AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
UNIAO AFRICANA AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AO B Bd
REPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 055/2016
ARRET SOMMAIRE …
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
Ill. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV.DEMANDES DES PARTIES 10 V. SUR LA COMPÉTENCE 12 A Exception d’incompétence matérielle 13
B Autres aspects de la compétence 16 VI.SUR LA RECEVABILITÉ 17
A Exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes 18
B Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable 22
C Autres conditions de recevabilité 26
VII SUR LE FOND 27
A. Allégation de violation du droit au travail 27
1 Résiliation illégale du contrat du Requérant 27
il, Manquement par la TRA de garantir le statut d'emploi du Requérant 30
B. Allégation de violation du droit à un procès équitable 33
1 Allégation de violation du droit d’être jugé par une juridiction impartiale 33
il, Allégation de violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable 36
ii. Allégation de violation découlant de la non-prise en compte des éléments de
preuve produits 40
C. Allégation de violation du droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la
loi 42
1 Décisions de la Haute Cour et de la Cour d'appel selon lesquelles il n’était
pas un employé de la TRA 42
il, Omission par la Haute Cour d'entendre un témoin 43
D Allégation de violation du droit à la non-discrimination 46 VIII. SUR LES RÉPARATIONS 48
IX.SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 49
X. DISPOSITIF 49 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA, Vice-président ; Ben KIOKO, Bo Cr
AI, Xd AP, Aq Bu AN, Ck AH, Stella
|. ANUKAM, Av Br AJ, Bd AQ, Dennis D. ADJEl — J uges ; et
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après dénommé « le Règlement »), la J uge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
AO B Bd
Représenté par Me Nelson Sidney NDEKI, Union panafricaine des avocats.
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
Représentée par :
M. Cs Bw AG, Bh Bs, Bureau du Solicitor General
ii. Ambassadeur As AM, Chef de la Division juridique, ministère des
Affaires étrangères et la Coopération Est-africaine, régionale et internationale
iii Mme Cz C, Directrice adjointe, Division des affaires
constitutionnelles et des droits de l'homme, Principal State Attorney, Cabinet
de l’Attorney General
iv. Mme Cb A, Principal State Attorney, Cabinet de l’Attorney General
! Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
v. M. Ay Y, Fonctionnaire chargé des services extérieurs, ministère des
Affaires Étrangères et de la Coopération Est-africaine, régionale et
internationale
vi. Mme Ce AL, J uriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine, régionale et internationale
Après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
1. Le sieur AO B Bd Zci-après dénommé « le Requérant ») est
un citoyen tanzanien, ancien employé du ministère des Finances. Il allègue
que l’État défendeur a violé ses droits en résiliant « illégalement son contrat
de travail ».
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur ») qui est devenue Partie à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. L'État défendeur a
déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du
Protocole, par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir
des requêtes introduites par des individus et des organisations non
gouvernementales (ci-après désignée « la Déclaration »). Le 21 novembre
2019, l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de
l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a
décidé que ce retrait n’avaitaucune incidence, ni sur les affaires pendantes
devant elle, ni sur les nouvelles affaires introduites avant le 22 novembre
2020, date de prise d’effet du retrait, soit un (1) an après le dépôt de
? Xj Bi Bg c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 88 37 à 39.
et Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. lressort du dossier devant la Cour que le Requérant était un fonctionnaire du ministère des Finances de l’État défendeur, recruté à titre permanent et ayant droit à une pension, qui travaillait dans l’une de ses directions chargées de la collecte des taxes“ au poste d’Administrateur des finances (Cj Ch Aa). Toutefois, en 1995, le gouvernement de l’État défendeur a décidé de fondre les directions chargées de la collecte des taxes en un service public indépendant dénommé « Xm Revenue Authority » (ci-après, la TRA) par la loi n° 11 de 1995 portant création de ce service qui est entrée en vigueur par une publication au } ournal officiel n° 419 de 1995,
4, LeRequérantallègue que tous les employés, lui compris, qui faisaient partie du personnel des directions chargées de la collecte des recettes ont été absorbés par la TRA en tant qu’employés et non en tant que fonctionnaires. Par la suite, la TRA a, le 14 avril 1996, entrepris un contrôle de l’ensemble de son personnel, au terme duquel le Secrétaire principal du ministère des Finances* a recommandé le licenciement de deux catégories de personnel dans l'intérêt public. Ces deux catégories étaient constituées des personnes dont les états de service en matière de collecte de recettes étaient insatisfaisants et dont l'intégrité était douteuse, et de celles dont les performances étaient affectées par leur âge avancé, une longue maladie et un faible niveau d’instruction.
3 Le ministère des Finances comptait 3 départements, à savoir : le département de la taxe sur les ventes des recettes intérieures, le département de l'impôt sur le revenu et le département des douanes et accises.
4 Le Requérant a, dans ses observations, utilisé les titres « Secrétaire principal du ministère des Finances », « Secrétaire principal du Trésor » et « Secrétaire principal de l’Establisment » de manière interchangeable. Toutefois, nous ne retiendrons que le titre « Secrétaire principal du ministère des Finances » qui a été utilisé dans les décisions rendues par les juridictions nationales, sauf dans les cas où nous citons les observations du Requérant qui comportent les autres titres.
5, Le Requérant déclare qu’il fait partie des personnes qui ontété illégalement
« licenciées » par la TRA alors qu’il n'appartenait à aucune des deux
catégories susmentionnées. Il soutient également qu’au moment de la
« réduction des effectifs », il avait à peine 40 ans et était titulaire d'une
licence en commerce et gestion obtenue à l'Université de Dar es-Salaam.
En outre, aucune procédure légale n'a été respectée pour son
« licenciement » et aucune raison n’a été invoquée pour le justifier, si ce
n'est la décision du gouvernement de dégraisser ses effectifs afin de réduire
ses dépenses et d'améliorer la productivité de ses services.
6. Le Requérant déclare qu'après avoir reçu la « lettre de licenciement » du
25 juin 1996,° il a, le, 14 août 1997, adressé une lettre de protestation au
Secrétaire principal du ministère des Finances, et a reçu la réponse de ce
dernier par courrier daté du 9 janvier 19995 Il soutient également que le
Secrétaire principal du ministère des Finances n’avait ni le pouvoir ni
l'autorité de le licencier, car il n’avait plus le statut de fonctionnaire depuis
la création de la TRA le 7 août 1995 et son contrat de travail a été transféré
à la TRA en vertu de la loi portant création de la TRA. Il affirme en outre que
l’État défendeur « lui a versé ses droits, y compris une ratification, termes
utilisés dans la Circulaire gouvernementale à l'intention des fonctionnaires,
relative à la compression des effectifs ».
7. Le Requérant déclare que, s’estimant lésé par la réponse du Secrétaire
principal du ministère des Finances à son courrier de protestation, lui et six
(6) autres personnes concernées par la décision de licenciement mais qui
ne sont pas parties à la procédure devant la Cour de céans, ont introduit, le
1e octobre 1999, un recours devant la Haute Cour à Dar es-Salaam dans
le cadre de l'affaire en matière civile n° 361/1999 contre trois (3) intimés, à
savoir le Secrétaire principal du ministère des Finances, l’Cy General
et la TRA. Avant l'ouverture des débats, la troisième intimée (TRA) a
5 Appel en matière civile n° 17 de 2003 ; Arrêt du 27 mars 2006, page 1, indique que les Requérants ont été licenciés le 30 juin 1996.
8 La lettre du Secrétaire permanent n’est pas dans le dossier et le Requérant ne divulgue pas le contenu de la réponse et ne s’étend pas sur le contenu de sa lettre de protestation.
soulevé deux exceptions préliminaires. Pour elle, la procédure intentée par
les plaignants ne révélaitaucun motif justifiant une action contre elle, et que
cette procédure était viciée en droit pour cause de jonction irrégulière des
parties. La Haute Cour a ensuite rendu sa décision le 28 septembre 2001,
dans laquelle la Juge Bubeshi a accueilli les exceptions préliminaires
soulevées et a radié la TRA de l'affaire.
8. Le Requérant affirme en outre que lors de l'examen de l'affaire, la J uge
Bubeshi a soulevé la question de savoir qui de la TRA ou du ministère des
Finances étaitl’'employeur des plaignants. Ce faisant, il a estimé que la TRA
ayant été créée le 1°" juillet 1996, le passif dont elle a hérité n’incluait pas
la reprise du personnel des ex-directions chargées de la collecte des taxes,
puisque la TRA était elle-même censée recruter son propre personnel dès
le départ.
9. Se sentant lésé par la décision de la Haute Cour sur les exceptions
préliminaires, le Requérant a saisi la Cour d'appel dans le cadre de l’Appel
en matière civile n° 17 de 2003 en se fondant sur deux moyens, à savoir
que la Juge de première instance s’est fourvoyée, premièrement en
concluant que le troisième intimé, à savoir la TRA, a vu le jour le 1°" juillet
1996 et deuxièmement, en soutenant que l’article 28(2) de la loi portant
création de la TRA ne visait pas la reprise des anciens employés des ex-
directions chargées de la collecte des taxes. Le Requérant a ensuite
demandé à la Cour d’appel d’ordonner que la TRA soit rétablie en qualité
d’intimée dans la procédure.
10. Le Requérant soutient que dans un arrêt du 27 mars 2006," le J uge Mrosso
de la Cour d’appel a fait observer que « bien que la TRA ait existé depuis
le 7 août 1995, elle était une coquille vide, un bus sans passager ». Il a
également fait observer que « le processus effectif du lancement de ses
activités a commencé avec la nomination des membres du Conseil
d'administration le 20 août 1995 et que le 1°" juillet 1996, la TRA était prête
7 La date de la décision est le 27 mars 2006, cependant la page de couverture indique que la décision a été rendue le 31 mars 2006 mais que l'audience s’est terminée le 20 février 2006.
à démarrer ses activités en tant que telle ». Le J uge Mrosso a également
conclu que la J uge Xi avait en première instance commis une erreur
en considérant que la TRA avait vu le jour le « 1°" juillet 1996 », et non pas
le 7 août 1995, tel qu’il ressort de l’article 4 de la loi portant création de la
TRA et que seul l'alinéa 2 amendé dudit article est entré en vigueur le « 1€"
juillet 1996 ».
11. En ce qui concerne le deuxième moyen d’appel, le Juge Mrosso a estimé
qu’il était erroné, étant donné que nulle part dans sa décision, la Juge
Bubeshi n’a évoqué l’article 28(2) de la loi portant création de la TRA, bien
qu’elle ait prématurément fait mention de l’article 25(2) de cette loi. Il a
également estimé que la Juge Bubeshi aurait dû s’en tenir à l'examen des
deux exceptions préliminaires soulevées par le 3° intimé, à savoir la TRA,
plutôt que de se prononcer sur les dispositions de la loi portant création de
la TRA, ce qui pourrait porter préjudice au procès au moment de l’examen
de l’affaire sur le fond.
12. La Cour d’appel a donc accueilli le deuxième moyen d'appel etordonné que
la TRA soit réinscrit dans la procédure en qualité d'intimé, car de toute
évidence la plainte porte sur une cause dirigée contre la troisième intimée,
à savoir la TRA et celui-ci était à juste titre joint à la procédure en cette
qualité.
