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01/12/2022 | CADHP | N°028/2020

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 01 décembre 2022, 028/2020


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
REQUÊTE N°028/2020
ARRÊT
(FOND ET RÉPARATIONS) SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDE DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR 10
Sur l’exception d’incompétence personnelle de la Cour 11>Sur les autres aspects de la compétence de la Cour 13
VI SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE ...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
REQUÊTE N°028/2020
ARRÊT
(FOND ET RÉPARATIONS) SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDE DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR 10
Sur l’exception d’incompétence personnelle de la Cour 11
Sur les autres aspects de la compétence de la Cour 13
VI SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE 13
Concernant la condition relative à l’identité de l’auteur 14
il, Concernant la condition relative à la compatibilité de la requête avec l’Acte
constitutif de l’Union africaine et la Charte 15
it, Concernant la condition relative aux termes outrageants ou insultants 15
iv. Concernant la condition relative aux nouvelles diffusées par les moyens de
communication de masse 15
V. Concernant la condition relative à l’épuisement des recours internes 15
vi. Concernant la condition relative à l’introduction de la Requête dans un délai
raisonnable 19
vil. Concernant la condition relative à une affaire déjà réglée par les parties … 21
VII. SUR LE FOND 21
A Allégations relatives à la dépendance du Conseil supérieur de la Magistrature .
21
Sur la violation alléguée du droit de grève des magistrats 26
Sur la violation alléguée de l’article 30 du Protocole de la Cour 27
Sur la violation alléguée du droit à la liberté d’opinion et d'expression 29
Sur la violation alléguée du droit à un recours effectif 32
1 Concernant les citoyens 35 F. Sur les violations alléguées relatives à la révision de la constitution, au code
A. Surles réparations péCUNIAireS …….….……cseeneenenenenenenenenenenenenn 43
il. Les honoraires d’avocats, de plis, de communication et de procédure ……. 44
il. L'article 410(3) du code pénal …….….…..…..…...…......erisenenmnnnentenennnnnnnnnn* 47 ii. L’annulation des décisions de la Cour constitutionnelle … … 48
iv. L’inexécution des décisions de la COUF ….….….…..…..…....….rrrsrrcerennenecs sr rrscn0e 48
v. La recomposition de l’Assemblée nationale .…..….…...….…..…..….….….…..….…..….…erseeeres 48 IX. SUR LES DEMANDES DE MESURES PROVISOIRES ….….….....…….……rrrrrenrenees 50 X. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ……………….…….….…cirercirrecrerecnerenieneeerrenernenes 50 La Cour composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Blaise TCHIKAYA, Vice-
président, Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R.
CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA,
Modibo SACKO, Dennis D. ADJ El —J uges, et de Robert ENO, Greffier.
En l’affaire :
Az Ap Ac
représenté par M Nadine DOSSOU SOKPONOU, Avocate au barreau du Bénin,
Société civile professionnelle d’avocats (SCPA) RobertM. DOSSOU.
contre
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
représentée par M. Bd B, Agent Judiciaire du Trésor.
après en avoir délibéré,
rend le présent arrêt
l. LES PARTIES
1. Le sieur Az Ap Ac, (ci-après dénommé «le
Requérant ») est un homme politique, ressortissant béninois. Il conteste la
loi du 02 juillet 2018! modifiant et complétant la loi organique du 18 mars
1999? relative au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et sa
conformité à la Constitution. Il conteste également les conditions de
candidature aux élections dans son pays.
1 La loi n° 2018-02 du 02 juillet 2018.
2 La loi n° 94-027 du 18 mars 1999.
2. La Requête est dirigée contre la République du Bénin (ci-après dénommée
« l’État Défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples (ci-après, dénommée « la Charte ») le 21 octobre
1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et
des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples (ci-après dénommé « le Protocole ») le 22 août 2014. En outre,
le 08 février 2016, l’État Défendeur a déposé la Déclaration prévue par
l’article 34(6) dudit Protocole (ci-après dénommée « la Déclaration ») en
vertu de laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les
requêtes émanant des individus «et des organisations non
gouvernementales. Le 25 mars 2020, l’État défendeur a déposé auprès de
la Commission de l’Union africaine l’instrument de retrait de ladite
Déclaration. La Cour a jugé que ce retrait n’a aucun effet, d’une part, sur les
affaires pendantes et, d’autre part, sur les nouvelles affaires déposées
avant l’entrée en vigueur dudit retrait, un an après son dépôt, soit le 26 mars
Il. OBJ ET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort de la Requête introductive d’instance que l’État défendeur a
adopté le 02 juillet 2018 la loi n° 2018-02 modifiant et complétant la loi
organique n° 94-027 du 18 mars 1999 relative au CSM. Il affirme que ce
texte comporte des dispositions qui violent le principe de l'indépendance de
la justice. Il estime que par ce fait l'exécutif exerce une grande influence sur
le CSM et que les Magistrats ne disposent pas de recours contre les
sanctions prononcées à leur encontre par le CSM.
3 Az Ap Ac c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 004/2020, Ordonnance du 06 mai 2020 (mesures provisoires), $S 4- 5 et corrigendum du 29 juillet 2020.
4. || conteste également la loi n° 2018-16 du 04 janvier 2018 portant statut de
la magistrature qui interdit la grève des magistrats. Il relève que bien que
ladite loi ait été déclarée inconstitutionnelle par la décision de la Cour
constitutionnelle DCC 18-003 du 22 janvier 2018 définitive, ladite Cour par
une décision DCC 18-141 du 28 juin 2018, a adopté une position contraire
en déclarant la même loi conforme à la Constitution.
5. Le Requérant met en cause également la loi n° 2019-40 du 07 novembre
2019 portant révision de la Constitution de l’État défendeur du 11 décembre
1990 (ci-après désignée « la révision constitutionnelle »), la loi n° 2019-43
du 15 novembre 2019 portant code électoral (ci-après désigné « le code
électoral »), jugées conformes à la Constitution par décisions respectives
DCC 19-504 du 06 novembre 2019 et DCC 19-525 du 14 novembre 2019
de la Cour constitutionnelle. Il conteste enfin la note de service
n° 914/MEF/DC//SGM/DGI du 13 décembre 2017 du Directeur général des
impôts.
B. Violations alléguées
6. Le Requérant allègue la violation des droits suivants :
i. Le droit à l'indépendance de la justice, protégé par l’article 26 de la
Charte, 2 et 14(1) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (PIDCP), de l’article 10 de la Déclaration universelle des droits
de l'homme (DUDH), et les articles 1(h) et 33 du Protocole de la
CEDEAO sur la démocratie ;
ii. Le droit de grève des magistrats protégé par l’article 8 de la Charte, et
par conséquent la violation de leur droit à l’information, à la liberté
d'opinion et d'expression leur droit de constituer librement des
associations, et leur droit à la liberté de réunion, protégés
respectivement par les articles 9, 10 et 11 de la Charte ;
iii. Le droit au recours consacrés par les articles 56(5) de la Charte, 8 de la
DUDH, l’article 1(h) du Protocole de la CEDEAO sur la Démocratie,
l’article 7(1) de la Charte, et les articles 2(3), 14(1-3) et 19 du PIDCP ;
iv. Le droit à la liberté d'expression protégé par l’article 19(2) du PIDCP ;
v. Le droit à la liberté de religion protégé par l’article 18 du PIDCP ;
vi. L'obligation de garantir la bonne suite donnée par les autorités
compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié protégé par
l’article 2 $ 3(c) du PIDCP, et du droit à réparation protégé par les articles
27 et 30 du Protocole ;
vil. Le droit à la garantie, à la protection et à la jouissance effectives des
droits fondamentaux protégés par les articles 1 de la Charte, article 2(1)
et (2) du PIDCP et 1(h) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie ;
viii. L'obligation de créer et de renforcer les organes électoraux nationaux
indépendants et impartiaux, chargés de la gestion des élections
protégée par l’article 17(1) de la Charte africaine sur la démocratie, les
élections et la gouvernance (CADEG) ;
ix. Le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de
son pays protégé par l’article 13(1) de la Charte et l’article 21 de la
DUDH ;
x. Le droit de voter et d’être élu, au cours d'élections périodiques,
honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant
l'expression libre de la volonté des électeurs protégé par l’article 25(b)
du PIDCP ;
xi. Le droit de la défense, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte ;
xii. Le droit de s'associer librement avec d’autres protégé par l’article 22(1)
du PIDCP ;
xiii. Le droit à la non-discrimination protégé par l’article 2 de la Charte ;
xiv. La violation de l’obligation de rejeter et de condamner les changements
anticonstitutionnels de gouvernement protégé par l’article 3(10) de la
CADEG ;
XV. L'obligation de sanctionner tout amendement ou toute révision des
Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux
principes de l’alternance démocratique protégé par l’article 23(5) de la
CADEG ;
Xxvi. Le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 17 du PIDCP ;
xvii. L'obligation de garantir l’effectivité des droits garantis par le Pacte
protégé par l’article 2 du PIDCP.
I. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. Le 17 septembre 2020, le Requérant a déposé une Requête introductive
d'instance suivie le 28 septembre 2020 d’une demande de mesures
provisoires. Elles ont été communiquées à l’État défendeur le 16 octobre
2020 pour ses observations dans les délais respectifs de quatre-vingt-dix
(90) et quinze (15) jours. Le 13 octobre 2020, le Président de la Commission
de l’union africaine a été informé du dépôt de la Requête. Le 30 octobre
2020, l’État défendeur a déposé ses observations sur la demande de
mesures provisoires.
8. Le 27 novembre 2020, la Cour a rendu une Ordonnance de rejet des
mesures provisoires qui a été notifiée aux Parties le 28 novembre 2020.
9. Le 04 janvier 2021, le Requérant a déposé, au Greffe, un mémoire
complémentaire à la Requête introductive d’instance et une autre demande
de mesures provisoires qui ont été communiqués à l’État défendeur, le 14
janvier 2021, aux fins d’observations dans un délai de trente (30) jours à
compter de la réception. L’État défendeur n’a pas répondu à la demande de
mesures provisoires.
10. Le 1“ février 2021, le Requérant a déposé un second mémoire
complémentaire à la Requête, communiqué à l’État défendeur le 22 février
2021 aux fins d’observations dans un délai de 15 jours, à compter de la
réception.
11. La Cour a rendu, le 29 mars 2021, une Ordonnance de rejet des mesures
provisoires sur la demande déposée le 04 janvier 2021. L'Ordonnance a été
notifiée aux Parties le 09 avril 2021.
12. Le 30 juin 2021, le Greffe a rappelé à l’État défendeur qu’il n’avait répondu
ni à la Requête introductive d'instance ni aux mémoires complémentaires
du Requérant. Le Greffe a indiqué à l’État défendeur qu’un délai
supplémentaire de trente (30) jours lui a été accordé aux fins de sa réponse
en attirant son attention sur les dispositions de la règle 63 du Règlement de
la Cour. Cependant, l’État défendeur n’a déposé aucune réponse auxdits
mémoires et à la Requête.
13. Le 14 juillet 2022, le Requérant a introduit une troisième demande de
mesures provisoires, communiquée à l’État Défendeur le 25 juillet 2022
pour observations dans un délai de quinze (15) jours, à compter de la date
de réception.
