AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 005/2018
22 SEPTEMBRE 2022 Ve Gr SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V SUR LA COMPÉTENCE
A Exception d’incompétence matérielle
B Autres aspects de la compétence
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
A Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
B Autres conditions de recevabilité
VII. SUR LE FOND
A Violation alléguée du droit à la libération sous caution
B Violation alléguée du droit à l’assistance judiciaire gratuite
C Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
D Violation alléguée du droit d’être jugé par un tribunal pour mineur
VIII SUR LES RÉPARATIONS
A Réparations pécuniaires
1 Préjudice matériel
il. Préjudice moral
a Préjudice moral subi par le Requérant
b Préjudice moral subi par les victimes indirectes alléguées
B Réparations no14p15u16a19e22I24 25U27L27 29A29 DE PROCÉDURE 10
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34 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAY A, Vice-président ; Ben KIOKO, Xv Bx
AJ, Xj C, Ao Cy AL, Ch Y, Stella
|. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Modibo SACKO, Dennis D. ADJ El — J uges ; et
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la J uge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
Représenté par
M. Bq AK, Cb Cu Ab, East Bh Bb Cs (EALS)
Contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE,
Représentée par :
ii M. Co Xg X, Bi Bp, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Xe Cq AG, At Ak — Bureau du Solicitor General.
après en avoir délibéré,
rend l’Arrêt suivant :
! Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
L LES PARTIES
1. Le sieur An Be (ci-après dénommé le « Requérant») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la Requête, purgeait
une peine de trente (30) ans de réclusion à la prison centrale d’Uyui dans
la région de Tabora, pour viol sur une mineure de dix-sept (17) ans. Il
allègue la violation de ses droits dans le cadre des procédures internes.
2. L'État défendeur, la République-Unie de Tanzanie, est devenu partie à la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (« la Charte ») le 21
octobre 1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de
l'homme et des peuples (« le Protocole ») le 10 février 2006. En outre, le
29 mars 2010, l’État défendeur a déposé la déclaration prévue à l’article
34(6) du Protocole, par laquelle il accepte la compétence de la Cour
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après, dénommée « la
Cour ») pour recevoir des requêtes émanant d’individus et d’organisations
non gouvernementales. Le 21 novembre 2019, l'État défendeur a déposé
auprès du Président de la Commission de l’Union africaine un instrument
de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration
n’avait aucune incidence sur les affaires pendantes ainsi que sur de
nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an après
le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.
I. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort de la Requête que le 24 août 2010, le Requérant a été reconnu
coupable de viol et condamné à trente (30) ans de réclusion par le Tribunal
2 Cd Bj Xp c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 88 37 à 39.
de district de Kahama, en application des articles 130(1), 130(2) (e) et
131(1) du code pénal.
4, Le 10 août 2011, le Requérant a formé un recours en appel de sa
condamnation et de sa peine devant la Haute Cour de Tabora (affaire en
matière pénale n° 92 de 2011). La Haute Cour ayant, le 14 août 2012, rejeté
l'appel dans son intégralité et confirmé la sentence, le Requérant a, le 22
août 2012, interjeté appel devant la Cour d'appel siégeant à Tabora (affaire
en matière pénale n° 267 de 2012). Le 24 septembre 2013, la Cour d'appel
a rejeté son recours dans son intégralité et confirmé la sentence.
B. Violations alléguées
5, Le Requérant allègue qu'il a été jugé à tort par le Tribunal de district de
Kahama, étant âgé de seize (16) ans, donc mineur à l’époque des faits, et
qu’à ce titre il aurait dû être jugé par un tribunal pour mineurs et non par un
tribunal de district. Il allègue donc que ce procès devant le Tribunal de
district était en violation de l’article 7(1)(d) de la Charte.
6. Le Requérant allègue qu’il n'était pas représenté par un avocat devant les
juridictions nationales, ce qui constitue une violation de l’article 7(1)(c) de
la Charte.
7. Dans sa réplique au mémoire en défense, le Requérant allègue que l’État
défendeur a violé son droit protégé par l’article 7(1)(b) de la Charte. Il
déclare qu'à aucun moment, depuis son arrestation jusqu’à sa
condamnation, il n’a été informé de son droit à une remise en liberté sous
caution malgré le fait qu’il était accusé d’une infraction pour laquelle il lui
était possible d'obtenir une remise en liberté sous caution.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
8. La Requête a été déposée le 19 février 2018. Le Greffe a demandé au
Requérant de déposer une copie des comptes rendus d'audience des
procédures engagées à son encontre devant le Tribunal de district, la Haute
Cour et la Cour d’appel ; ce qu’il a fait le 22 octobre 2018. La Requête a été notifiée à l’État défendeur le 25 octobre 2018.
9. Le 1“ février 2019, la Cour a accordé au Requérant une assistance
judiciaire eta désigné l'East Bh Bb Cs pour le représenter dans le
cadre du programme d'assistance judiciaire pro bono de la Cour.
10. Le 21 mars 2019, après avoir bénéficié d’une prorogation de délai, l’État
défendeur a déposé sa réponse à la Requête et celle-ci a été communiquée
au Requérant le 28 mars 2019 aux fins de réplique.
11. Le 13 décembre 2019, après avoir bénéficié d’une prorogation de délai, le
Requérant a déposé sa Réplique à la Réponse du Défendeur et ses
observations sur les réparations. Il y a adjointune déclaration sous serment
faite le 9 octobre 2019, à l’appui de sa demande, dans laquelle il a réitéré
lesdites conclusions.
12. Le 28 janvier 2020, la Réplique a été notifiée à l’État défendeur à titre
d’information. À la même date, les observations du Requérant sur les
réparations ont également été communiquées à l’État défendeur aux fins
de réponse. Le 8 février 2021, l’État défendeur a déposé sa Réponse aux
observations du Requérant sur les réparations et celle-ci a été
communiquée au Requérant pour qu’il y réponde. En dépit des nombreux
rappels à lui adressés, le Requérant n’a pas déposé de réponse.
13. Les débats ont été clos le 20 juin 2022 et les Parties en ont été dûment
informées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
14. Le Requérant formule les demandes suivantes :
i. rétablir la justice là où elle a été bafouée et annuler la condamnation et la
peine qui ont été prononcées à mon encontre en violation de la section 2
de la loi sur les peines minimales n° 1 de 1972 et ordonner (sic) ma remise en liberté immédiate.
ïi. obtenir réparation conformément à l’article 27(1) du Protocole de la Cour.
ii. rendre toute autre ordonnance ou toute autre réparation qu’elle jugera utile
et juste d’accorder dans le cadre de mes griefs.
15. Dans sa réplique, le Requérant demande en outre à la Cour de :
i Déclarer la Requête recevable ;
ïi. Dire qu’elle est compétente pour connaître de la Requête ;
ii. Dire que l'État défendeur a violé l’article 7(1)(b), (c) et (d) de la Charte ;
iv. Rendre une ordonnance pour remettre le Requérant en liberté ;
v. Ordonner au défendeur de payer des réparations au Requérant ;
vi. Rendre toute autre ordonnance que la Cour jugera utile et juste d'accorder.
16. L’État défendeur sollicite auprès de la Cour ce qui suit :
a. Dire que la Cour africaine n’est pas compétente pour statuer sur la
Requête ;
b. Dire que la Requête ne satisfait pas aux conditions de recevabilité prévues
à l’article 56(6) de la Charte, l’article 6(2) du Protocole et à la règle 40(6)
du Règlement ;
c. Déclarer la Requête irrecevable ;
d. Rejeter la Requête ;
e. Dire que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant prévus aux
articles 7(1)(c) et 7(1)(d) de la Charte.
f. Dire que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant protégés
par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
V. SUR LA COMPÉTENCE
17. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
18. La Cour relève également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
« [la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence [...]
conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement ».