13. La Cour d'appel a ensuite fait observer que les moyens d'appel tels qu’ils
ont été exposés par les appelants ne faisaient pas ressortir clairement
l'essentiel de leur grief, à savoir la radiation de la TRA en qualité d’intimée
dans la procédure. Elle a fait remarquer que les appelants étaient
excusables, du moment où le juge de la Haute Cour avait de manière
prématurée abordé en partie le fond de l'affaire. La Cour d’appel a noté que
près de huit (8) ans s’étaient écoulés depuis que les appelants avaient
intenté le procès, mais que les débats sur le fond n'avaient pas encore été
ouverts. Elle a donc ordonné que le dossier soit renvoyé devant la Haute
Cour afin que l’affaire soit entendue de nouveau par un autre juge.
14. Le 19 septembre 2006, l'affaire a été renvoyée devant la Haute Cour et
confiée au Juge Mihayo pour reprise de la procédure dans l'affaire en
matière civile n° 361 de 1999. Ladite Cour a statué sur quatre (4) questions,
à savoir : premièrement, la TRA a-t-elle vu le jour le 7 août 1995 et qui était
l'employeur des plaignants ? Deuxièmement, qui a effectivement mis fin aux
services des plaignants et qui avait la compétence pour le faire ?
Troisièmement, le licenciement des plaignants était-il légal ? Etenfin, à quel
type de réparations les parties avaient-elles droit ? Le 15 septembre 2009,
le J uge a rendu son arrêt, dans lequel il a débouté le Requérant et rejeté sa
requête avec dépens au motif que la TRA existait depuis le « 7 août 1995 »
mais que l'employeur du plaignant (Cleophas) restait le ministère des
Finances. La Haute Cour a également estimé que les plaignants n’étaient
ni détachés, ni employés par la TRA. Le Juge a, en outre, conclu que les
plaignants ont été compressés dans l'intérêt public par le Président,
conformément au « DOKEZO SABILIL » réf. TYC/C/115/34 du 17 avril
1996, (avis gouvernemental) qui a été sanctionné le 19 avril 1996 en vertu
des lois pertinentes. Le Juge a enfin fait observer qu’étant donné que le
plaignantetles autres n’avaientrien à faire au ministère des Finances après
que les fonctions du ministère avaient été reprises par la TRA, la seule
chose logique à faire était de mettre un terme à leur emploi.
15. Enoctobre 2010,8 le Requérant a interjeté appel de la décision de la Haute
Cour devant la Cour d’appel de Dar es-Salaam dans l’affaire en appel n° 27
de 2010. Celle-ci a, dans son arrêt du 15 décembre 2010, confirmé la
décision de la Haute Cour.
16. Se sentantlésé par la décision de la Cour d'appel, le Requéranta introduit,
en 2011,° le Recours en matière civile n 13 de 2011 à l'effet d'obtenir la
révision de la décision de la Cour d’appel. La Cour d’appel a, rejeté ledit
recours au motif qu’elle était dénuée de tout fondement.
8] our exact non indiqué.
9 Date non indiquée.
17. En dernier recours, le Requéranta alors introduitle 15 avril 2015 une plainte
devant la Commission des droits de l’homme et de la bonne gouvernance
de la Tanzanie. Le 20 avril 2015, la Commission a informé le Requérant
qu’elle n’était pas compétente pour examiner l'affaire, conformément à
l’article 130(5) de la Constitution de l’État défendeur.
B. Violations alléguées
18. Le Requérantallègue la violation des droits suivants :
a. Le droit au travail, prévu à l’article 15 de la Charte, pour :
i. avoir illégalement mis fin à son emploi à la TRA contrairement
aux dispositions de la loi n° 11 de 1995 portant création de la
TRA;
ii. l'incapacité de la TRA à garantir son statut d’employé.
b. Le droit à ce que sa cause soit entendue, prévu à l’article 7 de la
Charte, pour :
i. avoir violé son droit d’être jugé par une juridiction impartiale ;
ii. avoir violé son droit à être jugé dans un délai raisonnable ;
ii. n'avoir pas tenu compte des éléments de preuve produits.
c. Le droit à une totale égalité devant la loi et une égale protection de
la loi, prévu à l'article 3(1) et (2) de la Charte, du fait de la décision
des juridictions nationales qui ont déclaré qu’il n’était pas un employé
de la TRA et du fait que la Haute Cour n’ait pas entendu son témoin.
d. Le droit à la jouissance des droits et des libertés sans aucune
discrimination, prévu à l’article 2 de la Charte, en appliquant sans
discernement des dispositions de l’article16(2) de la loi portant
création de la TRA en ce qui concerne le statut des commissaires et
des employés.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
19. La Requête a été introduite le 14 septembre 2016, puis notifiée à l’État
défendeur le 29 janvier 2017.
20. La Cour a accédé à la demande d'assistance judiciaire formulée par le
Requérant le 17 janvier 2017 et informé les deux Parties de sa décision.
21. Le 13 septembre 2017, l'attention de l’État défendeur a été attirée sur la
règle 55 du Règlement relative au prononcé d’un arrêt par défaut, après que
des courriers de rappel lui avaient été adressés respectivement les 6 février
2017, 9 février 2017 et 28 août 2017 aux fins de dépôt de sa réponse.
22. Le 25 janvier 2018, la Cour a décidé d'accorder à l’État défendeur une
dernière prorogation de délai de quarante-cinq (45) jours pour déposer sa
réponse. L'État défendeur n'y a pas non plus donné suite.
23. Les débats ont été clos le 26 juin 2018 et les Parties en ont été dûment
notifiées.
24. Le 17 août 2018, l’État défendeur a déposé hors délai son mémoire en
réponse à la Requête, en vertu des Instructions de procédure n° 38, en
invoquant comme raison du retard les consultations avec diverses parties
prenantes. La Cour a décidé, dans l'intérêt de la justice, de rouvrir les
débats, estimant que la Réponse est réputée avoir été soumise dans les
délais et celle-ci a été transmise au Requérant le 29 août 2018.
25. Le Requérant a déposé sa réplique à la réponse de l’État défendeur le
3 janvier 2019 et soumis ses observations sur les réparations le 20 mars
2019. Les deux documents ont été transmis à l’état défendeur le 22 mars
2019.
26. Le 9 septembre 2019, le Requérant a sollicité auprès de la Cour qu’elle
rende un jugement par défaut sur les réparations après avoir observé que l’État défendeur n’avait pas déposé ses observations même après avoir
reçu deux courriers de rappels à cet effet.
27. Les débats ont été de nouveau clos le 8 octobre 2019.
28. Le 18 décembre 2019, la Cour a attiré l’attention de l’État défendeur sur la
règle 50 relative au dépôt de nouvelles preuves après la clôture des
débats,!° mais celui-ci n’a pas donné suite.
IV. DEMANDES DES PARTIES
29. Le Requérant sollicite auprès de la Cour les mesures suivantes :
a) Déclarer que les décisions du Secrétaire principal BUBESHI ]. et du Juge
MIHAYO, ainsi que celle de la Cour d’appel de Tanzanie siégeant à Dar
es-Salaam dans l'affaire en matière civile n° 27/2010 n’étaient pas
conformes à la loi et n’ont pas tenu compte de mes droits fondamentaux,
etontviolé le principe de justice naturelle à mon égard durant le processus
de compression des effectifs et que ces décisions sont nulles et de nul effet.
b) Déclarer que l’ensemble du processus de mon licenciement était injuste,
car il m’a empêché d’obtenir un emploi ailleurs ; et ordonner à l’État
défendeur de me verser une indemnité compensatoire équivalant au
montant des salaires que j'aurais dû percevoir à mon poste au sein de
l'Office, tel que révisé de temps à autre.
c) M'’accorder une assistance judiciaire car je ne dispose pas d’assez de
moyens pour me payer les services d’un avocat. ] e n’ai plus d’emploi et
ma famille compte sur moi, raison pour laquelle j'ai besoin d’un avocat pour
me représenter devant la Cour.
d) Désigner des experts susceptibles d’aider la Cour à examiner correctement
ma demande.
e) Citer des témoins à comparaître tels que désignés par la Cour elle-même
10 Règle 46(2) et (4) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
f) Donner effet à toute autre disposition pertinente de la loi, de la Constitution
de la République-Unie de Tanzanie et de l’Appel en matière civile
n° 60/2000.
30. Le Requérant a en outre sollicité de la Cour qu’elle lui accorde des
réparations comme suit :
a. Ordonner à l’État défendeur de verser au Requérant une somme de
500 000 000 shillings tanzaniens (équivalant à 200 000 dollars EU) à titre
de dommages-intérêts généraux pour la violation de la Charte et de la
Constitution et pour les préjudices subis et les difficultés éprouvées par le
Requérant à la suite de son licenciement illégal et de la rupture de son
contrat de travail.
b. Condamner l’État défendeur à verser au Requérant une somme de
8 406 300 shillings tanzaniens à titre de dommages-intérêts spéciaux pour
les frais et dépenses engagés etles honoraires d’avocat dans le cadre des
affaires portées devant la Haute Cour, la Cour d’appel de Tanzanie et
devant la Cour de céans.
c. Ordonner à l’État défendeur de verser au Requérant la pension sur le
montant total des salaires pour la période de 20 ans allant de 1996 à juillet
2016, date à laquelle il atteindra l’âge de la retraite obligatoire.
d. Ordonner à l’État défendeur de verser au Requérant des salaires pour la
période de 20 ans allant de 1996 à juillet 2016.
e. Ordonnerà l’État défendeur de verser au Requérantune gratification basée
sur le revenu total de son emploi pour la période de 1996 à juillet 2016.
f. Toute autre réparation que la Cour estime juste et équitable d’accorder
dans les circonstances de l'espèce.
31. Dans sa réponse, l’État défendeur sollicite de la Cour les mesures suivantes
relativement à sa compétence et à la recevabilité de la Requête :
a. La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples n’est pas
compétente pour statuer sur cette Requête.
b. La Requête ne satisfait aux exigences de recevabilité énoncées à l’article
40(5) et (6) du Règlement.
c. La Requête estirrecevable et devra dès lors être rejetée.
d. Les frais de procédure relatifs à la présente Requête devront être mis à la
charge des Requérants.
32. S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de
dire et ordonner que :
a. le gouvernementde la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé les droits
du Requérant à une totale égalité devant la loi età une égale protection de
la loi, tels qu’énoncés à l’article 3(2) et (2) de la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples.
b. le gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé le droit
du Requérant à ce que sa cause soit entendue, inscrit à l’article 7(1) de la
Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
c. le gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé le droit
du Requérant d’être jugé dans un délai raisonnable, prévu à l’article 7(1)(d)
de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
d. l'affaire a été définitivement tranchée par la Cour d’appel de Tanzanie.
e. la Requête est dénuée de tout fondement.
f. les demandes des Requérants sont rejetées dans leur intégralité.
g. la Requête est rejetée dans son intégralité au motif qu’elle est dénuée de
tout fondement.
h. les frais de procédure relatifs à la présente Requête sont à la charge du
33. L'État défendeur demande, en ce qui concerne les réparations, que « [Ila
Cour rejette les demandes du Requérant dans leur intégralité ».
V. SUR LA COMPÉTENCE
34. La Cour relève que l’article 3 du Protocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et
l’application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
35. La Cour relève également qu’en vertu de la règle 49(1) du Règlement, « [IJa
Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence [..]
conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement »,!!
