La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/09/2022 | CADHP | N°015/2021

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 22 septembre 2022, 015/2021


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AG Af Bo ET AJ C
RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE
REQUÊTE N° 015/2021
ARRÊT
22 SEPTEMBRE 2022 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B. Violations alléguées
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A. Exception d’incompétence personnelle de la Cour
B. Autres aspects de la compétence
VI.

SUR L’EXCEPTION TIRÉE DU DÉFAUT DE QUALITÉ DE DÉFENDEUR
VII. SUR LA RECEVABILITÉ 11
A Exc...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AG Af Bo ET AJ C
RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE
REQUÊTE N° 015/2021
ARRÊT
22 SEPTEMBRE 2022 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B. Violations alléguées
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A. Exception d’incompétence personnelle de la Cour
B. Autres aspects de la compétence
VI. SUR L’EXCEPTION TIRÉE DU DÉFAUT DE QUALITÉ DE DÉFENDEUR
VII. SUR LA RECEVABILITÉ 11
A Exception tirée de l’utilisation de termes outrageants 12
B Exception tirée du non-épuisement des recours internes 13
C. Autres conditions de recevabilité 15
VIILSUR LE FOND 16
A. Allégation de violation du droit à une juridiction indépendante et impartiale… 16
1 Allégation de manque d'indépendance du Conseil constitutionnel quant à sa
composition 16
il, Allégation d’absence de motivation de la décision du Conseil constitutionnel 21
B Allégation de violation du droit à l'exercice d'activités politiques 25
C Allégation de violation du droit à la sincérité du scrutin 28
1 Allégation de violations des prescriptions règlementaires 28
Il Allégation d’irrégularités matérielles affectant la sincérité du scrutin 31
D Allégation de violation du droit à la « sécurité de sa personne » 35 IX. SUR LES RÉPARATIONS 37
A Réparations pécuniaires 39
Il Préjudice moral 40
B Réparations non pécuniaires 41
X. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 42
XI. DISPOSITIF 43 La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente, Blaise TCHIKAYA, Vice-
président; Ben KIOKO, Ci Bq A, Av Z, Ce Cl
Y, An AH ; Stella |. ANUKAM, Bg Cj B,
Bx AK, Dennis D. ADJ El —J uges ; et de Robert ENO, Greffier.
En l’affaire
KOUASS I Af Bo et AJ C
représentés par :
Maitre KOUASSI-ALLAH Murielle, avocat près la Cour d’appel d'Abidjan
contre
RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE
représentée par
Maître KOULIBALY Soungalo, avocat près la Cour d'appel d’Abidjan
après en avoir délibéré,
rend le présent arrêt :
L LES PARTIES
1. Les sieurs AG Af Bo et AJ C (ci- après dénommés
«les Requérants ») sont des ressortissants de la République de Côte
d'Ivoire. Ils étaient candidats du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-
Ch Az Ax (ci-après « PDCI-RDA ») à
l'élection des députés à l’Assemblée nationale organisée le 6 mars 2021
dans la circonscription électorale n°053, Yamoussoukro Commune 2. Ils
allèguent la violation de leurs droits en lien avec ladite élection.
2. La Requête est dirigée contre la République de Côte-d'Ivoire (ci-après
dénommée « État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée, la « Charte »), le
31 mars 1992 et au Protocole relatif à la Charte portant création d’une Cour
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après « le Protocole »),
le 25 janvier 2004. L'État défendeur a également déposé, le 23 juillet2013,
la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole par laquelle il a accepté
la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus
et des organisations non gouvernementales. Le 29 avril 2020, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine l'instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a jugé que ce
retrait n’a aucun effet, d’une part, sur les affaires pendantes et d’autre part,
sur les nouvelles affaires déposées avant l'entrée en vigueur du retrait un
(1) an après son dépôt, soit le 30 avril 2021."
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort de la présente Requête que, suite à la proclamation des résultats
provisoires de l'élection des députés à l'Assemblée nationale du 6 mars
2021, les Requérants, candidats à ladite élection, ont saisi le Conseil
constitutionnel d’un recours en invalidation des résultats provisoires dans
la circonscription électorale n°053, Yamoussoukro Commune 2. Les
Requérants faisaient valoir que le déroulement du vote dans cette
circonscription a été émaillé d’irrégularités matérielles et de violations des
lois électorales au niveau du vote et dans la compilation des résultats ainsi
que dans l’établissement des procès-verbaux de recensement général des
votes.
! Be AI Bi Bp et autres c. République de Côte d'Ivoire, CAfDHP, Requête N° 044/2019, Arrêt du 15 juillet 2020 (fond et réparations), 8 67.
4, Le 22 mars 2021, le Conseil constitutionnel a rejeté le recours des
Requérants au motif que ceux-ci ne rapportaient pas la preuve des
irrégularités qu’ils dénoncent.
5. Les Requérants ont alors estimé que leurs droits garantis par les lois
nationales et les instruments internationaux ont été violés et ont saisi la
Cour de céans.
B. Violations alléguées
6. Les Requérants allèguent la violation de leurs droits ci-après :
le droit à une juridiction indépendante et impartiale garanti aux articles 7
de la Charte, 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(ci-après « le PIDCP »)? et 10 de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme (ci-après « la DUDH ») ;
il. le droit pour les partis politiques d’exercer librement des activités politiques
et le droit de chacun de voter librement garantis aux articles 13(1) de la
Charte, 2(1)(3)3, 3(1)(4)(7)* et 4° de la Charte africaine de la démocratie,
des élections et de la gouvernance (ci-après « la CADEG »)° ainsi que les
articles 6 et 19 (2)” du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la
? L’État défendeur est devenu partie au PIDCP le 26 mars 1992.
3 L’Article 2(1)(3) de la CADEG dispose comme suit : « La présente Charte a pour objectifs de (1) Promouvoir l’adhésion de chaque État partie aux valeurs et principes universels de la démocratie et le respect des droits de l'homme. [...] (3) Promouvoir la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement ».
4 L’article 3(1)(4)(7) de la CADEG dispose comme suit : « Les États parties s'engagent à mettre en œuvre la présente Charte conformément aux principes énoncés ci-après : (1) Le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques [.…] (4) La tenue régulière d'élections transparentes, libres et justes. [...] (7) La participation effective des citoyens aux processus démocratiques et de développement et à la gestion des affaires publiques ».
5 L'article 4 de la CADEG dispose comme suit : « (1) Les États parties prennent l’engagement de promouvoir la démocratie, le principe de l'État de droit et les droits de l'homme ; (2) Les États parties considèrent la participation populaire par le biais du suffrage universel comme un droit inaliénable des peuples ».
6 L’État défendeur est devenu partie à la CADEG, des élections et de la gouvernance le 28 novembre 2013.
7 Les articles 6 et 19(2) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance disposent comme suit : « L'organisation, le déroulement des élections et la proclamation des résultats bonne gouvernance, (ci-après « le Protocole de la CEDEAO sur la
Démocratie »)® ;
iii. le droit à la sincérité du scrutin garantis par les articles 13(1) de la Charte,
25(a) et (b) du PIDCP, 21(3) de la DUDH, 2(1)(3) et 3(1)(4)(7) et 4 de la
CADEG et les articles 6 et 19(2) du Protocole de la CEDEAO sur la
démocratie ;
iv. le droit à la sécurité de sa personne garanti à l’article 6 de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête introductive d’instance a été reçue au Greffe le 23 avril 2021 et
notifiée à l’État défendeur le 21 mai 2021.
8. Le 16 juillet 2021, l’État défendeur a soumis son mémoire en défense qui
futtransmis le même jour aux Requérants pour observations.
9. Le 31 août 2021, les Requérants ont soumis leur réplique au mémoire en
défense qui a été transmise le même jour à l’État défendeur pour
information.
10. Le 9 mai 2022, le Greffe a notifié aux parties la clôture des débats.
IV. DEMANDES DES PARTIES
11. Les Requérants demandent à la Cour de :
constater la violation par l’État défendeur de leurs droits garantis par les
lois nationales et les instruments relatifs aux droits de l’homme ;
s’effectueront de manière transparente. Les forces de sécurité publique ont pour mission de veiller au respect de la loi, d’assurer le maintien de l’ordre, la protection des personnes et des biens ».
8 L'État défendeur est partie au Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance le ii. reformer les résultats de la circonscription électorale n°053,
Yamoussoukro Commune 2 et invalider soixante-seize (76) procès-
verbaux de quinze (15) lieux de vote ;
ii. proclamer les Requérants, candidats du PDCI-RDA, vainqueurs de
l'élection des députés à l'Assemblée nationale du 6 mars 2021 ou
iv. ordonner à l’État défendeur de reprendre purement et simplement
l'élection des députés à l’Assemblée nationale dans la circonscription
électorale n°053, Yamoussoukro Commune 2 ;
v. condamner l’État défendeur à payer aux Requérants la somme de cent
cinquante millions (150.000.000) de francs CFA à titre d'indemnisation
pour les frais de campagnes et de procédure.
12. L'État défendeur demande à la Cour de :
i. déclarer la requête irrecevable ;
il. rejeter l'ensemble des prétentions des Requérants comme étant mal
fondées.
V. SUR LA COMPÉTENCE
13. La Cour note que l’article 3 du Protocole dispose comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l’application de la Charte, du [présent] Protocole et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
14. Auxtermes de la règle 49(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformémentà la Charte, au P rotocole
etau [...] Règlement ».
15. En application des dispositions de la règle précitée, la Cour doit, dans
chaque requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et
statuer sur les exceptions d’incompétence, le cas échéant.
16. En l’espèce, l'État défendeur a soulevé une exception d’incompétence
personnelle de la Cour.
