AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
IGOLA IGUNA
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 020/2017
ARRÊT
1° DÉCEMBRE 2022 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS .…
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
VII. SUR LE FOND
A Allégation relative à la condamnation sur la base de preuves douteuses
B Allégation relative à l’appréciation discriminatoire des preuves
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 11
11
13
14
15 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA ; Vice-président, Ben KIOKO, Ci Bf
Y, Bx AI, Ca Cm AG, Ak AJ, Stella
|. ANUKAM, An Cj A, Bl AK et Bw Bv C El —J uges ; et
Conformément à l'article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
Dr Ar As, Bs Ck, Bureau du Solicitor General ;
Mme Av Af Cp, Bg Bs Ck, Bureau du Solicitor
General ;
M. Br M. ClALa, Directeur adjoint, Droits de l'homme et Contentieux électoral ;
Bureau du Solicitor General ;
Mme Ae Bb, Aw Aq, Bureau du Solicitor General ;
M. Ax Bt, Aw Aq, Bureau du Solicitor General.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
L LES PARTIES
1. Le sieur Bp Bi AHci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la présente Requête,
était incarcéré à la prison d’Uyui dans la région de Be après avoir été
condamné à mort pour meurtre. Il conteste la procédure devant les
juridictions nationales qui a conduit à la déclaration de culpabilité et à la
peine prononcées à son encontre.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21
octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. L'État défendeur a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée « la Déclaration »), par laquelle elle
accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant
d'individus et d’organisations non gouvernementales. Le 21 novembre
2019, l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de
l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a
décidé que le retrait de la Déclaration n'avait aucun effet, ni sur les affaires
pendantes, ni sur de nouvelles affaires introduites devantelle avant sa prise
d’effet un an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre
2020.!
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que, le 22 avril 1993, le Requérant et une autre
personne ne comparaissant pas devant la Cour de céans se sont introduits
! Ag Bu Cc c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 88 37 à 39.
par effraction au domicile de dame Ad Ah et l’ont agressée en lui
infligeant des blessures à l’aide d’une machette. Le fils de cette dame, qui
a été réveillé par les cris de sa mère, est venu rapidement lui porter
secours. Il a également essuyé des blessures au cours de l'agression,
après quoi le Requérant a pris la fuite. Madame Ah a ensuite été
évacuée à l’hôpital où elle a succombé à ses blessures.
4, Le Requérant et son complice ont été arrêtés quatre (4) mois après
l’agression de madame Ah, puis mis en accusation pour meurtre. Le 27
mars 2001, la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Be les a reconnus
coupables et condamnés à mort par pendaison. Le Requérant a interjeté
appel de la décision de la Haute Cour devant la Cour d'appel qui a rejeté
son recours le 28 juin 2003.
B. Violations alléguées
5, Le Requérantallègue la violation des droits ci-après :
a) Le droit à la non-discrimination, inscrit à l’article 2 de la Charte, du
fait de la décision la Cour d'appel ;
b) Le droit à un procès équitable, inscrit à l’article 7(1) de la Charte, du
fait de l'appréciation des éléments de preuve par la Cour d’appel.
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. LaRequête a été reçue au Greffe le 13 juin 2017. Le 16 juin 2017, le Greffe
a demandé au Requérant de fournir une copie de l’arrêt de la Cour d’appel,
lequel a été transmis le 8 mai 2018.
7. La Requête a été notifiée à l’État défendeur le 2 octobre 2018.
8. L'État défendeur n’a pas soumis de réponse sur le fond bien qu’ayant reçu
de la Cour, plusieurs courriers de rappel à cet égard.
9. Le Requéranta soumis ses observations sur les réparations le 13 mai 2019
et celles-ci ont été notifiées le 14 mai 2019 à l’État défendeur qui y a
répondu le 18 mars 2021.
10. Les débats ont été clos le 8 novembre 2022 et les Parties en ont été
notifiées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
11. Le Requérant demande à la Cour de :
a. annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son
encontre ;
b. ordonner à l’État défendeur de le remettre en liberté ;
c. lui accorder des réparations à hauteur de cinquante-neuf millions
cent-trente-six mille (59 136 000) shillings tanzaniens, en application
des dispositions de l’article 27(1) du Protocole ;
d. lui accorder toute autre réparation que la Cour jugera nécessaire au
regard des circonstances de l'espèce.