36. Sur la base des dispositions précitées, la Cour est tenue de procéder à
l'appréciation de sa compétence et statuer sur les éventuelles exceptions
d’incompétence qui s’y rapportent.
37. La Cour constate que l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. La Cour entend donc examiner cette exception
avant de se prononcer, s’il y a lieu, sur les autres aspects de sa
compétence.
A. Exception d’incompétence matérielle
38. L’Étatdéfendeur soulève une exception d’incompétence matérielle au motif
que la Cour exercerait une compétence de première instance et d’appel, si
elle devait réexaminer des questions juridiques et des éléments de preuve
sur lesquels s’est déjà prononcée par la plus haute juridiction de l’État
défendeur, et demande que la Requête soit donc rejetée.
39. L'État défendeur fait valoir que la Cour exercerait une compétence de
première instance si elle venaità examiner les griefs ci-après : la disposition
de l'article 36(2) de sa Constitution n’a pas été citée dans la lettre de
licenciement des Requérants ; « la non-inclusion des anciens employés
dans le cadre de l’entreprise » ; l’affimation selon laquelle les droits
fondamentaux du Requérant n’étaient pas affectés par le licenciement,
11 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
étant donné qu’il travaillait pour une entreprise et non pour le
gouvernement ; le fait que la TRA aurait dû être responsable du bien-être
de ses travailleurs ; le fait pour la TRA de ne pas reconnaître le statut de
ses employés constituait une violation de ses droits ; le fait pour les
tribunaux nationaux de ne s'être pas prononcés sur la non-prise en compte
du contrat de travail dans l’article 25 de la loi n° 11 de 1995 portant création
de la TRA, qui constituait une violation des droits du Requérant ; l’affaire a
pris trop de temps avant d’être menée à terme ; l’allégation selon laquelle
la Haute Cour etla Cour d'appel avaient violé ses droits en n'ayant pas tenu
compte des éléments de preuve produits devant elles et l’allégation jugeant
discriminatoire le fait que les commissaires soient considérés comme des
employés de la TRA alors que le Requérant est resté un employé du
gouvernement.
40. L’État défendeur fait valoir que la Cour siégerait comme une juridiction
d'appel si elle venait à examiner les questions suivantes : le Requérant n’a
pas été informé des motifs de sa mise au chômage ou de son licenciement ;
la TRA existe depuis le 7 août 1995 ; quelle entité avait le pouvoir de
licencier le Requérant et avait-il été licencié conformément à la loi ? Les
témoins cités par le Requérant n’avaient pas été entendus par la Haute
Cour ; le Requérant était-il ou pas un employé de la TRA et avait-il été
licencié conformément à l’article 19(3) de la loi n° 16 de 1989 et à l’article
8(d) de la loi de l’État défendeur sur les pensions ?
41. Pour sa part, le Requérant fait valoir que la compétence matérielle de la
Cour est établie, étant donné que l’État défendeur est partie à la Charte, au
Protocole et qu’il a également déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole. Le Requérant soutient également qu'il est victime et citoyen
d’un État qui est partie à la Charte, conformément à l’article 5(1) du
Protocole et que la Cour de céans est donc compétente pour connaître de
sa Requête en vertu du Protocole.
42. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l'homme ratifié
par l’État défendeur.
43. En l'espèce, la Cour relève que les Requérants ont allégué la violation des
droits au travail, à un procès équitable, à l'égalité et à l’égale protection de
la loi età la non-discrimination protégés respectivement par les articles 15,
7, 3(1)(2) et 2 de la Charte. La Cour note qu’il s’agit là de droits protégés
par un instrument international dont l’État défendeur est partie.
44. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, qu'elle est
compétente pour examiner les procédures pertinentes devant les
juridictions internes afin de déterminer si celles-ci sont en conformité avec
les normes énoncées dans la Charte ou dans tout autre instrument ratifié
par l’État concerné.!® La Cour rejette, en conséquence, l'exception selon
laquelle elle siégerait en tant que juridiction de première instance si elle
examinait les allégations formulées par le Requérant.
45. La Cour rappelle en outre que lorsqu’elle examine la question de savoir si
le comportement de l’État défendeur est conforme ou non aux dispositions
des instruments susmentionnés, « la Cour agilt] dans le cadre de sa
compétence et ne [siège] pas en tant que cour d'appel ni n’exerc[e] de
pouvoir de révision de la décision de la Cour d’appel ».!* En conséquence,
la Cour rejette l'exception selon laquelle elle siégerait pour réviser la
12 Voir, par exemple, Cg Xe c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 028/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), $ 18 ; An Bk c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 85 38 à 40. 13 Ernest Bn Ax c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013), 1 RJ CA 197, 8 14 ; Bv Cd Az et Bz Bb Cn At c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RJCA 67, $ 26 ; Ca Ai c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), $ 33 ; Xh Ba ZXk XbX et J ohnson Xh ZCq XfX c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RJ CA 297, $ 35.
14 Bl As, Af Bx, Ak Xo et 1744 autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 002/2017, (30 septembre 2021) (fond et réparations), $ 33.
décision de la Cour d’appel de l’État défendeur en se prononçant sur la
présente affaire.
46. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette donc l'exception soulevée par
l’État défendeur et conclut qu’elle à la compétence matérielle pour examiner
la présente Requête.
B. Autres aspects de la compétence
47. La Cour fait observer qu'aucune exception n’a été soulevée par l’État
défendeur quant à sa compétence personnelle, temporelle et territoriale.
Néanmoins, conformément à la règle 49(1) du Règlement,!* la Cour doit
s'assurer que tous les aspects de sa compétence sont satisfaits avant de
poursuivre l'examen de la Requête.
48. S'agissant de sa compétence personnelle, la Cour rappelle que comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l'Union
africaine l'instrument de retrait de la Déclaration faite en vertu de l’article
34(6) du Protocole. La Cour rappelle en outre qu’elle a décidé dans ses
arrêts précédents que le retrait d’une Déclaration n'avait aucun effet
rétroactif ni aucune incidence sur les affaires pendantes avant le dépôt de
l'instrument de retrait de la Déclaration, ni sur les nouvelles affaires
introduites avant que ledit retrait ne prenne effet, à savoir un an après le
dépôt de l'avis y relatif et pour être précis, la date de prise d’effet du retrait
de l’État défendeur était le 21 novembre 2020.16
49. La présente Requête introduite avant que l’État défendeur ne dépose son
avis de retrait de la Déclaration, n’en donc pas affectée. La Cour concluten
conséquence qu’elle a la compétence personnelle en l'espèce.
15 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
16 Xj Bi Bg c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), $S$ 35 à 39. Voir également, Ar Ci Cl c. République du Rwanda (compétence) (3 juin 2016), 1 RJ CA 585, $ 67.
50. La Cour estime qu’elle a la compétence temporelle en l’espèce, dans la
mesure où les violations alléguées ont été commises avant que l’État
défendeur ne soit devenu partie à la Charte et se sont poursuivies après
qu’il est devenu partie au Protocole, notamment: en ce qui concerne la
violation alléguée du droit au travail, lorsqu’il a été mis fin au contrat du
Requérant et en ce qui concerne le droit à un procès équitable, le droit à
l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi et le droit à la non-
discrimination découlant de la procédure judiciaire.!” La Cour conclut donc
que sa compétence temporelle est établie.
51, La Cour conclut que sa compétence territoriale est également établie en
l’espèce, les violations alléguées s'étant produites sur le territoire de l’État
défendeur.
52. À la lumière de tout ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
53. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [I]a Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
54. Conformément à la règle 50(1) du Règlement,!® « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au
présent Règlement ».
17 Voir J ebra Bj c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 018/2018 (15 juillet 2020) (fond et réparations), $ 52 et By Bp Ao et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 030/2017, (24 mars 2022) (fond et réparations), $ 32 (iii).
18 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
55. La règle 50(2) qui reprend en substance les dispositions de l’article 56 de
la Charte, est libellée comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour
de garder l’anonymat ;
b. être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. ne pas contenir de termes outrageants ou insultants à l’égard de
l'État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d. ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. être postérieures à l’épuisement des recours internes, s’ils existent,
à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
f. être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre
saisine ;
g. ne pas concerner des cas qui ont été réglés par les États concernés,
conformément aux principes de la Charte des Nations unies, de
l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la
Charte.
56. La Cour relève que l'État défendeur a soulevé deux exceptions
d’irrecevabilité. La première porte sur l'exigence de l'épuisement des
recours internes etla seconde sur le dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable. La Cour va donc examiner ces deux exceptions avant de se
pencher sur les autres conditions de recevabilité.
A. Exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes
57. L'État défendeur soutient que même si le Requérant affirme que son droit à
l'égalité devant la loi avait été violé, aucun élément de preuve ne montre qu’il a introduit un recours en inconstitutionnalité devant la Haute Cour de
Tanzanie, comme le prévoit l’article 13 de sa Constitution. En outre, l’article
30(3) de la Constitution susmentionnée prévoit que « toute personne, qui
affirme qu’une disposition quelconque d’une partie de ce chapitre ou toute
loi concernant son droit ou son devoir envers elle a été ou est susceptible
d’être violée par toute personne en tout lieu en République-Unie de
Tanzanie, peut engager des procédures en réparation devant la Haute
Cour. » L'État défendeur a indiqué que toute disposition dans cette partie
du chapitre fait référence à la Déclaration des droits qui est dûment inscrite
dans la partie II! de sa Constitution. Il affirme également qu’il a promulgué
la Loi sur les droits et devoirs fondamentaux qui prévoit la procédure de
mise en application des droits fondamentaux constitutionnels, des devoirs
et des questions connexes.
58. Citantla jurisprudence de la Commission africaine des droits de l’homme et
des peuples dans la Communication n° 263/02, Section kényane de la
Commission internationale de juristes, Law Cu AR Be, Xl Co
Cc c. République du Kenya, l’État défendeur fait valoir qu’il était
prématuré pour le Requérant de saisir la Cour de céans avant de lui donner
la possibilité de remédier à la violation alléguée dans le cadre de son
système judiciaire interne.
59. Le Requérant affirme qu'il a satisfait aux conditions énoncées à l’article
40(5) du Règlement intérieur de la Cour.!° Il a intenté une action civile
devant la Haute Cour de Tanzanie, dontil a également contesté la décision
jusque devant la Cour d’appel de Tanzanie, la plus haute instance judiciaire
du pays. Citant la jurisprudence de la Cour de céans dans l'affaire Bv
Cd Az et Bz Bb Cn At c. République-Unie de
Tanzanie, le Requérant fait valoir que la Cour a toujours conclu que la
saisine de la Haute Cour d’un recours en inconstitutionnalité, telle qu’elle
s’applique dans le système judiciaire de l’État défendeur, est un recours
extraordinaire.
19 Règle 50(2)(e) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
60. Le Requérant soutient donc que l’exception soulevée par l’État défendeur à
cet égard est dénuée de tout fondement juridique et devrait, par
conséquent, être rejetée.
61. La Cour rappelle que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, dontles
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
introduite devant elle doit remplir la condition de l'épuisement des recours
internes, à moins que ceux-ci soient manifestement non-disponibles,
inefficaces et insuffisants ou que la procédure de ces recours se prolonge
62. Enl’espèce, la Cour relève que le Requéranta saisi la plus haute juridiction
de l’État défendeur qui a, le 15 février 2013, rejeté son recours en révision
dans l'affaire en matière civile n° 27 de 2010 au motif qu’il était dénué de
tout fondement. La Cour fait également observer que l’un des principaux
arguments de l'État défendeur est que le Requérant n’a jamais soulevé des
allégations durant la procédure devant les juridictions internes, notamment
celles relatives à la violation de ses droits à une égale protection de la loi et
à la non-discrimination.
