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01/12/2022 | CADHP | N°024/2017

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 01 décembre 2022, 024/2017


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
HAMISI MASHISHANGA
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 024/2017
ARRÊT
1° DÉCEMBRE 2022 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V SUR LA COMPÉTENCE
A. Exception d’incompétence matérielle
B. Exception d’incompétence tempo

relle
C.Autres aspects de la compétence
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
A. Exception tirée du non-épuisement des recours internes...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
HAMISI MASHISHANGA
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 024/2017
ARRÊT
1° DÉCEMBRE 2022 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V SUR LA COMPÉTENCE
A. Exception d’incompétence matérielle
B. Exception d’incompétence temporelle
C.Autres aspects de la compétence
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
A. Exception tirée du non-épuisement des recours internes
B. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable C.Autres conditions de recevabilité
VII. SUR LES 12A13 17 22O22D23E 10
11
12
13
17
22
22 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaà BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella |.
ANUKAM, Xa Bt AM, Bc AS et Bj Xo AP El — J uges, et de
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour! (ci-après désigné « le Règlement »), la J uge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
assurant lui-même sa défense.
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
i. Dr. Cp Bo C, Bf Bu ;
ii. Mme Cl Ch AJ, Xf Bf Bu.
ii. Mme Xv Av Z, Ambassadeur, Chef de l'Unité juridique, ministère
des Affaires étrangère et de la Coopération Est-africaine ;
iv. Mme Xj A, directrice adjointe, Droits de l’homme, Principal
State Attorney, Cabinet de l’Ao Bu ;
v. M. Cn AO, Bp State Attorney, Cabinet de l’Ao Bu ;
vi. Mme Ba AN, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine.
! Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
L LES PARTIES
1. Le sieur Aq Al AGci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant de la République-Unie de Tanzanie, qui au moment du dépôt
de la présente Requête, était incarcéré à la prison centrale d’Uyui dans la
région de Xe où il purge sa peine pour cambriolage et vol à main armée.
Il allègue la violation de son droit à un procès équitable, dans le cadre des
procédures devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte
la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d'individus
et d'organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les affaires
pendantes, ni sur de nouvelles affaires introduites devantelle avantsa prise
d’effet un an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre
? Xw Bi Be c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 88 37 à 39.
I. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le Requérant et deux autres personnes ne
comparaissant pas devant la Cour de céans, ont, le ''" avril 2004, vers 2
heures du matin, dans le village d’Ilagaja, District de Xp (région de
Xe), attaqué et agressé le sieur Bn Bz, un résident dudit
village, puis se sont enfuis du lieu du crime.
4, Après le départ des voleurs, M. Bn a donné l'alerte et les voisins, au
nombre desquels figurait le chef du quartier, sont venus à sa rescousse.
Des recherches ont été entreprises et certains objets, dont un dossier
médical appartenant à la victime, ont été retrouvés au domicile du
Requérant. Le Requérant a ensuite été appréhendé par la police. Il a été
mis en accusation et reconnu coupable, le 14 juillet2004, par le Tribunal de
District qui l’a condamné à cinq (5) et trente (30) ans de réclusion,
respectivement pour cambriolage et pour vol à main armée. Il a également
été condamné à verser une indemnisation à la victime pour les objets qui
ont été volés mais qui n’ont pas été récupérés ainsi que pour les blessures
qu’il lui a infligées.
5, Le Requérant a, dans le cadre de l'appel en matière pénale n° 134 de 2004,
formé un recours devant la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Xe
contre la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son encontre
par le Tribunal de District de Xp. La Haute Cour a rejeté son appel le 17
juillet 2006.
6. Le Requérant a ensuite saisi la Cour d’appel de Tanzanie à Xe dans le
cadre de l’appel en matière pénale n° 332 de 2007, d’un recours contre la
condamnation et la peine prononcée par la Haute Cour de Tanzanie à
Xe. Ledit recours a été rejeté par la Cour d’appel dans un arrêt rendu
le 1°" juin 2010.
B. Violations alléguées
7. Le Requérantallègue la violation des droits suivants :
a. Le droit à la non-discrimination garanti par l’article 2 de la Charte ;
b. Le droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi, garanti
par l’article 3(1)(2) de la Charte ;
c. Le droit à un procès équitable garanti par l’article 7(1)(c) de la Charte ;
d. Le droit à être jugé dans un délai raisonnable, garanti par l’article 107A
(2)(b) de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie (1977).
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
8. La Requête a été déposée devant la Cour de céans le 31 août 2017 et
notifiée à l’État défendeur le 6 septembre 2017.
9. Les Parties ont déposé leurs observations sur le fond et sur les réparations
après que la Cour leur a adressé plusieurs courriers de rappel et accordé
des prorogations de délais.