12. L'État défendeur demande quant à lui à la Cour de :
a. rejeter les demandes de réparations formulées par le Requérant dans leur
intégralité ;
b. dire que l’État défendeur n’a pas violé les dispositions de la Charte et que
le Requérant a été traité en toute équité par l’État défendeur.
c. ordonner toute autre mesure qu’elle estime juste et équitable dans les
circonstances de l’espèce.
V. SUR LA COMPÉTENCE
13. La Cour relève que l’article 3 du Protocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États
concernés.
la Cour décide.
14. Auxtermes de La Cour de la règle 49(1) du Règlement, « [IJa Cour procède
à un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte,
au Protocole et au […] Règlement ».
15. La Cour précise que même si aucun élément du dossier n’indique qu’elle
n’est pas compétente, elle est tenue de s'assurer que tous les aspects de
sa compétence sont remplis. S'agissant de sa compétence personnelle, la
Cour relève que, comme indiqué précédemment dans le présent Arrêt,
l'État défendeur est partie au Protocole et que, le 29 mars 2010, il a déposé
la Déclaration auprès de la Commission de l’Union africaine. I! a par la suite
déposé, le 21 novembre 2019, un instrument de retrait de sa Déclaration.
16. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la Déclaration
n’a point d’effet rétroactif et ne prend effet qu’un (1) an après le dépôt de
l’avis dudit retrait, en l’occurrence le 22 novembre 2020. Au regard de ce
qui précède, la Cour conclut qu’elle a la compétence personnelle.
17. S'agissant de sa compétence matérielle, la Cour note que le Requérant
allègue la violation des articles 2 et 7(1) de la Charte à laquelle l’État
défendeur est partie et qu’en conséquence, sa compétence matérielle est
établie.
18.En ce qui concerne sa compétence temporelle, la Cour tient à souligner,
conformément au principe de non-rétroactivité, qu’elle ne peut examiner
2 Ag Bu Cc c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), 858 37 à 39.
des allégations de violations des droits de l'homme survenues avant l’entrée
en vigueur à l’égard de l’État défendeur de ses obligations découlant des
instruments qu’il a ratifiés, à moins que lesdites violations ne revêtent un
caractère continu.
19. La Cour note que les violations alléguées en l’espèce se fondent sur le déni
allégué du droit à un procès équitable devant les juridictions nationales,
lequel se serait produit entre 1993 et 2003. Les violations alléguées se
seraient donc produites après la ratification de la Charte par l’État
défendeur, mais avant la ratification du Protocole et le dépôt de la
Déclaration le 29 mars 2010. Toutefois, les violations alléguées se sont
poursuivies au-delà de cette date dans la mesure où le Requérant est dans
le couloir de la mort en raison de la peine prononcée par les juridictions
internes à l’issue des procédures qu’il considère comme étant
inéquitables.’ La Cour en conclut qu’elle a la compétence temporelle en
l’espèce.
20. La Cour note également qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure
où les faits de la cause se sont produits sur le territoire de l’État défendeur.
21. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente en
l’espèce.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
22. L'article 6(2) du Protocole est libellé comme suit : « La Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
3] ebra Cb c. République-Unie de Tanzanie, Requête N° 018/2018, Arrêt du 15 juillet 2020 (fond et réparations), $ 24 ; Aa Ac c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RJCA 728, $ 28(ii) ; Ap Bq et autres c. Ao Az (exceptions préliminaires) (25 juin 2013), 1 RJ CA 204, 88 71 à 77.
23. En vertu de la règle 50(1) du Règlement, « [Ia Cour procède à un examen
de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux
articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au [...] Règlement. »
24. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est ainsi libellée :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
25. La Cour relève que les conditions de recevabilité énoncées à la règle 50(2)
du Règlement ne sont pas en litige entre les Parties. Toutefois,
conformément à la règle 50(1) du Règlement, elle doit s'assurer que la
Requête remplit toutes les conditions de recevabilité.
26. Il ressort du dossier que le Requérant a été identifié par son nom,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
27. La Cour relève que les griefs formulés par le Requérant visent à protéger
ses droits garantis par la Charte. Elle note également que l’un des objectifs
de l’Union africaine, tel qu’énoncé à l’article 3(h) de son Acte constitutif, est
la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples. La Cour
en conclut que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l'Union
africaine et la Charte et estime qu’elle satisfait à l'exigence de l’article
50(2)(b) du Règlement.