63. La Cour tient à rappeler sa jurisprudence dans laquelle elle a conclu que :
lorsqu’une violation alléguée des droits de l'homme se produit au cours
d’une procédure judiciaire interne, les tribunaux nationaux ont ainsi
l’occasion de se prononcer sur d'éventuelles violations des droits de
l'homme. Le motif en est que les violations alléguées des droits de
l'homme font partie de l’ensemble des droits et garanties qui étaient liés
à la procédure devant les tribunaux nationaux ou qui en constituaient le
fondement. Dans une telle situation, il ne serait donc pas raisonnable
20 Ah Ap Ac c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014), 1 RJ CA 398, 85 142 à 144 ; By Bp Ao et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, requête n° 030/2017, (24 mars 2022) (fond et réparations), $ 43.
d’exiger des Requérants qu’ils introduisent une nouvelle requête devant
les juridictions internes pour demander réparation de ces griefs?!
64. En ce qui concerne les griefs du Requérant devant la Cour de céans, il
convient de noter que bien que le Requérant n’ait pas plaidé sa cause
devant les juridictions internes de la même manière que devant la Cour de
céans, la violation alléguée de ses droits a, de toute évidence, eu lieu au
cours de la procédure interne.
65. Une plainte pour résiliation illégale de son contrat de travail et la violation
subséquente de son droit au travail invoquent directement divers droits
relevant du faisceau des droits au travail.
66. La Cour relève, à la lumière de ces éléments, que l’État défendeur a eu la
possibilité de remédier aux éventuelles violations de droits de l'homme dans
le cadre des procédures internes, mais ne l’a pas fait.
67. S'agissant du dépôt d’un recours en inconstitutionnalité devant la Haute
Cour, comme le prévoit l’article 13 de la Constitution de l’État défendeur, la
Cour a déjà indiqué que dans le système judiciaire tanzanien, il s’agit d’un
recours extraordinaire que le Requérant n’était pas tenu d’épuiser avant de
68. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception de l’État défendeur tirée
du non-épuisement des recours internes.
21 J ibu Amir (CvX et un autre c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, requête n° 014/2015, (28 novembre 2019), $ 37 ; Cw Aj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, $8 60 à 65 ; Bv Cd Az et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJ CA 67, $ 54 ; J ibu Amir (Cv) etun autre c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, requête n° 014/2015, (28 novembre 2019), $ 37 ; Cw Aj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, $8 60 à 65 ; Bv Cd Az et autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJ CA 67, $ 54 ; Bl As, Af Bx, Ak Xo et 1744 autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 002/2017, (30 septembre 2021) (fond et réparations), $ 57.
22 Cw Aj c. République-Unie de Tanzanie, op.cit, S$ 60 à 62 ; Requête n° 007/2013 (3 juin 2016) ; Bp Ct c. République-Unie de Tanzanie, $$ 66 à 70 ; Requête n° 01 1/2015 (28 septembre 2017) ; Christopher J onas c. République-Unie de Tanzanie, $ 44.
B. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
69. L'État défendeur fait valoir qu’en raison de l'exigence du dépôt de la
Requête dans un délai non raisonnable après l'épuisement des recours
internes, la Cour devrait conclure que celle-ci ne satisfait pas aux exigences
à l’article 40(6) du Règlement.
70. L'État défendeur fait valoir, à cet égard, que l’arrêt de la Cour d’appel a été
rendu le 28 octobre 2009, qu’il a déposé l’instrument d'acceptation de la
compétence de la Cour en vertu de l’article 5(3) du Protocole le 29 mars
2010 et que la présente Requête a été introduite le 14 septembre 2016. Il
fait donc observer qu’une période de sept (7) ans et huit (8) mois s’est
écoulée entre le moment où il a accepté la compétence de la Cour et celui
où le Requéranta saisi la Cour de céans.
71. L'État défendeur fait encore observer que l’affaire engagée par le
Requérant a été tranchée par la Cour d'appel le 15 février 2013, lorsqu'elle
s'est prononcée sur la requête en révision de la décision de la Cour d'appel
dans l’Appel en matière civile n° 27 de 2010. L'État défendeur soutient que
le Requérant a par la suite introduit sa Requête devant la Cour de céans le
14 septembre 2016, soit trois (3) ans après la conclusion de la procédure
de son affaire devant la juridiction interne. Il fait également observer que
même si l’article 40(6) du Règlement de la Cour?* ne prescrit pas de délais
dans lesquels les individus sonttenus d'introduire une requête, un délai de
six mois a été jugé comme raisonnable dans d’autres juridictions
internationales.
72. L'État défendeur, citant la décision de la Commission africaine des droits
de l'homme et des peuples dans Bc Bq c. République du
Zimbabwe (308/05), et faisant observer que le Requérant n’a pas satisfait
aux exigences de l’article 40(6) du Règlement de la Cour, demande que la
Requête soit jugée irrecevable. Il demande en conséquence à la Cour de la
23 Règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
24 Règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
rejeter avec dépends dans la mesure où le Requérant n’a pas indiqué les
motifs qui l’auraient empêché d’introduire sa Requête dans un délai de six
mois.
73. Le Requérant, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de céans dans
l’affaire Cw Aj c. Tanzanie” et citant la décision de la Commission
européenne dans l’affaire Au c. Royaume-Uni? soutient qu’il n’existe
pas de délai fixe pour saisir la Cour et que chaque instance se prononce
sur la question en fonction des faits et circonstances propres à l’affaire. Le
Requérant affirme avoir introduitla Requête le 14 septembre 2016, soittrois
(3) ans après que la Cour d'appel a rendu sa décision dans l’Appel en
matière civile n° 27 de 2010. De plus, il n’avait pas connaissance de
l'existence de la Cour jusqu’en 2016 lorsqu’il a entendu une annonce de
l’ancien P résident de la Cour africaine, relative au siège de la Cour qui était
désormais fixé à Cx (Tanzanie). Le Requérant en conclut que
l’exception d'irrecevabilité soulevée par l’État défendeur n’a pas de
fondement juridique et devrait être rejetée.
74. La Cour fait observer que ni la Charte ni le Règlement ne précise le délai
exact auquel les requêtes doivent être introduites, après épuisement des
recours internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du
Règlement prévoient simplement que les requêtes doivent être introduites
« … dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours
internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer
à courir le délai de sa saisine ».
25 Cw Aj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, 8 56.
26 Au c. Royaume-Uni, Requête n° 12015/86.
75. La Cour a conclu dans ses arrêts précédents que « … le caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».27
76. La Cour considère que les recours ordinaires dans la présente affaire ont
été épuisés le 15 décembre 2010, lorsque la Cour d'appel a rendu son arrêt.
Toutefois, la Cour rappelle également sa jurisprudence selon laquelle
« même si la procédure de révision constitue un recours extraordinaire, le
temps mis par le Requérant pour tenter de l’épuiser devrait être pris en
considération pour déterminer le caractère raisonnable du délai au sens de
l’article 56(6) de la Charte. »? En l'espèce, la Cour tiendra donc compte du
fait que la Cour d’appel a rendu sa décision sur le recours en révision le 15
février 2013 et du fait que le Requérant l'a saisie de la présente Requête le
14 septembre 2016.
77. La Cour doit donc apprécier si le délai courant du 15 février 2013, date à
laquelle la Cour d'appel a rendu sa décision sur le recours en révision, au
14 septembre 2016, date à laquelle le Requérant a saisi la Cour de céans,
soit trois (3) ans et six (6) mois et trente (30) jours, est un délai raisonnable
au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du Règlement.
78. La Cour tient à rappeler que les circonstances qu'elle a prises en compte
pour se prononcer sur le caractère raisonnable du délai de sa saisine sont
les suivantes : la durée de la procédure contentieuse devant les juridictions
internes impliquant plusieurs décisions de la Haute Cour et de la Cour
d'appel ;?° le fait que le Requérant ignorait l’existence de la Cour,
27 Ayant droits de Feu An Xc etautres c. Am Cm (exceptions préliminaires) (25 juin 2013),
28 Voir Xh Ba ZXk XbX et Xp Xh ZCq XfX c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018), 2 RJ CA 297, $ 61 et Ca Ai c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 493, 8 56.
29 Bl As, Af Bx, Ak Xo et 1744 autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 002/2017, (30 septembre 2021) (fond et réparations), $ 65.
30 Aw Bm c. République-Unie de Tanzanie (fond), $ 50 ; Christopher J onas c. République- Unie de Tanzanie (fond), $ 54.
l'exercice de recours extraordinaires! et les procédures quasi-judiciaires.>?
Ces circonstances doivent toutefois être prouvées par tout requérant qui
entend les invoquer.
79. La Cour fait observer qu’en l'espèce, deux (2) ans, dix (10) mois et dix-sept
(17) jours se sont écoulés entre la date à laquelle l’État défendeur a déposé
la Déclaration par laquelle elle a accepté la compétence de la Cour pour
recevoir des requêtes introduites par des individus et la date à laquelle la
Cour d'appel a rendu sa décision sur le recours en révision. La Cour
présume qu’à cette époque, fort peu de personnes au sein des états
membres et par toute l'Afrique étaient au fait de son existence.
80. La Cour prend également en compte les circonstances personnelles du
Requérant ainsi que ses allégations selon lesquelles il aurait épuisé ses
ressources financières au cours des procédures contentieuses au niveau
national, d'où le fait de solliciter de la Cour qu’elle lui accorde une
représentation judiciaire gratuite.
81. La Cour fait observer qu'après la décision du 15 février 2013, le Requérant
a consacré plus de temps à exercer des recours extraordinaires non
judiciaires en déposant une plainte auprès de la Commission des droits de
l'homme. La procédure devant la Commission étant de nature quasi-
judiciaire, elle ouvrait des voies de recours que le Requérant n’était pas
tenu d’épuiser. Néanmoins, il était raisonnablement en droit de s’attendre à
ce que les conclusions de la Commission aboutissent à une décision qui lui
soit favorable, ce qui l’aurait empêché de déposer la Requête devant la
Cour de céans. Bien qu'il s'agisse de recours extraordinaires, la Cour en
tientcompte pour l'évaluation du caractère raisonnable du temps qu'il a fallu
au Requérant pour saisir la Cour de sa Requête.
31 Ca Ai c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), 5 56 ; Bf Bt Bf et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 539, $ 49 ; Af Cf Xn c. République du Ghana (fond et réparations) (28 juin 2019), 3 RJ CA 245, 88 83 à 86.
32 Af Cf Xn c. République du Ghana, CAfDHP, Requête n° 001/2017, Arrêt du 28 juin 2019 (fond et réparations), 85 83 à 86.
82. Dans ces circonstances, la Cour conclut que la période de trois (3) ans et
six (6) mois et trente (30) jours ne saurait constituer un délai non
raisonnable au sens de l'article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du
Règlement.
83. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité
soulevée par l’État défendeur tirée du fait que la Requête n’aurait pas été
déposée dans un délai raisonnable.