14. Le 02 août 2022, L'État Défendeur a déposé ses observations sur ladite
demande de mesures provisoires. Ce même jour, lesdites observations ont
été transmises au Requérant qui a produit ses répliques.
15. Le 15 septembre 2022, le Requérant a déposé une quatrième demande de
mesures provisoires. Elle a été communiquée à l’État défendeur le 10
octobre 2022 pour information puisque la Cour a décidé de traiter ladite
demande et celle du 14 juillet 2022 en même temps que la Requête au fond.
16. Les débats ont été clôturés le 07 novembre 2022 et les Parties en ont été
dûment informées.
IV. DEMANDE DES PARTIES
17. Dans la Requête et les mémoires complémentaires, le Requérant demande
à la Cour de :
|. Se déclarer compétente ;
il. Déclarer la Requête recevable ;
iii. Déclarer qu’il a le droit à ce qu’il soit donné effet aux droits protégés
par les instruments auxquels l’État défendeur est partie, au sens des
articles 1(h) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et 1 de la
Charte ;
iv. Dire que les allégations de violations de ses droits sont fondées et que
l'État défendeur a effectivement violé les droits protégés par les articles
1, 2, 3, 7(1), 9, 10, 11, 26 et 56(5) de la Charte, les articles 2, 5(2),
14(1), 19 et 26 du PIDCP, les articles 8, 10, 19 et 30 de la DUDH,
l’article 10(1) de la CADEG, les articles 1(h) et 33 du Protocole de la
CEDEAO sur la démocratie ;
v. Ordonner toutes les mesures nécessaires pour que l’État défendeur
exécute diligemment les décisions de la Cour rendues dans les
requêtes n° 013/2017, 059/2019, 062/2019, 003/2020, 004/2020,
008/2020, 010/2020 ;
vi. Enjoindre à l’État défendeur de prendre toutes les mesures pour
effacer et faire disparaître tous les effets et toutes les conséquences
des violations dont il a été déclaré responsable par la Cour de céans
en la présente affaire ;
vi. Enjoindre à l’État défendeur de faire conformer sa législation interne à
l’article 26 de la Charte, en soustrayant du CSM tous les membres du
pouvoir exécutif et en instituant la nomination à la majorité absolue des
membres du CSM par voie d’élections libres et transparentes au sein
du corps des magistrats de profession démocratiquement élu par leurs
pairs ;
viii. Enjoindre à l’État défendeur de faire conformer l’article 20 de la loi
organique sur le CSM aux articles 7(1) et 26 de la Charte et 26 du PIDCP en offrant aux magistrats une voie de recours effective et
satisfaisante contre toute décision prise à leur encontre par le CSM ;
ix. Enjoindre à l’État défendeur d’annuler l’article 20 de la loi n° 2018-01
portant statut de la magistrature pour se conformer aux articles 1, 9,
10, 11 et 26 de la Charte, 1(h) du protocole de la CEDEAO sur la
démocratie, et 10(1) de la CADEG ; et faire cesser ainsi les violations
de ses droits à l'indépendance de la justice et à la protection contre
l’arbitraire ;
x. Enjoindre à l’État défendeur de prendre les mesures idoines pour faire
cesser les entraves au droit à un recours effectif du Requérant prévu
et protégé par les articles 1(h) du Protocole de la CEDEAO sur la
démocratie et 8 de la DUDH ;
xi. Ordonner à l’État défendeur de publier la décision de cette haute Cour
sur le site web officiel du ministère de la Justice de manière
ininterrompue pendant deux années, au journal officiel de l’État
défendeur et dans les Cours et Tribunaux sur le territoire national ;
xi. Ordonner à l’État défendeur de rendre l’article 410 alinéa 3 du code
pénal béninois conforme à l’article 19(2) du PIDCP en y supprimant les
expressions « revues spécialisées » et « purement » de sorte à ainsi
connaître le droit à la liberté de choix des moyens de communications
ainsi que le droit de formuler des commentaires techniques contre les
décisions de justice, le mot « purement » étant source d’arbitraire ;
xiii. Ordonner les mesures de garantie de non répétition que la Cour jugera
nécessaires ainsi que les mesures de garantie d’exécution de la
décision dont l'interdiction aux agents de l’État défendeur
d'entreprendre des mesures de représailles contre lui et/ou contre sa
famille et ses conseils du chef de cette affaire, conformément à l’article
2(3) du PIDCP et au paragraphe 12.b de la résolution 60/147 des
Nations Unies du 16 décembre 2005 ;
xiv. Ordonner que tous les États membres de l’Union africaine prennent
toutes les mesures nécessaires pour faire échec aux effets et
conséquences de l’inexécution des décisions de la Cour de céans par
le défendeur ;
xv. Enjoindre à l’État défendeur de faire conformer l’article 53 de la loi
n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de l’État défendeur à l’article 18 du PIDCP, en y supprimant l’expression « devant les
mânes des ancêtres » et ceci dans les trois mois suivant le prononcé
de la décision de la Cour ;
xvi. Enjoindre à l’État défendeur d’abroger la note de service
n° 914/MEF/DC/SGM/DGI du 13 décembre 2017 portant délivrance de
quitus fiscal, dans le mois de signification de la présente décision et
avant toute élection en République du Bénin ;
xvii. Ordonner à l’État défendeur d’annuler les décisions suivantes de la
Cour constitutionnelle : DCC 20-641 du 19 novembre 2020, DCC 021-
008, DCC 021-010 et DCC 011-021 du 7 janvier 2021, DCC 18-141 du
28 juin 2018 ;
xvii. Ordonner à l’État défendeur de le rétablir dans ses droits de
candidature ;
xix. Enjoindre à l’État défendeur de faire recomposer le Parlement béninois
en vertu des arrêts des 27 septembre 2020 - requêtes 059/2020 et
010/2020, et du 04 décembre 2020 - requêtes n° 062/2019 et
n° 003/2020 ;
xx. Ordonner à l’État défendeur de lui payer des intérêts pour inexécution
des ordonnances des 05 mai 2020 et 25 septembre 2020 et l’arrêt du
04 décembre 2020 rendus dans l'affaire requête 003/2020, de cinq
cent millions (500 000 000) francs CFA pour chaque mois de retard
d'exécution et ce jusqu’à la pleine et parfaite exécution dudit arrêt ;
xxi. De mettre à la charge de l’État défendeur tous les frais de procédure,
à raison des sommes suivantes : quinze millions (15 000 000) de
francs CFA pour les frais d’avocat, cinq cent mille (500 000) francs CFA
pour les frais de plis et de communication, cinq cent millions
(500 000 000) francs CFA au titre du préjudice moral qu’il a subi du fait
de l’inexécution des décisions de la Cour de céans rendues en sa
faveur ;
xxii. De mettre à la charge de l’État défendeur, eu égard à l’inexécution des
décisions antérieures de la Cour de céans, des intérêts sur la sentence
pour un montant forfaitaire mensuel d’un milliard (1.000.000.000)
francs CFA pour défaut d'exécution de la décision de la Cour, ce à
compter de la date de signification de la décision de la Cour de céans
jusqu’à son exécution parfaite et entière par le défendeur ;
xxiii. D’enjoindre à l’État défendeur de faire publier la décision de la Cour
dans le journal officiel de l’État défendeur sur les sites internet de la
CCB, de la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) et du
journal France-Soir, pendant une durée ininterrompue de deux années
dès la signification de la décision de la Cour de céans.
18. L'État défendeur n’a soumis aucune demande en réponse à la Requête au
fond. Il a cependant demandé à la Cour, dans la demande de mesures
provisoires du 14 juillet 2022, de se déclarer incompétente.
V. SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR
19. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et
l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États
concernés.
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente,
la Cour décide.
20. Par ailleurs, aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « la Cour procède
à un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte,
au Protocole et au [.…] Règlement »*.
21. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, pour chaque
requête, procéder à un examen de sa compétence et statuer, le cas
échéant, sur les exceptions d’incompétence.
4 Article 39(1) du Règlement de la Cour du 2 juin 2010.
22. Dans les observations sur la demande de mesures provisoires du 14 juillet
2022, l’État défendeur soulève une exception d’incompétence personnelle
de la Cour.
A. Sur l’exception d’incompétence personnelle de la Cour
23. L'État défendeur soutient que la Cour de céans n’est plus compétente pour
connaître de nouvelles demandes émanant des particuliers ou des
organisations non gouvernementales. || ajoute que bien que la demande de
mesures provisoires soit adossée à une requête postérieure à la date de
prise d’effet du retrait de la Déclaration, la Cour est incompétente pour
connaître de ladite demande.
24. Le Requérant affirme, en réplique, que sur le fondement des articles 27(2)
du Protocole et 59(1) du Règlement’, la Cour a le pouvoir d’ordonner les
mesures provisoires en cas d'urgence, d'existence de préjudices
irréparables, ou d’imminence de violations des droits fondamentaux ou pour
préserver les intérêts de la justice et/ou des parties ou pour préserver
l'efficacité de l'arrêt à intervenir au fond.
25. |l ajoute qu’au demeurant, la Cour n’a pas à se convaincre qu’elle a la
compétence sur le fond de l'affaire mais simplement qu’elle a compétence
prima facie.
26. En outre, se référant, à l’article 3(1) du Protocole, le Requérant estime que
la Cour est compétente dans la mesure où l’État défendeur a ratifié la
Charte Africaine, le Protocole, a fait la Déclaration et que la Requête
contient des violations alléguées de droits protégés par des instruments des
droits de l’homme.
5 Règlement du 25 septembre 2020.
27. || précise que bien que l’État Défendeur ait retiré sa Déclaration le 25 mars
2020, ce retrait ne produit ses effets qu’à compter du 26 mars 2021 et n’a
donc pas d’incidence sur sa Requête déposée avant cette date.
28. La Cour note que l’État défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a
déposé la Déclaration. La Cour rappelle, comme elle l’a indiqué au
paragraphe 2 du présent Arrêt que le 25 mars 2020, l’État défendeur a
déposé l’instrument de retrait de la Déclaration. À cet égard, la Cour réitère
sa jurisprudence selon laquelle le retrait par l’État défendeur de sa
Déclaration n’a pas d’effet rétroactif et n’a non plus aucune incidence, ni sur
les affaires pendantes au moment dudit retrait, ni sur les nouvelles affaires
dont elle a été saisie avant que le retrait ne prenne effet. Étant donné qu’un
tel retrait de la Déclaration prend effet douze (12) mois après le dépôt de
l'instrument y relatif, en l'espèce, le 26 mars 2021, il n’a, donc, aucune
incidence sur la présente Requête, introduite le 17 septembre 20206.
29. La Cour précise en outre que bien que la demande de mesures provisoires
ait été déposée après l’entrée en vigueur du retrait de la Déclaration le 26
mars 2021, cela n’entame pas non plus sa compétence personnelle, en
l’espèce, puisque ladite demande est liée et accessoire à la Requête
introductive d'instance déposée le 17 septembre 2020 avant ledit retrait. En
conséquence, le retrait de la Déclaration n’entame nullement la compétence
personnelle de la Cour.
30. À la lumière de ce qui précède, la cour rejette l’exception d’incompétence et
conclut qu’elle a compétence personnelle pour connaître de la présente
Requête.