A. Exception d’incompétence personnelle de la Cour
17. L'Étatdéfendeur conteste la compétence personnelle de la Cour et soutient
qu’après le retrait de sa Déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du
Protocole le 29 avril 2020, il n’est plus justiciable devant la Cour après la
date de prise d’effet de ce retrait fixé au 30 avril 2021 par décision de la
Cour. L'État défendeur soutient que sa décision de retrait de compétence
étant devenue définitive depuis le 30 avril 2021, il n’a plus qualité pour
recevoir notification d'une requête. |! fait valoir qu’en lui notifiant la présente
Requête suivant courrier en date du 12 mai 2021, la Cour a outre-passé sa
compétence personnelle.
18. Pour leur part, les Requérants affirment que le fait pour l’État défendeur de
déposer son instrument de retrait de la Déclaration qu’il avait faite et dont
la date de prise d’effet est fixée au 30 avril 2021, n’entame nullement la
compétence personnelle de la Cour pour recevoir une requête déposée
avant la date de prise d’effet de ce retrait. Ils exposent à l’appui de leur
prétention que leur Requête a été introduite devant la Cour par un courriel
du 22 avril 2021 ainsi que par envoi DHL à la même date et qu’ainsi l’État
défendeur, à cette date, était encore justiciable. Les Requérants prient la
Cour de dire qu’elle a compétence personnelle pour connaitre de leur
Requête.
19. La Cour rappelle que, dans son Arrêt Be AI Bi Bp et 3 autres
contre République de Côte d'Ivoire, elle a jugé que le retrait de la Déclaration faite par l’État défendeur en vertu de l’article 34(6) du Protocole
n’a aucun effet, d’une part, sur les affaires pendantes et d’autre part, sur
les nouvelles affaires déposées avant la date d’effet du retrait, soit un an
après son dépôt et donc fixée au 30 avril 2021.
20. Enl’espèce, la Cour note que la présente Requête a été reçue au Greffe le
23 avril 2021, soit 8 jours avant la date de prise d’effet du retrait de la
Déclaration et notifiée à l’État défendeur le 21 mai 2021. La Cour précise
que la date buttoir du 30 avril 2021 ne s'applique qu’à la date de dépôt
d’une requête devantelle. Ainsi, dès lors que la Requête estdéposée avant
cette date, la compétence personnelle de la Cour est établie. Par
conséquent, il n’y a pas lieu de considérer qu’en notifiant à l’État défendeur,
le 21 mai 2021, une requête reçue le 23 avril 2021, la Cour a outrepassé
sa compétence personnelle.
21. De ce qui précède, la Cour conclut que l'exception d’incompétence
personnelle soulevée par l’État défendeur n’est pas fondée. Elle est par
conséquent, rejetée.
B. Autres aspects de la compétence
22. La Cour note, qu'aucune exception quant à sa compétence matérielle,
temporelle et territoriale n’a été soulevée. Toutefois, elle se doit de
procéder à l'examen de sa compétence sur ces aspects, conformément à
l’article 49(1) du Règlement.
23. Sur la compétence matérielle, la Cour fait observer qu’en vertu de l’article
3(1) du Protocole, elle est compétente pour connaître de toutes les affaires
dont elle est saisie pour autant que celles-ci portent sur des allégations de
violation de la Charte, du Protocole et de tout autre instrument relatif aux
droits de l'homme ratifié par l'État défendeur.’ la Cour note que les
9 Bt Ao c. Tanzanie (fond) 20 novembre 2015 (2015), 1 RJ CA 482, $ 45 ; Ad Bs et Bf c. Tanzanie (fond) 28 septembre 2017 (2017), 2 RJCA 67, 5 34 à 36 ; Aa Ab c.
Requérants allèguent la violation de leurs droits garantis et protégés par la
Charte, le PIDCP, la CADEG et le Protocole de la CEDEAO sur la
démocratie, instruments auxquels l’État défendeur est partie. En
conséquence, la Cour estime qu’elle a compétence matérielle pour
connaître de la présente Requête.
24. S'agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que les violations
alléguées par les Requérants sont survenues après que l’État défendeur
soit devenu partie à la Charte et au Protocole. Par conséquent, la Cour
conclut qu’elle a compétence temporelle en l'espèce.
25. Quant à sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations
alléguées par les Requérants sont survenues sur le territoire de l’État
défendeur. En conséquence la Cour estime que sa compétence territoriale
est établie.
26. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR L’EXCEPTION TIRÉE DU DÉFAUT DE QUALITÉ DE DÉFENDEUR
27. L'État défendeur soutient que c’est à tort qu’il est appelé à répondre des
contestations nées d’une procédure devantle Conseil constitutionnel ayant
opposé les Requérants à la Commission Électorale Indépendante (ci-après
désignée «la CEl»), d'une part et aux candidats de la liste du
Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (ci-
après désigné « RHDP »), d’autre part.
28. L'État défendeur ajoute que la CEl est une autorité administrative
indépendante dotée de la personnalité juridique distincte de la sienne et
République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 008/2016, Arrêt du 25 juin 2021 (fond et réparations), $ 21.
qu’à aucun moment il n’est intervenu ni pour les faits relatifs à l’élection
contestée ni pour les prétendues violations des droits des Requérants.
29. Pour l’État défendeur, quand bien-même le Conseil constitutionnel serait
une institution de l’État qui n’a pas une personnalité juridique distincte de
celle de l’État, la Cour n’est pas saisie d’un recours sur un litige qui oppose
les Requérants à l’État défendeur.
30. L’État défendeur fait valoir que, dans ces conditions, il ne saurait avoir la
qualité de défendeur dans la présente affaire en lieu et place des parties
au procès devant le Conseil constitutionnel.
31. Les Requérants font valoir que même si les élections sont organisées par
la CEl, les violations de leurs droits découlent de la décision du Conseil
constitutionnel qui, en rejetant leur recours en annulation des résultats
provisoires, a méconnu les irrégularités qui ont émaillé le scrutin dans leur
circonscription électorale.
32. Pour les Requérants, dans la mesure où l’État défendeur reconnait et
affirme dans son mémoire en défense que le Conseil constitutionnel est
une juridiction constitutionnelle que l’État représente, ce dernier est
logiquement le répondant de leur Requête devant la Cour de céans. Les
Requérants ajoutent qu’au surplus c’est l’État défendeur comme tous les
autres États membres, qui est partie au Protocole et non l’organe dont les
actes sont à l’origine des violations commises.
33. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle seuls les États
parties au Protocole sont défendeurs devant elle!® et qu’une telle
compétence exclusive repose sur le principe selon lequel le respect et la
mise en œuvre des droits garantis par les instruments internationaux
relatifs aux droits de l’homme incombe en premier lieu aux États parties. La
Cour a en outre précisé qu’un tel principe découle des articles 5 et 34(6) du
Protocole qui disposent respectivement comme suit : « [..] l’État partie
contre lequel une requête a été déposée [...] ; La Cour ne reçoit aucune
requête contre un État qui n’a pas fait la Déclaration prévue à l’article
5(3) du Protocole ».!*!
34. Au regard des considérations énoncées dans sa jurisprudence ci-dessus
rappelée, la Cour précise qu’en aucun cas sa compétence ne peut
s’étendre aux entités autres qu’un État partie au Protocole. Dès lors, la CE
ou le Conseil constitutionnel ne peuvent être défendeurs devant la Cour de
Céans.
35. En l’espèce, la Cour fait observer que la présente Requête vise l’État
défendeur, garant du respect des droits de l'homme et responsable, en droit
international, des actes posés par ses organes que ceux-ci soient dotés de
personnalité juridique ou non et ce, en vertu du principe de l’unité de la
personnalité juridique de l’État en droit international.
36. De ce qui précède, la Cour conclut que l’exception de l’État défendeur selon
laquelle il n’a pas qualité de défendeur dans la présente affaire n’est pas
fondée etest donc rejetée.
10 Co Bj & 351 autres c. République du Ghana, CAfDHP, Requête 059/2016, Arrêt du 27 novembre 2020 (compétence), 88 32 et 34 ; Bm Bv c. Union africaine (compétence) 26 juin 2012, 1 RJCA 121, 88 63, 70 et 71 ; Aq Bn Cn c. Union africaine (compétence), 15 mars 2013, 1 RJ CA 188 $ 40.
1 Bm Bv c. Union africaine (compétence) 20 novembre 2015, 1 RJ CA 518, 88 7 et 9 ; Bm Bv c. Union africaine (compétence) 26 juin 2012, op cit. $$ 63, 70 et 71 ;
VII. SUR LA RECEVABILITÉ
37. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
38. Par ailleurs, conformément à la règle 50(1) de son Règlement, « la Cour
procède à un examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au
présent Règlement ».
39. Quant à la règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance le contenu
de l’article 56 de la Charte, elle dispose comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l'anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’Étatconcerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent,
à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre
saisine ;
g. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés par les États
concernés, conformément soit aux principes de la Charte des Al Ba, soit de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit
des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique.
40. La Cour relève que dans la présente affaire l’État défendeur a soulevé deux
exceptions d’irrecevabilité de la Requête : l’utilisation de termes
outrageants (A) etle non épuisement des recours internes (B).
A. Exception tirée de l’utilisation de termes outrageants
41. L'État défendeur soutient que le fait pour les Requérants d'affirmer que les
membres du Conseil constitutionnel sont des fervents militants du parti
politique RHDP, pleinement dévoués et soumis au Président de l'exécutif
issu dudit parti politique, est diffamatoire et porte atteinte à l'honorabilité et
à la dignité des personnalités nommées au Conseil constitutionnel. Il
soutient que de telles accusations sont graves et injurieuses à l’égard de
l’État défendeur et de ses institutions et demande à la Cour de rejeter la
Requête.
42. Les Requérants soutiennent que leur affirmation ne porte aucun discrédit
sur les membres du Conseil constitutionnel qui se réclament de façon
notoire et publique être affiliés au parti RHDP. Ils ajoutent qu’il s’agit
d'informations largement répandues dans l'opinion publique qui cristallisent
le lien entre certains membres du Conseil constitutionnel et le parti RHDP.