C. Autres conditions de recevabilité
84. La Cour relève qu'aucune contestation n’a été soulevée concernant le
respect des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d), (e) et (9)
du Règlement. Néanmoins, la Cour doit s'assurer que ces conditions sont
satisfaites.
85. Il ressortdu dossier que le Requéranta été clairementidentifié par son nom,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
86. La Cour relève également que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l'Union africaine, tel qu’énoncé en son article
Parailleurs, la Requête ne contient aucun grief ou aucune demande qui soit
incompatible avec une disposition dudit Acte. En conséquence, la Cour
considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union
africaine et la Charte, et conclut qu’elle satisfait aux exigences de la règle
50(2)(b) du Règlement.
87. Les termes dans lesquels est rédigée la Requête ne sont ni outrageants ni
insultants à l’égard de l’État défendeur ou de ses institutions ; ce qui la rend
conforme à la règle 50(2)(c) du Règlement.
88. La Requête n'est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais sur des documents
judiciaires émanant des juridictions internes, sur la loi portant création de la
TRA, etsur le « DOKEZO SABILI » de l’État défendeur, conformément à la
règle 50(2)(d) du Règlement.
89. En outre, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée par
les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de
l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de
tout instrument juridique de l’Union africaine ; elle est donc conforme à la
règle 50(2)(g) du Règlement.
90. La Cour conclut donc que toutes les conditions de recevabilité sont
satisfaites et que la présente Requête est recevable.
VII. SUR LE FOND
91, Le Requérantallègue la violation des droits suivants, garantis par la Charte,
en l'occurrence : le droit au travail (article 15) ; le droit à un procès équitable
(article 7) etle droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la
loi ainsi que le droit de ne pas faire l’objet de discrimination (article 2).
A. Allégation de violation du droit au travail
92. Le Requérant allègue que son droit au travail a été violé lorsque l’État
défendeur a illégalement « mis fin » à ses services et n’a pas garanti son
statut d’emploi.
i. Résiliation illégale du contrat du Requérant
93. Le Requérant déclare qu’il était employé à titre permanent, avec droit à
pension, en qualité de Responsable des finances (« Cj Ch
Aa ») au ministère des Finances dans l’une des trois directions en charge de la collecte des taxes. Toutefois, en 1995, l'État défendeur a
fusionné les directions en charge de la collecte des taxes en un seul organe
public indépendant appelé Office tanzanien des recettes (Xm
Revenue Authority — TRA) en vertu de la loi n° 11/1995 portant création de
la TRA. Suite à cette fusion, tous les anciens employés du ministère des
Finances, le Requérant y compris, ont commencé à travailler sous l'autorité
de la TRA. Par la suite, la TRA a procédé à un contrôle minutieux de
l'ensemble de son personnel qui a conduit au « licenciement» illégal du
Requérant le 30 juin 1996 par le Secrétaire principal du ministère des
Finances. I! allègue qu'aucune procédure légale n’a été suivie et que la
seule raison évoquée pour justifier son « licenciement» était que le
gouvernement avait décidé de compresser ses effectifs afin de réduire les
dépenses liées à ses activités et d’accroitre la productivité de ses services.
94. Le Requérant soutient que ce « licenciement » a été effectué en violation
des principes de justice naturelle, étant donné qu'il n’a pas été informé de
ce qui lui était reproché, qu’il n’a pas eu l’occasion de se défendre et qu’il
n'appartenait pas aux deux catégories de personnes à licencier. En outre,
le Secrétaire principal du ministère des Finances n'avait aucune autorité ni
aucun pouvoir pour mettre fin aux services du R equérant, étant donné que
ce dernier n’était plus fonctionnaire de l’État depuis la création de l'Office
tanzanien des recettes (TRA) le 7 août 1995 et que son contrat de travail
relevait désormais de la TRA en vertu de l'article 28(2) de la loi n° 11/1995.
Le Requérant soutient que cette mesure était contraire à l’article 5(3)(a) de
la loi portant création de la TRA et que les employés de la TRA ne sont pas
des fonctionnaires au sens de l’article 2 de la loi de 1989 régissant la
fonction publique.
95. L’État défendeur soutient, pour sa part, que les raisons du « licenciement
du Requérant pour cause d'intérêt public » ont été exposées dans sa lettre
de licenciement qu'il a produite comme élément de preuve, ainsi qu’il est
indiqué dans la décision de la « Cour d'appel dans l’Appel en matière
pénale n° 27/ 2010 de l’arrêt en date du 30 décembre 2010 ». Les motifs
indiqués dans cette lettre sont que le Requérant a été licencié dans l'intérêt public et parce que le gouvernement avait décidé de réduire les effectifs de
la fonction publique afin de minimiser les dépenses publiques et d'accroître
la rentabilité.
96. L'article 15 de la Charte dispose que « [toute personne a le droit de le
travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes et de percevoir un
salaire égal pour un travail égal ».
97. La Cour fait remarquer que le Requérant soutient que son contrat a été
résilié alors qu’il ne relevait pas des deux catégories de personnes à
licencier dans l'intérêt public, c’est-à-dire celles dont les états de service en
matière de recouvrement des recettes sont jugés insuffisants, dont
l'intégrité est mise en doute, et celles dont les performances sont affectées
par leur âge avancé, une longue maladie et un faible niveau d’instruction.
98. La Cour fait observer que le Juge Mihayo, dans sa décision du 15
septembre 2009, a pris en compte les éléments de preuve produits devant
la Haute Cour par les témoins n° 1 etn° 2 de la défense, qui indiquaient que
les plaignants, ainsi que d’autres employés dans la même situation, avaient
été mis au chômage dans l'intérêt public par le Secrétaire principal du
ministère des Finances au nom du Président. En outre, la Cour relève que
la Cour d’appel, dans son arrêt rendu en date du 27 mars 20063 dans
l'appel en matière civile n°17/2003, relève que la Haute Cour a tenu compte
de la pièce n° 2, à savoir les « lettres de licenciement » des plaignants qui
exposaientles raisons de leur révocation au paragraphe 1, notamment dans
l'intérêt public pour permettre la compression des effectifs de la fonction
publique comme moyen de réduire ses dépenses de fonctionnement et
d’accroitre la productivité des services.
99. La Cour fait observer qu’en plus de la « lettre de licenciement », datée du
25 juin 1996 notifiant au Requérant sa « cessation de service » et les
33 Arrêt de la Cour d’appel du 27 mars 2006, pages 14, 15, 18.
procédures à suivre aux fins d’une « séparation » sans anicroche impliquant
notamment le versement de tous ces droits jusqu’au 30 juin 1996, le
Requérant a également perçu un « kifuta jasho », une somme équivalant à
quatre mois de salaire par année d’emploi jusqu’à dix ans de service.
100. La Cour relève qu'aucun élément dans le dossier ne laisse penser que le
licenciement du Requérant était illégal et n’a pas été effectué suivant les
procédures en la matière, celui-ci étant intervenu suite à la directive émise
par l’État défendeur qui esthabilité à mettre ses fonctionnaires au chômage
dans l'intérêt public. Au demeurant, le Requérant a reçu notification de son
licenciement ainsi que des motifs sous-tendant cette décision. Enfin, il a
perçu tous ses droits ainsi que des gratifications conformément « DOKEZO
SABILII ». La Cour fait en outre observer que la Haute Cour a examiné
l’ensemble des preuves produites devant elle et conclu que le licenciement
du Requérant était légal ; conclusion également confirmée par la Cour
101. La Cour conclut donc que l’État défendeur n’a pas violé le droit au travail du
Requérant tel que prescrit par l’article 15 de la Charte, s'agissant du
licenciement du Requérant.
ii. Manquement par la TRA de garantir le statut d’emploi du Requérant
102. Le Requérant soutient qu'au moment de sa « mise au chômage », il était
un employé de la TRA par mutation directe suite à la fusion des directions
en charge de la collecte des taxes en un seul organe public indépendant et
que, à ce titre, la TRA avait l'obligation de le protéger. |! affirme que, la Cour
d'appel a estimé que la mutation directe d’un employé, conformément à la
Circulaire du gouvernement relative à la compression des effectifs, n’a lieu
qu’après la fin de son détachement, comme le prévoit la clause 5 de la
Circulaire gouvernementale. Toutefois, poursuit-il, la Cour n’a pas tenu
compte de la clause 11.11 de ladite Circulaire qui implique qu’un employé
34 Page 3, paragraphe 14 de la Requête en date du 14 septembre 2016.
peut être directement réaffecté après avoir été mis en position de
détachement ou sans faire l’objet de détachement, ce qui était la procédure
applicable en ce qui le concerne.
103. Le Requérant fait en outre valoir que les décisions de la Haute Cour et de
la Cour d’appel sur le statut de la TRA en rapport avec son contrat de travail
portent atteinte à ses droits.
104. L'État défendeur conteste cette allégation et demande au Requérant d’en
apporter la preuve. Il déclare en outre que le Requérant n’a pas démontré
en quoi la TRA a omis de reconnaître le statut professionnel de son
employé. Par ailleurs, le Requérant n’a jamais soulevé ce grief auprès de
la TRA et ne peut donc à en faire état à ce stade, d’autant plus que les
Parties avaient déjà convenu dans le Mémoire des faits convenus avant la
procédure devant la Haute Cour que « Aucun des plaignants ne formule de
griefs à l'encontre de la TRA ».
105. L'État défendeur fait valoir que le Requérant n’a jamais été un employé de
la TRA, comme l’a établi la Cour d'appel dans son arrêt rendu dans l'appel
en matière civile n° 27/2010, et qu’il était plutôt un employé du ministère
des Finances. Il cite également la partie de l’arrêt de la Cour d’appel dont
la teneur est comme suit : « Les plaignants n’ont jamais été en détachement
auprès de la TRA etil n’y a aucun élément de preuve à cet effet ; ils ne sont
pas non plus restés des employés du ministère des Finances et pourtantils
effectuaient le travail qui a ultérieurement été repris par l'Office » (TRA).
L’État défendeur demande à la Cour de rejeter la Requête considérant
qu’elle est dénuée de fondement.
106. La Cour relève que la Haute Cour, dans sa décision en date du 27 février
2009, a, après examen, déterminé le statut des plaignants par rapport aux
obligations de la TRA envers ses employés. La Haute Cour a estimé que
« s’il est vrai que la TRA est devenue opérationnelle à partir de la date
d'entrée en vigueur de la loi qui l’a créé, cela n’a pas eu pour conséquence de faire automatiquement des plaignants des employés de la TRA en vertu
de la loi qui l’a créé ».°5 Elle a fait également observer qu’aucun élément de
preuve n’avait été produit indiquant que les employés avaient été détachés
à la TRA.
107. Pour sa part, la Cour d’appel, dans son arrêt du 30 décembre 2010,°6 a
estimé que «si l'on s’en tient aux termes de la note de service
(Ab XgX, en sa clause 11,77 elle n’est pas convaincue que
les appelants étaient, à l’époque des faits, des employés de la TRA ». En
outre, elle a relevé que la « note de service » établissait trois catégories
d'employés : ceux qui sont détachés, ceux qui sont mis à disposition ou
ceux qui sont directement réaffectés. La Cour d'appel a fait observer que le
Requérant, témoin à charge PWI ne disposait pas de lettre de nomination
du ministère des Finances ou de la TRA, ce qui en soi était une anomalie,
car cela signifiait que le ministère versait un salaire à une personne qui
n'était pas son employé. Elle a également relevé que, de l’aveu même de
l'appelant, ses anciens collègues et lui se sont plaints de leur licenciement
auprès du ministère des Finances et non de la TRA. La Cour d'appel a fait
observer que les éléments de preuve au dossier corroboraientla conclusion
de la Haute Cour, selon laquelle les appelants avaient été licenciés dans
l'intérêt public par le Président, par le biais de la note « DOKEZO SABILI ».