6 Voir paragraphe 2 du présent Arrêt.
B. Sur les autres aspects de la compétence de la Cour
31. La Cour note qu’elle a la compétence matérielle, dans la mesure où le
Requérant allègue la violation de la Charte, mais aussi de la CADEG, du
PIDCP, du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, auxquels l’État
défendeur est partie”.
32. La Cour estime que sa compétence temporelle est établie dans la mesure
où les violations alléguées se sont produites après que l’État défendeur soit
devenu partie à la Charte, au Protocole et a déposé la Déclaration.
33. En ce qui concerne sa compétence territoriale, la Cour constate qu’elle est
établie puisque les faits de la cause et les violations alléguées se sont
déroulées sur le territoire de l’État défendeur.
34. Par voie de conséquence, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
examiner la Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
35. L'article 6(2) du Protocole dispose : « la Cour statue sur la recevabilité des
requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte ».
36. Conformément à la règle 50(1) du Règlements, « [IJa Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole et au
présent Règlement ».
7 L’État défendeur a ratifié le PIDCP le 12 mars 1992, la CADEG le 11 juillet 2012 et le Protocole de la CEDEAO le 21 décembre 2001.
8 Article 40 du Règlement du 2 juin 2010.
37. La règle 50(2) du Règlement qui reprend en substance l’article 56 de la
Charte, dispose :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
38. L’État défendeur n’a soulevé aucune exception d’irrecevabilité concernant
la Requête au fond. Cependant, la Cour est tenue d’examiner si les
conditions requises par les dispositions susvisées sont remplies.
ii — Concernant la condition relative à l’identité de l’auteur
39. À cet égard, la Cour constate que conformément à la règle 50(2)(a), le
Requérant a clairement indiqué son identité.
ii. …— Concemant la condition relative à la compatibilité de la requête avec
l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte
40. La Cour relève également que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l'Union africaine, tel qu’énoncé à son article
3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples.
Par ailleurs, aucun élément du dossier n’indique que la Requête est
incompatible avec une quelconque disposition de l’Acte constitutif. La Cour
considère donc que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de
l’Union africaine et la Charte, et estime par conséquent qu’elle satisfait à
l'exigence de la règle 50(2)(b) du Règlement.
iiiÈ — Concemantla condition relative aux termes outrageants ou insultants
41. La Cour note, en outre, que la Requête ne contient aucun terme outrageant
ou insultant à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions ou de l’Union
africaine, telle que l’indique la règle 50(2)(c).
iv. Concernant la condition relative aux nouvelles diffusées par les
moyens de communication de masse
42. La Cour estime, en outre, que la Requête satisfait à la condition énoncée à
la règle 50(2)(d) du Règlement puisqu'elle ne repose pas sur des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse mais plutôt concerne
des décisions, dispositions législatives et réglementaire de l’État défendeur.
v. … Concernant la condition relative à l’épuisement des recours internes
43. La Cour note, s'agissant de l’épuisement des recours internes prévue par
la règle 50(2)(e), que la Requête est fondée sur des allégations de violations
de droits de l'homme en relation avec la loi n° 2018-02 modifiant et complétant la loi organique n° 94-027 du 18 mars 1999 relative au CSM, la
note de service n° 914/MEF/DC//SGM/DGI du 13 décembre 2017 portant
délivrance du quitus fiscal, la loi n° 2019-40 du 1% novembre 2019 portant
révision constitutionnelle et la loi n° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant
code électoral.
44. La Cour rappelle que les recours internes à épuiser doivent être disponibles,
efficaces et satisfaisants. La Cour a jugé qu’il ne suffit pas qu’un recours
existe pour satisfaire à la règle de l'épuisement des recours, un requérant
n’est, en effet, tenu d’épuiser un recours qu’autant qu’il offre des
perspectives de réussite”.
45. Concernant la note de service n° 914/MEF/DC//SGM/DGI du 13 décembre
2017, la Cour rappelle que le Requérant conteste ladite note de service en
ce qu’elle accorde la compétence exclusive au directeur général des impôts
pour délivrer le quitus fiscal qui est une pièce du dossier de candidature aux
élections. La Cour relève que l’article 53"° de la loi n° 2001-37 du 27 août
2002 portant organisation judiciaire, donne compétence aux tribunaux de
première instance pour connaître du contentieux des actes administratifs,
notamment, par la voie du recours pour excès de pouvoir ou celle du
recours de plein contentieux.
9 Ayant droits de feu Ak Bb, Ba Aa dit Ablasse, Bc Bb et Blaise IIboudo et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Aq An (fond) (28 mars 2014) 1 RJCA 226, $ 68 ; Ad c. Aq An (fond) (5 décembre 2014) S$$ 92, 108 ; Bf Ab Ao Al Av c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 062/2019, Arrêt du 04 décembre 2020, S$ 99.
1 Article 53 « En matière administrative, ils connaissent en premier ressort du contentieux de tous les actes émanant des autorités administratives de leur ressort. Relèvent de ce contentieux : www.droit- afrique.com Bénin Organisation judiciaire 15 1) les recours en annulation pour excès de pouvoir des décisions des autorités administratives ; 2) les recours en interprétation des actes des mêmes autorités sur renvoi des autorités judiciaires ; 3) les litiges de plein contentieux mettant en cause une personne morale de droit public sauf les exceptions prévues par la loi ; 4) les réclamations des particuliers pour les dommages causés par le fait personnel des entrepreneurs concessionnaires et régisseurs de l'administration ; 5) le contentieux fiscal.
46. |l en résulte que pour la note de service du 13 décembre 2017, un recours
interne était disponible. Ce recours est également efficace puisqu'il permet
de faire annuler les actes litigieux.
47. La Cour note que le Requérant n'apporte pas la preuve de l’exercice de ce
recours administratif encore moins de son épuisement devant les
juridictions de l’État défendeur. Il s’ensuit, s'agissant de la note
n° 914/MEF/DC//SGM/DGI du 13 décembre 2017, que les recours internes
n’ont pas été épuisés. En conséquence, la Cour déclare toutes les
allégations relatives à ladite note irrecevables.
48. Concernant les dispositions législatives contestées, la Cour souligne qu’en
vertu des articles 114!! et 117!? de la Constitution de l’État défendeur, la
Cour constitutionnelle est juge de la constitutionnalité des lois et garantit les
droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques et
elle statue obligatoirement sur la conformité des lois organiques et les lois
en général avant leur promulgation. Elle connait en premier et dernier
ressort de toute action en violation des droits de l’homme introduite par tout
citoyen de l’État défendeur. En conséquence, un recours interne existe et
est disponible.
49. La Cour note, en outre, qu’il résulte des dispositions de l’article 121 de la
Constitution!* que la Cour constitutionnelle statue sur la conformité des lois
à la Constitution, avant la promulgation, à la demande du président de la
République ou de tout membre de l’Assemblée nationale.
11 « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques (…) ».
12 « La Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur : la constitutionnalité des lois organiques et des lois en général avant leur promulgation. ».
13 « La Cour constitutionnelle, à la demande du président de la République ou de tout membre de l’Assemblée nationale, se prononce sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation. Elle se prononce d’office sur la constitutionnalité des lois et de tout texte réglementaire censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques. Elle statue plus généralement sur les violations des droits de la personne humaine et sa décision doit intervenir dans un délai de huit jours ».
50. À cet égard, la Cour souligne que la Charte est partie intégrante de la
Constitution de l’État défendeur !*. Il en résulte que le contrôle de
constitutionnalité, qui concerne aussi bien la procédure suivie pour
l'adoption de la loi que son contenu!*, s'exerce par rapport « au bloc de
constitutionnalité que constituent la Constitution et la Charte »!°. À travers
cette procédure, la Cour constitutionnelle de l’État défendeur est tenue de
vérifier la conformité de la loi aux instruments de droits de l'homme!’.
51. En l’espèce, le Requérant allègue des violations de droits de l'homme qui
tirent leurs sources de lois n° 2018-16 du 04 janvier 2018 portant statut de
la magistrature, n° 2018-02 du 02 juillet 2018 du CSM, n° 2019-40 du 07
novembre 2019 portant révision de la Constitution et la loi n° 2019-43 du 15
novembre 2019 portant code électoral qui ont toutes fait l’objet, à la suite
des demandes introduites par le président de la République en application
de l’article 121 de la Constitution, d’un contrôle de constitutionnalité a priori
par les décisions respectives DCC 18-141 du 18 juin 2018, DCC 18-142 du
18 juin 2018, DCC 19-504 du 06 novembre 2019 et DCC 19-525 du 14
novembre 2019 de la Cour constitutionnelle.
52. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il ne serait pas raisonnable de
demander au Requérant de soumettre à la Cour constitutionnelle des
questions sur lesquelles celle-ci s’est déjà prononcée.
53. La Cour déclare, par conséquent, que le Requérant a épuisé les recours
internes en ce qui concerne les violations alléguées en relation avec les
14 L’article 7 de la Constitution du Bénin dispose : « Les droits et devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l'Homme et des Peuples adoptée en 1981 par l'Organisation de l'Unité Africaine et ratifiée par le Bénin le 20 Janvier 1986, font partie intégrante de la (.…) Constitution et du droit ».
15 L'article 35 du Règlement intérieur de la Constitution dispose, dans le cadre du contrôle de conformité à la Constitution : « La Cour constitutionnelle se prononce sur l’ensemble de la loi, tant sur son contenu que sur la procédure de son élaboration ».
16 Haut Conseil de la République (HCR) du Bénin siégeant en qualité de Cour constitutionnelle, Décision 3DC du 02 juillet 1991.
17 Bf Ab Ao Al Av c. République du Bénin, CAfDHP, Requête N° 062/2019, Arrêt du 04 décembre 2020, $ 102.
textes législatifs contestés et que sur cet aspect, la Requête est conforme
à la règle 50(2)(e) du Règlement.
vi. Concernant la condition relative à l’introduction de la Requête dans
un délai raisonnable
54. En ce qui concerne la condition relative à l’introduction de la Requête dans
un délai raisonnable prévue par la règle 50(2)(f), la Cour rappelle qu’elle a
adopté une approche au cas par cas pour apprécier ce qui constitue un
délai raisonnable en tenant compte des circonstances particulières de
chaque affaire.!® Au nombre des circonstances que la Cour a prises en
considération figurent, entre autres, le fait d’être incarcéré, d’être profane
en droit, et de ne pas bénéficier d’une assistance judiciaire"°, d’être indigent,
d’être analphabète, de ne pas avoir connaissance de l’existence de la Cour,
de subir des intimidations et de craindre des représailles? ainsi que
55. La Cour rappelle qu’elle a conclu à l’épuisement des recours internes sur
les allégations de violation relatives aux lois n° 2018-16 du 04 janvier 2018
portant statut de la magistrature, n° 2018-02 du 02 juillet 2018 du CSM, la
loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019 portant révision de la Constitution et
la loi n° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral lesquelles ont
été déclarées conformes à la constitution, respectivement par les décisions
DCC 18-141 du 18 juin 2018, DCC 18-142 du 18 juin 2018, DCC 19-504 du
18 Ayants droit de feu Ak Bb et autres c. Aq An (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RJCA 204, $ 121 ; At Ai c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 73.