28. La Cour relève que la Requête ne contient aucun terme outrageant ou
insultant à l’égard de l’État défendeur, la rendant ainsi conforme à
l’exigence de la règle 50(2)(c) du Règlement.
29. La Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais sur des documents
judiciaires émanant des juridictions nationales de l’État défendeur,
conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.
30. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte et de la règle
50(2)(e) du Règlement, et conformément à sa jurisprudence constante,
« les recours internes que les requérants sont tenus d’épuiser doivent être
des recours judiciaires ordinaires »,* à moins que ces recours ne soient
indisponibles, inefficaces, insuffisants ou que la procédure pour les exercer
soit prolongée de façon anormale.°
31. La Cour relève, en l'espèce, que le Requérant a été reconnu coupable et
condamné pour meurtre le 27 mars 2001 par la Haute Cour. Il a formé un
recours contre cette décision devant la Cour d’appel, organe judiciaire
* Ai Ba c. Tanzanie (fond) (3 juin 2016), 1 RC] A 624, $ 64. Voir également Alex Am c. Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, $ 64 et Al Bk Bh et 9 autres c. Tanzanie (fond) (18 mars 2016), 1 RJ CA 526, 8 95.
5 Ch Au Co Z Ao Az (fond) (5 décembre 2014), 1 RJ CA 324, $ 77. Voir également Peter J oseph Ay c. Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014), 1 RJ CA 413, $ 40.
suprême de l'État défendeur, qui a confirmé la décision de la Haute Cour
par son arrêt du 28 juin 2003. Le Cour en conclut que le Requéranta épuisé
tous les recours internes disponibles.
32. S’agissant de la condition relative au dépôt d’une requête dans un délai
raisonnable après épuisement des recours internes, la Cour relève que
l’article 56(6) de la Charte ne précise aucun délai dans lequel une affaire
doit être introduite devant elle. La règle 50(2)(f) du Règlement, qui reprend
en substance les dispositions de l’article 56(6) de la Charte indique
uniquement que les requêtes doivent être introduites « dans un délai
raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la
date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ».
33. Deux éléments sont pertinents dans l’appréciation du délai au regard de
l’exigence de l’article 56(6) de la Charte. D’une part, la date à laquelle la
Cour d’appel a rendu son arrêt, à savoir le 28 juin 2003, aurait dû servir de
point référence dans l'appréciation du caractère raisonnable du délai de
dépôt de la Requête. Or, en l'espèce, la date à retenir pour le décompte du
délai est le 29 mars 2010, c'est-à-dire la date à laquelle l’État défendeur a
déposé sa Déclaration, car ce n’est qu’à partir de cette date que les
individus pouvaient attraire l’État défendeur devant la Cour.
34. D'autre part, la Cour fait observer que la période entre 2007 et 2013
précédents que pendant la période visée, le grand public, à fortiori les
personnes dans la situation du Requérant en l’espèce, étaient présumés
avoir été très peu au fait de l'existence de la Cour.“ Par conséquent, la
période à considérer en l'espèce se situe entre 2013, moment auquel le
grand public est présumé avoir eu connaissance de l'existence de la Cour,
et2017, année de dépôt de la Requête devant la Cour de céans, soit quatre
8 By At c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 005/2016, Arrêt du 2
décembre 2021, $ 52.
(4) ans. La question à trancher est donc de savoir si la période sus-indiquée
constitue un délai raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte.
35. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle : « … le caractère
raisonnable d’un délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire et doit être apprécié au cas par cas ».” Au nombre des
circonstances que la Cour a prises en considération figurent : le fait d’être
incarcéré, profane en matière de droit et de ne pas bénéficier d’une
assistance judiciaire, d’être indigent, d’être analphabète, de ne pas avoir
connaissance de l'existence de la Cour, d’être détenu dans le couloir de la
mort® ainsi que l'exercice de recours extraordinaires.!°
36. La Cour relève que le Requérant en l'espèce assure lui-même sa défense
devant elle. En outre, les procédures engagées à son encontre ainsi que
les violations alléguées se sont produites entre 2001 et 2003, soit avant la
création de la Cour.
37. La Cour fait observer en outre que le Requérant était incarcéré, donc
restreint dans ses mouvements et qu’il n’avait en conséquence qu’un accès
limité à l'information, circonstances qui, de l’avis de la Cour, dans d’autres
affaires similaires, peuvent justifier le retard accusé pour la saisir.!! Ce
dernier facteur est aggravé par la détention du Requérant dans le couloir
de la mort.