La Cour d’appel en a conclu « que les appelants étaient des employés du
ministère des Finances, au sens de l’article 2 de la loi régissant la fonction
publique et qu’ils pouvaient faire l’objet d’un licenciement dans l'intérêt
public en vertu de l’article 19(3) ».
108. De l'analyse qui précède, il ressort clairement du dossier que la Haute Cour
et la Cour d’appel sont parvenues à la même conclusion concemant le
statut du Requérant par rapport au statut professionnel qu’il prétend avoir
au sein de la TRA. De plus, le Requérant n'a fourni aucune preuve
démontrant qu’il était employé par la TRA. En outre, la Cour fait observer
35 Pages marquées 000536 et 0000535.
36 Pages 10 et 11.
37 La clause 11 est intitulée « Utaratibu wa uhamisho wa moja kwa moja ».
qu’en évaluant le statut du Requérant en relation avec la TRA, la Haute
Cour et la Cour d'appel ont examiné tous les éléments de preuves qui ont
été produites devant elles. La Cour relève en outre qu'aucun élément du
dossier n'indique que les juridictions internes se sont écartées des lois et
procédures en vigueur.
109. Compte tenu de ce qui précède, la C our estime que l’État défendeur n’a pas
violé le droit du Requérant au travail garanti par l’article 15 de la Charte en
ce qui concerne le fait qu’il n’ait pas pu conserver son statut professionnel
auprès de la TRA.
B. Allégation de violation du droit à un procès équitable
110. Le Requérant allègue que l'État défendeur a commis trois (3) actes qui ont
conduit à la violation de son droit à un procès équitable, à savoir : (i)
l’omission de le faire juger par une juridiction impartiale ; (ii) l’'omission de le
juger dans un délai raisonnable ; et (iii) l'omission de prendre en
considération les éléments de preuve qu’il a produites.
i. Allégation de violation du droit d’être jugé par une juridiction
impartiale
111. Le Requérant affirme que les décisions du Secrétaire principal du ministère
des Finances, de la Juge Bubeshi de la Haute Cour sur les exceptions
préliminaires soulevées dans l'affaire en matière civile n° 361/1999 et du
Juge MIHAYO de la Haute Cour sur le fond dans l’affaire matière civile n°
361/1999, ainsi que la décision de la Cour d'appel sur le fond dans l'appel
en matière civile n° 27/2010, n’ont pas respecté la loi. Il soutient également
que ces décisions n'ont pas tenu compte de ses droits fondamentaux etont
violé le principe de justice naturelle en concluant à la légalité de son
licenciement, ce qui lui a causé préjudice.
112. Le Requérant affirme également qu'il a contesté la décision de la Haute
Cour en formant un recours devant la Cour d’appel dans l'appel en matière civile n°17/2003, au motif que la Juge Bubeshi a commis une erreur en
estimant que la TRA est devenue opérationnelle le ''" juillet 1996 ; que la
TRA devrait être radiée de la plainte ; que les employés des anciennes
directions en charge de la collecte des taxes n’ont pas été absorbés par la
TRA, ceux-ci étant restés des fonctionnaires au ministère des Finances.
Après avoir, par la suite, entendu le recours formé contre la décision de la
Juge Bubeshi, la Cour d’appel a, dans son arrêt, déclaré que la TRA est
devenue opérationnelle le 7 août 1995 en vertu de la Communication du
gouvernement n° 419/1995 ; que les plaignants (appelants) étaient toujours
des employés des anciennes directions en charge des recettes et qu’ils
n'étaient pas des employés de la TRA en vertu de l’article 25(2) de la loi n°
11/1995 portant création de la TRA et que la TRA devait être considérée
dans l'affaire comme un tiers intimé.
113. Le Requérant soutient en outre qu’après avoir entendu l’affaire sur le fond,
lorsqu'elle a été renvoyée devant la Haute Cour, le J uge Mihayo a confirmé
la décision de la Juge Bubeshi, selon laquelle la TRA est devenue
opérationnelle le 1°" juillet 1996. Il fait valoir que cette décision contredisait
l'arrêt de la Cour d’appel selon laquelle les anciens employés de
l'administration fiscale étaient restés au ministère des Finances en tant que
fonctionnaires.
114. Le Requérant allègue également que le J uge Mihayo a conclu qu’en vertu
de l’article 25(2) de la loi n° 11/1995 portant création de la TRA, les
plaignants (appelants) étaient toujours « des employés du Gouvernement.
Ils n’ont jamais été employés par la TRA ». Il a également conclu que les
Requérants n'avaient pas le même statut que les Commissaires pour être
employés par la TRA ; qu’il était injuste de n'avoir pas autorisé un témoin
potentiel, M. Ae, à faire sa déposition afin de prouver ses allégations
et que les Requérants ont été mis au chômage dans l'intérêt public.
115. Le Requérantallègue enfin que la décision sur sa demande de révision était
injuste parce qu'aucune preuve n’indiquait que des noms avaient été joints
à la « DOKEZO SABILI » produite en justice par l’État défendeur.
116. L'État défendeur fait valoir que le Requérant n’a jamais soulevé cette
allégation devant les juridictions internes. Il soutient en outre que l'affaire
des Requérants devant la juridiction d'instance et devantla Cour d’appel ne
portait pas sur l’article 25 de la loi n° 11/1995 portant création de la TRA, ce
qui explique que lesdites juridictions n’ont pas été appelées à apprécier si
ledit article était en violation de ses droits étant donné qu’il ne comporte
aucune disposition sur les contrats d'engagement. |! soutient, en outre, que
le Requérant avait l’occasion de soulever cette allégation dans le cadre de
la procédure de recours qu’il a engagée devant la Cour d'appel. Parailleurs,
il aurait pu introduire un recours en inconstitutionnalité en vertu de la loi sur
les droits et devoirs fondamentaux (Chapitre 3), pour faire reconnaître les
droits dont il allègue la violation.
117. L'article 7(1)(d) de la Charte dispose que « [tJoute personne a le droit d’être
jugée … par une juridiction impartiale ».
118. La Cour relève que le grief soulevé par le Requérant tient du fait que les
juridictions internes n’ont pas respecté ses droits fondamentaux ; et ont
violé le principe de justice naturelle, lui causant préjudice du fait de son
« licenciement». Plus précisément, les instances concernées de la
hiérarchie judiciaire et le Secrétaire principal du ministère des Finances
n'ont pas suivi les procédures et le droit établis lorsqu'ils examinaient la
question de savoir s’il était ou non un employé de la TRA et lorsqu’ils l’ont
licencié.
119. La Cour fait, en outre, observer que la réduction des effectifs a été
communiquée au Requérant selon les procédures établies par la loi et qu’il
a reçu un paiement de quatre (4) mois pour chaque période de dix (10) ans
de service. Le Requérant, se sentant lésé par la décision de licenciement,
a intenté une action en justice devant les juridictions internes et exercé tous
les recours judiciaires disponibles, allant jusque devant la Cour d’appel.
120. La Cour relève que les juridictions internes ont suivi les procédures prévues
par la loi. Par ailleurs, conformément à la décision de la Cour d'appel sur
les exceptions préliminaires dans l’appel en matière civile n° 17 de 2003,
lorsque l'affaire a été renvoyée devant la Haute Cour aux fins d'examen au
fond, elle a été examinée par un autre juge.
121. La Cour fait également observer qu'’il ressort des décisions des juridictions
internes et du dossier devant elle que les juridictions internes ont examiné
les éléments de preuve produits, recueilli les dépositions des parties et des
témoins et se sont appuyées sur les lois pertinentes pour fonder leurs
décisions. De même, le licenciement du Requérant a été effectué
conformément aux dispositions de la loi régissant la fonction publique
puisque le Requérant était considéré comme un fonctionnaire en service au ministère des Finances.
122. La Cour estime donc qu’aucun élément ne permet de conclure que les
décisions des juridictions internes ou du Secrétaire principal du ministère
des Finances n’ont pas été prises en conformité avec les lois et procédures
prescrites. L’on ne saurait, dans ces circonstances, établir que le droit du
Requérant d’être jugé par une juridiction impartiale a été violé.
123. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas violé
le droit du Requérant d’être jugé par une juridiction impartiale tel que prévu
par l’article 7(1)(d) de la Charte.
ii. Allégation de violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
124. Le Requérant allègue que la Cour d’appel a mis trop de temps pour statuer
sur son affaire. Il affirme qu’il a présenté sa cause devant la Haute Cour en
1999 et qu’une décision finale n’a été rendue que quatorze (14) ans plus
tard. Durant la procédure, l'affaire a été ajournée à plusieurs reprises sans
justification aucune, et ce, plus de deux mois après qu’elle a été inscrite au
rôle. Il s’est à un certain moment plaint auprès du juge de la Haute Cour de
ce que l'affaire prenait trop de temps. Le Requérant soutient que la « dernière décision a été rendue le 19/11/2008, alors que le juge de la Haute
Cour a enregistré la date du prononcé du jugement comme étant le
20/12/2008 ». En outre, le juge de première instance a enregistré la date du
27/02/2009 au lieu de la date correcte du 15/09/2009. Il affime qu’une
période de presque dix (10) mois, soit du « 19/11/2008 au 15/09/2009 »,
s'est écoulée sans que la cour ne rende de décision.
125. Le Requérant fait valoir qu’il a saisi la Haute Cour le 1° octobre 1999 dans
l’affaire en matière civile n° 361/1999. Il affirme également que la Cour
d'appel a examiné son recours en révision et l’a rejeté pour défaut de
fondement le 15 février 2013 dans l'affaire en matière civile n° 13/2011.
126. L'État défendeur soutient que le retard dans le règlement définitif de l’affaire
du Requérant sur le fond devant le tribunal de première instance résulte du
fait que le Requérant avait interjeté appel de la décision de la Haute Cour
sur les exceptions préliminaires soulevées par l’État défendeur. L’État
défendeur ajoute que les deux parties ont exercé leurs droits fondamentaux
à un procès équitable dans l’administration de la justice.
127. L'article 7(1)(d), dispose que « [tloute personne a le droit d’être jugée dans
un délai raisonnable … ».
128. La Cour rappelle sa décision dans Af Cp et 9 autres c. Tanzanie,
dans laquelle elle a estimé qu'« il n’existe pas de délai considéré comme
‘raisonnable’ qui serve de norme dans l'examen d’une affaire. Pour
déterminer si le délai est raisonnable ou non, chaque affaire doit être traitée
selon ses propres circonstances ».8 En outre, elle rappelle sa
jurisprudence antérieure, dans laquelle elle a indiqué que divers facteurs
sont pris en considération pour déterminer si l’affaire a été réglée ou non
dans un délai raisonnable au sens de l’article 7(1)(d) de la Charte. Ces
38 Af Cp Al et 9 autres c. Tanzanie (fond), & 135.
facteurs comprennent la complexité de l'affaire, le comportement des
parties et celui des autorités judiciaires qui ont un devoir de diligence
raisonnable dans des circonstances où une peine sévère est encourue.°
129. La Cour relève que l'argument du Requérant concernantson jugement dans
un délai raisonnable se rapporte au temps qu’il a fallu aux juridictions
internes pour vider son affaire. Par conséquent, le délai à prendre en
considération est celui qui s’est écoulé entre le moment où le Requérant a
saisi la Haute Cour le 1° octobre 1999 et celui où la Cour d'appel a statué
sur son affaire le 15 février 2013, à la suite de son recours en révision du
jugement, soit treize (13) ans, quatre (4) mois et quatorze (14) jours.