19 At Ai c. Tanzanie (fond), op.cit., $ 73 ; Bg Aj c. Tanzanie (fond) op.cit., $ 54, As Be c. Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 344, $ 83.
20 Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes Maliennes et Institute for Ae Bi and Development in Ay c. République du Mali (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 380, $ 54.
21 Bl Bk c. Tanzanie (fond et réparations) op.cit., $ 56 ; Ax Af c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RJCA 520, $ 49; Ah Au Aw c. République du Ghana (fond et réparations) (28 juin 2019) 3 RICA 235, $$ 83 à 86.
06 novembre 2019 et DCC 19-525 du 14 novembre 2019 de la Cour
constitutionnelle.
56. La Cour retient, comme date faisant courir le délai de sa propre saisine,
celle de chacune des décisions de la Cour constitutionnelle, c’est-à-dire, le
18 juin 2018, le 06 novembre 2019 et le 14 novembre 2019. Entre ces dates
et celle du dépôt de la Requête introductive d'instance, c'est-à- dire, le 17
septembre 2020, il s'est écoulé respectivement 2 ans 2 mois et 29 jours, 10
mois et 10 jours et 10 mois et 3 jours. La question à trancher est celle de
savoir si ces délais sont raisonnables au sens de l’article 56(6) de la Charte
et de la règle 50(2)(f) du Règlement.
57. La Cour note que pour justifier la saisine de la Cour dans ces délais, le
Requérant affirme avoir été privé de ses droits à l'information du fait de sa
détention, du 20 février 2018 au 31 octobre 2018, puisqu’il n'avait pas un
accès gratuit aux sites d’informations générales et au journal officiel de l’État
défendeur. À cet égard, la Cour a conclu en particulier que le non-dépôt
d’une requête dans un délai raisonnable du fait de l’incarcération doit être
prouvé et ne peut être justifié par des affirmations ou des hypothèses
58. La Cour relève qu’il ressort du dossier que le Requérant était détenu depuis
le 20 février 2018 et qu’il s'est évadé le 31 octobre 2018. La Cour estime
que du fait de cette détention, l’accès du Requérant aux informations était
considérablement réduit de sorte qu’il ne pouvait pas avoir connaissance
de l’évolution législative et réglementaire et des décisions rendues à cet
effet. La Cour note également que cet accès à l'information, aux documents
pour initier des actions devant la Cour de céans devenaient plus difficile du
fait de son évasion.
59. En raison des circonstances de la présente affaire, la Cour considère que
les délais pour la saisir sont raisonnables. En conséquence, la condition
prévue par la règle 50(2)(f) est remplie.
vi Concernant la condition relative à une affaire déjà réglée par les
parties
60. Enfin, la Cour relève que, conformément à la règle 50(2)(g) du Règlement,
rien n'indique que la présente Requête concerne une affaire déjà réglée par
les parties conformément, soit aux principes de la Charte des Nations
Unies, soit à l’Acte constitutif de l’Union africaine, ou encore aux
dispositions de la Charte.
61. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit
toutes les conditions énoncées à l’article 56 de la Charte et l’article 50(2) du
Règlement. En conséquence, elle la déclare recevable.
VII. SUR LE FOND
62. Le Requérant allègue la violation des droits de l'homme relatives (A) à la
dépendance du CSM, (B) au droit de grève des Magistrats (C) à
l'inexécution des décisions de la Cour de céans, (D) à l’article 401(3) du
code pénal, (E) au recours devant la Cour constitutionnelle, et (F) à la
révision constitutionnelle, au code électoral et au COS-LEPI.
A. Allégations relatives à la dépendance du Conseil supérieur de la
Magistrature
63. Le Requérant allègue la violation de l'indépendance de la justice du fait de
l'immixtion massive du pouvoir exécutif dans la composition du CSM.
64. || affirme que l'indépendance de la justice, protégée par l’article 26 de la
Charte, est violée en raison de l’absence de séparation des pouvoirs dans
la mesure où le pouvoir exécutif influence le pouvoir judiciaire du fait de la
composition du CSM. Par conséquent, selon lui, la Cour constitutionnelle,
par la Décision DCC 18-142 du 28 juin 2018, ne pouvait pas déclarer
conforme à la Constitution la loi 2018-02 du 02 juillet 2018 modifiant et
complétant la loi organique n° 94-027 du 18 mars 1999 relative au CSM.
65. |l explique qu’il résulte de l’article 1 (nouveau) de la loi du 02 juillet 2018
relative au CSM que celui-ci est majoritairement composé des membres du
pouvoir exécutif, notamment le président de la République qui en est le
président, le ministre de la Justice, le ministre de l'Économie et des
Finances, le ministre de la Fonction publique.
66. Il fait valoir en outre que le président de la République a une voie
prépondérante sur les délibérations du CSM et que le pouvoir exécutif
nomme quatorze (14) membres sur les dix-sept (17) membres qui la
composent. Il ajoute que parmi les neuf (9) magistrats qui en sont membres,
seuls deux sont élus par l’assemblée générale des magistrats. Il en conclut
qu’au regard de cette composition qui traduit la mainmise du pouvoir
exécutif sur le CSM, l’État défendeur a violé l’article 26 de la Charte.
67. L'État défendeur n’a pas conclu sur cette allégation.
68. La Cour rappelle que l’article 26 de la Charte dispose que : « Les États (…)
ont le devoir de garantir l'indépendance des tribunaux (.…) ».
69. La Cour a jugé que cette disposition consacre non seulement
l'indépendance des tribunaux pris séparément, en tant qu’organes juridictionnels, mais également, celle du pouvoir judiciaire dans son
ensemble, à l’instar du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif2?.
70. À cet égard, la Cour fait sienne la position de la Commission africaine des
droits de l'homme et des peuples selon laquelle (.…) La séparation des
pouvoirs exige que les trois (3) piliers de l’État exercent leurs pouvoirs de
manière indépendante. Le pouvoir exécutif doit être considéré comme
distinct du pouvoir Judiciaire et du Parlement. De même, afin de garantir
son indépendance, le Judiciaire doit être perçu comme indépendant de
71. La Cour note en l’espèce qu'il résulte de l’article 1252* de la Constitution de
l’État défendeur que le pouvoir judiciaire, exercé par la Cour suprême, les
cours et tribunaux, est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir
exécutif. Le président de la République est uniquement le garant de cette
indépendance en vertu de l’article 127 de ladite constitution®, c’est à dire
qu’il doit veiller à donner force et un réel contenu tant en droit qu’en fait, à
cette indépendance de la justice.
72. La Cour estime donc que le pouvoir judiciaire ne devrait dépendre d’aucune
autre autorité. Il s'ensuit que ni le pouvoir exécutif, ni le pouvoir législatif ne
doivent s'immiscer, directement ou indirectement, dans tout ce qui concerne
l’organisation et le fonctionnement du pouvoir judiciaire, y compris ceux des
organes chargés de la gestion de la carrière des magistrats.
22 Bf Ab Ao Al Av c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 062/2019, Arrêt du 04 décembre 2020, $ 310.
23 CADHP, Ag Bj Bh et autres c. Cameroun, Communication 266/03, $ 211 et 212, 45ème session ordinaire, 13-27 mai 2009.
24 « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les cours et tribunaux créés conformément à la présente Constitution ».
25 « Le président de la République est garant de l'indépendance de la justice. Il est assisté par le Conseil supérieur de la Magistrature ».
73. La Cour relève qu'il résulte de l’article 11 de la loi organique relative au CSM
que celui-ci est l'organe de gestion de la carrière des magistrats du jour de
leur prestation de serment jusqu’à leur retraite et du maintien de la discipline
au sein de la magistrature. Le CSM représente dès lors, une garantie de
l'indépendance de la justice et également un rempart à l’immixtion des
autres pouvoirs. De l’avis de la Cour, un tel organe, pour soutenir
l'indépendance du pouvoir judiciaire, doit bénéficier de garanties statutaire
et fonctionnelles d'indépendance à l’égard des autres pouvoirs.
74. || appartient donc à la Cour d'apprécier si de telles garanties existent au
sein du CSM.
75. La Cour note qu’au regard de l’article 1 (nouveau) de sa loi organique, le
CSM comprend quinze (15) membres dont quatre (04) membres de droit
relevant directement du pouvoir exécutif, à savoir, le président de la
République, le ministre de la Justice, le ministre de la Fonction publique et
le ministre des Finances. Le président de la République nomme également
quatre (04) autres membres choisis hors de la magistrature”. Il faut préciser
que ces personnalités extérieures à la magistrature et leurs suppléants sont
nommées sur une liste de sept (07) titulaires et sept (07) suppléants
désignés par le Bureau de l’Assemblée nationale de l’État défendeur.
76. Elle relève, en outre, que le président de la République est le président du
CSM et le garde des Sceaux y occupe la deuxième vice-présidence. La
26 Les membres de droit: Le Président de la République, président; Le Président de la Cour suprême, premier vice-président ; Le Garde des sceaux, ministre chargé de la justice, deuxième vice-président; Les présidents de chambre de la Cour suprême, membres ; Le procureur général près la Cour suprême, membre ; Un président de Cour d'appel, membre ; Un procureur général près une Cour d’appel, membre ; Le ministre chargé de la fonction publique, membre ; Le ministre chargé des finances, membre ; Les autres membres: Quatre (04) personnalités extérieures à la magistrature, deux (02) magistrats dont un (01) du parquet. Les membres autres que ceux de droit, sont nommés par décret du Président de la République.
Cour note également que la voix du président du CSM est prépondérante
lors des délibérations”.
77. De plus, selon l’article 127 de la Constitution et l’article 11 de la loi sur le
CSM”, le CSM assiste le président de la République dans sa mission de
gardien de l'indépendance de la justice. Pour la Cour, faire du CSM un
organe d'assistance du président de la République le met manifestement
sous l’emprise et la dépendance de ce dernier.
78. La Cour note que la Cour constitutionnelle s’est penchée sur la
constitutionnalité de la loi sur le CSM à deux reprises, d’abord par la
décision DCC 18-005 du 23 janvier 2018 qui avait déclaré ladite loi
conforme à la Constitution et ensuite par la décision DCC 18-142 du 28 juin
2018 qui a inversé la première décision.
79. La Cour est d’accord avec l’interprétation initiale de la Cour constitutionnelle
qui avait déclaré que l’article 1 de ladite loi était contraire à la Constitution
au motif que « [Ja composition de ce conseil doit refléter le souci
d'indépendance du Pouvoir judiciaire. En retenant comme membre de droit,
outre le président de la République, garant de l’indépendance du pouvoir
judiciaire et le Garde des sceaux, ministre ayant en charge la gestion de la
carrière des magistrats, le ministre chargé de la Fonction publique et le
ministre chargé des Finances, l’article 1° de la loi est contraire à la
Constitution ».
80. À cette même occasion, la Cour constitutionnelle avait ajouté que « le
législateur, dans le souci d'indépendance du pouvoir judiciaire, doit prévoir
27 Article 13 de la loi sur le CSM : « En cas de partage égal des voix : celle du Président est prépondérante ».
28 Constitution du 2 décembre 1990, article 127(2) : « Le Président de la République est garant de l'indépendance de la justice. Il est assisté par le Conseil Supérieur de la Magistrature ».