10. Les débats ont été clos le 15 novembre 2021 et les Parties en ont été
dûment notifiées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
11. Le Requérant demande à la Cour de :
a. Restaurer la justice là où elle a été bafouée ;
b. Annuler la déclaration de la déclaration de culpabilité et la peine de
trente (30) ans de réclusion prononcées à son encontre ;
c. Ordonner sa remise en liberté ;
d. Ordonner à l’État défendeur de lui verser des compensations à hauteur
de 65 800 000 shillings tanzaniens, équivalant au revenu qu’il aurait pu
tirer de ses productions agricoles.
e. Ordonner à l’État défendeur de l’indemniser pour des préjudices
spécifiques subis, à hauteur d’un montant que la Cour jugera équitable
au regard des circonstances de l’espèce.
12. Dans son mémoire en réponse sur la compétence et la recevabilité, l’État
défendeur demande à la Cour de :
a. Dire qu’elle n’est pas compétente pour connaître de la présente
Requête.
b. Dire que la Requête ne satisfait pas aux conditions de recevabilité
énoncées à l’article 40(5) et (6) du Règlement intérieur de la Cour ;
c. Déclarer la Requête irrecevable ;
d. Rejeter la Requête.
13. Sur le fond, l’État défendeur demande à la Cour de :
a. Dire que le gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas
violé les droits du Requérant prévus à l’article 2 de la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples ;
b. Dire que la Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant prévus à
l’article 3(1)(2) de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples ;
c. Dire que la Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant prévus
à l’article 7(1) de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples ;
d. Dire que la Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant prévus à
l’article 7(1)(c) de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples ;
e. Dire que la Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant prévus à
l’article 7(1)(d) de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples ;
f. Dire que la Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant prévus à
l’article 107A(2)(b) de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie
de 1977 ;
g. Rejeter la Requête dans son intégralité au motif qu’elle est dépourvue
de tout fondement ;
h. Rejeter les demandes du Requérant dans leur intégralité ;
i. Rejeter les demandes de réparations formulées par le Requérant ;
j. Mettre les frais de procédure à la charge du Requérant.
V. SUR LA COMPÉTENCE
14. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l’application de la Charte, du [.…] Protocole, et de tout autre instrument
pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour estcompétente,
la Cour décide.
15. La Cour relève également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
« [Na Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence [...]
conformément à la Charte, au Protocole et au [.…] Règlement ».°
16. || ressort des dispositions suscitées que la Cour doit, à titre préliminaire,
procéder à un examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles
17. La Cour constate qu’en l’espèce l’État défendeur soulève deux exceptions
tirées, l’une de l’incompétence matérielle de la Cour et l’autre de son
incompétence temporelle.
3 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
A. Exception d’incompétence matérielle
18. L'État défendeur soutient que la compétence de la Cour de céans est régie
par l’article 3 du Protocole et par la règle 26 du Règlement intérieur de la
Cour.
19. Il conteste la compétence matérielle de la Cour à l'égard des demandes du
Requérant et soutient que la Cour ne dispose pas d’une compétence
ilimitée lui permettant d'annuler la déclaration de culpabilité et la peine
légitimes prononcées à l'encontre du Requérant et d’ordonner sa remise en
liberté. Cela reviendrait en effet à casser la décision de la Cour d'appel de
Tanzanie, la plus haute juridiction du pays, qui a confirmé cette déclaration
de culpabilité et cette peine. I! soutient en outre que la déclaration de
culpabilité etla peine prononcée à son encontre étaient fondées sur le Code
pénal de l’État défendeur, en ses articles 285 et 286, relatifs aux actes de
cambriolage et de vol à main armée. Citant la jurisprudence de la Cour,*
l'État défendeur fait valoir que le Requérant n’a pas fourni de circonstances
spécifiques ou impérieuses justifiant que la Cour de céans ordonne sa
remise en liberté.
20. Citant également la jurisprudence de la Cour,5 l’État défendeur fait valoir
que la Cour de céans a conclu qu’elle elle n’exerce pas de compétence
d’appel à l’égard des requêtes déjà examinées par les juridictions
nationales ou régionales. II fait en outre valoir qu’annuler la déclaration de
culpabilité et la peine prononcées à l'encontre du Requérant reviendrait à
réexaminer les éléments de preuve et la procédure déjà vidée par la Cour
d’appel. Ce faisant, la Cour de céans agirait en dehors de son champ de
compétence, d'autant plus qu’elle a conclu dans nombre de ses décisions,é
que son mandat consiste à apprécier si les normes internationales en
matière de droits de l'homme ont été respectées.
* Requête N° 005/2013, Xh Cm c. République-Unie de Tanzanie, $ 157.