19. Sur la base des dispositions précitées, la Cour est tenue de procéder à
l'appréciation de sa compétence et de statuer sur les éventuelles
exceptions d'incompétence qui s’y rapportent.
20. La Cour constate qu’en l'espèce, l’État défendeur soulève une exception
A. Exception d’incompétence matérielle
21. La Cour relève qu’en l’espèce, l’État défendeur fait valoir qu’elle siégerait
en tant que juridiction de première instance eten tant que juridiction pénale
d’appel si elle devait statuer sur les deux questions exposées ci-après.
22. Premièrement, en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 7(1) (c)
de la Charte, l’État défendeur fait valoir que :
La question de la mise à disposition d’un avocat pour la défense n’a pas été
soulevée devant le tribunal de première instance, la première juridiction d’appel
et la Cour d’appel ; par conséquent, la Cour de céans n’a aucun mandat pour siéger … en tant que juridiction de première instance ou juridiction pénale d'appel. Si la question de la représentation constituait un problème pour le Requérant, il aurait pu en informer les juridictions de première instance et d'appel, qui auraient pu la traiter de manière appropriée, conformément aux lois tanzaniennes en matière de procédure pénale. || indique en outre que le Requéranta eu le droit de se faire assister par un avocat et que ses arguments ont été examinés par la Cour d'appel.
23. En second lieu, l’État défendeur affiime que la Cour ne peut pas se prononcer sur la violation alléguée de l’article 7(1)(d) de la Charte car :
le Requérant n’a pas contesté son âge même lorsque le mémorandum
des faits lui a été lu au cours du procès. Il esten outre affirmé que la question
de l’âge du Requérant n’a jamais été soulevée devant les deux juridictions
d'appel nationales ; il s’agit donc d’une nouvelle question portée devant
l'honorable Cour de céans. La question étant soulevée pour la première fois
devant la Cour de céans, celle-ci n’a pas donc compétence pour l’examiner,
car ce faisant l'honorable Cour de céans agirait comme une juridiction
pénale d’appel.
24, Le Requérant soutient que la Cour devrait rejeter l'exception
d’incompétence matérielle soulevée par l’État défendeur. Il affirme que la
jurisprudence de la Cour précise qu’elle peut toutefois apprécier si les
procédures devant les juridictions nationales répondent aux normes
internationales établies par la Charte ou par les autres instruments
applicables des droits de l'homme auxquels l’État défendeur est partie.
25. Au regard de ce qui précède, le Requérant fait valoir qu’il ne demande pas
à la Cour de siéger en tant que juridiction de première instance ou d’appel,
mais qu’il invoque la compétence de la Cour pour apprécier si les griefs
soulevés dans la Requête portent sur des violations de droits protégés par
la Charte.
26. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toute requête dont elle est saisie, pour autant
que les droits dont la violation est alléguée sont protégés par la Charte ou
tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État
27. La Cour rappelle également que, conformément à sa jurisprudence
constante sur l’application de l’article 7 du Protocole, elle est compétente
pour examiner les procédures pertinentes devant les instances nationales
afin de déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites
dans la Charte ou avec tout autre instrument ratifié par l’État concerné.®
Par conséquent, elle rejette l’allégation selon laquelle la Cour siégerait en
tant que juridiction de première instance.
28. La Cour rappelle en outre, selon sa jurisprudence constante, « qu’elle n’est
pas une juridiction d'appel en ce qui concerne les décisions rendues par
les juridictions nationales ».° Toutefois, « cela n'écarte pas sa compétence
pour apprécier si les procédures devant les juridictions nationales
répondent aux normes internationales établies par la Charte ou par les
autres instruments applicables des droits de l’homme auxquels l’État
défendeur est partie. »6 La Cour ne siégerait donc pas, à cet égard, en tant
que juridiction d’appel si elle devait examiner les allégations du Requérant.
Elle rejette donc cette exception.
29. Au regard de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a la compétence
matérielle pour examiner la présente Requête.
3 Bu Xk c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018), 2 RJ CA 439, 5 28 ; Bw Af c. Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 493, $ 33 ; Ce Xl c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 028/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), & 18.
* Ernest Bn Ba c. Malawi (compétence) (15 mars 2013), 1 RJ CA 197, $ 14 ; Al Xu c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJCA 67, $ 26 ; Bw Af c. Tanzanie (fond et réparations) $ 33 ; Xy Ac BXw BsA et J ohnson Xy BCn XmA c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018), 2 RJ CA 297, $ 35.
5 Ernest Bn Ba c. Malawi (compétence), 5 14.
8 Al Xu c. Tanzanie, $ 26 ; Bw Af c. Tanzanie (fond et réparations), 88 35 à 39, Aq Bd Ci c. République du Rwanda (compétence) (3 juin 2016), 1 RJ CA 585, $ 67.
B. Autres aspects de la compétence
30. La Cour relève que l’État défendeur n’a pas contesté sa compétence
personnelle, temporelle etterritoriale. Néanmoins, conformément à la règle
49(1) du Règlement” elle doit s'assurer que tous les aspects de sa
compétence sont satisfaits avant de poursuivre l’examen de la présente
Requête.
31. S’agissant de sa compétence personnelle, la Cour rappelle que, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé l'instrument de retrait de sa Déclaration faite en vertu
de l’article 34(6) du Protocole. La Cour a décidé que ledit retrait n’a aucun
effet rétroactif et n’a, non plus, aucune incidence sur les affaires pendantes
devantelle avantle dépôt de l'instrument de retrait de la Déclaration, ni sur
les nouvelles affaires introduites avant que le retrait ne prenne effet, soit un
an après le dépôt de l’avis y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.8
32. La présente Requête, introduite avantle dépôt, par l’État défendeur, de son
avis de retrait, n’en est donc pas affectée. La Cour en conclut qu'elle a la
compétence personnelle pour connaître de la présente Requête.
33. La Cour a une compétence temporelle à l'égard de la Requête dans la
mesure où les violations alléguées ont été commises après que l’État
défendeur est devenu partie à la Charte et au Protocole. En outre, les
violations alléguées ont un caractère continu, la condamnation du
Requérant étant maintenue sur la base de ce qu’il considère comme une
7 Règle 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
8 Cd Bj Xp c. Tanzanie, 55 35 à 39 ; voir également Aq Bd Ci c. République-Unie du Rwanda (compétence) (3 juin 2016), 1 RJ CA 585, $ 67.
9 Ayants droit de feu Ai Xi, Xh By alias Ablasse, Bl Xi, Xn AH et Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Aj Cj (exceptions préliminaires) (21 juin 2013), 1 RJ CA 204, 88 71 à 77.
34. La compétence territoriale de la Cour est également établie à l’égard de la
présente Requête étant donné que les violations alléguées ont été
commises sur le territoire de l’État défendeur.
35. Au vu de tout ce qui précède, la Cour est compétente pour connaître de la
présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
36. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Ia Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
37. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [IJa Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et
au présent Règlement ».
38. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, dispose en outre comme suit :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a) indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour
b) être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à l'égard de l'État concerné etses institutions ou de l’Union africaine ;
d) ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent,
à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
f) être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g) ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.
39. La Cour relève que l’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité
de la Requête tirée du dépôt de celle-ci dans un délai non raisonnable.
A. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
40. L'État défendeur fait valoir que la Requête est, on ne peut plus, frappée de
prescription et qu’elle est en violation de l’article 56(6) de la Charte, de
l’article 6(2) du Protocole et de la règle 40(6) du Règlement de la Cour.!°
41. Le Requérant soutient que l'exception n’a aucun fondement et affirme que
la période qui s’est écoulée entre l’arrêt de la Cour d’appel et la saisine de
la Cour de céans constitue un délai raisonnable.