130. En l’espèce, la Cour fait observer qu'après que le Requéranta saisi la Haute
Cour dans l’affaire en matière civile n°361/1999 le 1° octobre 1999, l’État
défendeur a soulevé des exceptions. La Haute Cour a rendu son jugement
sur les exceptions préliminaires le 28 septembre 2001. La Cour relève que
la Haute Cour a mis un (1) an, onze (11) mois et vingt-sept (27) jours pour
rendre sa décision sur les exceptions préliminaires.
131. Le Requérant a donc fait appel de la décision de la Haute Cour devant la
Cour d’appel qui, le 27 mars 2006, a rendu son arrêt dans l’appel en
matière civile n°17/2003, ordonnant que l'affaire soit renvoyée devant la
Haute Cour pour reprendre la procédure sur le fond de l'affaire. La Cour fait
remarquer que ledit arrêt et les autres éléments du dossier n’indiquent pas
à quel moment le Requérant a effectivement fait appel de la décision de la
Haute Cour. Par conséquent, les dates sur la base desquelles la Cour
décomptera le temps écoulé entre les deux procédures sont celle à laquelle
la Haute Cour a rendu sa décision le 28 septembre 2001 et celle du
prononcé de l'arrêt de la Cour d’appel sur le recours contre les exceptions
39 Voir Ca Ai c. Tanzanie (fond et réparations), $$ 122 à 124. Voir également Cw Aj c. Tanzanie (fond), 5 104 ; Af Cp Al et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2016), 1 RJ CA 526, $ 155 ; et An Xc et autres c. Am Cm (fond) (2014), 1 RJ CA 226, 85 92 à 97, 152 ; GozbertHenerico c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), $ 82.
40 L'audience dans ce procès s'est achevée le 20/2/2006 ; L'arrêt est daté du 27/3/2006 mais a été prononcé le 31/3/2006.
préliminaires le 27 mars 2006, soit quatre (4) ans, cinq (5) mois et vingt-
sept (27) jours.
132. Conformément à l’arrêt de la Cour d'appel, l'affaire a été renvoyée devant
la Haute Cour le 19 septembre 2006 pour être tranchée au fond. La Haute
Cour a rendu sa décision sur le fond dans l'affaire en matière civile
n° 361/1999 le 15 septembre 2009. La Haute Cour a mis deux (2) ans, onze
(11) mois et vingt-sept (27) jours pour rendre son arrêt sur le fond de
l’affaire.
133. N’étant toujours pas satisfait de la décision de la Haute Cour sur le fond, le
Requéranta saisi la Cour d’appel d’un recours dans l’appel en matière civile
n° 27/2010. La Cour d'appel a rendu son arrêt le 15 décembre 2010 et a
confirmé la décision de la Haute Cour. La Cour relève que le délai qui s’est
écoulé entre le moment où la Haute Cour a examiné l'affaire au fond et celui
où la Cour d’appel a rendu sa décision sur le recours formé parle Requérant
contre sa propre décision est de sept (7) mois et dix-neuf (19) jours.
134. Le Requérant, se sentant toujours lésé par la position de la Cour d’appel, a
introduit un recours en révision de la décision de la Cour d’appel dans la
« Requête en matière civile n° 13/2011 ». La Cour d’appel a, le 15 février
2013, rejeté le recours en révision, le jugeant non fondé. La Cour fait
remarquer que l’arrêt de la Cour d’appel, page 2, indique que l'audience du
recours en révision s’est tenue le « 11/04/2013 », ce qui est une date
enregistrée par erreur, celle-ci étant postérieure à la décision de la Cour
relative au recours en révision de son arrêt, rendue le 15 février 2013. Par
conséquent, la date que la Cour de céans retiendra pour le calcul du temps
écoulé est celle à laquelle la Cour d’appel a rendu son arrêt sur le recours
sur le fond de l'affaire, à savoir le 15 décembre 2010, jusqu’au moment où
la Cour d’appel s’est prononcée sur le recours en révision, en l'occurrence
le 15 février 2013, soit deux (2) ans, un (1) mois et seize (16) jours.
135. La Cour relève qu’en moyenne, le délai qu'il a fallu aux juridictions internes
pour vider les différents stades de la procédure devant chacune d'elle est inférieur à 3 ans. La Cour fait également observer qu'entre le moment où le
Requérant a saisi la Haute Cour de son affaire, le 1°" octobre 1999, et le
moment où la Cour d’appel a définitivement statué sur son affaire à la suite
du recours en révision du 15 février 2013, une période de treize (13) ans,
quatre (4) mois et quatorze (14) jours s’est écoulée. La Cour note que, bien
que ce délai soit assez long, il doit être replacé dans son contexte, le
Requérant et l’État défendeur ayant tous exercé les recours internes
disponibles pour régler cette affaire. La Cour fait observer qu'aucun élément
du dossier n’indique que le Requérant ou l’État défendeur a délibérément
entravé la procédure.
136. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas
violé le droit du Requérantà un procès équitable tel que prescrit par l’article
7(1)(d) en ne réglant pas l'affaire du Requérant dans un délai raisonnable.
iii. Allégation de violation découlant de la non-prise en compte des
éléments de preuve produits
137. Le Requérant affirme que la Haute Cour et la Cour d’appel n’ont pas, dans
l'appel en matière civile n° 27/2010, pris en compte des éléments de preuve
produits devant elles, en violation de l’article 64(1) de la loi sur la preuve
(Evidence Act). Il affirme également que lesdites juridictions n’ont pas pris
en considération la loi n° 11/1995 portant création de la TRA et d’autres lois,
ce qui a conduit à la violation de ses droits.
138. Citantles décisions de la Haute Cour et de la Cour d’appel, l’État défendeur
soutient que ces deux juridictions ont examiné et se sont prononcées sur
tous les éléments de preuve pertinents produits devant elles. Par ailleurs,
cette allégation soulevée à ce stade appelle la Cour à siéger en tant que
juridiction de première instance et en tant que juridiction d’appel.
139. L'article … 7(1) de la Charte dispose que « [tjoute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ».
140. La Cour a conclu dans sa jurisprudence antérieure que :
les juridictions nationales jouissent d’une large marge d’appréciation
pour évaluer la valeur probante des éléments de preuve, et qu’en tant que
juridiction internationale des droits de l’homme, la Cour ne peut pas se
substituer aux juridictions nationales pour examiner les détails et les
particularités des preuves présentées dans les procédures internes.*!
141. Nonobstant ce qui précède, la Cour peut, en évaluant la manière dont la
procédure interne a été menée, intervenir pour déterminer si la procédure
interne, y compris l'appréciation des éléments de preuve, a été faite en
conformité avec les normes internationales en matière de droits de
142. À l'examen de la Requête dontelle a été saisie, la Cour fait observer que le
Requérant n'a pas indiqué les éléments de preuve spécifiques présentés
devant les juridictions internes et qui n’ont pas été pris en considération.
Indépendamment de cela, elle note que la Haute Cour a considéré la
Communication du gouvernement n° 419/1995 et la lettre de licenciement
du Requérant comme faisant partie des éléments de preuve. La Cour
d'appel a également fait référence aux éléments de preuve produits devant
la Haute Cour, ainsi qu’aux « lettres de licenciement » et à la circulaire n°
7/95.
143. En conséquence, la Cour estime que le Requérant n’a pas démontré en
quoi les juridictions internes n’ont pas pris en compte les éléments de
preuve qu’il a présentés, omission qui aurait conduit à la violation de son
droit à ce que sa cause soit entendue, inscrit à l’article 7(1) de la Charte.
144. La Cour rejette donc l'allégation du Requérant relative à la violation de
l’article 7(1) de la Charte.
C. Allégation de violation du droit à l’égalité devant la loi et à l’égale
protection de la loi
145. La Cour relève que le Requérant allègue la violation de son droit à l’égalité
devant la loi et à l'égale protection de la loi sous deux chefs, à savoir : la
décision des juridictions internes selon laquelle il n’était pas un employé de
la TRA etle fait pour la Haute Cour de ne pas avoir entendu son témoin. La
Cour va examiner lesdites allégations dans cet ordre.
i. Décisions de la Haute Cour et de la Cour d’appel selon lesquelles il
n’était pas un employé de la TRA
146. Le Requérant allègue que son droit à l'égalité n’a pas été respecté devant
la Haute Cour et la Cour d'appel, lorsque les deux juridictions ont déclaré
qu’il n’était pas un employé de la TRA, du seul fait qu’il ne disposait pas de
lettre de nomination du ministère des Finances ou de la TRA. Il affirme en
outre que l’article 64(1) de la loi sur la preuve (Evidence Act) dispose
que les documents doiventêtre étayés par des éléments de preuve primaire
et définit les éléments de preuve primaires comme les documents produits
aux fins d’examen par la Cour. || affirme avoir produit la loi n° 11/1995
portant création de la TRA etd’autres lois comme éléments de preuve, mais
que toutes ces pièces n’ont pas été prises en compte par les deux
juridictions, si ce n’est lors de l'examen de l'appel en matière civile
n° 17/2003, pour trancher la question de la résiliation de son contrat de
travail.
147. L'État défendeur affirme que le Requérant n’a jamais été un employé de la
TRA comme l’a établi la Cour d’appel, mais plutôt un employé du ministère
des Finances, comme indiqué dans l'arrêt de la Cour d’appel dans l'appel
en matière civile n° 27/2010. La Cour d’appel a confirmé la décision de la
Haute Cour eta relevé que « les plaignants n’ont jamais été détachés à la TRA, qu’il n’y a aucun élément de preuve à cet effet, et qu’ils ne sont pas
restés employés du ministère des Finances et pourtant ils effectuaient le
travail qui a ultérieurement attribué à l'Office » (TRA). Par ailleurs, l’État
défendeur fait observer que le Requérant n’a jamais soulevé cette question
148. La Cour fait observer que l’article 3(1) et (2) de la Charte est libellé comme
suit:
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
149. La Cour relève que la Haute Cour, tout comme la Cour d’appel, se sont
prononcées sur le statut du Requérant par rapport à la TRA dans l’appel en
matière civile n° 27/2010. Les deux juridictions ont également conclu que le
Requérant était un employé du ministère des Finances et non de la TRA,
au regard des dispositions de la loi portant organisation de la TRA.
150. La Cour fait observer que le rejet par le Requérant des décisions des
juridictions internes selon lesquelles il n’était pas un employé de la TRA ne
signifie pas pour autant que son droit inscrit à l’article 3 de la Charte a été
violé en ce qui concerne son statut professionnel.