29 Article 11 de la loi sur le CSM « le Conseil Supérieur de la Magistrature assiste le Président de la République dans sa mission de garant de l'indépendance de la justice ; à cet effet, il est consulté sur toute question concernant l'indépendance de la magistrature et la sécurité des juges ».
un certain équilibre de la composition du CSM (...). Il importe de préciser
que les personnalités extérieures susceptibles d’être désignées par le
Bureau de l’Assemblée nationale doivent l’être à parité sur la base de
propositions émanant de la minorité et de la majorité parlementaire ».
81. Par ailleurs, la Cour note que le ministre de la Justice, de qui relève la
gestion administrative de la justice, détient une autorité directe et parfois
discrétionnaire sur la carrière des magistrats. Il est le responsable principal
de la planification et de la gestion des ressources dans le domaine de la
justice. À ce titre, il détermine les besoins en ressources humaines dans le
secteur judiciaire et c'est sur ses propositions que les magistrats sont
présentés à la nomination du président de la République.
82. À la lumière de ce qui précède, la Cour constate que la procédure de
nomination et la composition du CSM reflètent un déséquilibre au profit du
pouvoir exécutif et que dès lors, les conditions d’indépendance du CSM ne
sont pas réunies.
83. En conséquence, la Cour considère que l’État défendeur a violé l’article 26
de la Charte.
B. Sur la violation alléguée du droit de grève des magistrats
84. Le Requérant affirme que l’interdiction de la grève des magistrats par
l’article 20 de la loi n° 2018-01 du 04 janvier 2018 portant statut de la
magistrature, est arbitraire parce qu’elle ne se justifie pas au regard de
l’article 27(2) de la Charte et ne respecte pas le juste équilibre entre les
exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de
protection des droits individuels fondamentaux.
85. Il indique que la suppression de ce droit est illégale et viole les instruments
internationaux des droits de l'homme notamment l’article 8 de la Charte,
ainsi que le principe de la suprématie constitutionnelle puisque la
Constitution de l’État défendeur en son article 31 garantit expressément le
droit de grève à tous. Selon lui, ce qui est garanti ne peut faire l’objet de
suppression mais seulement d'encadrement.
86. || ajoute que la violation du droit de grève des magistrats entraîne
conséquemment la violation de leur droit à l’information, à la liberté
d'opinion et d'expression, leur droit de constituer librement des
associations, et leur droit à la liberté de réunion, protégés respectivement
par les articles 9, 10 et 11 de la Charte.
87. L’État défendeur n’a pas conclu sur cette allégation.
88. La Cour note que la loi n° 2018-01 du 04 janvier 2018 portant statut de la
magistrature a été abrogée par la loi n° 2018-33 du 05 octobre 2018
maintenant le droit de grève des magistrats.
89. || s'ensuit que l’allégation de la violation du droit de grève ainsi que celles
des droits connexes allégués par le Requérant sont sans objet.
C. Sur la violation alléguée de l’article 30 du Protocole de la Cour
90. Le Requérant fait valoir que la Cour de céans a rendu à l’encontre de l’État
défendeur plusieurs décisions, notamment, l’ordonnance portant mesures
provisoires du 09 décembre 2018 et les arrêts des 29 mars et 29 novembre
2019 - requête n° 013/2017 - Bf Av c. Bénin ; l’arrêt du 27
novembre 2020 - requête n° 059/2019-XYZ c Bénin ; l’ordonnance du 17
avril 2020 et l’arrêt du 04 décembre 2020 - requête n° 062/2019 - Bf
Ab Av c. Bénin ; les ordonnances des 05 mai et 25 septembre
2020, l’arrêt du 04 décembre 2020-requête n° 003/2020 - Houngue Éric Ac c. Bénin; l’arrêt du 27 novembre 2020 - requête
n° 010/2020-XYZ c. Bénin.
91. Il affirme que par ces décisions, la Cour de céans avait ordonné à l’État
défendeur de prendre les mesures nécessaires pour, entre autres, abroger
le code électoral et les lois subséquentes avant toute élection, suspendre
les effets de l’arrêt du 25 juillet 2019 de la CRIET, lever tous les obstacles
à sa participation aux élections présidentielles, municipales et communales.
92. Selon le Requérant, l’État défendeur n’a exécuté aucune de ces décisions
et n’a soumis aucun rapport prouvant le contraire.
93. Le Requérant estime que du fait de l’inexécution de ces décisions, l’État
défendeur a violé l’article 30 du Protocole.
94. L’État défendeur n’a pas conclu sur cette allégation.
95. L'article 30 du Protocole dispose :
Les États parties au présent Protocole s'engagent à se conformer aux
décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et à
en assurer l’exécution dans le délai fixé par la Cour.
96. La Cour rappelle que le terme « décisions » inclut aussi bien les arrêts que
les ordonnances qu’elle rend, dont le caractère obligatoire est confirmé par
l’article 72 (2) du Règlement en ces termes « L'arrêt de la Cour a force
obligatoire (.…) et est exécutoire conformément à l’article 30 du Protocole ».
97. La Cour observe que malgré le fait que le Requérant évoque l’inexécution
de plusieurs décisions qu’elle a rendue, elle estime qu’elle doit prendre en compte uniquement les décisions dans lesquelles le Requérant était Partie
notamment les Ordonnances de mesures provisoires des 05 mai et 25
septembre 2020, et l’arrêt du 04 décembre 2020 - requête n° 003/2020-
Az Ap Ac c. Bénin.
98. La Cour note à cet égard que l’ensemble des violations alléguées par le
Requérant se rapportent d’une manière ou d’une autre, directement ou
indirectement, à l’inexécution des décisions susdites.
99. La Cour relève également qu’elle n’a reçu de l’État défendeur aucun rapport
sur l’exécution des décisions concernées et il ne conteste pas non plus qu’il
ne les a pas exécutées.
100. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur a violé
l’article 30 du Protocole.
D. Sur la violation alléguée du droit à la liberté d’opinion et d’expression
101. Le Requérant rappelle que l’article 410(1)(3) du code pénal de l’État
défendeur dispose :
Quiconque a publiquement par actes, paroles ou écrits, cherché à jeter le
discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions
de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance,
est puni d’un (01) mois à six (06) mois d’emprisonnement et de cent mille
(100 000) francs à un million (1 000 000) de francs CFA d'amende ou de
l’une de ces deux peines seulement.
Les dispositions qui précèdent ne peuvent, en aucun cas, être
appliquées aux commentaires purement techniques dans les revues
spécialisées, ni aux actes, paroles ou écrits tendant à la révision d’une
condamnation.
102. Il allègue que ces dispositions portent atteinte à la liberté d'opinion et
d'expression protégé par l’article 19 du PIDCP en raison, d’une part, de la
limitation du droit à la liberté des moyens de communication aux seules
revues spécialisées et, d’autre part, du fait que la liberté de critiquer une
décision de justice soit accordée seulement pour la révision d’une
condamnation au lieu de l’accorder pour l'exercice de toutes les voies de
recours.
103. L'État défendeur n’a pas conclu sur cette allégation.
104. L'article 9(2) de la Charte dispose : « Toute personne a le droit d'exprimer
et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ».
105. L'article 19 du PIDCP prévoit que « nul ne peut être inquiété pour ses
opinions » et que « toute personne a droit à la liberté d’expression », sous
réserve de restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires « au
respect des droits ou de la réputation d'autrui, à la sauvegarde de la sécurité
nationale, de l’ordre public, de la santé et de la moralité publique ».
106. Il résulte de ces textes que d’une part, la liberté d'opinion et la liberté
d'expression, fondement de toute société démocratique, sont étroitement
liées, la liberté d’expression étant le véhicule pour l'échange et le
développement des opinions. Ces deux libertés seront donc examinées
conjointement. D'autre part, la liberté d’expression n’est pas absolue
puisqu’elle doit être exercée « dans le cadre des lois ». Elle peut, par
conséquent, faire l’objet de restrictions prévues par la loi, lesquelles doivent,
en outre, viser un but légitime, être nécessaires et proportionnées. Ces
éléments s’apprécient au cas par cas, et dans le contexte d’une société
démocratique.
107. La Cour considère que la question qui se pose, en l'espèce, est celle de
savoir si les restrictions aux droits à la liberté d’opinion et d’expression dont
la violation est alléguée par le Requérant sont prévues par la loi et, dans
l’affirmative, si elles sont nécessaires, légitimes et proportionnées.
108. La Cour relève en l'espèce, que l’article 410 du code pénal réprime
quiconque a publiquement par actes, paroles ou écrits, cherché à jeter le
discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions
de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance.
Sont exclus de la pénalisation (ou de l’incrimination) les commentaires
purement techniques dans les revues spécialisées ainsi que les actes,
paroles ou écrits tendant à la révision d’une condamnation.
109. La Cour rappelle, d’abord, que les restrictions à certains droits et libertés
doivent être prévues par la loi, celles-ci devant être comprises au sens des
normes internationales relatives aux droits de l'homme. En effet, ces
normes exigent que les lois nationales qui restreignent la liberté
d'expression soient claires, prévisibles et conformes à l’objet de la Charte
et des instruments internationaux des droits de l’homme. Elles doivent, par
ailleurs, être d’application générale, ce qui est le cas, en l’espèce.’°
110. Ensuite, concernant la légitimité du but visé par la restriction, la Cour
souligne que la clause générale de limitation prévue par l’article 27(2) de la
Charte fait référence au respect du droit d’autrui, à la sécurité collective, à
la moralité et à l'intérêt commun. La Cour a également considéré que la
sécurité nationale, l’ordre public et la moralité publique sont des restrictions
30 Bf Ab Ao Al Av c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 062/2019, Arrêt du 04 décembre 2020, $ 122.
31 Idem, $ 123.
111. La Cour note en l’espèce que l’État défendeur a limité les commentaires
aux seules revues spécialisées. Or, la Cour est d’avis que les revues
spécialisées ne sont pas les seuls moyens de communication permettant
de diffuser des opinions techniques sur les décisions de justice. Ces
moyens de communication pouvant être également internet, les journaux
écrits, les émissions radio ou télévisuelles, les cours préparés par les
enseignants, etc.
112. La Cour observe également en l'espèce que les restrictions prévues par
l'alinéa 3 de l’article 410 du code pénal sont vagues et ne poursuivent pas
un but légitime puisqu’il n’existe aucun besoin impérieux de limiter les
citoyens à certains moyens de communication et donc, de les priver d’avoir
recours à d’autres qui sont à leur disposition pour faire des commentaires
techniques sur les décisions de justice et d'exercer, ainsi, leur droit à la
liberté d’expression.
113. La Cour estime aussi que ces restrictions ne sont fondées sur aucune
considération de sécurité nationale, d’ordre public et ou de moralité
publique puisque l'alinéa 1 de l’article punit déjà le discrédit jeté sur une
décision de justice dans le but à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à
son indépendance.
114. En conséquence de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur
a violé le droit à la liberté d'opinion et d’expression protégé par l’article 9(2)
de la Charte, lu conjointement avec l’article 19 du PIDCP.
E. Sur la violation alléguée du droit à un recours effectif
115. Le Requérant affirme que les citoyens ne disposent pas de recours, avant
leur promulgation, contre les lois adoptées par le parlement. I! affirme qu’il
en est de même pour les magistrats en ce qui concerne les mesures prises
par le CSM à leur encontre.