5 Requête N° 001/2013, Bm Bq Cc c. République du Malawi.
6 Requête N° 003/2015, Ap Ce et autres c. République-Unie de Tanzanie, 85 37 à 38.
21. L'État défendeur fait valoir que la Cour délibérerait sur des questions de
preuve telles que la doctrine de la possession récente et l’identification
visuelle, qui ont déjà été tranchées par la Cour d'appel de Tanzanie à la
page 6 de son arrêt. Parailleurs, la Cour de céans a conclu dans ses arrêts
antérieurs” que la question de l’identification est un exercice qui devrait
relever des juridictions de l’État défendeur uniquement.
22. Le Requérant affirme, pour sa part, que la Cour de céans est compétente
pour statuer sur la présente affaire, car les allégations de violation portées
à l’encontre de l’État défendeur concernent des droits protégés par la
Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et par le Protocole.
23. Le Requérant cite la jurisprudence de la Cour® selon laquelle la Cour exerce
sa compétence dans une affaire dès lors que les droits dont la violation est
alléguée tombent sous l’autorité de la Charte ou de tout autre instrument
des droits de l’homme ratifié par l’État concerné. || soutient que les
violations alléguées portent sur des droits inscrits aux articles 2, 3(1) et (2)
et 7(1)(c) de la Charte ainsi qu’à l’article 107A (2)(b) de la Constitution de
la République-Unie de Tanzanie.
24. Le Requérantaffirme avoir apporté la preuve de circonstances impérieuses
justifiant sa demande de remise en liberté et cite la jurisprudence de la
Cour? selon laquelle elle ne peut ordonner la remise en liberté d’un
requérant que dans des circonstances exceptionnelles ou impérieuses.
25. Le Requérant soutient en outre que la Cour peut s'inspirer de la décision de
la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'affaire « Ct
Ak c. Pérou, arrêt sur le fond du 17 août 1997, série C N° 33,
paragraphes 5 et 84 de la résolution ». Il fait valoir que dans cette affaire,
7 Requête N° 005/2013, Xh Cm c. République-Unie de Tanzanie, $ 89.
8 Requête N° 003/2012, Peter J oseph Cv c. Tanzanie, $ 114.
? Requête N° 005/2013, Xh Cm c. République-Unie de Tanzanie.
« la Cour a ordonné la remise en liberté du requérant dans la mesure où ne
pas le faire aurait entraîné une double peine, ce qui est interdit par la
Convention américaine des droits de l'homme ».
26. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l'homme et
ratifié par l’État concerné.!°
27. La Cour relève qu’en l'espèce, le Requérant allègue la violation de
dispositions de la Charte, en particulier l’article 2 sur le droit à la non-
discrimination, l’article 3(1)(2) sur le droit à l’égalité devant la loi et à l’égale
protection de la loi, l’article 7(1)(c) sur le droit à un procès équitable et
l’article 107A (2)(b) de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie
de 1977 sur l’administration de la justice dans un délai raisonnable. La Cour
relève que ces droits sont protégés par un instrument international auquel
l'État défendeur est partie.
28. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « elle n’est pas
une juridiction d'appel en ce qui concerne les décisions rendues par les
juridictions nationales ».!! Toutefois, « … cela ne l'empêche pas d’examiner
les procédures pertinentes devantles instances nationales pour déterminer
si elles sont en conformité avec les normes prescrites dans la Charte ou
dans tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’État
concerné ».!? La Cour ne siègerait donc pas en tant que juridiction d’appel
10 Voir par exemple Ci Xr c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 028/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), $ 18 ; An Bk c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 88 38 à 40.
11 Bm Bq Cc c. Malawi (compétence) (15 mars 2013), 1 RJ CA 197, $ 14.
12 Bm Bq Cc c. Malawi (compétence) (15 mars 2013), 1 RJ CA 197, $ 14 ; Ap Ya c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 25/2016, Arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), $ 26 ; Ca Aj c. Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 493, $ 33 ; Yc Bb AGXz BxB et Ay Yc AGCr XsB c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018), 2 RJ CA 297, $ 35.
si elle venait à examiner les allégations formulées par le Requérant. En
conséquence, elle rejette l’allégation formulée par l’État défendeur.
29. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a la compétence
matérielle pour connaître de la présente Requête et rejette en conséquence
l'exception soulevée par l’État défendeur.
B. Exception d’incompétence temporelle
30. L'État défendeur conteste la compétence temporelle de la Cour de céans
au motif que les allégations soulevées par le Requérant ne sont pas
continues, dans la mesure où le Requérant purge, en application de son
Code pénal, une peine pour avoir commis une infraction punie par la loi.
31. Le Requérant soutient, quant à lui, que la Cour a la compétence temporelle
pour connaître de la présente Requête dans la mesure où les droits violés
par l’État défendeur sont protégés par la Charte. En outre, au moment de
la commission de la violation, l’État défendeur avait déjà ratifié la Charte le
9 mars 1984 etelle lui est opposable.