38. Le Requérantétant isolé de la population générale, il a, sans nul doute, été
coupé de tout flux d’informations possible et restreint dans ses
7 Ap Bq c. Ao Az (fond), op. cit, $ 92. Voir également Alex Am c. Tanzanie (fond)
8 Alex Am c. Tanzanie (fond), op.cit., 5 73 ; Christopher J onas c. Tanzanie (fond) op.cit., $ 54 ; Amir Cg c. République-Unie de Tanzanie, (fond) (11 mai 2018), 2 RJ CA 356, 5 83.
? Evodius Cf c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 004/2016, Arrêt du 26
février 2021, $ 48.
19 Bm Bd c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 493, $ 56 ; Bo Aj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 539, $ 49 ; Al Bj Bn c. République du Ghana, (fond et réparations) (28 juin 2019), 3 RJ CA 245, 55 83 à 86.
1 Voir note 8 supra.
mouvements. La Cour relève que ces circonstances atténuantes militent en
faveur du Requérant.
39. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que le délai de quatre (4) ans
dans lequel le Requéranta introduit de sa Requête estraisonnable au sens
de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du Règlement.
40. La Cour note que la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été
réglée parles Parties conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte
ou de tout instrument juridique de l’Union africaine, ce qui la rend conforme
à la règle 50(2)(g) du Règlement.
41. La Cour conclut que toutes les conditions de recevabilité ont été satisfaites
et déclare la Requête recevable.
VII. SUR LE FOND
42. Le Requérant allègue la violation des articles 2 et 7 de la Charte comme
suit:
ill a été condamné sur la base de preuves douteuses ;
ii. L’appréciation des preuves ayant conduit à sa condamnation a été
discriminatoire ;
A. Allégation relative à la condamnation sur la base de preuves douteuses
43. Le Requérant allègue que la décision de la Cour d’appel a été entachée
d’erreur, celle-ci n'ayant pas correctement examiné et évalué les preuves
produites par le témoin à charge « PW2 ». Il soutient que la Cour d’appel
n’a pas pris en compte ses arguments relatifs auxdites « preuves
d'identification », ce qui a entraîné un déni de justice. Le Requérant affirme
donc que la Cour d’appel a violé ses droits inscrits à l’article 7 de la Charte.
44. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
45. L'article 7(1) de la Charte dispose : « Toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue … »
46. La Cour réitère sa position selon laquelle :
les juridictions nationales jouissent d’une large marge
d'appréciation dans l’évaluation de la valeur probante des éléments
de preuve. En tant que juridiction internationale des droits de l'homme,
la Cour ne peut pas se substituer aux juridictions nationales pour
examiner les détails et les particularités des preuves présentées dans
les procédures internes!”
47. Il ressort du dossier qu’en l'espèce, les juridictions nationales ont
condamné le Requérant sur la base d’une preuve produite par deux (2)
témoins à charge. La Cour d’appel, en statuant sur la preuve produite par
le témoin à charge PW2 (le fils de la défunte), s’est appuyée sur sa
jurisprudence, en particulier sur l'affaire Cd Bm c. la République qui
expose les directives relatives à l’identification des témoins. Au nombre des
facteurs qu’un juge est tenu de prendre en compte dans l’évaluation d’une
preuve d'identification figurent ce qui suit :
a. La distance à partir de laquelle le témoin a observé l'incident ;
b. L'heure à laquelle le crime a été observé ;
c. Les conditions dans lesquelles ces observations ont été faites,
notamment l’éclairage de la scène ; et
d. Le témoin connaissait ou avait-il vu l'accusé auparavant ?
48. La Cour relève que la Cour d’appel de l’État défendeur a évalué les
circonstances dans lesquelles le crime a été commis ainsi que les arguments fournis par l’État défendeur et par le Requérant, qui était dûment
représenté par un conseil, afin d’éliminer les éventuelles erreurs
concernant l'identité de l’auteur du meurtre. La Cour d’appel a, en outre,
constaté que le Requérant était présent sur le lieu du crime et que son alibi
était fallacieux, qu’il était bien connu de la victime et de PW2, qu’une torche
a été utilisée lors de la commission du crime, qu’il était possible pour PW2
d'identifier le Requérant et que PW2 lui-même a été blessé par le complice
du Requérant et qu’ils étaient donc à proximité immédiate. C’est sur la base
des preuves produites par les témoins que les juridictions nationales ont
déclaré le Requérant coupable et l’ont condamné à mort.