116. Il fait valoir, s'agissant des citoyens, que conformément à l’article 97(3) de
la Constitution, les lois organiques ne peuvent être promulguées qu’après
déclaration par la Cour constitutionnelle de leur conformité à la Constitution.
Il affirme que l’article 121 de la Constitution a écarté les citoyens à former
ce recours en inconstitutionnalité avant la promulgation de la loi en
conférant cette compétence uniquement au président de la République et
aux membres de l’Assemblée nationale.
117. Il ajoute que le citoyen, en vertu de l’article 122 de la Constitution, peut saisir
la Cour constitutionnelle en inconstitutionnalité uniquement qu'après la
promulgation de la loi.
118. Il fait valoir par ailleurs que l’État défendeur viole le droit des magistrats en
ne leur accordant aucun recours contre les décisions rendues à leur
encontre par le CSM.
119. Il estime qu’en empêchant le citoyen d’intervenir avant la promulgation de
la loi et en n’accordant pas de recours au magistrat contre les décisions du
CSM, l’État défendeur viole le droit à un recours effectif protégé par l’article
1(h) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et l’article 8 de la DUDH.
120. L'État défendeur n’a pas conclu sur cette allégation.
121. L'article 7(1a) de la Charte dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend : a) Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes
de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnues et
garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en
vigueur.
122. Cet article sera lu conjointement avec l’article 2(3)(a) du PIDCP, l’article 1(h)
du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et l’article 8 de la DUDH qui
disposent respectivement que :
« Les États Parties s'engagent à Garantir que toute personne dont les
droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés,
disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été
commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions
officielles ».
« tout individu ou toute organisation a la faculté de se faire assurer cette
garantie par les juridictions de droit commun ou par une juridiction spéciale
ou par toute Institution nationale créée dans le cadre d’un Instrument
international des Droits de la Personne ».
« Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions
nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux
qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ».
123. La Cour rappelle que le droit à un recours effectif comporte trois (3) volets.
Premièrement, le recours doit être efficace. Cela signifie qu’il ne doit pas
être formel mais doit être de nature à réparer des violations des droits
fondamentaux. Cela implique que la personne concernée a un accès réel à
un tribunal. Deuxièmement, le champ d’application couvert par la
disposition doit se rapporter aux lois, conventions, règlements et coutumes.
Troisièmement, l'organe compétent saisi des allégations de violations de
droits fondamentaux doit être un organe judiciaire.
124. La Cour estime qu’il importe, par conséquent, de savoir si la législation de
l’État défendeur permet aux citoyens et aux magistrats de faire valoir en
justice leurs droits.
125. La Cour note que l’article 117 de la Constitution de l’État défendeur du 11
décembre 1990 dispose :
La Cour constitutionnelle statut obligatoirement sur la constitutionnalité des
lois et des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits
fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques en général,
sur la violation des droits de la personne humaine.
126. Elle observe en outre que conformément aux articles 122 ? de la
Constitution, 22° et 24° de la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi
organique sur la Cour Constitutionnelle, celle-ci peut être saisie par le
président de la République, tout membre de l’Assemblée nationale, tout
citoyen, toute association ou organisation non gouvernementale de défense
des droits de l’homme, de toutes les lois et actes réglementaires censés
porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux
libertés publiques, et en général, sur la violation des droits de la personne
humaine.
127. La Cour note que la compétence a posteriori conférée par ces articles aux
citoyens de saisir la Cour constitutionnelle est parfaitement compréhensible
dans la mesure où la loi a été promulguée, est entrée en vigueur et
#2 Article 122 « Tout citoyen, peut saisir la Cour Constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l'exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour Constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours ».
33 Article 22 « De même sont transmis à la Cour Constitutionnelle soit par le Président de la République, soit par tout citoyen, par toute association ou organisation non gouvernementale de défense des Droits de l'Homme, les lois et actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques, et en général, sur la violation des droits de la personne humaine ».
34 Article 24 « Tout citoyen peut, par une lettre comportant ses noms, prénoms et adresse précise, saisir directement la Cour Constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois. | peut également, dans une affaire qui le concerne, invoquer devant une juridiction l'exception d’inconstitutionnalité.
Celle-ci, suivant la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité doit saisir immédiatement et au plus tard dans les huit jours la Cour Constitutionnelle et surseoir à statuer jusqu’à la décision de la Cour ».
s'applique donc à tous. Le citoyen a donc dès lors la possibilité et le droit
de former un recours contre cette loi s’il estime qu’elle porte atteinte à ses
droits fondamentaux.
128. Concernant la limitation de la saisine prévue à l’article 121 de la
Constitution, la Cour relève que ladite saisine concerne un projet de loi qui
n’est pas encore promulguée et ne touche donc pas les droits des citoyens.
La Cour estime dès lors que la limitation de cette saisine est justifiée
puisqu’elle permet à ceux qui ont la compétence de présenter le projet ou
la proposition de loi à l’Assemblée nationale (les députés et l’exécutif)* de
reformer ou d'abandonner le texte de loi dont l’éventuelle
inconstitutionnalité aurait été prononcée par la Cour constitutionnelle.
129. La Cour note en tout état de cause que conformément à l’article 44 de la loi
n° 2022-09 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour
constitutionnelle, la décision de non-conformité d’une loi à la suite d’une
saisine soit en vertu de l’article 121 ou de l’article 122 de la Constitution, ont
des conséquences proches puisque pour la première saisine, le projet de
loi ne peut être promulgué et pour la deuxième saisine le texte critiqué est
nul et non avenu°6. Dans les deux cas le texte censuré ne produit donc
aucun effet.
130. La Cour estime par conséquent que les citoyens de l'État défendeur
disposent d’un recours effectif et efficace pour la protection de leurs droits
humains.
35 Article 105 de la constitution « L'initiative des lois appartient concurremment au président de la République et aux membres de l'Assemblée nationale … ».
36 Article 44 « dans le cas où la Cour constitutionnelle déclare la loi dont elle est saisie contient une disposition contraire à la constitution sans constater en même temps qu’elle est inséparable de l’ensemble de cette loi, le Président de la République peut soit promulguer la loi à l'exception de cette disposition, soit demander à l'assemblée nationale une nouvelle délibération.
De même, lorsque la Cour saisie par un citoyen déclare qu’une loi, un texte réglementaire ou un acte administratif est contraire aux dispositions de la Constitution, ces lois, textes ou actes sont nuls et non avenus.
131. La Cour rappelle qu’en vertu à l’article 17 de la loi organique sur le CSM,
celui-ci statue comme conseil de discipline des magistrats et que les
sanctions applicables ainsi que la procédure disciplinaire sont fixées par la
loi portant statut de la magistrature.
132. La Cour observe également qu’il ressort des articles 20(3) de la loi sur le
CSM et 68 de la loi n° 2001-35 du 21 février 2003 portant statut des
magistrats que la décision du Conseil supérieur de la magistrature n’est
susceptible d’aucun recours, sauf en cas de violation des droits de la
personne humaine et des libertés publiques. Le recours étant porté devant
la Cour constitutionnelle.
133. La Cour note cependant que bien que le recours des magistrats soit
restreint au cas de violation des droits de la personne humaines et des
libertés fondamentales, elle estime qu’une décision rendue dans ce
domaine par la Cour constitutionnelle au profit du magistrat peut avoir, in
fine, un impact sur la décision prise par le CSM en l’amenant à la reformer.
134. La Cour relève à cet égard que les décisions de la Cour constitutionnelle
sont exécutoires et s'imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités
civiles, militaires et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques ou
morales qui doivent l’exécuter de façon diligente“”.
135. La Cour estime dès lors que les magistrats disposent d’un recours effectif
contre les décisions rendues à leur encontre par le CSM.
136. À la lumière de tout ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur n’a
pas violé l’article 7(1) de la Charte lu conjointement avec les articles 2(3)(a)
37 Article 20(2)(3) de la loi n° 2022-09 du 27 juin 2022.
du PIDCP, 1(h) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et 8 de la
DUDH.
F. Sur les violations alléguées relatives à la révision de la constitution, au
code électoral et au COS-LEPI
137. Le Requérant fait valoir que l’article 153-1°8 de la Constitution interdit de
participation aux affaires publiques, notamment aux élections législatives,
municipales, de villages et de quartier de ville, tout citoyen de l’État
défendeur qui n’a pas de parti politique ou qui ne figure pas sur la liste d’un
parti politique.
138. Il fait valoir, en outre, que cette disposition viole le droit à la liberté
d'association, les droits à l’égalité et à la non-discrimination, le droit à la
liberté de participer aux affaires publiques de son pays.
139. Il soutient qu’en faisant obligation aux citoyens béninois de ne voter que
pour les seuls candidats choisis et investis par les partis politiques, l’article
153-1 viole le droit à la liberté d'expression consacré par les articles 19(2)
du PIDCP.
140. Le Requérant ajoute que l’article 44 de ladite révision exige l’obtention de
parrainage pour se présenter aux élections présidentielles. L'article 138 du
code électoral donnant la possibilité de parrainer un candidat uniquement
aux députés et aux maires alors que tous les députés ainsi que la quasi-
totalité des maires sont issus du régime au pouvoir.
141. Il affirme, à cet effet, que les maires sont illégitimes dans la mesure où ils
sont issus des élections communales et municipales de 2020 qui s’est tenue
38 Issu de la révision constitutionnelle du 7 novembre 2019.
en violation des décisions de la Cour de céans rendues les 17 avril 2020-
requête 062/2019 et 05 mai 2020-003/2020.
142. Il ajoute qu’au plan électoral, le maire n’est pas représentatif de toute la
population de la commune dans laquelle il a été élu puisqu'il est le
représentant politique d’un seul parti. De la sorte, selon lui, les maires ne
peuvent donc être désignés pour parrainer un candidat, en lieu et place de
la population de la commune ou de tous les élus locaux qui représentent
l’entièreté de cette population.
143. Il fait valoir, en outre, que le maire n’est que l’organe exécutif de la commune
et n’est donc pas représentatif du choix politique de toute la commune.
Ainsi, pour le Requérant, le fait que le maire soit habilité à parrainer un
candidat viole le principe de l’alternance démocratique en ce qu'il exclut de
la participation à la gestion des affaires publiques tous les autres
représentants choisis par le peuple.
144. Il déclare, en plus, que le parlement de l’État défendeur est monocolore
c’est -à- dire affilé au camp présidentiel. I! explique que, non seulement,
ces députés font illégalement obstacle à sa candidature et à celle de
plusieurs autres citoyens de l’État défendeur, mais également, ils exigent
que ces citoyens leur fassent allégeance avant de pouvoir accorder leur
parrainage. Il estime par conséquent que le système de parrainage exclut
toute garantie de l’alternance démocratique au Bénin protégé par l’article
23(5) de la CADEG.
145. Le Requérant, argue, enfin que l’article 53°° de la Constitution en disposant
que : « avant son entrée en fonction, le président de la République prête le
serment suivant : devant Dieu, les mânes des ancêtres, la Nation et devant
39 Article issu de la révision constitutionnelle du 7 novembre 2019.
le peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté… » viole le droit à la
liberté de religion protégé par l’article 8 de la Charte et l’article 18 du Pacte.