43. La Cour rappelle qu’elle a déjà établi que les termes outrageants ou
insultants sont ceux qui sont employés dans le but de saper la dignité, la
réputation ou l'intégrité d’une personne. Les propos qu’on considère
comme injurieux doivent être utilisés dans le but de calomnier ou de discréditer la personne ou l’institution et ceci de manière à corrompre
l’esprit du public ou de toute personne raisonnable.
44. En l'espèce, la Cour note qu’en affirmant que les membres du Conseil
constitutionnel sont des fervents militants du parti politique RHDP,
pleinement dévoués au Président de l’exécutif, les Requérants indiquent
simplement la sensibilité politique des membres du Conseil constitutionnel
sans intention, ni réelle ni supposée, de les dénigrer ou de saper leur
intégrité.
45. La Cour fait également observer que les expressions « militants ou
dévoués » décrivent des comportements d'appartenance, d’activisme ou
de révérence courtoise qu’on ne sauraitinterpréter comme étant des injures
de la part des Requérants.
46. Par conséquent, la Cour conclut que l’exception soulevée par l’État
défendeur n’est pas fondée et la rejette.
B. Exception tirée du non-épuisement des recours internes
47. L'État défendeur soutient que les Requérants demandent à la Cour de
reconnaitre et de sanctionner la violation de leurs droits alors qu’ils n’ont
jamais initié au plan national une procédure dans ce sens. L'État défendeur
demande donc à la Cour de rejeter la Requête pour non exercice des
recours internes.
48. Les Requérants soutiennent que dans la mesure où ils ont saisi le Conseil
constitutionnel des irrégularités constatées lors du scrutin, ils n’ont plus
aucun recours à exercer pour faire valoir lesdites irrégularités. Ils ajoutent
qu’en effet c’est la décision du Conseil constitutionnel qui porte en elle les
12 Cf Cc Cd c. As Bc (fond) (5 décembre 2014) (2014), 1 RJ CA 324, 8 70 ; Bw c. Bénin (fond) (29 mars 2019) (2019), 3 RJ CA 151, $ 72.
germes des violations de leurs droits dont ils se plaignent devant la Cour
de céans. Les Requérants précisent que les décisions du Conseil
constitutionnel étant définitives et insusceptibles de recours, ils ne
disposaient d'aucun autre recours à exercer.
49. La Cour rappelle qu'aux termes de l’article 56(5) de la Charte et de la règle
50(2)(e) du Règlement, pour qu’une requête soit recevable, les recours
internes doivent avoir été épuisés, à moins que ces recours ne soient
indisponibles, inefficaces, insuffisants ou que la procédure pour les exercer
soit prolongée de façon anormale.!3
50. Enl’espèce, la Cour note qu'après la proclamation des résultats provisoires
les Requérants ont contesté lesdits résultats devant le Conseil
constitutionnel, seule instance habilitée pour contrôler l'élection
présidentielle et les élections parlementaires!*. Il ressort en outre des
dispositions de la Constitution et de la loi organique déterminant
l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel que les
décisions rendues par le Conseil constitutionnel s'imposent à tous et ne
sont pas susceptibles de recours!*. Par conséquent, les Requérants ont
épuisé le seul recours disponible, à savoir le recours devant le Conseil
constitutionnel.
51. L’exception tirée du non épuisement des recours internes est donc rejetée.
13 Ca et autres c. As Bc (exceptions préliminaires) op. cit. 5 84.
14 Voir les articles 126.4 et 127 et 138 de la Constitution qui disposent comme suit :
Article 126. 4 : Le Conseil constitutionnel est juge du contrôle de l'élection présidentielle et des élections parlementaires.
Article 138 : Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale.
15 L'article 15 alinéa 2 de la Loi organique N° 2001-303 du 5 juin 2001 déterminant l’organisation et le fonctionnement du Conseil Constitutionnel dispose comme suit : « Les décisions du Conseil sont rendues en audience publique sur rapport d’un de ses membres et ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives, juridictionnelles, militaires et à toute personnes physique ou morale ».
C. Autres conditions de recevabilité
52. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur ne conteste pas la conformité
de la Requête avec la Règle 50(2)(a)(b)(d)(f)(g) du Règlement. Toutefois,
la Cour doit s'assurer que les exigences de ces alinéas sont remplies.
53. La Cour fait observer que conformémentà la Règle 50(2)(a) les Requérants
ont clairement indiqué leur identité.
54, La Cour relève également que les demandes formulées parles Requérants
visent à protéger leurs droits garantis par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l'Union africaine, tel qu'énoncé à son article
3(h), estla promotion etla protection des droits de l'homme et des peuples.
Par ailleurs, la Requête ne contient aucune demande qui soit incompatible
avec une quelconque disposition de l'Acte constitutif. Par conséquent, la
Cour considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de
l’Union africaine et la Charte et estime qu’elle satisfait à l'exigence de la
règle 50(2)(b) du Règlement.
55. Encce qui concerne la condition énoncée à la règle 50(2)(d) du Règlement,
la Cour note que la Requête ne repose pas sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais plutôt sur des contestations
relatives à une procédure judiciaire ayant impliqué les Requérants. La
requête remplie donc cette condition.
56. Parailleurs, s'agissant de la condition relative au dépôt de la Requête dans
un délai raisonnable, la Cour estime que le délai d’un (1) mois et deux (2)
jours qui s’est écoulé entre la décision CI-2021-EL-094/22-03/CC/SG du
Conseil constitutionnel du 22 mars 2021 et sa saisine le 23 avril 2021, est
un délai raisonnable comme le prescrit la règle 50(2)(f) du Règlement.
57. Enfin, la Cour estime que la condition énoncée à la règle 50(2)(g) du
Règlement, estremplie dès lors que rien n’indique que la présente Requête
concerne une affaire déjà réglée par les parties, conformément, soit aux principes de la Charte des Al Ba, soit de l’Acte constitutif de l’Union
africaine, soit des dispositions de la Charte.
58. De ce qui précède, la Cour conclut que toutes les conditions de recevabilité
énoncées à l’article 56 de la Charte, telles que reprises à la règle 50(2) du
Règlement sont remplies et déclare la Requête recevable.
VIII. SUR LE FOND
59, Les Requérants allèguent la violation, par l’État défendeur, de leur droit à
une juridiction indépendante et impartiale (A), de leur droit d’exercer
librement des activités politiques (B), de leur droit de vote, du droit à la
sincérité du scrutin (C) et du droit à la sécurité de leur personne (D).
A. Allégation de violation du droit à une juridiction indépendante et
impartiale
60. Les Requérants allèguent que le Conseil constitutionnel n’est ni
indépendant ni impartial. Cette absence d'indépendance vis-à-vis de
l'exécutif et d’impartialité du Conseil constitutionnel découlent de sa
composition structurelle (i) et s’est reflétée dans l'absence de motivation de
sa décision du 22 mars 2021 (ii).
i. Allégation de manque d’indépendance du Conseil constitutionnel
quant à sa composition
61. Les Requérants font valoir que même si la Constitution et la loi organique
qui déterminent l’organisation et le fonctionnement du Conseil
constitutionnel disposent que celui-ci est un organe indépendant, sa
composition et le mode de nomination de ses membres n’offrent aucun
gage d'indépendance et d’impartialité. Ils soutiennent que la structure du
Conseil constitutionnel dont les membres sont nommés à raison de quatre
(4) par le Président de la République et de trois (3) par le Président de
l’Assemblée nationale issue du même parti politique que le Président de la
République n'offre pas de garanties suffisantes pour éliminer tout doute légitime sur son indépendance et inspirer confiance aux yeux du justiciable.
Les Requérants soutiennent qu’une telle composition du Conseil
constitutionnel ne répond pas aux exigences d'indépendance et
d’impartialité telle que garanties aux articles 7 de la Charte, 14 du PIDCP
et 10 de la DUDH.
62. Selon les Requérants, l'influence du pouvoir exécutif sur le P résident du
Conseil constitutionnel ainsi que sur trois autres conseillers nommés parle
Président de la République, l'orientation politique de ces conseillers qui se
réclament de façon notoire de la sensibilité politique du Chef de l’Étatetles
précédentes fonctions politiques qu’ils ont exercé, sont des signes
apparents qui font douter de leur indépendance et de leur impartialité. Is
ajoutent que la même absence d'indépendance caractérise aussi les
conseillers nommés par le Président de l'Assemblée nationale issu du
même parti politique que le Président de la République.
63. L’État défendeur fait valoir que le Conseil constitutionnel est indépendant
et impartial et s’appuie sur l’article 126 de sa Constitution qui dispose
comme suit: «[le Conseil constitutionnel est une juridiction
constitutionnelle. I! est indépendant et impartial ». Il soutient que les
Requérants qui ont saisi le Conseil constitutionnel d'un recours en
invalidation des résultats provisoires ne peuvent pas se prévaloir d’un
manque d’indépendance et d'impartialité de ses juges qu’ils n'ont pas
daigné récuser ni contester la nomination.
64. La Cour note que la question posée est celle de savoir si la composition du
Conseil constitutionnel, le mode de désignation etle profil de ses membres
sont de nature à garantir son indépendance et son impartialité.
65. La Cour rappelle qu’elle a déjà établi que la notion d'indépendance
judiciaire implique essentiellement la capacité des juridictions à s'acquitter
de leurs fonctions, sans ingérence extérieure et sans dépendre d'aucune
autre autorité,!® législative, exécutive ou des parties au litige.
L'indépendance revêt ainsi deux aspects : institutionnel et individuel.!”