32. Le Requérant soutient que les « violations se poursuivent et qu'il a été jugé,
déclaré coupable et condamné sur la base d’une accusation erronée ». Il
affirme que lorsqu'un chef d'accusation sur la base duquel un accusé est
inculpé est erroné dans sa forme ou au fond, l’on peut estimer que l'accusé
n’a pas bénéficié d’un procès équitable. Il en résulte que le Requérant purge
une peine illégale.
33. S'agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que les dates
pertinentes, en ce qui concerne l’État défendeur, sont celles de l’entrée en
vigueur de la Charte et du Protocole à son égard, ainsi que la date de dépôt
de la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole.
34. En l'espèce, la Cour relève que les violations alléguées par le Requérant
résultent des jugements du Tribunal de district, de la Haute Cour et de la
Cour d’appel rendus respectivement le 14 juillet 2004, le 17 juillet 2006 et
le 1°" juin 2010, soit après que l’État défendeur a ratifié la Charte et le
Protocole et déposé la Déclaration respectivement le 21 octobre 1986, le
10 février 2006 et le 29 mars 2010. En outre, les effets allégués des
violations se poursuivent, le Requérant restant condamné et purgeant une
peine de cinq (5) ans de réclusion pour cambriolage et de trente (30) ans
pour vol à main armée qui a été prononcée à son encontre par le Tribunal
de District de Xp dans l'affaire en matière pénale n° 69 de 2004, le 14
juillet 2004, sur la base de ce qu’il considère comme une procédure
35. La Cour en conclut qu’elle a la compétence temporelle pour connaître de la
présente Requête et rejette l’exception soulevée par l’État défendeur à cet
égard.
C. Autres aspects de la compétence
36. La Cour fait observer que sa compétence personnelle et territoriale n’est
pas contestée par l’État défendeur. Néanmoins, conformément à la règle
49(1) du Règlement!“ elle doit s'assurer que tous les aspects de sa
compétence sont satisfaits avant de poursuivre l'examen de la Requête.
37. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole eta déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole
auprès du Président de la Commission de l’Union africaine. Il a, par la suite
déposé, le 21 novembre 2019, un instrument de retrait de sa Déclaration.
13 Xk Bl Ac c. Tanzanie (compétence et recevabilité) (2022) « inédit » CAfDHP, $$ 29 à 30 ; As Az Cz and Legal and Cd Yb Ad c. République-Unie de Tanzanie (fond) (14 juin 2013), 1 RJ CA 34, $ 84 ; Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Bd (fond) (26 mai 2017), 2 RJ CA 9, 8 65.
14 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
38. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la Déclaration
n’a pas d’effet rétroactif et ne prend effet qu’un an après le dépôt de l'avis
dudit retrait, en l’occurrence le 22 novembre 2020.!° La présente Requête,
introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son avis de retrait, n’en
est donc pas affectée. En conséquence, la Cour estime que sa compétence
personnelle est établie en l’espèce.
39. Quant à sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations
alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur. La Cour estime donc que sa compétence territoriale est établie.
40. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
41. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « [Ja Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
42. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « [la Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, etau
[...] Règlement. »
43. La Cour fait observer que la règle 50(2) du Règlement, qui reprend en
substance les dispositions de l’article 56 de la Charte, dispose comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions
ci-après :
15 Xw Bi Be c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 88 35 à 39.
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour
de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine :
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées
par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s’ils existent, à
moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de
la Charte.
44. En l’espèce, l’État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la
Requête, tirées l’une du non-épuisement des recours internes et l’autre du
dépôt de sa Requête dans un délai non-raisonnable.
A. Exception tirée du non-épuisement des recours internes
45. Sur l'exception tirée du non-épuisement des recours internes, la Cour
relève que l’État défendeur affirme le Requérant soulève cinq (5) nouvelles
violations qui n’ont pas été examinées par les juridictions internes, à savoir :
La condamnation du Requérant sur la base de la doctrine de la
possession récente ;
ii. La Cour d'appel de Tanzanie n’a pas suivi les procédures depuis
le Tribunal de District jusqu’à la Haute Cour ;
iii. Le droit du Requérantà ce que sa cause soitentendue a été violé ;
iv. La Cour d’appel de Tanzanie a rendu un arrêt entaché d’erreurs
en condamnant le Requérant en se basant sur des preuves et sur
une identification au clair de lune ; etenfin,
v. Le retard accusé dans l’administration de la justice.
46. L’État défendeur affirme qu’il reconnaît l'importance et la signification du
principe de l'épuisement des recours internes, qui a été réitéré dans la
jurisprudence de la Cour dans les affaires Ai Xx c. République
du Malawi!6 et Ad Ar Cv c. Tanzanie. Par ailleurs, la
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a jugé dans
l’affaire Article 19 c. Érythrée qu’il fallait au moins tenter d’épuiser les
recours disponibles. Le simple fait de mettre en doute le bien-fondé de
l’épuisement des recours internes ne suffit pas.