42. Le Requérantaffirme que la Cour d’appel a rendu son arrêtle 24 septembre
2013 et qu’il a saisi la Cour le 8 décembre 2017. Il soutient donc avoir
soumis la Requête en l'espèce quatre (4) ans et trois (3) mois après ledit
arrêt. Le Requérant affirme également qu'il est profane en matière de droit,
indigent et incarcéré et que les transferts constants d’une prison à l’autre
dont il faisait l’objet, la restriction de ses mouvements ainsi que l’accès
limité à l’information ont fait qu’il n'a eu connaissance de l’existence de la
Cour qu’en 2017. Il affirme en outre qu’il n’était pas représenté par un
avocat tout au long des procédures devant les juridictions nationales, et
10 Règle 50(2)(f) du Règlement de la Cour du 25 septembre 2020.
qu’avant de saisir la Cour, il a rencontré des difficultés pour obtenir les
comptes rendus d’audience qui ont été cruciaux pour la rédaction de la
Requête.
43. La question à trancher est de savoir si le temps mis par le Requérant avant
de saisir la Cour de sa Requête est raisonnable au sens de l’article 56(6)
de la Charte lu conjointement avec la règle 50(2)(f) du Règlement.
44. Aux termes de l’article 56(6) de la Charte, repris à la règle 50(2)(f) du
Règlement, une requête n’estrecevable que si elle est« introduite dans un
délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou
depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le
délai de sa saisine ». Ces dispositions ne fixent pas de délai dans lequel la
Cour doit être saisie.
45. En l’espèce, la Cour relève que les recours internes ont été épuisés le 24
septembre 2013 lorsque la Cour d'appel siégeant à Bv a rendu son
arrêt rejetant l'appel du Requérant. La présente Requête ayant été
déposée le 19 février 2018, le Requérant a donc saisi la Cour quatre (4)
ans, quatre (4) mois et vingt-six (26) jours après avoir épuisé les recours
internes. La question à trancher est de savoir si ce délai est raisonnable au
sens de l’article 56(6) de la Charte, lu conjointement avec la règle 50(2)(f)
du Règlement.
46. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle : « … le caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire et qu’elle doitle déterminer au cas par cas ».!*} Au nombre
des circonstances que la Cour a prises en considération figurent :
l'incarcération, le fait d’être profane en droit sans bénéficier d'une
11 Ayants droit de feus Ai Xi, Xh By dit Ablassé, Bl Xi et Xn AH c. République du Aj Cj (fond) (24 juin 2014), 1 RJ CA 226, 8 92. Voir également Alex Ag c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, $ 73.
assistance judiciaire,!? l’indigence, la méconnaissance de l’existence de la
Cour.!3> Néanmoins, ces circonstances doivent être prouvées.
47. Adoptant l'approche de l'examen au cas par cas, la Cour a précédemment
jugé qu’un délai de cinq (5) ans, un (1) mois et douze (12) jours,!* de cinq
(5) ans, un (1) mois et treize (13) jours,!* de quatre (4) ans, neuf (9) mois
et vingt-trois (23) jours,! de quatre (4) ans, huit (8) mois et trente (30)
jours,” était raisonnable pour la saisir. Les requêtes en question avaient
été soumises par des requérants qui étaient profanes en droit, indigents et
incarcérés.
48. Le Requérant en l'espèce se trouve dans une situation comparable à celle
des requérants dans les affaires évoquées plus haut. Il ressort clairement
du dossier qu’il assurait lui-même sa défense lors de la procédure devant
les juridictions nationales, qu’il est profane en droit, incarcéré et que de ce
fait, il avait un accès limité à l'information. Aussi, assurait-il lui-même sa
défense au moment du dépôt de la présente Requête. En outre, et en
raison de son indigence, ce n’est qu’après l'avoir saisie de sa Requête que
la Cour a accordé une assistance judiciaire au Requérant et a commis un
avocat pour le représenter dans le cadre des procédures devant elle. Au
regard de toutes ces circonstances, la Cour conclut que la période de
quatre (4) ans, quatre (4) mois et vingt-six (26) jours constitue un délai
raisonnable pour la saisir au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la
règle 50(2)(f) du Règlement.
49. Par conséquent, la Cour rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête.
*? Alex Ag c. Tanzanie (fond), 5 73 ; Christopher J onas c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJ CA 115, $ 54 ; Az Bm c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018), 2 RJ CA 356, 5 83.
13 Az Bm c. Tanzanie (fond), 8 50 ; Christopher J onas c. Tanzanie (fond), $ 54.
14 Christopher J onas c. Tanzanie (fond), $ 55.
15 Az Bm c. Tanzanie (fond), 8 49.
16 Cd Bj Xp c. Tanzanie (fond et réparations), $ 71.
17 Ag Xc Xb et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018), 2 RJ CA 325, $ 55.
B. Autres conditions de recevabilité
50. La Cour ne relève aucune exception quant au respect des conditions
énoncées à la règle 50(2)(a), (b), (c), (d), (e) et (g) du Règlement.
Néanmoins, la Cour doit s'assurer que ces conditions sont également
satisfaites.
51. Il ressort du dossier que le Requérant a été clairement identifié par son
nom, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
52. La Cour relève également que les demandes qui ont été formulées par le
Requérant visent à protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un
des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé à son
article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l’homme et des
peuples. Par ailleurs, la Requête ne contient aucun grief ou demande qui
soitincompatible avec une disposition dudit Acte. Par conséquent, la Cour
considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union
africaine et la Charte, et estime qu’elle satisfait aux exigences de la règle
50(2)(b) du Règlement.
53. Les termes dans lesquels la Requête est rédigée ne sont ni outrageants ni
insultants à l’égard de l’État défendeur ou de ses institutions, ce qui la rend
conforme aux exigences de la règle 50(2)(c) du Règlement.
54, LaRequête n’est pas exclusivement fondée sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais plutôt sur des documents
émanant des juridictions internes de l’État défendeur ; ce qui la rend
conforme aux exigences de la règle 50(2)(d) du Règlement.
55. L'exigence énoncée à la règle 50(2)(e) du Règlement veut qu’une requête
soit déposée après épuisement des recours internes. La règle relative à
l’épuisement des recours internes vise à donner aux États la possibilité de
traiter les violations des droits de l’homme relevant de leur juridiction avant
qu’un organe international des droits de l'homme ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet égard.!® La Cour a déjà conclu
que, dans la mesure où les procédures pénales à l’encontre d’un requérant
ont donné lieu à une décision de la plus haute juridiction d’appel, l’État
défendeur est réputé avoir eu la possibilité de remédier aux violations qui
selon le requérant découlent desdites procédures.!?
56. En l'espèce, la Cour relève que le recours du Requérant devant la Cour
d'appel, organe judiciaire suprême de l’État défendeur, a été tranché
lorsque ladite Cour a rendu son arrêt le 24 septembre 2013. Par
conséquent, l'État défendeur a eu la possibilité de remédier aux violations
qui, selon le Requérant, découlent de son procès et de ses appels. Par
conséquent, la Requête a satisfaità l'exigence de l'épuisement des recours
internes prévue à la règle 50(2)(e) du Règlement.
57. Encoutre, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée par
les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de
l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de
tout instrument juridique de l’Union africaine. Elle est donc conforme à la
règle 50(2)(g) du Règlement.
58. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit toutes
les conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de la Charte, lu
conjointement avec la règle 50(2) du Règlement, et la déclare, en
conséquence, recevable.
VII. SUR LE FOND
59, Le Requérantallègue que l’État défendeur a violé a) son droit à la mise en
liberté sous caution, b) son droit à une assistance judiciaire gratuite, c) son
droit à être jugé dans un délai raisonnable et d) son droit d’être jugé par un
18 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017), 2 RJ CA 9, 55 93 à 94.