146. Selon le Requérant, en reprenant l’expression « les mânes des ancêtres »
dans la formule de serment du président de la République, l’État défendeur
a donné son appréciation sur la légitimité de la croyance aux mânes des
ancêtres et en tant que citoyen il ne saurait être obligé de prêter serment
en faisant appel à une telle croyance qui est contraire à ses propres
convictions et confessions religieuses.
147. Le Requérant fait valoir que l’élection de Monsieur Ar Bm à la
présidence de l’État défendeur en 2021 constitue un changement
anticonstitutionnel de Gouvernement du fait de la composition du Conseil
d'orientation et supervision de la liste électorale permanente informatisée
(COS-LEPI) organe chargé d’établir la liste électorale, alors que la Cour de
céans avait ordonné la recomposition de cet organe avant la tenue de toute
élection.
148. Le Requérant affirme, enfin, que malgré les décisions de la Cour de céans
qui ordonne à l’État défendeur d’abroger les dispositions issues de la
révision constitutionnelle ainsi que le code électoral, la Cour
constitutionnelle de l’État défendeur, suivant les décisions DCC 21-011, DC
21-008, DCC 21-010 du 07 janvier 2021, a rejeté des demandes de citoyens
de l’État défendeur tendant aux mêmes fins.
149. Il conclut que l’État défendeur a violé les articles 19(2) et 25(b) du PIDCP,
13(1) de la Charte, 3 (10) (11) et 23(5) de la CADEG et 1(i) du Protocole de
la CEDEAO.
150. L'État défendeur n’a pas conclu sur cette allégation.
151. La Cour a déjà jugé®° que la révision constitutionnelle du 7 novembre 2019
viole les articles 9(1), 22(1) et 23(1) de la Charte et l’article 10(2) de la
CADEG et elle a ordonné son abrogation ainsi que des lois subséquentes
notamment le code électoral du 15 novembre 2019.
152. La Cour a jugé également que le COS-LEPI, de par sa composition, n’offre
pas suffisamment de garanties d’indépendance et d’impartialité en vertu
des articles 17(2) de la CADEG et 3 du Protocole de la CEDEAO sur la
démocratie*!.
153. La Cour constate que rien dans les circonstances de l’espèce ne justifie
qu’elle se prononce autrement.
154. La Cour estime donc qu’il est superflu de statuer sur les violations qui
résulteraient de la composition du COS-LEPI ainsi que de la révision
constitutionnelle et du code électoral, qui visent notamment les conditions
de candidature, la liberté d’expression électorale et la liberté de religion.
155. La Cour conclut, par conséquent, que la demande du Requérant tendant à
ce que la Cour constate la violation desdits droits devient sans objet.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
156. L'article 27(1) du Protocole dispose que : Lorsqu'elle estime qu’il y a eu
violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les
mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement
d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation.
40 Az Ap Ac c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 003/2020, Arrêt du 4 décembre 2020 (fond et réparations), S$ 66 et 77 à 79, 123(xii) ; A c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 059/2019, Arrêt du 27 novembre 2020 (fond et réparations), $$ 124-125, 179(xii).
41 Ibid, XYZ c. République du Bénin, $ 148.
157. La Cour rappelle ses arrêts antérieurs en matière de réparation ‘’ et
réaffirme que pour examiner les demandes en réparation des préjudices
résultants des violations des droits de l’homme, elle tient compte du principe
selon lequel l’État responsable d’un fait internationalement illicite a
l'obligation de réparer intégralement les conséquences de manière à couvrir
l’ensemble des dommages subis par la victime.
158. La Cour tient également compte du principe selon lequel il doit exister un
lien de causalité entre la violation alléguée et le préjudice invoqué et fait
reposer la charge de la preuve sur le Requérant qui doit fournir les éléments
devant justifier sa demande“.
159. La Cour rappelle qu’elle a établi que « la réparation doit, autant que
possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l’état
qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis ».
En outre, les mesures de réparation doivent, selon les circonstances
particulières de chaque affaire, inclure la restitution, l'indemnisation, la
réadaptation de la victime et les mesures propres à garantir la non-répétition
des violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire“*.
160. Du reste, la Cour réitère qu’elle a déjà établi que les mesures de réparation
des préjudices résultants des violations des droits de l’homme doivent tenir
compte des circonstances de chaque affaire et l’appréciation de la Cour
s'opère au cas par cas”.
161. La Cour procédera à l’examen des demandes de réparation en gardant à
l'esprit qu’elle ne peut ordonner des mesures de réparations fondées sur
4 Ayant droits de feus Ak Bb, Ba Aa dit Ablassé, Bc Bb et Blaise IIboudo et Mouvement Burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Aq An (réparations) (5 juin 2015) 1 RICA 265, $ 22 ; XYZ c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 010/2020, Arrêt du 27 novembre 2020 (fond et réparations), $ 139.
33 Ibid., XYZ c. République du Bénin, $ 140.
44 Ibid., 8 141.
des allégations pour lesquelles aucune violation des droits de l'homme n’a
été établie.
162. En l’espèce, la Cour constate qu’elle a conclu que la loi sur le CSM viole
l’article 26 de la Charte, l’article 410(3) du code pénal et viole aussi l’article
9(2) de la Charte et l’article 19 du PIDCP. Elle a conclu également à la
violation de l’article 30 du Protocole par l’État défendeur pour inexécution
des décisions de la Cour.
163. La Cour rappelle que le Requérant sollicite des (A) réparations pécuniaires
et des (B) réparations non-pécuniaires.
A. Sur les réparations pécuniaires
164. Le Requérant prie la Cour de condamner l’État défendeur à lui payer la
somme d’un milliard (1 000 000 000) francs CFA à titre d’intérêt forfaitaire
mensuelle et ce, jusqu’à parfaite et entière exécution de la présente
décision. I! réclame également des intérêts forfaitaires mensuels de cing-
cents millions (500 000 000) francs CFA jusqu’à l’exécution complète des
ordonnances des 05 mai et 25 septembre 2020, et l’arrêt du 04 décembre
2020 - requête n° 003/2020-Houngue Éric Ac c. Bénin.
165. Il sollicite, en outre, que l’État défendeur soit condamné à lui payer quinze
millions (15 000 000) francs CFA au titre des honoraires d’avocats et des
frais de procédure, cinq cent mille (500 000) francs CFA pour les frais de
plis de communication et cing-cents millions (500 000 000) francs CFA au
titre des préjudices moraux qu’il a subi du fait des violations constatées.
166. L'État défendeur n’a pas conclu sur ces demandes.
i. Les intérêts forfaitaires mensuels
167. La Cour note que le Requérant lui demande d’imposer à l’État défendeur le
paiement des sommes forfaitaires mensuels d’un milliard (1 000 000 000)
de francs CFA et cing-cents millions (500 000 000) de francs CFA,
respectivement, pour exécution de l'arrêt qui sera rendu dans la présente
affaire, et inexécution de l’arrêt du 04 décembre 2020 ainsi que les
ordonnances de mesures provisoires des 05 mai et 25 septembre 2020
rendus dans l’affaire 003/2020 - Az Ap Ac c. Bénin.
168. La Cour estime que de telles demandes s'analysent à des demandes de
mesures de contrainte pour obliger l’État défendeur à exécuter les
décisions, ce qui ferait d’elle juge de l’exécution de ses propres décisions.
Ceci serait contraire aux articles 29(2)*° et 30“7 du Protocole sur les
conditions d’exécution des décisions rendues par la Cour.
169. La Cour relève qu’en vertu de la dernière disposition, l’État défendeur doit
se conformer aux décisions de la Cour sans qu’il soit nécessaire de prendre
d’autres mesures.
170. La Cour rejette donc les demandes d'intérêts forfaitaires sollicitées.
ii, Les honoraires d’avocats, de plis, de communication et de procédure
171. La Cour observe que le Requérant ne produit pas les preuves justifiant les
frais qu’il a exposés au titre de sa représentation par un avocat, ni ceux pour
les plis et les communications. De plus, la Cour rappelle que la procédure
46 L'article 29(2) du Protocole dispose : « Les arrêts de la Cour sont aussi notifiés au Conseil exécutif qui veille à leur exécution au nom de la Conférence ».
47 L'article 30 du Protocole dispose : « Les États parties au [.…] Protocole s'engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et à en assurer l'exécution dans le délai fixé par la Cour ».
devant elle est gratuite conformément à la règle 32 de son Règlement
intérieur.
172. En conséquence, la Cour rejette les demandes de restitution des sommes
de quinze millions (15 000 000) francs CFA au titre de frais d’avocat et de
procédure, et cinq mille (500 000) francs CFA au titre des frais de plis et de
communications formulées par le Requérant.
iii. — Le préjudice moral
173. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle il y a une présomption de
préjudice moral souffert par le Requérant dès lors que la Cour a constaté la
violation des droits de celui-ci, de sorte qu’il n’est plus nécessaire de
rechercher les éléments de preuve pour établir le lien entre la violation et le
préjudice. La Cour a également jugé que l’évaluation des montants à
octroyer au titre de réparation du préjudice moral devrait être faite sur la
base de l’équité, en tenant compte des circonstances de chaque affaire“.
174. En l’espèce, la Cour constate que le préjudice moral subi par le Requérant
résulte des violations de ses droits en lien avec le code pénal et
l’inexécution des décisions de la Cour.
175. La Cour observe que le montant de la réparation à accorder au Requérant,
en l’espèce, doit être évalué en fonction du degré de souffrance morale qu’il
a dû ressentir du fait de la violation des droits par les lois susvisées ainsi
que du fait de la non-exécution des décisions de la Cour qui le concerne.
176. Elle note que du fait de l’inexécution de l’arrêt rendu le 04 décembre 2020,
dans la Requête n° 003/2020 - Az Ap Ac c. Bénin, le
Requérant n’a pas pu être candidat aux élections législatives et présidentielles de son pays“. Elle estime que cette situation a été la source
d’un préjudice moral pour le Requérant.
177. Pour toutes ces considérations, la Cour, usant de son appréciation
discrétionnaire, accorde au Requérant une réparation du préjudice moral
qu’il a personnellement subi, d’un montant de cinq millions (5 000 000)
Francs CFA.
B. Sur les réparations non pécuniaires
178. La Cour rappelle que le Requérant a sollicité des mesures pour faire effacer
tous les effets et toutes les conséquences des violations dont l’État
défendeur est reconnu coupable, notamment relativement à la composition
du CSM, à l’article 20 de la loi n° 2018-01 portant statut de la magistrature,
à l’article 410(3) du code pénal, aux décisions de la Cour constitutionnelle,
à l’inexécution des décisions de la Cour, à la recomposition de l’Assemblée
nationale.
179. L'État défendeur n’a pas conclu sur ces demandes.
180. La Cour statuera sur les demandes relatives à la composition du CSM, à
l’article 410(3) du code pénal, à l’annulation des décisions de la Cour
constitutionnelle, à l’inexécution des décisions de la Cour de céans et à la
recomposition de l’Assemblée nationale.