47. Il fait également valoir que le Requérant n’a pas épuisé les recours internes
en ce qui concerne les cinq (5) nouveaux griefs mentionnés ci-dessus et
demande, en conséquence, à la Cour de déclarer la Requête irrecevable.!”
En ce qui concerne la condamnation du Requérant sur la base de la
doctrine de la possession récente, l’État défendeur fait valoir que le
Requérant disposait d’une voie légale consistant à former un recours en
révision de la décision de la Cour d’appel, mais il n’a pas exercé ce recours.
48. || soutient, en outre, que le Requérant n’a pas exercé les recours internes
qui lui étaient ouvertes par les tribunaux nationaux, notamment en ne
soulevant pas : la question de la Cour d'appel qui ne se serait pas
prononcée sur les incohérences dans les numéros de référence des affaires
pénales entendues par le Tribunal de district et la Haute Cour ; le fait qu’il
n’ait pas bénéficié d’une assistance judiciaire gratuite pendant le procès ; le
16 Requête N° 003 de 2011, Ai Xx c. République du Malawi.
17 Ai Xx c. République du Malawi, CAfDHP, Requête N° 003/2011, arrêt du 13 mars 2011 (compétence et recevabilité), 5 38.1 à 38.2 ; Peter J oseph Cv c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 003/2012, arrêt du 28 mars 2014 (compétence et recevabilité), $ 142 à 145 et décision de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples dans l'affaire Article 19 c. Érythrée.
fait que la Cour d’appel se soit appuyée sur les preuves d'’identification
produites ; et le retard dans l’administration de la justice.
49. L’État défendeur soutient enfin que le Requérant a été informé par les
autorités pénitentiaires de la possibilité de former un recours en révision de
la décision de la Cour d'appel. Toutefois, le Requéranta, dix (10) ans après,
demandé à la Cour d’appel l'autorisation pour introduire une requête en
révision de la décision qu’elle a rendue le 1° juin 2010. Par conséquent, le
prétendu retard évoqué a été causé par le Requérant lui-même. L'État
défendeur soutient, au regard de ses observations, que la condition de
recevabilité prévue à la règle 40(5) du Règlement n’est pas satisfaite et que
la Requête devrait être déclarée irrecevable et rejetée en conséquence.
50. Le Requérant soutient qu’il a épuisé les recours internes disponibles dans
le système judiciaire de l’État défendeur. Il a, en outre, interjeté appel
devant la Cour d’appel de Tanzanie, la plus haute juridiction de l’État
défendeur, dans l’affaire en matière pénale n° 322 de 2007. Par ailleurs, la
Cour d’appel a rejeté son recours dans son intégralité le 1° juin 2010,
mettant ainsi un terme à son affaire. Le Requérant cite la jurisprudence de
la Cour dans l'affaire Xh Cm c. République-Unie de Tanzanie où il est
dit que « [Ia Cour fait sien le raisonnement de la Commission africaine dans
l’affaire Br Bs Cd Yb Y Xm c. Tanzanie, dans
laquelle la Commission a conclu que les recours auxquels il est fait
référence sont uniquement des recours ordinaires ».
51. Le Requérant, tout en citant la même affaire, affirme que la Cour de céans
a conclu dans ses arrêts antérieurs qu’un recours en révision de la décision
de la Cour d'appel n’était ni nécessaire ni obligatoire et qu’en matière
pénale, la Cour d’appel constitue, de droit, le dernier recours, et le
Requérant a démontré qu’il l’avait saisie. Le Requérant demande donc à la
Cour de céans de déclarer sa Requête recevable, dans la mesure où il a
entièrement épuisé tous les recours internes.
52. La Cour rappelle que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e), du Règlement, toute requête
déposée devant elle doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des recours
internes, à moins que ceux-ci soient manifestement non-disponibles,
inefficace etiinsuffisants ou que la procédure de ces recours se prolonge de
53. En l’espèce, la Cour relève que le recours du Requérant devant la Cour
d'appel, organe judiciaire suprême de l’État défendeur, a été tranché
lorsque celle-ci a rendu son arrêt le 1°" juin 2010.
54. La Cour tient à rappeler sa jurisprudence selon laquelle :
« Lorsqu'une violation alléguée des droits de l’homme se produit au
cours d’une procédure judiciaire interne, les tribunaux nationaux ont
ainsi l’occasion de se prononcer sur d'éventuelles violations des
droits de l'homme. Le motif en est que les violations alléguées des
droits de l'homme font partie de l’ensemble des droits et garanties qui
étaient liés à la procédure devant les tribunaux nationaux ou qui en
constituaient le fondement. Dans une telle situation, il ne serait donc
pas raisonnable d’exiger des Requérants qu’ils introduisent une
nouvelle requête devant les juridictions internes pour demander
réparation de ces griefs ».!°
55. La Cour fait observer que le grief relatif au respect du droit à un procès
équitable a une incidence sur la réalisation de divers droits invoqués par le
Requérant au titre du faisceau de droits à un procès équitable.