66. Du point de vue institutionnel, la Cour relève que la Constitution en son
article 126 alinéa premier ainsi que la loi organique disposent que le
Conseil constitutionnel est une juridiction constitutionnelle, indépendante et
impartiale. La Constitution ajoute que tout membre du Conseil
constitutionnel s'engage à bien et fidèlement remplir sa fonction, à l’exercer
en toute indépendance et en toute impartialité dans le respect de la
Constitution.!8 Aux termes des dispositions constitutionnelles et de la loi
organique, les fonctions de membres du Conseil constitutionnel sont
incompatibles avec l’exercice de toute fonction politique, de tout emploi
public ou mandat électif et de toute activité professionnelle.!°
67. Parailleurs, le Conseil constitutionnel jouit de l’autonomie administrative et
financière et la Cour a déjà considéré que l’autonomie administrative et
financière d’un organe est un des éléments constitutifs de son
68. En outre, la Cour note que le pouvoir disciplinaire sur les membres est
assuré par le Président du Conseil constitutionnel conformément à l’article
8 de la loi organique n°2001-303 du 5 juin 2001. Les membres du Conseil
16 CAfDHP, Requête N° 029/2018, Bb Bh c. République du Mali, Arrêt (fond et reparations) du 24 mars 2022, $ 73 ; X c. République du Bénin, CAfDHP, Requête N° 010/2020, Arrêt du 27 novembre 2020, $ 61 ; Bz Ah Bh Ae Bw c. République du Bénin, CAfDHP, Requête N° 062/2019, Arrêt (fond) du 04 décembre 2020, $ 277.
17 Bu X c. République du Bénin, $ 62.
18 Voir les Articles 130 alinéa 3 de la Constitution et 5 de la Loi organique.
19 Voir les Articles 131 alinéa premier de la constitution et 6 de la Loi organique.
20 Bu X c. République du Bénin, $ 65.
21 L'Article 5 de la Loi organique N°2001-303 du 5 juin 2001 déterminant l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel, dispose que « Pendant la durée de leurs fonctions, les membres du Conseil constitutionnel sont assimilés aux magistrats de l’ordre judiciaire ».
69. Au regard des dispositions ci-dessus, la Cour déduit que l'indépendance
institutionnelle du Conseil constitutionnel est garantie par les textes en
vigueur.
70. S'agissant de l'indépendance individuelle, la Cour a déjà établi que celle-ci
se rapporte à l'indépendance personnelle des juges et à leur capacité à
s'acquitter de leurs fonctions sans crainte de représailles ou sans parti
pris.22 À ce sujet, la Cour prend en compte des considérations à la fois
subjectives et objectives, en l’occurrence le profil des membres, le mode
de leur désignation, la durée de leur mandat, l’inamovibilité des membres,
l'existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de
savoir s'il y a ou non une apparence d’indépendance ou d’impartialité.
71. En l'espèce, s'agissant de la composition et du mode de désignation des
membres du Conseil constitutionnel, la Cour note qu’aux termes des
dispositions constitutionnelles et légales, en l’occurrence les articles 128
de la Constitution et 2 de la loi organique, « le Conseil constitutionnel se
compose d’un Président, des anciens P résidents de la République qui sont
membres de droit, sauf renonciation expresse de leur part; de six
conseillers dont trois désignés par le Président de la République, deux par
le Président de l’Assemblée Nationale et un par le Président du Sénat ».
Quant à l’article 129 de la Constitution, il dispose que « Le Président du
Conseil constitutionnel est nommé par le P résident de la République pour
une durée de six ans non renouvelables parmi les personnalités reconnues
pour leur compétence et leur expertise avérées en matière juridique ou
administrative … ».
72. La Cour fait observer que la confiance des justiciables dépend en grande
partie de ce que la composition, la désignation et le profil des membres du
Conseil constitutionnel ne laisse aucune raison de soupçonner une
dépendance ou une partialité de ses membres.
22 Bb Bh c. République du Mali, op.cit, $ 73.
73. En l'espèce, la Cour relève d’une part, que les membres du Conseil
constitutionnel ont été nommés conformément aux dispositions de la
Constitution et de la loi organique et d’autre part, que leur nomination par
le président de la République et par le président de l’Assemblée nationale
n'est pas une forme de mandat qui lie les Conseillers aux autorités de
nomination. Par ailleurs, la Cour fait observer que l’inamovibilité dont
jouissent les membres du Conseil constitutionnel et le caractère non
renouvelable de leur mandat sont de nature à renforcer leur indépendance
74. Partant de ces constats, la Cour estime que la composition et le mode de
nomination des conseillers ne portent pas atteinte à leur indépendance.
75. La Cour note, par ailleurs, que les Requérants soutiennent que quatre (4)
membres du Conseil constitutionnel se réclament de façon notoire et
publique être affilés au parti RHDP. La Cour relève que les Requérants
n'établissent ni les preuves de l’affiliation au parti RHDP des membres du
Conseil constitutionnel concernés, ni de ce qu’ils qualifient de manque
d'indépendance « notoirement connu du public ». Ils n'apportent pas non
plus les preuves qu’en l'espèce il y a eu une quelconque ingérence directe
ou indirecte des autres pouvoirs dans le fonctionnement du Conseil
constitutionnel notamment dans le traitement de leur recours devant celui-
ci. Au demeurant, la Cour relève qu'aucun élément du dossier ne prouve
que le Conseil constitutionnel ait fait l’objet d’une ingérence inappropriée
directement ou indirectement venant soit du pouvoir exécutif, du pouvoir
législatif ou du parti RHDP .2#
76. Au vu de ces constats, la Cour estime que les doutes des Requérants quant
à l'indépendance et à l’impartialité du Conseil constitutionnel ne sont pas
justifiés et conclut que l’État défendeur n’a pas violé les dispositions de
23 X c. République du Bénin, CAfDHP, Requête N°010/2020, Arrêt (fond et réparations) du 27 novembre 2020, $ 70 ; Bz Bh Ae Bw c. République du Bénin, CAfDHP, Requête N° 062/2019, Arrêt (fond et réparations) du 04 décembre 2020, 5 287
24 Bb Bh c. République du Mali, op.cit, $ 78.
l’article 7(1)(d) et 26 de la Charte, 17 de la CADEG et 3 du Protocole de la
CEDEAO sur la démocratie.
ii. Allégation d’absence de motivation de la décision du Conseil
constitutionnel
77. Les Requérants allèguent que dans le cadre du recours qu'ils ont exercé
aux fins de contestation de l’élection des candidats du RHDP dans la
circonscription électorale n°053 Yamoussoukro commune 2, le Conseil
constitutionnel, « sur le premier moyen pris de la violation de la loi, répond
de manière laconique … et sur l’ensemble des cinq branches du deuxième
moyen d'annulation, le Conseil donne une réponse vague et non
documentée … Le Conseil n'a donc pas répondu aux questions précises et
aux multiples violations des droits des électeurs et des candidats au scrutin
du 6 mars 2021, aux violations de la loi électorale et de la procédure ».
78. |ls précisent qu’ils ont contesté, devant le Conseil constitutionnel, le
recensement général des votes et la transcription des résultats dans le
procès-verbal qui ont été effectués en violation des textes en vigueur, en
l’occurrence l’article 86 du Code électoral *® et de l’article 9 de la
Délibération N°002/CE/CC du 28 janvier 2021 relative à la transcription et
à la proclamation des résultats de l'élection des députés à l'Assemblée
79. Les Requérants soutiennent que, devant le Conseil constitutionnel, ils ont
soulevé le fait que le président de la Commission Électorale du District
Autonome de Yamoussoukro, en violation des dispositions ci-dessus, a pris
sur lui de finaliser seul les travaux de la compilation des résultats des
3 L’Article 86 du Code électoral ivoirien dispose comme suit : « La Commission chargée des élections procède au recensement général des votes et à la transcription des résultats provisoires du scrutin au niveau de chaque circonscription administrative en présence des représentants présents des candidats ou des listes de candidats ».
26 L’Article 9 de la Délibération N°002/CE/CC du 28 janvier 2021 dispose que « Le procès-verbal de recensement général des votes, le CD contenant la feuille Excel renseignée ainsi que les enveloppes inviolables [ ] sont transmis, par la CESP/CEC, à la Commission siège (Commission Ar Ck du siège de la circonscription électorale compétente) ».
Circonscriptions électorales des communes 1 et 2, de confirmer la
compilation des résultats en y apposant sa signature en son nom propre et
au nom du Vice-président.
80. Is soutiennent qu’en réponse à ces irrégularités matérielles
d’authentification des procès-verbaux de compilation des résultats du vote
soulevées devant le Conseil constitutionnel, celui-ci, a volontairement omis
de répondre et a fait croire que le seul fait pour leurs représentants d’être
présents lors du recensement des votes et de la compilation des résultats,
suffit pour couvrir des irrégularités substantielles et contraires aux textes
en vigueur.
81. Les Requérants affirment, en outre, que c’est aussi de façon lapidaire que
le Conseil constitutionnel a répondu à leur allégation de violation de
l'interdiction du vote du personnel d’astreinte en se contentant de dire qu’il
n'est pas établi que le personnel d’astreinte qui a voté l'ait fait en faveur
des candidats du RHDP.
82. Les Requérants prient ainsi la Cour de constater que le Conseil
constitutionnel n'a pas motivée sa décision conduisant ainsi à la violation
de leurs droits garantis par les articles 7 de la Charte, 10 de la DUDH et 14
du PIDCP.
83. L’État défendeur réfute les allégations des Requérants et les qualifie
d’accusations graves et infondées. L'État défendeur soutient que la
décision rendue par le Conseil constitutionnel le 22 mars 2021 l’a été en
toute indépendance et impartialité. I! prie la Cour de considérer les
allégations des Requérants comme injustifiées et de les en débouter.
84. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle elle n’est pas une
juridiction d'appel des décisions rendues par les juridictions nationales,
même pour celles qui ne sont susceptibles d’aucun recours au plan interne.
Toutefois, a-t-elle précisé, ceci ne l'empêche pas d'examiner si les
juridictions nationales ont rendu leurs décisions conformément aux normes
internationales établies par la Charte ou par tous autres instruments relatifs
aux droits de l'homme auxquels l’État défendeur est partie”.