19 Cf Bg c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016), 1 RJ CA 624, 5 76.
tribunal pour mineurs garantis respectivement par l’article 7(1)(b),(c) et (d) de la Charte.
A. Violation alléguée du droit à la libération sous caution
60. Le Requérant affirme que l’État défendeur a violé son droit protégé par
l’article 7(1) de la Charte en ne l’informant pas de son droit à être libéré
sous caution, alors que cette mise en liberté est possible pour l’infraction
de viol.
61. L'État défendeur affirme qu’il a pris connaissance de l’allégation après que
le Requérant a déposé ses observations sur les réparations, et que le
Requérant a adopté cette approche après coup, l’allégation ayant été
soulevée dans les observations sur les réparations plutôt que dans la
Requête introductive d’instance. L'État défendeur demande donc à la Cour
de ne pas la retenir.
62. La Cour relève que le fait que cette allégation ait été soulevée dans les
observations du Requérant sur les réparations plutôt que dans la Requête
introductive d'instance ne l'empêche pas d’en examiner le bien-fondé. Il
importe uniquement que l’État défendeur ait la possibilité de répondre à
toute observation supplémentaire. I! ressort du dossier devant la Cour que
l’État défendeur a eu la possibilité de répondre aux observations
supplémentaires formulées par le Requérant dans ses conclusions sur les
réparations avant la clôture des débats. La Cour relève également que
l’État défendeur n’a pas expressément répondu à cette allégation, il s’est
plutôt focalisé sur la question de savoir si une demande sur le fond peut
être introduite dans les observations sur les réparations.
63. La Cour fait, en outre, observer que la disposition applicable au moment de
l’arrestation du Requérantétait l’article 148(5) du code de procédure pénale (CPA)?° qui énumère explicitement les infractions pénales qui ne sont pas
susceptibles de donner lleu à une mise en liberté sous caution. En
conséquence, le viol ne figurant pas sur cette liste, toute personne mise en
accusation pour cette infraction pouvait, en principe, bénéficier d’une mise
en liberté sous caution.
64. À cetégard, la Cour relève que le droit à la mise en liberté sous caution est
pris en compte par l’article 6 de la Charte qui est libellé comme suit :
Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne
peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions
préalablement déterminées par la loi ; en particulier nul ne peut être
arrêté ou détenu arbitrairement.
65. La Cour fait en outre observer que le droit à la mise en liberté sous caution
est un principe fondamental du droit à la liberté. Le droit à la liberté exige
que les personnes accusées d'’infractions pénales soient remises en liberté
sous caution s’il n'existe aucune raison de les maintenir en détention en
attendant le procès.?! L'article 9(3) du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (PIDCP)?? dispose que :
« La détention de personnes qui attendent de passer en jugementne doit
pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des
garanties assurant la comparution de l'intéressé à l’audience, à tous les
autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour l’exécution du
jugement ».
66. La question à trancher est donc de savoir si le Requérant, en l’espèce, était
en droit d’être informé de son droit à la mise en liberté sous caution
20 Loi portant Code de procédure pénale, 1985.
2! Le principe 4(i) des Lignes directrices de Luanda adoptées par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples stipule que toute personne en état d’arrestation doit se voir accorder « le droit de demander sa mise en liberté provisoire avec ou sans caution dans l'attente de l'enquête ou de l'interrogatoire par l'autorité chargée de l'enquête et/ou de la comparution en justice. » En outre, le Principe 7(a) prévoit que « [t]oute personne placée en garde à vue doit disposer d’un droit présumé à la mise en liberté provisoire avec ou sans caution ».
22 L'État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juin 1976 conformément au droit garanti par l’article 6 de la Charte ou par toute autre
disposition de celle-ci.
67. La Cour relève que ni l’article 6, ni aucune autre disposition de la Charte ou
d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ne
prévoient expressément le droit d’une personne mise aux arrêts d’être mise
en liberté sous caution. L'article 9(2) du PIDCP prévoit que « tout individu
arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette
arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute
accusation portée contre lui ». Dans le même ordre d'idées, le Comité des
droits de l'homme des Nations Unies a souligné que le droit d’être informé
des motifs de l’arrestation ou des charges pénales est important pour une
personne mise aux arrêts, en ce sens qu’elle peut « demander qu'une
autorité compétente se prononce rapidement sur la légalité de sa
68. L'article 14(3)(d) du PIDCP prévoit également que toute personne accusée
a le droit d’être informée de son droit à l'assistance judiciaire. Ces
dispositions visent à permettre aux personnes arrêtées ou accusées de
prendre les mesures nécessaires pour obtenir leur libération, notamment
en exerçant leur droit à la libération sous caution ou en facilitant leur droit
à être représentées par un avocat pour leur défense.
69. Bien qu’il ne soit pas explicitement reconnu dans les instruments
internationaux existants en matière de droits de l’homme, la Cour estime
que le droit à la mise en liberté sous caution doit être interprété de manière
à y inclure le droit d’être informé du droit de demander la mise en liberté
sous caution. Cela est particulièrement important lorsque les personnes
arrêtées ne sont pas représentées par un conseil, n’ont pas été informées
de leur droit d’être représentées par un conseil ou n’ont pas bénéficié de
l’assistance d’un conseil2* qui les aiderait à exercer le droit de demander
leur mise en liberté sous caution.
23 Communication n° 248/1987, G. Xx c. J amaïque (Décisions adoptées le 30 mars 1992), $ 6.3 24 Bf Xz c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 001/2016, arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), $ 98.
70. En l'espèce, la Cour relève que le dossier devant elle montre que le
Requérant a assuré sa propre défense lorsqu'il a été arrêté pour la
première fois, lorsqu'il a été traduit en justice et ensuite tout au long de la
procédure devant les tribunaux nationaux. Cet état de fait a, de toute
évidence, privé le Requérant de la possibilité de bénéficier des conseils
d’un avocat en ce qui concerne l'exercice de ses droits avant le procès,
notamment le droit à la mise en liberté sous caution. Dans ces
circonstances, la fourniture d’information sur sa mise en liberté sous
caution était nécessaire et justifiée.
71. À cetégard, la Cour souligne qu'aucun élément dans le dossier ne montre
que le Requérant a été, à un moment quelconque, informé de son droit à
la mise en liberté sous caution. L'État défendeur n'a pas non plus contesté
l’affimation du Requérant selon laquelle il n’a pas été informé de son droit
à la mise en liberté sous caution. Il est donc évident qu’en raison de
l’omission par l’État défendeur d'informer le Requérant de son droit à la
mise en liberté sous caution, celui-ci n’a pas pu exercer ce droit.
72. Au regard des circonstances de l’espèce, la Cour conclut que l’omission
par l’État défendeur d’informer le Requérant de son droit de demander à
être libéré sous caution constitue une violation des droits du Requérant
inscrit à l’article 6 de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à l’assistance judiciaire gratuite
73. Le Requérant allègue qu'aucune assistance judiciaire ne lui a été fournie
lors des procédures engagées à son encontre devant les juridictions
internes, et que l’État défendeur a, par là même, violé l’article 7(1)(c) de la
Charte.
74. Le Requérant fait valoir que les tribunaux nationaux auraient dû tenir
compte de la gravité de l'accusation portée à son encontre et de son
incapacité à louer les services d’un avocat pour l’assister lors des procès devant les juridictions nationales. Citant la jurisprudence de la Cour dans
l'affaire Bu Xk c. Tanzanie, le Requérant fait valoir qu'il est inutile,
voire non raisonnable pour l’État défendeur d'exiger du Requérant qu’il
soulève la question en cause devantles juridictions internes ou qu’il engage
une nouvelle procédure devant lesdites juridictions en ce qui concerne
l'absence d’assistance judiciaire.