49 Az Ap Ac c. République du Bénin, CAfDHP, Requête N° 003/2020, arrêt du 04 décembre 2020 (fond et réparations), $$ 123(xii) : la cour avait ordonné à l’État défendeur de prendre toutes les mesures afin d’abroger la loi n° 2019-40 du 1°" novembre 2019 portant révision de la loi n° 90- 032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la république du Bénin et toutes les lois subséquentes afin de garantir que ses citoyens participent librement et directement, sans aucun obstacle politique, administratif ou judiciaire, avant toute élection.
La composition du CSM
181. La Cour rappelle que le Requérant sollicite des mesures pour soustraire du
CSM tous les membres du pouvoir exécutif, en instituant l’élection à la
majorité absolue des membres, la présidence du CSM devant être dévolue
à un magistrat démocratiquement élu.
182. La Cour note que du fait d’une emprise importante du pouvoir exécutif sur
le CSM, elle a conclu à la violation de l’article 26 de la Charte.
183. En conséquence, elle ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les
mesures nécessaires afin de remédier à cette situation et de rendre
l’organisation statutaire et fonctionnelle du CSM conforme à l’article 26 de
la Charte, d’une part, en abrogeant les dispositions suivantes de la loi
organique relative au CSM : celles en vertu desquelles le président de la
République est membre du CSM et président du CSM, celles en vertu
desquelles le président de la République nomme des membres du CSM et
celles en vertu desquelles d’autres membres de l’exécutif sont membres du
CSM, et d'autre part, en faisant en sorte que la présidence du CSM soit
dévolue au président de la Cour suprême.
L'article 410(3) du code pénal
184. La Cour a conclu que l’État défendeur a violé le droit à la liberté d’opinion
et d'expression protégé par l’article 9(2) de la Charte et l’article 19 du PIDCP
du fait de l’article 410(3) du code pénal.
185. En conséquence, la Cour ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les
mesures afin de rendre l’article 410(3) du code pénal conforme aux articles
9(2) de la Charte et 19 du PIDCP garantissant la liberté d’opinion et
d'expression quant aux commentaires des décisions de justice.
iii, L’annulation des décisions de la Cour constitutionnelle
186. Le Requérant affirme que malgré les décisions de la Cour qui a ordonné
l’abrogation de la révision constitutionnelle et le code électoral, la Cour
constitutionnelle de l’État défendeur, suivant les décisions DCC 21-011, DC
21-008, DCC 21-010 du 07 janvier 2021, a rejeté les demandes de citoyens
béninois aux fins de voir déclarer inconstitutionnelle les dispositions
incriminées de ces lois. Le Requérant demande à la Cour d'annuler ces
décisions de la Cour constitutionnelle.
187. La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle elle n’est pas une juridiction
d’appel ayant le pouvoir d’infirmer ou annuler les décisions des juridictions
nationales.°°
188. La Cour rejette en conséquence cette demande.
iv. L’inexécution des décisions de la Cour
189. La Cour ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures pour se
conformer à l’article 30 du Protocole en exécutant les ordonnances de
mesures provisoires des 05 mai et 25 septembre 2020 et l’arrêt du 4
décembre 2020 qu’elle a rendus dans la Requête n° 003/2020 - Az
Ap Ac c. Bénin.
v. … Larecomposition de l’Assemblée nationale
190. La Cour rappelle que le Requérant lui demande de recomposer l’Assemblée
nationale puisque les députés de cette législature ont été élus lors
d’élections qui ont été organisés par des organes électoraux non
indépendants et impartiaux, notamment le COS-LEPI et sous les
50 Am C c. République-unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 mars 2018), 2 RICA 226, $ 94 ; As Be c. République-unie de Tanzanie (fond et réparations) (11 mai 2018), 2 RJCA 356, $ 84.
dispositions de la révision constitutionnelles et du Code électoral du 7 et 15
novembre 2019 qui devaient être abrogés avant toute élection
conformément aux décisions de la Cour.
191. La Cour relève cependant que la demande de recomposition de
l’Assemblée nationale suppose, au préalable, une dissolution.
192. La Cour note qu’elle a conclu en l’espèce que les violations alléguées
relatives à la révision constitutionnelle, au Code électoral et au COS-LEPI
sont sans objet. La Cour observe, en outre, qu’elle n’a pas statué ni constaté
193. La Cour observe que l’article 27(1) du Protocole lui donne des pouvoirs
suffisants pour ordonner à un État défendeur de prendre des mesures visant
à annuler une élection si elle l'estime appropriée pour remédier à la
situation. Pour cela, elle prendra en compte la gravité des violations
constatées, leur implication sur la crédibilité de l’ensemble du processus
électoral et l'impact d’une telle mesure sur la sécurité et la stabilité du pays.
194. La Cour note qu’en l'espèce, le Requérant n’a pas démontré l'impact
substantiel des violations constatées sur la crédibilité de l'ensemble du
processus électoral. Rien dans le dossier n'indique que les élections
législatives ont été impactées par les violations constatées au point que la
dissolution de l’Assemblée nationale soit la mesure la plus appropriée pour
remédier à la situation.
195. En conséquence, la Cour rejette cette demande.
IX. SUR LES DEMANDES DE MESURES PROVISOIRES
196. La Cour rappelle que les 14 juillet et 15 septembre 2022, le Requérant a
introduit deux demandes de mesures provisoires que la Cour a joint à la
Requête au fond.
197. La Cour note cependant que la présente décision sur le fond rend sans objet
lesdites demandes.
SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
198. Le Requérant demande que l'État défendeur supporte les frais de
procédure.
199. L'État défendeur n’a pas conclu sur cette demande.
200. Aux termes de l’article 32(2) du Règlement*!, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
201. La Cour constate que rien dans les circonstances de l'espèce ne justifie
qu’elle déroge à cette disposition.
202. La Cour ordonne que chaque Partie supporte ses frais.
51 Article 30(2) du Règlement du 02 juin 2010.
XI. DISPOSITIF
203. Par ces motifs
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
ii Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
iii. Dit que la violation alléguée du droit de grève des magistrats, de
leur droit à l’information, liberté d’opinion et d’expression, de leur
droit de constituer librement des associations, et de leur droit à la
liberté de réunion, protégés respectivement par les articles 8, 9,
10 et 11 de la Charte, est sans objet ;
iv. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à un recours effectif
des citoyens et des magistrats pour la protection de leurs droits,
protégé par l’article 7(1) de la Charte lu conjointement avec les
articles 2(3)(a) de la CADEG, 1(h) du Protocole de la CEDEAO
sur la démocratie et 8 de la DUDH ;
v. Dit que les violations alléguées relatives à la révision
constitutionnelle et au code électoral sont sans objet ;
vi. Dit que les violations alléguées relatives au COS-LEPI sont sans
objet;
vi. Dit que l’État défendeur a violé l’article 26 de la Charte du fait de
la composition et du fonctionnement du CSM ;
À la majorité de dix voix (10) pour et une (1) voix contre, le J uge Dennis
D. ADJ El étant dissident,
viii. Dit que l’État défendeur a violé l’article 30 du Protocole pour
inexécution des décisions de la Cour ;
À l’unanimité,
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la liberté d'opinion et
d’expression du fait de l'article 410(3) du code pénal ;
Sur les réparations
Les réparations pécuniaires
À la majorité de dix voix (10) pour et une (1) voix contre, la J uge Chafika
BENSAOULA étant dissidente,
x. Rejette la demande de paiement de la somme de cing-cents
millions (500 000 000) Francs CFA à titre d’intérêt forfaitaire
mensuel pour l’inexécution des ordonnances de mesures
provisoires des 05 mai et 25 septembre 2020, et l'arrêt du 04
décembre 2020 rendus dans l'affaire 003/2020 - Az Ap
Ac c. Bénin ;
À l’unanimité,
xi, Rejette la demande de paiement de la somme d’un milliard
(1 000 000 000) Francs CFA à titre d'intérêt forfaitaire mensuel
pour l'exécution de l’arrêt rendu dans la présente affaire ;
xii. Rejette les demandes de restitution des sommes de quinze
millions (15 000 000) francs CFA au titre de frais d’Avocat et de procédure, et cinq cent mille (500 000) francs CFA au titre des
frais de plis et de communications ;
xiii. Ordonne à l’État défendeur de payer au Requérant la somme de
cinq millions (5 000 000) francs CFA à titre de réparation du
préjudice moral, etce, dans un délai de six (6) mois, à compter de
la signification du présent arrêt, faute de quoi, il aura à payer des
intérêts de retard calculés sur la base du taux applicable fixé par
la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO)
pendant toute la période de retard et jusqu’au paiement intégral
de la somme due.
Sur les réparations non-pécuniaires
xiv. Rejette la demande de recomposition du Parlement ;
xv. Rejette la demande d'annulation des décisions de la Cour
constitutionnelle ;
xvi. Ordonne à l’État défendeur de prendre, dans les délais de six (6)
mois à compter de la signification du présent arrêt, toutes les
mesures afin de rendre l’organisation statutaire et fonctionnelle du
CSM conforme à l’article 26 de la Charte, d’une part, en abrogeant
les dispositions suivantes de la loi organique relative au CSM :
celles en vertu desquelles le président de la République est
membre du CSM et président du CSM, celles en vertu desquelles
le président de la République nomme des membres du CSM et
celles en vertu desquelles d’autres membres de l'exécutif sont
membres du CSM, et d’autre part, en faisant en sorte que la
présidence du CSM soit dévolue au Président de la Cour suprême;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de prendre, dans les délais de six (6)
mois à compter de la signification du présent arrêt, toutes les
mesures afin de rendre l'article 410(3) du code pénal conforme
aux articles 9 (2) de la Charte et 19 du PIDCP, garantissant la liberté d’opinion et d'expression en matière de critique des
décisions de justice ;
xviii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures pour se
conformer à l’article 30 du Protocole en exécutant les décisions
rendues dans la Requête n° 003/2020-Houngue Éric
Ac c Bénin ;
xix. Ordonne à l’État défendeur de publier le dispositif du présent arrêt
dans un délai d’un (1) mois, à compter de la date de sa
signification, sur les sites internet du Gouvernement, du ministère
des Affaires Étrangères, du ministère de la Justice, et au journal
officiel de l’État défendeur pendant douze (12) mois.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapport
xx. Ordonne à l’État défendeur de soumettre à la Cour, dans un délai
de six (6) mois, un rapport sur la mise en œuvre des points xiii,
xvi, xvii, xviii et xix du présent dispositif. Ces délais courent à
compter de la notification du présent arrêt.
Sur la demande de mesures provisoires
xxi. Dit que les demandes de mesures provisoires sont sans objet.
Sur les frais de procédure
Xxii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais.
Ontsigné :
Imani D. ABOUD, Président NS}
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ge Ben KIOKO, Juge NS
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; Me phee)
Suzanne MENGUE, Juge ; yes —4=
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge 4 «On ON
Chafika BENSAOULA, Juge FE
Stella |. ANUKAM, Juge Eur am
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Jp Æ @.
Modibo SACKO, Juge fran : fau -
Dennis D. ADJE, Juge ; Med
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70 du Règlement, les Opinions dissidentes des Juges Chafika BENSAOULA et Dennis D. ADJEI sont jointes au présent arrêt.
Fait à Arusha, ce premier jour du mois de décembre de l’an deux mil vingt-deux, en français et en anglais, le texte français faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 028/2020
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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