
octobre 2019, les Requérants ont, en application de l’article 509 du code
de procédure pénale, interjeté appel du jugement du 27 septembre 2019
devant la Cour d’Appel de Cotonou et d’autre part, qu’ils ont introduit la
présente Requête, le 17 février 2020, alors que la procédure d’appel était
pendante. La Cour note également que la Cour d'Appel de Cotonou a rendu
sa décision le 24 mars 2020,!8 un (1) mois et une (1) semaine après
l'introduction de la présente Requête.
14 Ayants — droit de feu Ap Bq, Bb Ac dit Ablassé, Bu Bq et Bs Ay et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Aq Aw, Arrêt (fond) (5 Décembre 2014), 1 RJ CA 226, $ 68 ; Ibid. Ce c. Aq Aw (Fond) 8108.
15 Ah Bx c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 010/2018, arrêt du 25 septembre 2020 (compétence et recevabilité) $$ 46 et 47.
16 Bg Al c. République du Bénin, CAfDHP, Requête 020/2019, Arrêt du 25 juin 2021, 861 ; Bw Bt Bc Bk c. République du Bénin, CAfDHP, Requête 027/2020, arrêt du 2 décembre 2021, 874.
Ÿ L'Article 509 de la loi n°2012-15 du 30 mars 2012 portant code de procédure pénale dispose « les jugements rendus par le tribunal de première instance statuant en matière pénale, peuvent être attaqués par la voie de l’appel. L'appel est porté devant la Cour d’Appel »
18 Arrêt n°66/1CC/20 du 24 mars 2020 de la première Chambre correctionnelle de la Cour d'Appel de Cotonou.
53. Elle note que pour justifier ce recours devant la Cour de céans sans
attendre la décision de la Cour d’appel, les Requérants avancent deux (2)
arguments, à savoir le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire ainsi
que le manque d'indépendance et d’'impartialité du président de la première
chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Cotonou.
54. Concernant le premier argument du Requérant, la Cour souligne que dans
la mesure où la condition de l'épuisement des recours internes s’apprécie
au moment de sa saisine, un requérant ne peut invoquer des circonstances
postérieures à l'introduction de la requête pour être dispensé de se
conformer à cette exigence.!® Il s'ensuit qu’en l'espèce, l’argument relatif
au manque d'indépendance et d’impartialité du CSM sur lequel la Cour
s'est prononcée dans son arrêt du 04 décembre 2020, Bw Af
Bt Bc Bk c. République du Bénin, est relatif à une circonstance
postérieure à l'introduction de la présente Requête. Cet argument est donc
inopérant.
55. S'agissant du deuxième argument, la Cour a considéré que « l’impartialité
et l'indépendance d’un juge sont présumées et que des preuves
incontestables sont nécessaires pour réfuter cette présomption. »2°
56. La Cour note, en l'espèce, que les Requérants n’apportent ici aucune
preuve de la partialité et du manque d'indépendance du président de la
Chambre correctionnelle qui estune formation collégiale de la Cour d'appel
de Cotonou devant laquelle ils ont formé appel contre le jugement du 27
septembre 2019. Par conséquent, la Cour déclare que les arguments des
Requérants sont inopérants.
57. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les Requérants auraient dû
attendre l'issue de leur appel avant de déposer la présente Requête, à
moins que la procédure de ce recours se fut prolongée de façon anormale.
19 Bw Af Bt Bc Bk c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n°027/2020, Arrêt du 02 décembre 2021 $ 79.
20 Bw Af Bk c. République du Bénin, CAfDHP, Requête No. 062/2019, Arrêt du 04 décembre 2020 (fond et réparations), $ 293 ; Ba Bp Be c. République du Ghana (Arrêt du 28 juin 2019) (fond et réparations), 3 RJ CA 245, $ 128.
La Cour note que le Requéranta déposé la Requête quatre (4) mois et dix-
sept (17) jours après avoir interjeté appel mais avant l'issue dudit appel. La
Cour en déduit que les Requérants ont déposé la Requête prématurément.
58. En conséquence, la Cour déclare fondée l'exception tirée du non-
épuisement des recours internes et conclut que la Requête ne satisfait pas
à l'exigence de la règle 50(2)(e) du Règlement.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
59. Ayant conclu que la Requête ne satisfait pas à l'exigence de la règle
50(2)(e) du Règlement et que les conditions de recevabilité sont
cumulatives,?! la Cour n’a pas à se prononcer sur les conditions de
recevabilité énoncées aux alinéas 1, 2, 3, 4, 6, et 7 de l’article 56 de la
Charte telles que reprises par la règle 50(2)(a)(b)(c)(d)(f) et (g) du
60. Au regard de ce qui précède, la Cour déclare la Requête irrecevable.
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
61. Chaque Partie demande que l’autre supporte les frais de procédure.
62. Aux termes de l’article 32(2) du Règlement,” « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
21Mariam Ai et Ao Au c. République du Mali (compétence et recevabilité) (21 mars 2018), 2 RJCA 246, $ 63 ; Bn Ae c. République du Rwanda (compétence et recevabilité) (11 mai 2018), 2 RJ CA 373, $ 48 ; Collectif des anciens travailleurs ALS c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 042/2015, Arrêt du 28 mars 2019 (compétence et recevabilité), $ 39.
23 Article 30(2) du Règlement du 02 juin 2010.
63. La Cour constate que rien dans les circonstances de l’espèce ne justifie
qu’elle déroge à cette disposition.
64. La Cour déclare donc que chaque Partie doit supporter ses frais de
procédure.
65. Par ces motifs
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence :
iii Déclare qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité :
iii. Déclare fondée l'exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement
des recours internes ;
iv. Déclare la Requête irrecevable.
Sur les frais de procédure :
v. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
Imani D. ABOUD, Président ; —— M-Thérèse MUKAMULISA, Juge ; ÆÆ
Am AL, J uge FE
Stella |. ANUKAM, Juge uk am.
Ax Ca C, J uge Jp Æ a.
Fait à Ag, ce vingt-troisième jour du mois de juin de l’an deux mil vingt-deux, en français et en anglais, le texte français faisant foi.