85. La Cour fait aussi observer que dans l'intérêt de la justice, les décisions
juridictionnelles doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur
lesquels elles se fondent. L'obligation de motiver la décision suppose que
la juridiction fonde sa décision sur des arguments objectifs et assez clairs
afin de donner aux parties l'assurance qu’elles ont été entendues.
86. En l'espèce, la Cour note que les Requérants soutiennent que le Conseil
constitutionnel n'a pas donné les motifs de sa décision en ce qui concerne
leurs griefs tirés du recensement, de la compilation et la finalisation des
résultats du vote par le président de la Commission électorale du district
autonome de Yamoussoukro en l'absence de leurs représentants, d’une
part et l'interdiction du vote du personnel d’astreinte, d'autre part.
87. Sur le grief tiré du recensement, de la compilation et la finalisation des
résultats du vote par le président de la Commission électorale du district
autonome de Yamoussoukro en l'absence des représentants des
Requérants, la Cour relève que le Conseil constitutionnel a répondu comme
suit: « Considérant que les requérants qui font grief au président de la
Commission électorale du district autonome de Yamoussoukro d’avoir
finalisé unilatéralement les travaux de compilation des résultats ne
rapportent pas la preuve que cette action s’est déroulée à l'insu de leurs
représentants ; qu’à défaut de rapporter cette preuve, ce moyen ne saurait
prospérer surtout que tous les représentants des candidats ont signé les
procès-verbaux de dépouillement de vote sans y avoir émis de réserve, de
27 Godfred et Aj c. Tanzanie (compétence et recevabilité) (2019) Arrêt du 26 septembre 2019. 3 RJ CA 491, $ 11 ; Bt Ao c. Tanzanie (fond), op.cit $ 130. Voir également, Christopher J onas c. Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) (2017), 2 RJCA 105, 5 28 ; Ay AL Cg, (fond) (24 novembre 2017) (2017), 2 RJ CA 171, $ 52 ; Cm c. Tanzanie (fond) (03 juin 2013), 1 RJ CA 624,
réclamations ou d'observations ». Le Conseil constitutionnel à alors conclu
que la présence des représentants des Requérants lors de cette
compilation était suffisante pour satisfaire à l’exigence prévue par les
dispositions de l’article 86 du Code électoral et l’article 18 de la loi n° 2001-
634 du 09 octobre 2001.
88. Partant de ces constatations, la Cour estime que le Conseil constitutionnel
a suffisamment motivé sa décision sur ce point.
89. S'agissant de la question de savoir si le Conseil constitutionnel a satisfait à
l'exigence de motivation en ce qui concerne les irrégularités liées au vote
du personnel d’astreinte, la Cour relève que la décision du Conseil
constitutionnel est ainsi qu’il suit : « Considérant, sur le grief tiré du vote du
personnel d’astreinte et des agents électoraux, que suivant les termes
combinés de l'article 34 du Code électoral et de l’article 1°" de l’arrêté
n°008/CEI/PDT du 04 mars 2021, il n’est pas interdit au personnel
d’astreinte et aux agents électoraux de voter sauf s’ils ne sont pas inscrits
dans les bureaux de vote où ils sont affectés. Qu’en l'espèce, les
requérants font grief aux personnes concernées d’avoir voté dans les
bureaux de vote de leur localité d’affectation sans justifier qu’elles n’y sont
pas inscrites ; qu’au surplus, à supposer que le personnel d’astreinte
concerné ait participé au scrutin dans ces conditions, il n’est pas démontré
qu’il ait voté uniquement en faveur des candidats du RHDP ».
90. Dans ces circonstances, la Cour fait observer que le Conseil
constitutionnel, en relevant que les Requérants n'apportent pas la preuve
que le personnel concerné n’était pas inscrit dans les bureaux où ils étaient
d’astreinte et de surcroit en estimant qu’il n’est pas démontré que le
personnel d'astreinte ait voté uniquement en faveur des candidats du
RHDP, a motivé sa décision.
91. Ainsi, l’allégation selon laquelle le droit des Requérants à une décision
motivée n’est pas fondée et est rejetée.
92. En conséquence, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit
des Requérants à une juridiction indépendante et impartiale garanti aux
articles 7 de la Charte, 10 de la DUDH et 14 du PIDCP.
B. Allégation de violation du droit à l’exercice d’activités politiques
93. Les Requérants allèguent que leurs délégués ont été exclus et chassés de
plusieurs bureaux de vote sur instruction du président de la Commission
électorale de la Commune 2, les empêchant ainsi de procéder aux
vérifications des opérations de vote, de l'identité de votants et du décompte
des voix dans les bureaux de votes. Ils soutiennent que pour procéder à de
telles vérifications, ils avaient sollicité et obtenu auprès de la CEI le
duplicata de la liste électorale biométrique d’émargement mais que lesdits
duplicatas ont été purement et simplement confisqués des mains de leurs
délégués.
94, Ils précisent que devant le Conseil constitutionnel, ils ont fait valoir que
dans de nombreux bureaux de vote, les agents électoraux ont empêché
des électeurs de leur parti PDCI-RDA de voter alors qu’ils en avaient le
droit, tandis que des militants du parti RHDP ont voté à plusieurs reprises
dans plusieurs bureaux de vote. Les Requérants soutiennent que tous ces
agissements constituent des entraves à leur droits garantis par la
Constitution.
95. L'État défendeur n’a pas répondu à ces allégations, mais il Met en garde la
Cour contre les acteurs influents de la vie politique, qui agissant en leur
qualité d’opposants ou de détenteurs du pouvoir politique, considèrent
leurs vécus comme des cas inédits de violation des droits de l'homme.
L’État défendeur soutient que la Cour est assaillie par des politiciens de
tout genre et de tout bord, qui n’ont cure que pour leur propre personne et
prie, de ce fait, la Cour de ne pas se laisser distraire au risque de reléguer
au second plan les véritables cas épineux des droits des peuples.
96. L'article 13(1) de la Charte dispose que :
Tous les citoyens ont droits de participer librement à la direction des affaires
publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de
représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la
loi.
97. Les articles 2(3), 3(1)(4)(7) et 4 de la CADEG disposent respectivement comme
suit :
La présente Charte a pour objectifs de [.…] (3) Promouvoir la tenue régulière
d'élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité
et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de
gouvernement. (Article 2(3)) ;
Les États parties s’engagent à mettre en œuvre la présente Charte
conformément aux principes énoncés ci-après : (1) Le respect des droits de
l’homme et des principes démocratiques [...] (4) La tenue régulière
d'élections transparentes, libres et justes. […] (7) La participation effective
des citoyens aux processus démocratiques et de développement et à la
gestion des affaires publiques (Article 3(1)(4)(7));
Les États parties prennent l'engagement de promouvoir la démocratie, le
principe de l’État de droit et les droits de l'homme ; (2) Les États parties
considèrent la participation populaire par le biais du suffrage universel
comme un droit inaliénable des peuples. (Article 4(1)(2)).
98. Les articles 6 et 19(2) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie disposent
comme suit :
L'organisation, le déroulement des élections et la proclamation des résultats
s’effectueront de manière transparente (Article 6).
Les forces de sécurité publique ont pour mission de veiller au respect de la
loi, d’assurer le maintien de l’ordre, la protection des personnes et des biens
(Article 19(2)).
99. La Cour note que l’article 13(1) de la Charte ainsi que les textes invoqués
par les Requérants ci-dessus garantissent aux citoyens des États parties
le droit de prendre part à la direction des affaires publiques en tant
qu’électeurs ou en tant que candidats à des élections, en toute liberté et
dans le respect des règles légales préalablement établies. Il en résulte une
interdiction de tout acte d’intimidation, de coercition ou d'exclusion et la
différence de traitement fondée sur l'appartenance à un parti ou sur toute
autre considération viole les droits garantis.
100. Dans la présente affaire, la Cour note que les Requérants allèguent
respectivement que leurs délégués ont été chassés des bureaux de votes,
qu’ils se sont vus confisquer les duplicatas de la liste d’émargement et
qu’ensuite des électeurs de leur parti se sont vus empêcher de voter.
101. La Cour note également que l’État défendeur ne conteste pas les
allégations des Requérants. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier
que dans la matinée du jour de vote, les Requérants ont appelé l’attention
du Superviseur de la CEl du district Autonome de Yamoussoukro et ont,
aux environs de 16 heures, déposé une plainte pour dénoncer l'expulsion
de leurs représentants des bureaux de vote et l'interdiction qui leur ait faite
d’utiliser les duplicatas.
102. La Cour note qu’aux termes des dispositions de l’Ordonnance n°2020-356
du 8 avril 2020 portant révision du Code électoral « Tout candidat ou
candidat tête de liste a libre accès à tous les bureaux de vote. Il a le droit
par lui-même, par l’un des candidats de la liste ou par l’un de ses délégués,
de contrôler toutes les opérations de vote, de dépouillement des bulletins
et de décompte des voix dans les locaux où s'effectuent ces opérations et
d’exiger… ».?° La Cour en déduit que la confiscation des duplicatas de la
liste d’'émargement ainsi que le renvoi des représentants des Requérants
des bureaux de vote constituent des entraves à l’exercice du droit au
28 Voir Observation générale HRI/GEN/1/Rev.1 (1994) adoptée par le Comité des droits de l'homme aux paragraphes 10 et 11.
29 Voir l’article 38 de l’Ordonnance N°2020-356 du 8 avril 2020 portant révision du Code électoral.
suffrage garanti à l'article 13(1) de la Charte et à la participation effective
des représentants des Requérants aux processus démocratiques garanti à
l’article 3 et 4 de la CADEG.
103. Par conséquent, l’État défendeur a violé le droit des Requérants de
contrôler les opérations de vote ainsi que le droit de leurs représentants de
voter librement à l'élection du 6 mars 2021 dans la Circonscription électoral
n°053 de Yamoussoukro commune 2.