75. L'État défendeur soutient que le droit à l’assistance judiciaire n’est pas un
droit absolu, tant en droit international qu’en droit tanzanien. En d’autres
termes, il ne s'exerce de plus en plus qu’en fonction de la disponibilité des
ressources financières permettant à l’État de fournir à un accusé une
assistance judiciaire gratuite. En outre, le droit à l'assistance judiciaire est
soumis à deux conditions, à savoir que le requérant doit demander
l'assistance d’un défenseur de son choix et que les fonds pour soutenir
ladite demande doivent être disponibles une fois celle-ci accordée au
requérant.
76. Aux termes de l’article 7(1)(c) de la Charte, le droit à ce que sa cause soit
entendue comprend « le droit à la défense, y compris celui de se faire
assister par un défenseur de son choix ».
77. La Cour a interprété l’article 7(1)(c) de la Charte à la lumière de l’article
14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(PIDCP),?* et a conclu que le droit à la défense comprend le droit de
bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite.?6
3 L'État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juin 1976.
$ 72 ; Al Bz Bc etun autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJCA 67, $ 104.
78. La Cour a également conclu que toute personne accusée d’une infraction
grave, passible d’une peine sévère a le droit de se voir attribuer d’office un
défenseur, sans frais, et ce, sans avoir à en faire la demande.”
79. La Cour fait observer que, bien que le Requérantaitété accusé de viol, une
infraction grave passible d’une peine minimale de trente ans de réclusion,
une peine parailleurs lourde, aucun élément dans le dossier n’indique qu'il
a été informé de son droit à une assistance judiciaire, ni que, s’il n'avait pas
les moyens de prendre en charge une telle assistance, celle-ci lui serait
fournie à titre gracieux. La Cour note en outre que l’État défendeur n’a pas
contesté le fait que le Requérant était indigent.
80. La Cour a également conclu dans ses arrêts antérieurs que l’obligation de
fournir une assistance judiciaire gratuite aux personnes indigentes faisant
face à des accusations graves et passibles d’une lourde peine s'applique
tant en première instance qu’en appel.
81. L'intérêt de la justice aurait dû être invoqué afin de permettre au Requérant
de bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite tout au long de la
procédure en première instance et en appel.
82. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’allégation de l’État défendeur
selon laquelle le Requérant aurait dû demander à bénéficier d’une
assistance judiciaire gratuite et que celle-ci aurait pu lui être accordée en
fonction des ressources disponibles n’est pas fondée.
83. La Cour conclut donc que l'État défendeur a violé l’article 7(1) (c) de la
Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, en omettant de
fournir au Requérant une assistance judiciaire gratuite dans le cadre des
procédures devant les juridictions nationales.
Onyachi et un autre c. Tanzanie (fond), $$ 104 et 106.
28 Alex Ag c. Tanzanie (fond), $ 124, Bt Xa Cc et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (fond), 1 RJ CA 526, 5 183.
C. Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
84. Le Requérant affirme que l’État défendeur a violé son droit d’être jugé dans
un délai raisonnable par une juridiction impartiale prévu à l’article 7(1)(d)
de la Charte.
85. Le Requérant affirme en outre qu'après avoir été mis aux arrêts, il est resté
en garde à vue pendant plus de vingt-quatre (24) heures, ce qui est
contraire à l’article 32 de la loi sur les procédures pénales.
86. Le Requérant affirme également qu’il a été mis aux arrêts le 26 juin 2009
et mis en accusation devant le tribunal le 29 juin 2009 et qu’à de
nombreuses reprises, le Tribunal de première instance a demandé des
ajournements injustifiés, en violation de l’article 7(1)(d) de la Charte. Il
soutient que bien que la juridiction d'instance ait procédé auxdits
ajournements en raison de la non-disponibilité des témoins à charge, le
Tribunal de première instance a procédé ainsi sans relever cet état de fait
comme motif des ajournements.
87. L'État défendeur soutient que le Requérant a été jugé sur une période d’un
(1) an, un délai, somme toute raisonnable, compte tenu de la nature de
l’infraction et des circonstances de l'affaire. L'État défendeur soutient, par
ailleurs, qu’au cours des audiences, chaque partie a eu l'opportunité de
procéder à un contre-interrogatoire.
88. Aux termes de l’article 7(1) (d) de la Charte le droit à ce que sa cause soit
entendue comprend « le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une
juridiction impartiale ».
89. La Cour fait référence à sa décision dans l'affaire Bt Xa et 9
autres c. Tanzanie, où elle a déclaré qu’« il n'existe pas de délai, considéré
comme « raisonnable », qui serve de norme dans l’examen d’une affaire.
Pour déterminer si le délai est raisonnable ou non, chaque affaire doit être
traitée selon ses propres circonstances. »2°
90. La Cour prend en compte la durée de la procédure interne et évalue le
comportement du requérant ainsi que la diligence raisonnable de l’État
défendeur pour vider la procédure. La Cour a souligné que « les autorités
des juridictions nationales ont le devoir de veiller à ce que tous ceux qui
jouent un rôle dans un procès fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour
éviter tout retard inutile. »°!
91, La Cour relève que le Requérant a été mis aux arrêts, le 26 juin (un
vendredi) et attrait en justice le lundi 29 juin 2009. La Cour note que la loi
de l’État défendeur exige qu’une personne mise aux arrêts et accusée
d’une infraction autre que celle punie par la peine de mort soit traduite en
justice soit « vingt-quatre heures après avoir été placée en détention », soit
« dès que possible ».32 La Cour estime qu’étant donné que le Requérant a
été mis aux arrêts un vendredi et mis en accusation pour viol, une infraction
somme toute grave, sa comparution devant le tribunal le lundi suivant
l’arrestation était conforme à cette disposition légale.
92. Au regard des conclusions des procédures en première instance, le
Requérant a comparu devant le Tribunal de district le 29 juin 2009 et celui-
ci a rendu son jugement et sa sentence le 24 août 2010. Le procès a donc
duré un (1) an, un (1) mois et vingt-six (26) jours. En outre, la Haute Cour
a mis un (1) an et quatre (4) jours pour statuer sur le premier appel du
29 Bt Xa Cc et 9 autres c. Tanzanie (fond), 8135.
3 Ibid., 85 134 et 136.
# L'article 32(1) du Code de procédure pénale de 1985, qui était la disposition applicable à l’époque, dispose que : Toute personne placée en garde à vue sans mandat pour une infraction autre qu’une infraction passible de la peine de mort, l’officier responsable du poste de police auquel elle est conduite peut, dans tous les cas, et doit, s’il ne semble pas possible de le faire comparaître devant un tribunal approprié dans les vingt-quatre heures suivant sa mise en garde à vue, enquêter sur l'affaire et, à moins que l'infraction ne lui semble être d’une nature grave, remettre l'intéressé en liberté en lui faisant signer une preuve de caution, avec ou sans garantie, d’un montant raisonnable, pour qu’il comparaisse devant un tribunal à la date et au lieu indiqués dans la caution. Toutefois, si l'intéressé est maintenu en détention, il doit être traduit devant un tribunal dans les meilleurs délais possibles.
Requérant et la Cour d’appel, un (1) an, un (1) mois et deux (2) jours pour
examiner son second appel.
93. La Cour estime en outre que, bien que le procès ait été ajourné à plusieurs
reprises en raison de la non-disponibilité de certains témoins à charge,
dans l’ensemble, compte tenu de la nature de l'infraction, le délai d'un (1)
an, un (1) mois et vingt-six (26) jours qui a été nécessaire au tribunal de
première instance pour achever le procès est raisonnable. De même, la
Cour estime que le temps pris par la Haute Cour, soit un (1) an et quatre
(4) jours, pour statuer sur le premier appel, et par la Cour d’appel pour
trancher le second appel, soit un (1) an, un (1) mois et deux (2) jours, est
raisonnable.