151. Compte tenu de ce qui précède, la Cour de céans estime que l’État
défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à une égale protection de la
loi tel que garanti par l’article 3(1) et (2) de la Charte.
ii. Omission par la Haute Cour d’entendre un témoin
152. Le Requérant fait valoir qu’il n’a pas bénéficié d’un traitement égal devant
la loi puisque le témoin qu’il a cité n’a pas eu la possibilité de déposer devant
le tribunal de première instance, du seul fait de sa présence au tribunal tout
au long du procès. Il affirme que la décision du tribunal de première instance de ne pas autoriser ce témoin à déposer était contraire à la décision de la
Cour d'appel dans l'appel en matière civile n° 27/2010, où elle a jugé que
« C’est un principe élémentaire de droit que la présence d’un témoin
potentiel au tribunal avant la réception ultérieure de son témoignage ne fait
pas, de ce seul fait, de lui un témoin incompétentau sens de l’article 127(1)
de la loi sur la preuve (Evidence Act) Chapitre 6 R.E 2002 » ; à cet égard,
la Haute Cour a commis une erreur.
153. En réponse, l'État défendeur fait valoir que cette question a été traitée par
la « Cour d'appel dans l’Appel en matière pénale n° 27/2010 », à la page
22 de son arrêt en date du 30 décembre 2010. Il soutient que la Cour
d'appel a examiné ce septième moyen d'appel relatif au juge qui a refusé
d'autoriser un certain J uvenal Nyambele à témoigner au motif que sa
déposition ne se serait pas faite en toute indépendance et n'aurait rien
changé étant donné qu’il était présent à l'audience. La Cour d’appel a
conclu que les appelants étaient tenus de s'assurer que le témoin n’assiste
pas à l'audience s’ils tenaient à ce qu’il témoigne. Sa présence à l’audience
a mis à mal sa crédibilité, par conséquent le tribunal de première instance
n'avait d’autre choix que de le récuser, d’autant plus qu'il n’était pas partie
à l’affaire. Par ailleurs, les appelants avaient la possibilité de citer le
Commissaire de district à comparaitre, ce qu’ils n'ont pas fait. Dès lors que
les appelants ont renoncé à la possibilité qu’ils avaient de faire comparaître
et d’interroger le Commissaire de district, l’auteur des «lettres de
licenciement », ils n’avaient plus de raison valable de se plaindre.
154. L'État défendeur affirme, en outre, que le Requérant n’a jamais soulevé
cette allégation devant les juridictions internes, qui offrent des voies de
recours en vertu de l’article 30(3) de la Constitution de la R épublique-Unie
de Tanzanie etde l’article 4 de la loi sur les droits et devoirs fondamentaux.
155. La Cour rappelle que l’article 7(1) dispose que « [t]oute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue ».
156. La Cour relève que l'allégation selon laquelle la Haute Cour n’a pas entendu
le sieur J uvenal Nyambele, témoin du Requérant, a été soulevée comme
moyen dans l'appel pénal n° 27/2010 relatif à l’arrêt de la Cour d’appel
rendu le 30 décembre 2010. La Cour d’appel a examiné ce moyen d’appel
et conclu « qu’il est un principe élémentaire en droit selon lequel un témoin
potentiel présentau tribunal avant la réception ultérieure de son témoignage
ne peut, de ce seul fait, être qualifié de témoin incompétent au sens de
l’article 127(1) de la loi sur la preuve (Evidence Act), car cela peut affecter
le poids à accorder à son témoignage en termes de crédibilité ». La Cour
d’appel a donc conclu qu’en ce qui concerne cette question, la Haute Cour
avait commis une erreur. La Cour d'appel a également relevé que, dès lors
que les appelants avaient renoncé à la possibilité de citer et d'interroger le
Commissaire de district, les appelants ne pouvaient plus être valablement
entendus pour se plaindre. Enfin, elle a relevé qu’en ce qui concerne les
lettres de licenciement attaquées (Pièce 2), il n’y avait aucun lien apparent
entre J uvenal Nyambele et les appelants puisque celui-ci n’était pas partie
au procès. Elle a donc estimé que ce moyen d'appel était partiellement
établi mais a, dans son analyse finale, rejeté l’appel avec dépens, le jugeant
non fondé.
157. La Cour fait observer que la Haute Cour a suivi les procédures prévues par
la loi en récusant le témoin cité par le Requérant, mais que la Cour d’appel,
tout en estimant que le moyen invoqué était en partie fondé, a en fin de
compte, rejeté le recours du Requérant.
158. La Cour estime donc que le Requérant n’a pas démontré en quoi la
récusation du témoin s’est faite au mépris des procédures applicables en
vertu des lois nationales et en quoi cela a porté atteinte à son droit de
bénéficier d'un traitement égal devant la loi.
159. En conséquence, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit
du Requérant à l’égalité devant la loi ou à une égale protection de la loi, tel
que prescrit par l’article 3(1)(2) de la Charte.
D. Allégation de violation du droit à la non-discrimination
160. Le Requérant allègue que la Cour d’appel dans l’appel en matière civile
n° 27/2010 a jugé que les commissaires du ministère des Finances étaient
considérés comme des employés de la TRA en vertu de l’article 16(2) de la
loi portant création de la TRA, alors que le Requérant restait un employé du
gouvernement, ce qui était discriminatoire. Il affirme que cette disposition
particulière est en violation de la Constitution de l’État défendeur et de la
Charte. En outre, il était également un employé de la même direction que
les commissaires et aurait donc dû être traité de la même manière. Le
Requérant soutient en outre que le principe selon lequel toutes les
personnes sont égales devant la loi doit être appliqué conformément aux
lois existantes et de la même manière aux personnes qui y sont soumis. Il
soutient en conséquence qu'il étaitsoumis autantque les commissaires aux
mêmes dispositions prévues par la loi portant création de la TRA.
161. Le Requérant affirme que le Secrétaire principal du ministère des Finances
a émis la note « DOKEZO SABILI » , qui était adressée spécifiquement aux
employés de la TRA et prévoyait le licenciement de deux catégories
d'employés : ceux dontles rendements étaient jugés insuffisants en matière
de recouvrement des recettes et dont l'intégrité était mise en doute, et ceux
qui avaient un âge avancé, souffraient d’une longue maladie ou avaient un
faible niveau d’instruction, et qui avaient été mis au chômage dans l'intérêt
public. Le Requérant affirme que ce licenciement était discriminatoire en ce
sens qu'il ne relevait d'aucune de ces catégories. Nonobstant ce fait, ils ont
mis fin à son emploi.
162. L'État défendeur soutient que l’article 20(3) de la loi portant création de la
TRA estune disposition qui a intégré tous les commissaires, y compris les
commissaires aux recettes du ministère des Finances, à la TRA en tant que
Commissaires. L'article 20(3) de la loi portantcréation de la TRA stipule que
« [tout commissaire aux recettes ou tout autre commissaire nommé en
vertu de la loi sur les recettes avant l’entrée en vigueur de la présente loi,
nonobstant toute disposition de la présente loi, est réputé avoir été nommé
en vertu de la présente loi jusqu’à ce qu’une autre nomination soit faite pour
pourvoir le poste de ce commissaire aux recettes ou de tout autre
commissaire ».
163. L'État défendeur soutient que la Cour d'appel a abordé cette question dans
l'appel n° 27/2010 à la page 13 de son arrêt, lorsqu'elle a tenté d’établir la
différence entre le statut professionnel des commissaires et celui des
employés comme le Requérant qui n’a jamais été intégré dans le personnel
de la TRA par la loi ou par lettre de nomination. L'État défendeur affirme en
outre que le Requérant soulève cette question pour la première fois devant
la Cour de céans.
164. Aux termes de l’article 2 de la Charte, « [toute personne a droit à la
jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente
Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur,
de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion,
d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation ».
165. La Cour fait observer que les juridictions internes ont suivi les procédures
prévues par la loi, en examinant les preuves produites devant elles pour
interpréter les dispositions de la loi régissant la TRA etde la note de service
« DOKEZO SABILI » pour mettre un terme au contrat du Requérant. Les
juridictions internes ont estimé que la loi sur la TRA prévoyait l'absorption
directe des commissaires par la TRA et non tous les employés du ministère
des Finances. En tant qu’employé du gouvernement, il n’avait pas droit aux
mêmes privilèges que les commissaires.
166. La Cour conclut donc que l’État défendeur n’a pas violé le droit du
Requérant à la non-discrimination, inscrit à l'article 3(1)(2) de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
167. La Cour relève que l’article 27(1) du Protocole stipule que « [[Jorsqu’elle
estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, la Cour
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une
réparation ».
168. Le Requérant fait valoir qu’il est, à l'instar de son épouse et de ses cinq (5)
enfants, une victime directe des violations alléguées. Il cite la jurisprudence
de la Cour dans l'affaire Zongo* et Mtikila et demande des réparations sous
forme de compensation et de restitution pour les préjudices matériel et
moral causés par les agents de l’État défendeur.
169. Il fait valoir qu’il a subi une perte effective de revenus d'emploi escomptés
du fait de la perte de ses salaires depuis la date à laquelle il a été
illégalement licencié. En outre, il a subi une détresse émotionnelle, ainsi
que des désagréments et des difficultés économiques y liés. Il soutient qu’il
existe un lien de causalité et une corrélation entre les violations causées
par l’État défendeur et le préjudice qu’il a subi du fait des violations de la
Charte par l’État défendeur.
170. En l’espèce, la Cour a établi que l'État défendeur n’a violé aucun des droits
171. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette les demandes de réparation
formulées par le Requérant.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
172. Aux termes de la règle 32(2) du Règlement, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
173. Le Requérant fait valoir qu’il a encouru des frais de justice tant au niveau
national que devant la Cour de céans, lesquels comprennent les frais de
voyage, de comparution, d'hébergement et de séjour à Cx ainsi que les
frais de repas et d’effets personnels.
174. L'État défendeur demande, pour sa part, que les frais de procédure soient
à la charge du Requérant.
175. La Cour réitère sa jurisprudence constante selon laquelle les réparations
peuvent inclure les frais de justice et autres frais encourus dans le cadre de
procédures internationales. En outre, il appartientau Requérant de justifier
ses prétentions.
176. La Cour considère que les frais de transport engagés pour les
déplacements en Tanzanie relèvent des « catégories de dépenses qui
seront prises en charge par le Programme d’assistance judiciaire de la
Cour ».% La Cour ayant accordé une assistance judiciaire au Requérant à
titre gracieux, les sommes réclamées sont injustifiées et donc rejetées.
177. En conséquence, la Cour ordonne que chaque Partie supporte ses frais de
procédure.
X. DISPOSITIF
178. Par ces motifs :
43 Article 3(a) de la Politique d’assistance judiciaire (2016).
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
ii. Ditqu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
ii. — Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit au travail du
Requérant, garanti par l’article 15 de la Charte.
vi Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable garanti par l’article 7(1) et 7(1)(d) de la Charte.
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à
l'égalité devant la loi ou à une égale protection de la loi, garanti par
l’article 3(1) et (2) de la Charte.
vi. Ditque l'État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à la non-
discrimination, garanti par l’article 2 de la Charte.
Sur les réparations
ix. Rejette la demande de réparation formulée par le Requérant.
Sur les frais de procédure
x. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
Aq Bu AN, J uge Lys Xa lan
Ck AH, J uge GE
Stella |. ANUKAM, Juge Éuk am
Av Br AJ, J uge Jp Æ a.
Ag Ad AK El, Juge ;
Fait à Cx, ce vingt-deuxième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt- deux, en français et en anglais, le texte anglais faisant foi.