C. Allégation de violation du droit à la sincérité du scrutin
104. Les Requérants allèguent que les résultats du scrutin dans la
circonscription électoral n°053 de Yamoussoukro commune 2 ne reflètent
pas l’expression réelle des votes. Ils allèguent que de multiples et graves
irrégularités ont entaché les opérations de vote, de contrôle du scrutin, du
recensement des suffrages ainsi que de la collecte des procès-verbaux.
Pour les Requérants, les résultats transmis au Conseil constitutionnel par
la CEl n'étaient ni authentiques, parce qu’ils ne respectaient pas les
prescriptions formelles édictées par les règlements (i), ni sincères parce
qu’ils ne reflétaient pas le comptage exact du vote (ii).
i. Allégation de violations des prescriptions règlementaires
105. Les Requérants affirment que les exigences règlementaires découlant des
articles premiers des Arrêtés N°035/CEI/PDT et N°036/CEI/PDT du 17
février 2021 portant sécurisation des procès-verbaux de dépouillement,
d’une partetdes bulletins de vote d’autre part, n’ont pas été respectées. Ils
soutiennent que contrairement aux prescriptions des deux arrêtés, les
procès-verbaux de 52 bureaux de vote n’avaient pas à leur verso le
« sticker » ou la signature des agents électoraux de ces bureaux de vote.
Ils allèguent que dans certains bureaux de vote, les procès-verbaux étaient
établis en nombre d’exemplaires inférieur à cinq (5) et dans d’autres en
nombre excessif.
106. Les Requérants soutiennent que, certes, l’apposition de « sticker » est une
exigence de forme mais elle est d'ordre public et est prescrites dans l'intérêt
général afin d’attester l'authenticité et la sincérité des votes, de sorte que
leur altération ou omission entache la sincérité du vote et devrait entrainer
sa nullité.
107. Ils soutiennent que le Conseil constitutionnel, en refusant d’annuler le vote
dans la CEC 2 sous prétexte que ces irrégularités sont de forme et qu’elles
ne modifient pas arithmétiquement les données des procès-verbaux, opère
une distinction là où la loi ne considère pas certaines exigences comme
optionnelles ou facultatives et d’autres comme étant impérieuses. Les
Requérants affirment que dans ces conditions leur droit à un scrutin
sincère, garanti aux articles 13(1) de la Charte, 25(a) et (b) du PIDCP, 21
de la DUDH, 3 et 4 de la CADEG, 6 et 19 du Protocole de la CEDEAO sur
la démocratie, a été violé.
108. L'État défendeur soutient qu’en dépit de la bonne foi des magistrats de la
Cour, celle-ci s’est laissée distraire par des politiciens égoïstes dont la
plupart œuvrent dans le seul but de remettre en cause la souveraineté des
États et la crédibilité de leurs institutions. Il affirme qu’il est urgent pour la
Cour de se départir de telles manœuvres dilatoires qui ont fini par installer
une mésintelligence entre elle et les États parties.
109. L'article 13(1) de la Charte dispose que :
Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par
l'intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément
aux règles édictées par la loi.
110. L'article 25(a) et (b) du PIDCP est libellé comme suit :
Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées
à l’article 2 et sans restriction déraisonnables :
a) de prendre partà la direction des affaires publiques, soit directement, soit
par l'intermédiaire de représentants librement choisis.
b) de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au
suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ».
111. Aux termes de l’article 6 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie,
« l'organisation, le déroulement des élections et la proclamation des
résultats s’effectuent de manière transparente ».
112. La Cour fait observer que pour assurer le respect de la sincérité du vote,
les États sont tenus de prendre des mesures législatives, règlementaires
ou pratiques afin que les résultats recensés et publiés après le vote soient
exactement ceux exprimés par tous les votants sans aucune altération qui
tendraient à minorer ou à exagérer l'expression des votants.
113. La Cour note que les Requérants contestent la sincérité du vote du fait que
certains procès-verbaux ne comportaient pas l’'hologramme (sticker) alors
qu’aux termes de la disposition règlementaire un sticker devrait être
« apposé sur le procès-verbal de dépouillement des votes après que celui-
ci a été renseigné et signé par les membres du bureau de vote et les
représentants présents des candidats »°°,
114. La Cour note également que l’État défendeur ne conteste pas que certains
procès-verbaux ne portaient pas d’hologramme (sticker) et que l’apposition
de ceux-ci sur les procès-verbaux découle d’une exigence règlementaire,
en l’occurrence l’article premier de l’Arrêté N°035/CEI/PDT du 17 février
2021 qui dispose comme suit: « Un hologramme (sticker), mis à la
disposition du bureau de vote par la CEl, sera apposé à un emplacement
3° Voir l’article premier de l'arrêté N° 035/CEI/PDT du 17 février 2021.
indiqué sur le procès-verbal de dépouillement des votes après que celui-ci
a été renseigné et signé par les membres du bureau de vote et les
représentants présents des candidats ».
115. En l'espèce, la Cour estime que l’apposition de sticker sur les bulletins de
vote etsurles procès-verbaux estune forme substantielle d’authentification
de ces documents qui vise à éviter les risques d’altération ou de substitution
des résultats du vote. La Cour déduit que l'absence de « sticker » sur les
procès-verbaux porte atteinte à l'authenticité des procès-verbaux
d’élection.
116. La Cour conclut que les prescriptions des lois électorales et le droit des
Requérants garanti aux articles 13 de la Charte et 6 du Protocole de la
CEDEAO sur la démocratie ont été violés.
ii. Allégation d’irrégularités matérielles affectant la sincérité du scrutin
117. Les Requérants allèguent qu’ils ont identifié 59 agents électoraux ou
d’astreinte affectés dans les bureaux de vote de la CEC 2 qui ont voté dans
13 bureaux de vote alors qu’ils n’y étaient pas inscrits comme électeurs. Ils
soutiennent que devant une telle situation, ils ont demandé au Conseil
constitutionnel d’écarter du décompte des votes 375 voix correspondantau
nombre total des agents électoraux et des personnes d'’astreinte affectés
dans les 125 bureaux de la CEC 2.
118. Ils allèguent aussi que leurs représentants ont eu à constater dans
plusieurs bureaux de vote des personnes ayant voté plus d’une fois (à
plusieurs reprises) et qu’en fin du dépouillement, les procès-verbaux ont
fait apparaitre des écarts de cinquante-cinq (55) voix en nombre de votants
avec ceux mentionnés dans les procès-verbaux de treize (13) lieux de
votes en leur possession.
119. Les Requérants soutiennent en outre que pendant le scrutin du 6 mars
2021, il a été constaté la dissipation de 880 bulletins de vote dans la Circonscription électorale n°053 de Yamoussoukro Commune 2. Ils
précisent que ce nombre important de bulletins de vote dissipés résulte des
incohérences dans les procès-verbaux de 14 bureaux de vote qui laissent
apparaitre des écarts entre le nombre de bulletin mis à la disposition des
bureaux de vote, ceux comptés dans l’urne et le reste des bulletins non
utilisés.
120. Ils ajoutent que toutes ces nombreuses irrégularités qu’ils ont constatées
dans la Circonscription électorale n°053 de Yamoussoukro Commune 2 ont
contribué au gain de 14 000 voix frauduleusement octroyées aux candidats
du RHDP, lesquels ont été déclarés vainqueurs de l’élection.
121. Les Requérants soutiennent enfin que dans plusieurs bureaux de vote les
copies des procès-verbaux étaient soit inférieures soit supérieures au
nombre de 5 tel que prévu par le règlement.
122. L'État défendeur soutient que contrairement aux allégations de violations
des droits des Requérants, la présente affaire n’est rien d’autre qu’une
Requête à relent politique comme celles qui se sont succédées devant la
Cour de céans depuis son arrêt de 2016 contre l’État défendeur sur
l'indépendance etl’impartialité de l'organe électoral ainsi que sur le droit de
prendre part à la direction des affaires publiques. L'État défendeur invite la
Cour à se départir de ces batailles politiciennes dont l’unique but est la
conquête du pouvoir au risque de s'embourber dans le déchiffrement des
ambitions des politiciens d’une part et de perdre de vue sa mission
fondamentale d’autre part.
123. La Cour note que les Requérants contestent les résultats du vote du 6 mars
2021 en soutenant d’une part, que le personnel des bureaux de votes et
d’astreinte non-inscrits dans certains bureaux de vote y ont voté et d’autre
part, que des incohérences dans le décompte des voix ont laissé apparaitre des écarts entre le nombre de bulletins mis à la disposition des bureaux,
ceux comptés dans l’urne et le reste des bulletins non utilisés.
124. S’agissant des allégations relatives au vote du personnel des bureaux de
vote et d’astreinte, la Cour note que l'interdiction faite à ceux-ci de voter
dans les bureaux de vote où ils sont d’astreinte n’est pas absolue dans la
mesure où la Délibération n°008/CE1/PDT du 4 mars 2021 en son article
premier dispose que : « Pour les élections des députés à l'Assemblée
nationale du 6 mars 2021, le personnel d'astreinte constitué des
commissaires centraux de la CEl en mission, des agents de bureaux de
vote et des agents de la police électorale en mission, ne sont pas autorisés
à voter dans les bureaux de vote de leur localité d'affectation, sauf s’ils y
sontinscrits ».
125. En l'espèce, les Requérants n'apportent pas la preuve que les cinquante
neufs (59) agents électoraux qui ont voté n'étaient pas inscrits sur la liste
des électeurs des bureaux de vote concernés. Par ailleurs, la Cour note
que, devant le Conseil constitutionnel, celui-ci a relevé la même absence
de preuve eta admis le vote des 59 agents concernés.
126. En conclusion, la Cour estime qu'à défaut de preuve, cette allégation des
Requérants est rejetée.