94. La Cour en conclut que l’État défendeur n’a pas violé les droits du
Requérant inscrits à l’article 7(1)(d) de la Charte.
D. Violation alléguée du droit d’être jugé par un tribunal pour mineur
95. Le Requérant soutient qu'il a été jugé par le Tribunal de district de Kahama
plutôt que par un tribunal pour mineurs alors qu'il était, selon lui, âgé de
moins de 16 ans en 2009.
96. L'État défendeur soutient, pour sa part, que le Requérant a été jugé à juste
titre par le Tribunal de district et que preuve en est donné par le compte
rendu d'audience du procès devant la Cour d’appel qui indique que le
Requérant étaitâgé de vingt (20) ans au moment de sa mise en accusation.
97. La Cour note que le 29 juin 2009, le Requérant a été reconnu coupable de
viols commis à différentes dates entre « début juin et le 26 juin 2009 ». La
Cour note en outre que l’âge de la majorité dans l’État défendeur au
moment de la commission de l'infraction par le Requérant et au moment où
il a été mis en accusation devant la Cour de district le 29 juin 2009 était de dix-huit (18) ans. Il s’agit également de l’âge de la majorité en vertu de
l’article 2 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant comme
suit : « … on entend par « Enfant » tout être humain âgé de moins de 18
98. || ressort du dossier devant la Cour que le Requérant étaitâgé de vingt (20)
ans au moment de la commission du viol et de son arrestation. En outre, le
Requérant n’a jamais contesté son âge au cours du procès et ne l’a jamais
invoqué comme moyen d’appel devant la Haute Cour etla Cour d’appel. Il
a soulevé un moyen d'appel concernant uniquement l’âge de la victime de
l'infraction, à savoir que son âge au moment de la commission de
l'infraction n’avait pas été déterminé ou prouvé de manière concluante par
99, Le Requérant étant majeur au moment de la commission de l'infraction, de
son arrestation et de sa mise en accusation subséquente devant le Tribunal
de district de Kahama, l'affirmation selon laquelle il aurait dû être jugé
devant un tribunal pour mineurs n’est pas fondée et est, en conséquence,
rejetée.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
100. La Cour fait observer que l’article 27(1) du Protocole stipule que
« [IJorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
33 La loi sur l’âge de la majorité Chap. 431 des lois fixe l'âge de la majorité à dix-huit ans ; en outre, en ce qui concerne la responsabilité pénale, l’article 15 du code pénal (qui était applicable à l’époque des faits en ce qui concerne le Requérant) prévoit que :
(1) Toute personne âgée de moins de dix ans n’est pas pénalement responsable de tout acte ou omission.
(2) Toute personne âgée de moins de douze ans n’est pas pénalement responsable d'un acte ou d’une omission, à moins qu’il ne soit prouvé qu’au moment de l’acte ou de l’omission, elle avait la capacité de savoir qu’elle ne devait pas faire cet acte ou cette omission.
(3) Toute personne de sexe masculin âgée de moins de douze ans est présumée incapable d’avoir des rapports sexuels.
(4) Toute personne âgée de moins de douze ans qui commet un acte ou une omission qui est illégal doit être traitée conformément à la loi sur le droit des enfants
34 L'État défendeur est devenu partie à cette Charte le 9 mai 2003.
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier
à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi
d’une réparation ».
101. Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour considère que, pour
que pour que des réparations soient accordées, la responsabilité
internationale de l’État défendeur doit d’abord être établie au regard du fait
illicite. Deuxièmement, le lien de causalité doit être établi entre l’acte illicite
et le préjudice allégué. En outre, et lorsqu'elle est accordée, la réparation
doit couvrir l’intégralité du préjudice subi.
102. La Cour rappelle qu’il incombe au Requérant de fournir des éléments de
preuve pour justifier ses demandes, notamment en matière de dommages
matériels.5 En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour estime que
l'exigence de preuve n’est pas stricte*6 dans la mesure où l'existence d’un
préjudice est présumée lorsque des violations sont établies.37
103. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l’homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
104. En l’espèce, la Cour a établi que l’État défendeur a violé le droit du
Requérant prévu à l’article 6 de la Charte en ne l'ayant pas informé de son
droit à une mise en liberté sous caution. La Cour a également établi que
l’État défendeur a violé le droit à la défense du Requérant, prévu à l’article
35 Al Cg et autres c. Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RJ CA 680, $ 139 ; Voir également Ct Bo Cy Aw c. Tanzanie (réparations), $ 40 ; Br Av Ad c. Aj Cj (réparations), $ 15(d) et Ce Xl c. Tanzanie (fond et réparations), $ 97.
36 Ai Xi et autres c. Aj Cj (réparations), $ 55. Voir également Ce Xl c. Tanzanie (fond et réparations), $ 97.
37 Bk Aa et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RJ CA 562, 8 136 ; Bw Af c. Tanzanie (fond et réparations), $ 55 ; Ax Au Ae c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019), 3 RJ CA 13, $ 119 ; Ai Xi et autres c. Aj Cj (réparations), 5 55 ; et Ce Xl c. Tanzanie (fond et réparations),
38 Aq Bd Ci c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 209, $ 20. Voir également Ce Xl c. Tanzanie (fond et réparations), 8 96.
7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP en
ne lui fournissant pas une assistance judiciaire gratuite lors de son procès
et de ses recours devant les juridictions nationales.
105. La Cour relève que les demandes de réparations pécuniaires formulées par
le Requérant sont exprimées en dollars des États-Unis. Dans ses décisions
antérieures, la Cour a décidé que les réparations doivent être accordées,
dans la mesure du possible, dans la monnaie dans laquelle le préjudice a
été subi.*° En l’espèce, la Cour appliquera cette norme et les réparations
pécuniaires, le cas échéant, seront évaluées en shillings tanzaniens.
106. C’est au regard de ces conclusions que la Cour examinera les demandes
de réparation du Requérant.
A. Réparations pécuniaires
107. Le Requérant demande des réparations pécuniaires pour le préjudice
matériel subi en raison de la perte de revenus, de la perturbation de son
plan de vie et des dépenses engagées par sa famille pour assister à son
procès et pour couvrir les frais liés à son séjour en prison. Il demande
également réparation du préjudice moral causé par violations constatées.
108. Le Requérant affirme que son emprisonnement a entraîné une perte de
revenus et une perturbation de son projet de vie. || affirme qu’il trait au
moins cinq cent mille (500 000) shillings tanzaniens par mois des activités
telles que la construction de logements et la gestion personnelle d’activités
agricoles telles que la culture de maïs, d’arachides, de tomates, d’oignons
et de riz à Am. Le Requérant affirme, en outre, que « ses entreprises
se sont effondrées, car il n’y a personne capable de les gérer ». En outre,
tous ses projets d'avenir ont été perturbés car il a perdu tout ce qu’il avait
39 Voir Ax Au Ae c. Tanzanie (fond et réparations), 5 120 ; Aq Bd Ci c. République du Rwanda (réparations), 5 45.
acquis. En conséquence, le Requérant demande une réparation du
préjudice matérielle subis à hauteur de quinze mille (15 000) dollars EU
pour la perte de revenus.
109. Le Requérant affirme également que sa réclusion a eu des répercussions
financières sur sa famille car il était le seul à subvenir aux besoins de celle-
ci. Les conditions de détention ont eu un impact sur sa santé, et sa famille
a donc dû envoyer des fonds pour l'achat de médicaments. Par ailleurs, sa
famille a dû engager des dépenses pendant le procès afin d’assister aux
audiences du tribunal.