18 Peter J oseph Cv c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RJ CA 413, 85 142 à 144 ; By Yd Xi et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 030/2017, arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), $ 43.
19 J ibu Amir alias Mussa etun autre c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RJ CA 654, $ 37 ; Xh Cm c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, $$ 60 à 65, Ap Ce Bg et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJ CA 67, $ 54 ; Bm At, Ag Xl, Cx Au et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (30 septembre 2021), 1 RJ CA 369, $ 57.
56. À la lumière de ce qui précède, la Cour fait remarquer que l’État défendeur
avait la possibilité de traiter les éventuelles violations des droits de l'homme
57. Ence qui concerne le dépôt d’un recours en révision devant la Cour d’appel,
la Cour a déjà jugé que cette procédure, telle qu’elle s'applique dans le
système judiciaire de l’État défendeur, est un recours extraordinaire qu’un
requérant n’est pas tenu d’épuiser avant de la saisir de sa requête.?°
58. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le Requérant a épuisé les
recours internes prévus à l’article 56(5) de la Charte et à la règle 50(2)(e)
du Règlement. Elle rejette donc l’exception soulevée par l’État défendeur.
B. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
59. L'État défendeur soutient que dans l'hypothèse où la Cour venaità conclure
que le Requérant a épuisé les recours internes, elle devrait alors constater
que le Requérant n’a pas déposé la présente Requête dans un délai
raisonnable, car la décision de la Cour d’appel a été rendue le ''" juin 2010,
alors que la présente Requête a été déposée devant la Cour de céans le
31 août 2017. En outre, l’État défendeur a déposé son instrument prévu à
l’article 5(3) du Protocole en vertu duquel il accepte la compétence de la
Cour, le 29 mars 2010, par conséquent, « une période de sept (7) ans et
quatre (4) mois se sera écoulée » entre la date à laquelle l’État défendeur
a accepté la compétence de la Cour et le moment où le Requérant l’a saisie
de sa Requête.
60. L'État défendeur soutient que, même si le Règlement de la Cour ne
quantifie ni ne définit la période qui constitue un délai raisonnable, la Cour
a estimé qu’elle devait examiner ce délai au cas par cas!
20 Xh Cm c. République-Unie de Tanzanie, op.cit., 55 63 à 65 ; Yd Cn c. Tanzanie (fond) op. cit, 88 66 à 70 ; Christopher J onas c. Tanzanie (fond), $ 44.
?! Requête N° 013/2011, Ayant droits de Feu An Ae et autres c. Am Cy, $ 121 ; Requête N° 007/2013, Yd Cn c. République-Unie de Tanzanie, $ 91.
61. Il soutient que la règle générale veut que toutes les conditions de
recevabilité prévues par la règle 40(1 à 7) du Règlement? soient
obligatoirement satisfaites pour qu'une requête soit considérée comme
recevable, comme cela fût le cas dans l’affaire Ah Cw et Bv
Cs c. Mali,2* où la Cour a jugé que « … les conditions de recevabilité
sont cumulatives de sorte que lorsque l’une d’entre elles n’est pas remplie,
c’est l’entière requête qui ne peut être reçue ». L'État défendeur soutient
que c’est le cas en l'espèce et que la Requête doit être déclarée irrecevable
etrejetée en conséquence.
62. Le Requérant réfute les arguments de l’État défendeur et affirme qu’il n’y a
pas de délai précis auquel saisir la Cour, et que la Cour apprécie ce délai
en fonction des faits et des circonstances de chaque affaire. || cite la
jurisprudence de la Cour2* dans laquelle elle a confirmé la même position.
63. Le Requérantallègue que l'existence de la Cour de céans, de la Charte, du
Protocole relatif à la Charte, de son Règlement intérieur et de ses
Instructions de procédure n’était connue à la Prison Centrale d’Uyui à
Xe où il purge sa peine privative de liberté qu’à partir de « mai 2017 ».
Il affirme qu’aucune requête émanant de prison n’a été déposée devant la
Cour de céans avant le « 13.06. 2017 », affirmation qui peut être vérifiée en
consultant les registres du Greffe. II fait, en outre, observer que la requête
n° 017/2017, Cj Xg Cb et 3 autres c. République-Unie
de Tanzanie était la première de ce genre et a été déposée le « 13.06.
2017 ».
64. Le Requérant estime, au regard de ces circonstances, que sa Requête a
été soumise dans un délai raisonnable dans la mesure où il n’a eu
connaissance de l’existence de la Cour de céans qu’au mois de mai 2017.