127. S’agissant des allégations de manque de sincérité du scrutin relatif aux
écarts de voix entre les Requérants etles candidats du RHDP, la Cour note
que les Requérants affirment avoir comptabilisé 880 voix représentant
l’écartentre le nombre de bulletin mis à la disposition des bureaux de vote,
ceux comptés dans l’urne etle reste des bulletins non utilisés, d’une partet
14 000 voix qu’ils estiment frauduleusement octroyées aux candidats du
RHDP, d’autre part.
128. || ressort des pièces du dossier que pour obtenir le nombre de suffrage
exprimé, la Commission électorale indépendante, a procédé, comme elle
l’a fait pour toutes les circonscriptions électorales, à la déduction des bulletins nuls et des bulletins blancs de l’ensemble du nombre de bulletins
contenus dans les urnes. Dans la circonscription électorale n°053
Y amoussoukro commune 2, le nombre cumulé de bulletins nuls et blancs
s'est élevé à 1145 soit un nombre largement supérieur à 880 considérés
comme irréguliers par les Requérants.
129. Sur ce point, la Cour conclut que le décompte des voix a tenu compte de
ce qui devrait normalement être exclu du comptage des suffrages
exprimés.
130. La Cour relève, en outre, que les Requérants tiennent pour irréguliers tous
les résultats issus des 76 procès-verbaux qui ne portent pas de « sticker »
et dont le total des voix s'élève à 14 000. À cet égard, la Cour estime
qu’avant de considérer la nullité des 14 000 voix, il lui revient de rechercher
si ce nombre de voix est différent de celui recensé et compilé par les
représentants des parties le soir du vote. Sur ce point, la Cour fait observer
que même si du point de vue formel, l’absence de sticker viole les
exigences règlementaires, comme indiqué ci-dessus (paragraphe 114), les
Requérants n’établissent pas la preuve que le nombre de voix mentionnées
dans les 76 procès-verbaux ne correspondent pas aux voix réellement
exprimées et compilées en présence des représentants de tous les
candidats le soir du jour de l'élection.
131. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la sincérité matérielle
du vote n’est pas entachée de doute dès lors que les résultats transmis par
la CEIl correspondent à ceux recensés et compilés en présence des
représentants des candidats et qui est l'expression des votants.
132. S'agissant des contestations relatives au nombre de copies des procès-
verbaux tantôt inférieur à cinq (5) ou tantôt supérieur à ce chiffre, la Cour
estime qu'il n’y a pas d'atteinte à la sincérité du scrutin, dans la mesure où
les Requérants ne contestent pas que ces procès-verbaux indiquent, pour
chaque bureau de vote, le même nombre de voix tel qu'exprimé lors du
vote.
133. De ce qui précède, la Cour conclut que le droit des Requérants à la sincérité
du scrutin garanti par les articles 13 de la Charte, 25 du PIDCP et 6 du
Protocole de la CEDEAO sur la démocratie n'a pas été violé.
D. Allégation de violation du droit à la « sécurité de sa personne »
134. Les Requérants soutiennent que, dans le cadre du scrutin du 6 mars 2021,
alors que tous les candidats étaient en droit de bénéficier de la protection
des Forces de sécurité (FDS) pendantla campagne, c’esten vain qu’ils ont
adressé les 17 février, 3 et 4 mars 2021 respectivement, des demandes au
préfet de police et au commandant de la légion de la gendarmerie la
protection de leur quartier général, de leur domicile et pour leur personne.
Ils ajoutent que les responsables de la sécurité n’ont donné aucune suite à
leur demande jusqu’au début de l'incendie survenu au domicile du premier
Requérant.
135. L'État défendeur n’a fait aucune observation sur ce point.
136. L'article 6 de la Charte dispose comme suit :
Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne
peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des
conditions préalablement déterminées par la loi, en particulier nul ne
peut être arrêté ou détenu arbitrairement.
137. La Cour fait observer que l'arrestation et la détention d’une personne
doivent être motivées par des raisons plausibles de soupçonner que ladite
personne a commis une infraction et doivent tendre à sa comparution
devantun tribunal compétent qui va statuer sur la régularité etle bien-fondé
de son arrestation et ou de sa détention. L’arrestation ou la détention sans une base juridique est arbitraire.! La jurisprudence de la Commission
africaine ajoute également que la détention est arbitraire lorsqu'elle n’est
justifiée par aucun motif ou lorsqu'elle ne tend pas à traduire la personne
détenue devant un juge.
138. En l’espèce, la Cour note que les Requérants soulèvent comme violation
de leur droit à la sécurité d’une part, l'incendie survenu au domicile de l’un
d’entre eux et d’autre part, le silence de l'administration suite à leur
demande d’une sécurité rapprochée.
139. S'agissant de l’allégation selon laquelle un incendie serait survenu au
domicile du premier Requérant alors qu’ils avaient demandé la protection
des Forces de défense, la Cour note que les Requérants ne précisent ni
les circonstances ni la date de l’incendie et si celui-ci avait un lien avec
l’organisation et le déroulement du scrutin. La Cour relève aussi qu'aucun
élément de la requête n’indique la nature de cet incendie, son ampleur et
si celui-ci est d’origine criminel.
140. Par conséquent, la Cour estime que l’allégation des Requérants selon
laquelle un incendie survenu au domicile de l’un d’entre eux constitue une
violation de leur droit garanti à l’article 6 de la Charte n’est pas fondée et la
rejette.
141. Les Requérants allèguent par ailleurs que c’est en vain qu’ils ontà plusieurs
reprises sollicité l'octroi de deux « unités de forces publiques » en vue
d'assurer leur sécurité pendant la campagne électorale jusqu'à la
proclamation des résultats. Il ressort des pièces du dossier que lesdites
demandes ont été adressées au début de la campagne électorale le 17
février 2021 et pendant la campagne les 3 et 4 mars 2021 sans aucune
réponse de la part de l’administration.
31 Bs c. Tanzanie, (28 septembre 2017) (fond), 2 RJ CA, 67 $ 132 ;
32 CADHP : Ag AL By, Communication 232/99 (2000), AHRLR 135 (ACHPR 2000), 5 20. V aussi Institue for Ac Au and development in Africa and Others c. République Démocratique du Congo, Communication 393/10. (ACHPR 2016) 20ème Session extraordinaire, juin 2016, $ 117.
142. La Cour note qu’avant et pendant la période des élections, les forces de
sécurité (FDS) affectées aux missions de sécurisation du processus
électoral avaient pour mission de prendre toutes les mesures pour le
maintien de l’ordre public en relation avec l’organisation des élections ;
d'assurer la sécurité des lieux de meetings ou de manifestations publiques
pendant la campagne électorale, des bureaux de vote, des candidats, des
commissions électorales, des chefs de partis politiques ainsi que du
matériel électoral, en observant la plus stricte neutralité à l'égard de tous.
Ce faisant, refuser aux Requérants la protection qu’ils étaient en droit
d'attendre de la part de l’État viole leur droit à la sécurité de leur personne.
143. En définitive et sur ce point, la Cour conclut que le droit des Requérants à
la sécurité de leur personne, garanti à l’article 6 de la Charte, a été violé.
IX. SUR LES RÉPARATIONS
144. Les Requérants demandent à la Cour de considérer les nombreuses
irrégularités qui ont entaché le scrutin dans la circonscription électorale n°
053 Yamoussoukro Commune 2 afin d'invalider soixante-seize (76) procès-
verbaux de quinze (15) lieux de vote et les proclamer vainqueurs de cette
élection dans ladite circonscription, ou à défaut d’ordonner à l’État
défendeur de reprendre l’élection des députés à l'Assemblée nationale
dans la circonscription électorale n°053 de Yamoussoukro Commune 2.
145. Par ailleurs, les Requérants sollicitent l’octroi de la somme de cent
cinquante millions (150 000 000) de francs CFA à titre d’indemnisation, de
frais de campagnes et de procédures judiciaires.
146. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter l’ensemble des prétentions
des Requérants comme étant mal fondées.
147. L'article 27 du Protocole dispose comme suit :
Lorsqu'elle estime qu’il a eu violation d’un droit de l'Homme ou des
Peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
148. La Cour rappelle ses arrêts antérieurs en matière de réparation“ et
réaffirme que pour examiner les demandes en réparation des préjudices
résultant des violations des droits de l'homme, elle tient compte du principe
selon lequel l’État reconnu auteur d’un fait internationalement illicite a
l'obligation de réparer intégralement les conséquences de manière à
couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime.
149. La Cour tient également compte du principe selon lequel il doit exister un
lien de causalité entre la violation et le préjudice alléguée et fait reposer la
charge de la preuve sur le Requérant qui doit fournir les éléments devant
justifier sa demande.
150. La Cour a aussi établi que la réparation doit, autant que possible, effacer
toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l’état qui aurait
vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis. En outre, les
mesures de réparation peuvent, selon les circonstances particulières de
chaque affaire, inclure la restitution, l'indemnisation, la réadaptation de la
victime et les mesures propres à garantir la non répétition des violations,
compte tenu des circonstances de chaque affaire.
151. En l’espèce, la Cour a conclu à la violation par l’État défendeur des droits
des Requérants garantis par les articles 6, et 13(1) de la Charte ainsi que
33 Ayants droit de feus Bd Ca, Cb Ak dit Ablassé, Br Ca et Bl Bk et Mouvement Burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. As Bc, (réparations) (05 juin 2015), 1 RJ CA 265, 5 22 ; Bz Ah Bh Ae Bw c. Bénin, Reg. 065/2019, (fond et réparations) (29 mars 2021), $ 139.
34R évérend At Am c. Tanzanie, (réparations) (13 juin 2014), 1 RJ CA 74, $ 31.
35 Ay c Rwanda (Réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA, 209, $ 20.
ceux garantis par les articles 6 et 19(2) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie.