110. L’État défendeur fait valoir que les allégations du Requérant ne sont pas
étayées, celui-ci n'ayant pas présenté de preuves attestant qu’il était
impliqué dans des activités agricoles et de construction et qu’il gérait une
entreprise qui lui rapportait cinq cent mille (500 000) shillings tanzaniens
par mois.
111. Citant la décision rendue dans l'affaire Ax Au c. Tanzanie, l’État
défendeur soutient en outre que le Requérant n’a pas fourni de preuves à
l'appui de ses demandes pécuniaires et que, par conséquent, son
allégation de préjudice matériel est dénuée de fondement.
112. La Cour rappelle que lorsqu'un Requérant demande la réparation d’un
préjudice matériel, un lien de causalité doit non seulement exister entre la
violation constatée et le préjudice subi, il doit également préciser la nature
du préjudice et en apporter la preuve.*
113. La Cour relève que le Requérant n’a pas établi le lien entre la ou les
violations constatées et la perte alléguée de ses revenus etles pertes que
sa famille aurait subies en raison de l'achat de médicaments dont il avait besoin pendant son séjour en prison et de la prise en charge des dépenses
liées à leur participation aux audiences du tribunal. Au contraire, les
demandes du Requérant sont directement liées à sa condamnation, à sa
peine et à son incarcération, que la Cour n’a pas jugées illégales.*!
114. En outre, la Cour note que le 13 décembre 2019, le Requérant a déposé
une déclaration sous serment datée du 9 octobre 2019. Cette déclaration
n'est qu’une simple reformulation de ses conclusions sur les réparations.
La Cour estime que ladite déclaration ne suffit pas à étayer sa demande.
115. En conséquence, la Cour rejette les demandes de réparation pour préjudice
matériel formulées par le Requérant.
ii. Préjudice moral
116. Le Requérant demande réparation pour le préjudice moral subi par lui et
par les victimes indirectes, en raison des violations établies.
a. Préjudice moral subi par le Requérant
117. Le Requérant affirme que les dix (10) années qu’il a passées en prison ont
causé un traumatisme et une perturbation complète de sa vie privée. En
outre, sa condamnation l’a mis dans l'embarras et a abaissé son statut
social au sein de sa famille et de la communauté, son nom ayant été
associé à la commission d’une infraction grave. En outre, le Requérant
allègue que sa santé s’est considérablement dégradée au fil des années
au cours desquelles il a purgé sa peine. En outre, son incarcération l’a
séparé de sa famille, en particulier, il a perdu tout contact direct avec ses
proches lorsqu’il a été transféré à Ck Cp à Ah.
41 Bw Af c. Tanzanie (fond et réparations), 5 18 ; Christopher J onas c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 011/2015, Arrêt du 25 septembre 2020 (réparations), & 20.
118. En conséquence, le Requérant demande à la Cour de lui accorder trente
mille (30 000) dollars EU en réparation du préjudice moral subi en raison
des problèmes de santé mentale et physique dont il a souffert pendant ses
dix (10) années d’incarcération.
119. L'État défendeur soutient qu’il n’existe aucune preuve démontrant que le
Requérant a souffert d'angoisse psychologique, et que, par conséquent,
les demandes de préjudice moral ne sauraient être justifiées. L'État
défendeur fait, en outre, valoir que pour prouver qu’il a souffert d’un
préjudice moral, le Requérant aurait dû produire un certificat médical.
120. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le préjudice
moral estprésumé en cas de violation des droits de l’homme, et l'évaluation
du montant de la réparation y relative devraitse faire sur la base de l’équité,
en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire.*? La
Cour a adopté le principe consistant à accorder une somme forfaitaire dans
de telles circonstances.*
121. La Cour a conclu à la violation des droits du Requérant prévus à l’article 6
et à l’article 7(1)(c) de la Charte lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du
PIDCP. Le Requéranta donc droit à des réparations pour le préjudice moral
subi car il existe une présomption que le Requérant a subi une certaine
forme de préjudice moral du fait desdites violations.**
122. La Cour relève que les violations constatées portent sur les garanties d’un
procès équitable qui auraient dû être observées lors de la procédure
engagée à l'encontre du Requérant devant les juridictions nationales. Il
ressort du dossier que la condamnation du Requérant reposait sur le
#2 Ai Xi et autres c. Aj Cj (réparations), 8 55 ; Aq Bd Ci c. Rwanda (réparations), 8 59 ; Christopher J onas c. Tanzanie (réparations), $ 23.
43 Ax Au Ae c. Tanzanie (fond et réparations), 5 119 ; Xd Ap c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018), 2 RJ CA 415, $$ 84 à 85 ; Bw Af c. Tanzanie (fond et réparations), 5 177 ; Christopher J onas c. Tanzanie (réparations), $ 24.
44 Cd Bj Xp (fond et réparations), $ 151.
constat qu’il avait violé une mineure et que, par conséquent, les violations
constatées n'avaient pas trait à l'issue de la procédure. La Cour note en
outre qu'il n’y a pas eu de circonstances atténuantes dans cette affaire.*°
123. En conséquence, la Cour, exerçant son pouvoir discrétionnaire en toute
équité et, au regard des circonstances de l’espèce, accorde au Requérant
la somme de six cent mille (600 000) shillings tanzaniens à titre de
réparation du préjudice moral qu’il a subi en raison des violations
constatées.
b. Préjudice moral subi par les victimes indirectes alléguées
124. Le Requérant demande à la Cour de considérer comme victimes indirectes
ayant également subi un préjudice moral du fait des violations commises à
son encontre : ses parents (] ohn Xt et Ar XrA et ses frères
et sœurs (As Be, Cv Be, Xq Be, Faustine ] ohn,
125. Le Requérant allègue que son incarcération a été émotionnellement
éprouvante et a induit une stigmatisation sociale des victimes indirectes.
En outre, l’incarcération ainsi que les procès ont perturbé la vie quotidienne
de ces dernières, qui ont dû se déplacer à de nombreuses reprises pour
assister aux audiences et lui rendre visite à la prison centrale d’Uyui. En
outre, le Requérant affirme qu'’étant donné qu'il était le seul soutien de la
famille au moment de l’arrestation, les victimes indirectes ont subi un stress
énorme car elles n'avaient pas de revenu stable. Le Requérant demande,
par conséquent, que la somme de cinq mille (5 000) dollars EU soit
accordée à chacune des victimes indirectes.
126. L'État défendeur conteste la demande formulée par le Requérant au titre
du préjudice moral qu'auraient subi les victimes indirectes, au motif que les
45 Xd Ap. Tanzanie (fond et réparations), $ 90 ; Cm Cz c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018), 2 RJCA 446, $ 111 ; Bo Cl c. Tanzanie (réparations), 8 25.
allégations et le calcul des montants ne sont pas étayés par des preuves.
L’État défendeur fait valoir que le Requérant n’a pas prouvé les liens de
parenté existant entre lui et les victimes indirectes alléguées. À cet égard,
l’État défendeur cite l'affaire Ax Au c. République-Unie de Tanzanie,
dans laquelle la Cour a décidé que les victimes indirectes doivent établir la
preuve de leur filiation avec le Requérant pour pouvoir bénéficier de
réparations. L'État défendeur soutient que le Requérant n’a pas présenté
d'actes de naissance prouvant ledit lien de parenté « ou tout autre preuve
attestant que les victimes indirectes alléguées dépendaient du Requérant
par le passé ou des documents indiquant le niveau d’une telle
dépendance ».
127. L'État défendeur fait également valoir que le Requérant n’a pas prouvé le
lien de causalité entre le fait qu’il n'ait pas bénéficié d’une assistance
judiciaire et les souffrances endurées par les victimes indirectes et que, par
conséquent, ces dernières n’ont droit à aucune réparation.