? Règle 50(2) du Règlement intérieur de 2020.
23 Requête N° 040/2016, Ah Cw et Bv Cs AI Xc, 8 63.
24 Requête N° 009/2011, As Az Cz and Legal and Cd Yb Centre c. République- Unie de Tanzanie et Requête N° 011/2011, Cq Xu Ax c. République-Unie de Tanzanie.
Il a par la suite saisi la Cour le 31 août 2017 et de ce fait, la Cour devrait
déclarer sa Requête recevable, celle-ci étant conforme à la règle 40(6) de
son Règlement.
65. La Cour fait observer que ni la Charte ni le Règlement ne précisent le délai
dans lequel les requérants doivent la saisir après l’épuisement des recours
internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du Règlement
indiquent uniquement que les requêtes doivent être introduites « … dans
un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou
depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le
délai de sa saisine ».
66. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle « … le caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire … »?° Au nombre des circonstances que la Cour a pris
en compte figure le fait d’être incarcéré, profane en matière de droit, de ne
pas bénéficier d’une assistance judiciaire, d’être indigent, analphabète et le
fait de ne pas avoir connaissance de l'existence de la Cour.
67. La Cour a conclu dans ses arrêts précédents que le fait pour un requérant
de faire valoir, par exemple, qu’il était incarcéré, profane en matière de droit
et indigent ne constitue pas une raison suffisante pour justifier qu’il n'ait pas
déposé sa requête dans un délai raisonnable.* Comme la Cour l’a fait
remarquer, même les justiciables profanes en droit, incarcérés ou indigents,
sonttenus de démontrer en quoi leur situation personnelle les a empêchés
de déposer leur requête dans les délais.
25 Ayant droits de feus An Ae, Xn Af dit Ablasse, Bm Ae et Xt Xb AI Am Cy (fond) (24 juin 2014), 1 RJ CA 226, $ 92. Voir également Xh Cm c. République- Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, $ 73.
26 Ab Cu c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 028/2017, Arrêt du 2 décembre 2021 (fond), $ 48 et Aa Xy c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 036/2017, Arrêt du 24 mars 2022 (recevabilité), $ 65.
68. La Cour relève en l’espèce que l'arrêt de la Cour d’appel dans l’appel en
matière pénale n° 322 de 2007 a été rendu le 1°" juin 2010 et que le
Requérant ne l'a saisie de sa Requête que le 31 août 2017. La Cour note
qu’une période de sept (7) ans deux (2) mois et trente (30) jours s’est
écoulée entre le 1°" juin 2010 et le 31 août 2017, date à laquelle le
Requérant l’a saisie de sa Requête. La question à trancher est donc de
savoir si le temps qu’il a fallu au Requérant pour saisir la Cour de sa
Requête constitue un délai raisonnable.
69. En outre, la Cour relève qu’il ressort des observations du Requérant qu’il
n’a eu connaissance de l'existence de la Cour de céans qu’au mois de mai
2017, après qu’un autre détenu de la même prison où il été incarcéré a
soumis une requête devant la Cour de céans le 13 juin 2017. Ce n’est
qu'après qu’il a soumis sa Requête le 31 août 2017. Il ressort de la
vérification des registres du Greffe qu'’effectivement la première requête
émanant de la prison centrale d’Uyuyi où est incarcéré le Requérant, la
requête n° 017/2017, Cj Xg Cb etautres c. République-
Unie de Tanzanie, a été reçue au Greffe le 13 juin 2017. Une période de
deux (2) mois et dix-huit (18) jours s’est donc écoulée entre le moment
auquel la première requête émanantde la prison centrale d’Uyui a été reçue
au Greffe et celui auquel le Requérant a saisi la Cour.
70. La Cour a, dans ces arrêts précédents, considéré le fait qu’un requérant soit
incarcéré,” indigent,?8 qu’il n’ait pas bénéficié d’une assistance judiciaire
gratuite,?° et la création récente de la Cour comme étant des facteurs
pertinents et autant de circonstances qui justifient qu’elle fasse preuve de
souplesse dans son appréciation du caractère raisonnable du délai de sa
saisine.
27 Ayant droits de Feu An Ae et autres c. Am Cy (fond) (28 mars 2014), 1 RJ CA 226,
Cm c. Tanzanie (fond), & 73.
28 Yc Bb etJ ohnson Yc c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018), 2 RJ CA 297,
29 Yd Cn c. Tanzanie (fond) (2016), 1 RJ CA 624, $ 92.
30 Ayant droits de Feu An Ae et autres c. Am Cy (exceptions préliminaires), 122 ; Aa Xy c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 036/2017, Arrêt du 24 mars 2021 (compétence et recevabilité), 5 69.