152. En l'espèce, la Cour note que les Requérants demandent des réparations
d'ordre pécuniaire et non pécuniaire.
A. Réparations pécuniaires
153. Les Requérants demandent à la Cour de condamner l’État défendeur à leur
payer la somme de cent cinquante millions (150 000 000) de francs CFA à
titre d'indemnisation pour les frais de campagnes et de procédure. La Cour
examine la demande des Requérants du point de vue de la réparation des
préjudices matériel (i) et moral qu’ils ont subis (il).
154. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle toute réparation
d'ordre matériel doit être prouvée par des pièces justificatives et le
requérant doit établir le lien de cause à effet entre le préjudice etla violation constatée.
155. En l'espèce, la Cour note que la demande de remboursement de la somme
de cent cinquante millions (150 000 000) de francs CFA exprimée par les
Requérants n’est pas soutenue par des pièces justificatives à l'exception
d’un « bon à tirer» le duplicata de la liste électorale biométrique d’un
montant d’un million quatre cent quatre-vingt-cinq mille (1 485 000) francs
CFA payé le 25 février 2021 par les Requérants.
156. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle lorsqu'elle constate dans
une affaire qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, elle
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une
157. Dans la présente affaire, la Cour a conclu que le retrait du duplicata de la
liste électorale biométrique a violé les droits des Requérants garantis à
l’article 13(1) de la Charte et par conséquent, au vu de la pièce jointe au
dossier, elle leur accorde le remboursement de la somme d’un million
quatre cent quatre-vingt-cinq mille (1 485 000) francs CFA.
ii. Préjudice moral
158. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle il y a une présomption de
préjudice moral souffert par le Requérant dès lors que la Cour a constaté
la violation des droits de celui-ci de sorte qu’il n’est plus nécessaire de
rechercher les éléments de preuve pour établir le lien entre la violation et
le préjudice*”. La Cour a également jugé que l'évaluation des montants à
octroyer au titre de la réparation du préjudice moral devrait être faite sur la
base de l’équité en tenant compte des circonstances de chaque affaire*8.
159. La Cour relève que dans la présente affaire, elle a conclu que le fait
d'empêcher les Requérants d'effectuer la vérification du vote à partir du
duplicata de la liste électorale biométrique ainsi que l'absence de
« sticker » sur les procès-verbaux était une violation de la règlementation
en vigueur et de l’article 6 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie.
160. Par ailleurs, la Cour estime que le fait pour l’administration de ne pas
donner une suite aux multiples demandes des Requérants de bénéficier
d’une sécurité rapprochée, a mis ceux-ci dans une situation de peur et de
36 Ay AL Cg, (réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 209, $ 19,
37 Bb Bh c. République du Mali, op.cit, $ 184 ; Bz Ah Bh Ae Bw c. République du Bénin, 168 ; Cp Ap c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), $ 55 ; Cf Cc Cd c. As Bc (Réparations) (2016) | RJ CA 358, op cit. 8 41 ;
38 Ay AL Cg, op cit. $ 59 ; Ayants droit de feus Bd Ca, Cb Ak dit Ablasse, Br Ca et Blaise IIboudo et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Burkina F aso (Réparations) (201 5), 1 RJ CA 265, $ 20 ; Cf Cc Cd c. Burkina F aso (Réparations) (2016) | RJ CA 358, op cit. $ 61. ; Bw c. Bénin (Réparation) (3 novembre 2019), 3 RJ CA 205 $ 89.
crainte pendantle processus électoral. En définitive, la Cour estime qu’une
réparation pécuniaire forfaitaire peut être accordée aux Requérants.
161. La Cour statuant en équité et conformément au pouvoir inhérents que lui
confère le Protocole, accorde aux Requérants la somme forfaitaire de deux
millions (2 000 000) de francs CFA en réparation du préjudice moral qu’ils
ont subi.
B. Réparations non pécuniaires
162. Les Requérants demandent à la Cour d’annuler le vote de 59 agents
électoraux qui étaient d’astreinte dans certains bureaux de vote ainsi que
les procès-verbaux de soixante-seize (76) bureaux de vote. Ils demandent
à la Cour de reformer les résultats de la Circonscription électorale n°053,
Y amoussoukro Commune 2 et les proclamer vainqueurs de l’élection du 6
mars 2021 dans la Circonscription électorale n°053 Yamoussoukro
Commune 2 ou d’ordonner à l’État défendeur la reprise du scrutin dans
ladite circonscription.
163. La Cour souligne qu’elle ne peut ordonner des mesures de réparations
fondées sur des allégations pour lesquelles aucune violation des droits de
l'homme n’a été établie.’ En l'espèce, la Cour a conclu dans le présent
arrêt que si l'absence de « sticker » sur les procès-verbaux de 76 lieux de
vote constitue une irrégularité formelle, celle-ci n’a entrainé aucune
altération matérielle des résultats issus du dépouillement des votes et donc
que ceux-ci demeurent sincères.
164. S’agissant de l'annulation du vote de 59 agents électoraux d’astreinte, la
Cour rappelle qu’elle a conclu que les Requérants n’ont apporté aucune
preuve que lesdits agents électoraux n'étaient pas inscrits dans les lieux où
ils ont voté et a rejeté cette allégation.
39 Req.065/2019 : Bz Ah Bh Ae Bw c. Bénin, Reg. 065/2019, (fond et réparations) (29 mars 2021) 8 169.
165. La Cour conclut que la demande des Requérants visant à annuler les
procès-verbaux ainsi que le vote de 59 agents électoraux et les déclarer
vainqueurs ou à ordonner la reprise du scrutin du 6 mars 2021 dans la
Circonscription électorale n°053 Yamoussoukro Commune 2 n’est pas
X. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
166. Les Requérants demandent à la Cour de condamner l’État défendeur à leur
payer la somme de cent cinquante millions (150 000 000) de francs CFA à
titre d'indemnisation pour les frais de campagnes et de procédure.
167. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter l’ensemble des prétentions
des Requérants comme étant mal fondées.
168. La Cour relève que la demande d'indemnisation pour frais de procédure
formulée par les Requérants est vague. La Cour relève en effet que cette
demande n’est soutenue par aucune pièce justificative desdits frais.
169. La Cour rappelle qu’elle a bien établi que toute demande de réparation
d'ordre pécuniaire ou de remboursement de frais de procédure doit être
soutenue par des pièces justificatives sous peine d’être rejetée. La Cour a
notamment établi que « le requérant doit fournir des documents probants
et présenter des arguments établissant un lien entre les éléments de
preuve et les faits en l'espèce, et lorsqu'il s'agit de dépenses en numéraire
qu’il affirme avoir encourues, elles doivent être décrites clairement et
accompagnées de justificatifs ».*°
40 Aw At Cl Am c. Tanzanie (réparations) (13 juin 2014), 1 RJ CA 74, $ 40.
170. En l’espèce, la Cour conclut que les Requérants n'ayant soumis aucune
pièce justificative des dépenses de procédure, leur demande de
remboursement de frais de procédure est rejetée.
171. Conformément à la règle 32(2) du Règlement, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
172. En l’espèce, la Cour décide que chaque Partie supportera ses frais de
procédure.
XI. DISPOSITIF
173. Par ces motifs
LA COUR
Sur la compétence
Sur le défaut de qualité de défendeur
ii. Rejette l'exception tirée du défaut de qualité de l’État défendeur ;
iv. Dit que l’État défendeur a qualité de défendeur.
Sur la recevabilité
v. Rejette les exceptions d’irrecevabilité tirées de l’utilisation des
termes outrageants et du non épuisement des recours internes ;
vi. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
vi. Ditque l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à une
décision motivée garanti par l’article 7(1) de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à la
sincérité matérielle du vote garanti par l’article 13 de la Charte et 6
du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie ;
ix. Dit que l’État défendeur n’a pas violé les droits des Requérants à
une juridiction indépendante garanti par l’article 26 de la Charte ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à la
transparence des élections, garanti par l’article 6 du Protocole de
la CEDEAO sur la Démocratie, par le manquement aux exigences
règlementaires sur l’authentification de certains procès-verbaux ;
xi_ Ditque l’État défendeur a violé les droits des Requérants d'exercer
une activité politique garanti par l’article 13 de la Charte ;
xi. Dit que l’État défendeur a violé les droits des Requérants à la
sécurité de leur personne garantis par l’article 6 de la Charte.
Sur les réparations
Sur les réparations pécuniaires
xiii. Accorde aux Requérants la somme de trois millions quatre cent
quatre-vingt-cinq mille (3 485 000) francs CFA ventilée comme
suit :
- 1 485 000 francs CFA en remboursement des frais
d'obtention du duplicata de la liste des électeurs ;
- 2 000 000 francs CFA pour réparation du préjudice
moral qu’ils ont subi.
Sur les réparations non pécuniaires
xiv. Rejette la demande d’annulation du scrutin législatif du 6 mars
2021 dans la Circonscription électorale N°053 Yamoussoukro,
Commune 2 ;
Sur la mise en œuvre
xv. Ordonne à l’État défendeur de payer les montants nets indiqués au
point (xiii) du présent dispositif, en franchise d'impôts, dans un délai
de six (6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, faute de quoi il aura à payer également des intérêts moratoires
calculés sur la base du taux applicable fixé par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l'Ouest (BCEAO), pendanttoute la période
de retard et jusqu’au paiement intégral de la somme due ;
xvi. Ordonne à l’État défendeur de lui faire rapport sur la mise en œuvre
du point (xiii) du présent dispositif dans un délai de trois (3) mois à
compter de la date de notification du présent arrêt.
Sur les frais de procédure
xvii. Dit que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ge Ce Cl Y, J uge ns (CN
An AH, J uge GE
Stella |. ANUKAM, J uge ; Eur am.
Bg Cj B, J uge Jp Z@ œ.
Fait à Ai, ce vingt-deuxième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt- deux, en français et en anglais, le texte français faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 015/2021
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award