49. La Cour en conclut que la manière dont les juridictions nationales ont
évalué les preuves relatives à l'identification du Requérant ne révèle
aucune erreur manifeste et n'est pas constitutive d’un déni de justice à
l'égard de celui-ci. La Cour rejette donc cette allégation.
B. Allégation relative à l’appréciation discriminatoire des preuves
50. Le Requérant allègue que la manière dont la Cour d’appel est parvenue à
sa condamnation en évaluant les preuves produites, a violé son droit à la
non-discrimination.
51. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
52. L'article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune,
notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
53. La Cour fait observer qu’il incombe au Requérant de prouver les allégations
formulées en l'espèce, mais ne l’a pas fait.!® La Cour note qu’il ne ressort
du dossier aucun élément qui montre que le Requérant a été l’objet d’une
quelconque discrimination lors des procédures devant la Cour d'appel. La
Cour fait observer que la Cour d’appel a, dans l'examen de l'affaire,
appliqué le droit interne et sa jurisprudence de manière à éviter tout risque
de déni de justice. La Cour estime donc que le Requérant n’a pas prouvé
qu'il a été traité de manière discriminatoire et rejette en conséquence cette
allégation.
54. La Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article 2 de la Charte
comme allégué en l'espèce.
55. La Cour, bien que n’ayant pas conclu en l’espèce à la violation des droits
du Requérant, tient, toutefois à réitérer sa conclusion dans ses arrêts
antérieurs!* selon laquelle la peine de mort obligatoire constitue une
violation du droit à la vie ainsi que d’autres droits consacrés dans la Charte
et devrait de ce fait être abrogée des lois de l’État défendeur. En outre,
l’affaire du Requérant devrait être jugée de nouveau en ce qui concerne sa
condamnation par le biais d’une procédure qui ne permet pas l'imposition
obligatoire de la peine de mort et maintient la discrétion du juge."
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
56. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations en raison
des violations qu’il a subies, d’annuler la condamnation et la peine
prononcées à son encontre, et d’ordonner sa remise en liberté.
13 Alex Am c. Tanzanie (fond) (2015), 1 RJ CA 482, $ 140.
14 Bz Ab et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RJ CA 562, $$ 104 à 114. Voir également, Amini J uma c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021, 85 120 à 131 et Ap Bc c. République- Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022, $ 160.
15 Bz Ab et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), $ 171. Voir également Ce Cn c. Tanzanie (fond et réparations), $ 174 ; Ap Bc c. Tanzanie (fond et réparations), 5 217.
57. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparations
formulée par le Requérant.
58. L'article 27(1) du Protocole est libellé comme suit :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
59. En l’espèce, la Cour n’ayant établi aucune violation, la question de la
réparation ne se pose pas. La Cour rejette donc la demande de réparations
formulée par le Requérant.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
60. Le Parties n’ont pas soumis d’observations sur les frais de procédure.
61. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement
intérieur, « à moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie
supporte ses frais ».
62. En conséquence, la Cour ordonne que chaque Partie supporte ses frais
de procédure.
DISPOSITIF
63. Parces motifs,
LA COUR Sur la compétence
Dit qu’elle est compétente ;
Sur la recevabilité
À la majorité de sept (7) voix pour et trois (3) voix contre, les J uges Bf
B, Ca Cm AG et Bw Bv C El, ayant émis une
opinion dissidente,
ii. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
ill. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à un procès
équitable, inscrit à l’article 7(1) de la Charte, du fait de
l'appréciation des éléments de preuve ;
iv. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la non-
discrimination, inscrit à l’article 2 de la Charte, lorsqu'il a rendu sa
décision ;
Sur les réparations
v. Rejette la demande de réparations formulée par le Requérant.
Sur les frais de procédure
vi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
Blaise TCHIKAYA, Vice-président gs
Bx AI, } uge ; Ps +=
Ca Cm AG, J uge ; 4 = Ou LA
Ak AJ, J uge ; GE 7
Stella |. ANUKAM, J uge ; Eur am.
An Cj A, J uge ; pa Z@ œ.
Bw Bv C El, uge ; Met
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l’Opinion individuelle du Juge Blaise TCHIKAYA et l’Opinion dissidente conjointe des Juges Bf B, Ca Cm AG et Bw Bv X] El sont jointes au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce premier jour du mois de décembre de l'an deux mille vingt-deux, en français et en anglais, le texte anglais faisant foi.