71. La Cour fait observer que le Requérant se trouve dans une situation
similaire, étant également incarcéré, restreint dans ses mouvements et
ayant un accès limité à l’information ; il n’a pas bénéficié d’une assistance
judiciaire gratuite au cours des procédures nationales ; il affirme qu’il n’avait
pas connaissance de l’existence de la Cour de céans et qu’il n'en a été
informé qu’après que la première affaire d’un autre requérant incarcéré
dans la même prison a été déposée devant la Cour de céans le 13 juin
2017.
72. Dans une affaire similaire”! où le requérant affirmait n’avoir eu
connaissance de l'existence de la Cour de céans qu’après que celle-ci a
été saisie de la première requête émanant de la prison où il était incarcéré,
et où ledit requérant a mis sept (7) ans, sept (7) mois et dix (10) jours pour
saisir la Cour après épuisement des recours internes, la Cour a jugé que
l’argument de l'ignorance de l’existence de la Cour, ne suffit pas à la
convaincre que le Requérant a poursuivi son affaire avec diligence et qu’il
ne pouvait pas être au fait de l'existence de la Cour avant que la première
affaire n’ait été déposée depuis la même prison où le Requérant était
incarcéré. De même, la Cour est d'avis que le Requérant en l'espèce n’a
pas fourni d’arguments convaincants ni d'éléments de preuve démontrant
à suffisance que sa situation personnelle l’a empêché de déposer la
Requête en temps utile.
73. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la période de (7) ans,
deux (2) mois et trente (30) jours qui s’est écoulée avant le dépôt de la
Requête après l'épuisement des recours internes ne constitue pas un délai
raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du
Règlement.
74, La Cour rappelle que les conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de
la Charte sont cumulatives, de sorte que si l’une n’est pas remplie, la
31 Aa Xy c. République-Unie de Tanzanie, Requête N° 036/2017, Arrêt du 24 mars 2021 (compétence et recevabilité), 5 69.
requête devient irrecevable.? En l’espèce, la Requête n'ayant pas rempli la
condition prévue à l’article 56(6) de la Charte, disposition qui est reprise à
l’article 50(2)(f) du Règlement, la Cour n’a pas à se prononcer sur la
conformité de celle-ci aux conditions de recevabilité énoncées à l’article
56(7) de la Charte et reprises à la règle 50(2)(g) du Règlement.
C. Autres conditions de recevabilité
75. Ayant constaté que la Requête ne satisfait pas à la condition prévue à la
règle 50(2)(f) du Règlement, la Cour n’a pas à se prononcer sur la
conformité de celle-ci aux conditions de recevabilité énoncées à l’article
56(1), (2), (3), (4) et (7) de la Charte, telles que reprises à la règle 50(2)(a),
(b), (c), (d) et (g) du Règlement, ces conditions étant cumulatives.>3
76. Au regard de ce qui précède, la Cour déclare la Requête irrecevable.
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
77. Le Requérant n’a formulé aucune demande relative aux frais de procédure.
78. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge du Requérant.
79. La Cour relève qu'aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais
de procédure ».
32 Ad Xd J ohnson c. République du Ghana (compétence et recevabilité) (28 mars 2019), 3 RJ CA 104, 8 57.
33 Bh Ye Cf An c. Côte d'Ivoire (compétence et recevabilité) (22 mars 2018), 2 RJ CA 280, 5 61 ; Ad Xd J ohnson c. République de Ghana, CAfDHP, Requête n° 016/2017, Arrêt du 28 mars 2019 (compétence et recevabilité), $ 57.
80. La Cour estime qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du principe posé par
cette disposition. La Cour ordonne donc que chaque Partie supporte ses
frais de procédure.
VIII. DISPOSITIF
81. Parces motifs,
LA COUR
Sur la compétence
I, Rejette l’exception d’incompétence temporelle ;
ii. Se déclare compétence
Sur la recevabilité
À la majorité de sept (7) voix pour et trois (3) voix contre, les J uges Cg
Co X, Ck AH et Xa Bt AM ayant
émis une opinion dissidente,
iv. Dit que la Requête n'a pas été déposée dans un délai
raisonnable ;
v. Déclare la Requête irrecevable.
Sur les frais de procédure
vi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédures.
Ontsigné :
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ges
Rafaâ BEN ACHOUR, J uge ; Me vale,
Xq AQ, J uge 1 Ps 5
Aw Bw AL, J uge Mas Giroud la,
Ck AH, | uge La ; 7
Stella |. ANUKAM, J uge Eu am .
Xa Bt AM, J uge Rp Æ a.
Bc AS, J uge ; fran fase
Bj Xo AP El, J uge te ;
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l’Opinion dissidente du Juge Rafaâ BEN ACHOUR, l’Opinion dissidente de la J uge Ck AH et l’Opinion dissidente du J uge Xa Bt AM sont jointes au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce premier jour du mois de décembre de l’an deux mille vingt-deux, en français et en anglais, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 024/2017
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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