128. La Cour fait observer, en ce qui concerne les victimes indirectes, qu’en
règle générale, le préjudice moral est présumé à l’égard des conjoints, des
parents et des enfants et la réparation n’est accordée que lorsqu'il existe
des preuves de relations maritales, ou de filiation avec un requérant. Pour
les autres catégories de victimes indirectes, la preuve de la filiation et du
préjudice moral subi est requise.*6
129. Le Requérant n’a pas établi la preuve de sa filiation avec les victimes
indirectes alléguées.
130. En conséquence, la Cour rejette cette demande de réparations au bénéfice
des victimes indirectes alléguées.
46 Ai Xi et autres c. Aj Cj (réparations), 8 54 ; Ax Au Ae c. Tanzanie (fond et réparations), $ 135 ; Léon Ca AI Xs, CAfDHP, Requête N° 012/2017, Arrêt du 27 novembre 2020 (fond et réparations), $ 148.
B. Réparations non pécuniaires
131. Le Requérant demande à la Cour d’annuler sa déclaration de culpabilité et
sa condamnation et de le remettre en liberté, compte tenu du temps qu’il a
passé en prison. La remise en liberté, selon le Requérant, est la deuxième
meilleure mesure au regard des circonstances, étant donné que la Cour ne
peut pas le rétablir dans la situation qui était la sienne avant son
incarcération. En outre, citant l'affaire Alex Ag c. Tanzanie, le
Requérant fait valoir que la forme de réparation la plus appropriée en cas
de violation des garanties d’un procès équitable comprend la remise en
liberté.
132. L'État défendeur soutient que la restitution ne s'applique que lorsque
d’autres formes de réparation, telles que l'indemnisation, ne sont pas
pertinentes ou s'avèrent insuffisantes. En outre, l’État défendeur fait valoir
que le Requérant n’a pas prouvé qu'il avait subi un préjudice ou des
dommages en raison des violations alléguées.
133. La Cour fait observer, s'agissant de la demande d’annulation de la
déclaration de culpabilité et de la peine, qu’elle n’a pas conclu que la
déclaration de culpabilité et la peine du Requérant étaient ou non
justifiées.*” La Cour se préoccupe plutôt de savoir si les procédures devant
les juridictions nationales sont conformes aux dispositions des instruments
relatifs aux droits de l'homme ratifiés par l’État défendeur.
134. S’agissant de la remise en liberté du Requérant, la Cour a déjà indiqué
qu’elle ne pouvait rendre une telle ordonnance que « si un requérant
démontre à suffisance ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses
constatations, que l’arrestation ou la condamnation du requérant repose
47 Stephen J ohn Cw c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 13/2016, Arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 88.
entièrement sur des considérations arbitraires et que son maintien en
détention serait constitutif d’un déni de justice ».*8
135. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a conclu que l’État défendeur a violé
le droit du Requérant à la liberté et à un procès équitable en ne l'informant
pas de son droit à la mise en liberté sous caution et en ne lui fournissant
pas une assistance judiciaire gratuite. La Cour considère que la nature de
la (des) violation(s) en l'espèce ne révèle aucune circonstance indiquant
que le maintien en détention du Requérant est constitutif d’une erreur
judiciaire ou une décision arbitraire. Le Requérant n’a pas non plus exposé
de circonstances spécifiques et impérieuses justifiant qu’elle ordonne sa
remise en liberté.*°
136. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette cette demande.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
137. Aux termes de l’article 32(2) du Règlement intérieur de la Cour, « [à] moins
que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
138. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder une indemnisation pour
« les frais de transport et de papeterie : affranchissement, impression et
photocopie à hauteur de cinq cents (500) dollars EU ».
139. L'État défendeur fait, quant à lui, valoir que cette demande d’indemnisation
n'est pas fondée et que la Cour devrait la rejeter en conséquence.
48 Xd Ap c. Tanzanie (fond et réparations), 8 82 ; voir également J ibu Amir (CxA et un autre c. Tanzanie (fond et réparations), $ 96 ; Xo Xf Ay c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 570, 8 84.
49 | ibu Amir (CxA et un autre c. Tanzanie (fond et réparations), $ 97; Ce Xl c. Tanzanie (fond et réparations), 5 112 et Xd Ap c. Tanzanie (fond et réparations), $ 82.
50 Article 30(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
140. La Cour réitère sa jurisprudence constante selon laquelle les réparations
peuvent inclure les frais de justice et autres frais engagés dans le cadre de
la procédure internationale.°! En outre, il incombe au Requérant de justifier
les sommes réclamées.
141. La Cour considère que les frais de transport engagés pour les
déplacements en Tanzanie et les frais de papeterie relèvent de la
« catégorie de dépenses qui seront prises en charge dans le cadre du
programme d'assistance judiciaire de la Cour ».52 Étant donné que l’East
Bh Bb Cs a représenté le Requérant à titre gracieux, les sommes
réclamées se ne justifient pas. Cette demande est donc rejetée.
142. En conséquence, la Cour ordonne que chaque Partie supporte ses frais de
procédure.
X. DISPOSITIF
143. Par ces motifs :
LA COUR
À l’unanimité
Sur la compétence
ii Rejette l'exception d’incompétence soulevée par l’État défendeur ;
51 Ct Bo Cy Aw c. Tanzanie (réparations), $ 39 ; Bw Af c. Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 493, 5 188.
52 Cf Bg c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019), 3 RJ CA 349, $ 90.
Sur la recevabilité
ii. — Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État Défendeur n’a pas violé le droit du Requérant d’être
jugé dans un délai raisonnable inscrit à l’article 7(1)(d) de la Charte.
vi. Rejette l’allégation selon laquelle le Requérant aurait dû être jugé
par un tribunal pour mineurs.
vi. Dit que l’État Défendeur a violé le droit du Requérant protégé par
l’article 6 de la Charte en ne l’informant pas de son droit à la mise en liberté sous caution.
viii. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la défense du Requérant
inscrit à l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article
14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
pour ne lui avoir pas fourni une assistance judiciaire gratuite.
Sur les réparations pécuniaires
ix. Rejette la demande de réparation formulée par le Requérant au
titre du préjudice matériel qu’il aurait, lui et les victimes indirectes
alléguées, subi ;
À la majorité de neuf (9) voix pour et une (1) voix contre, la J uge Ch
Y, ayant émis une opinion dissidente,
x. Rejette la demande de réparation formulée par le Requérant au
titre du préjudice moral subi par les victimes indirectes alléguées ;
titre du préjudice moral résultant de la violation de son droit à une
assistance judiciaire gratuite, et lui accorde la somme de six cents
mille (600 000) shillings tanzaniens.
xi. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué au point
(x) ci-dessus, en franchise d’impôt, à titre de juste compensation
dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification
du présent arrêt, faute de quoi il sera tenu de payer des intérêts
moratoires calculés sur la base du taux en vigueur de la Banque
centrale de Tanzanie pendant toute la période de retard jusqu’au
paiement intégral des sommes dues.
Sur les réparations non pécuniaires
xii. Rejette la demande du Requérant d’annuler sa condamnation et sa
peine et de le remettre en liberté.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xiv. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, un
rapport sur l'état d'avancement de la mise en œuvre des mesures
qui y sont contenues et, par la suite, tous les six (6) mois, jusqu’à
ce qu'elle considère toute la décision entièrement exécutée.
Sur les frais de procédure
xv. Rejette la demande du Requérant visant le remboursement des
honoraires, frais et autres dépenses engagés dans le cadre de la
procédure devant la Cour de céans.
xvi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédures.
Ontsigné :
Ao Cy AL, } uge ; Lys Arai la
Ch Y, J uge (RES
Stella |. ANUKAM, Juge Éuk am .
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ; #—
Cr AM, J uge fable
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l'opinion dissidente de la J uge Ch Y est jointe au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce vingt-deuxième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt-