PARTIES :
Appelant : MM. RA et BM
Avouée : Mme CFL
Avocate : Maître MBI
Partie : MINISTÈRE PUBLIC
JUGEMENT 109-2020
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : M. Vincent ANIÈRE
Magistrats : M. Carles CRUZ MORATONES
M. Jaume TOR PORTA
À Andorre-la-Vieille, le 29 octobre 2020.
Au nom du peuple andorran.
La chambre civile du Tribunal Supérieur de Justice d’Andorre s’étant réunie, l’acte de recours des procédures susmentionnées a été examiné.
Lors de l’instruction de cette procédure, les prescriptions légales ont été observées et le magistrat, M. Vincent ANIÈRE, était le juge rapporteur et exprime ici l’opinion du tribunal.
EXPOSÉ DES FAITS
Premièrement. Au moyen d’une lettre produite le 14-02-2019, M. RA et BM ont demandé l'exequatur des jugements rendus les 01-04-2016 et 06-06-2018 par la Cour Supérieure de l’État de Californie (Comté de Los Angeles), aux États-Unis.
Deuxièmement. Le 19-03-2019, le ministère public a déclaré qu'il ne s'était pas opposé à la demande.
Troisièmement. Par Arrêt du 30-05-2019, nous avons demandé à MM. RA et BM de fournir les documents attestant la contribution biologique de l'un des deux dans la gestation des mineurs et que la mère gestante n'a apporté aucun ovule.
Le 15-06-2020, la représentation procédurale des demandeurs a produit un écrit faisant état de l’apport des documents requis.
Quatrièmement. Dans ses conclusions du 17-07-2020, la représentation procédurale de MM. RA et BM a réitéré sa demande d'exequatur.
Dans un exposé daté du 17-07-2020, le ministère public a déclaré qu’il convenait d’octroyer l'exequatur.
FONDEMENTS JURIDIQUES
PREMIÈREMENT. Il a été attesté dans la procédure que, par jugement rendu le 14-06-2017, la Cour supérieure de l'État de Californie (comté de Los Angeles) a déclaré que M. RA et BM sont les parents légaux de tout enfant né entre le 08/12/2015 et le 06/12/2016 de Mme. TM à la suite du processus de transfert d'embryon convenu entre les parties, et que la mère porteuse n'a aucun droit parental sur le bébé, pas plus que son mari, M. RQ.
L'enfant, S, est né le 01-05-2016 à SAN DIEGO et le 04-05-201, l'officier de l'état civil du comté de SAN DIEGO a établi un acte de naissance mentionnant comme parents MM. RA et BM.
DEUXIÈMEMENT. Il a également été attesté dans cette procédure que, par jugement en date du 06-06-2018, la Cour supérieure de l'État de Californie (comté de Los Angeles) a déclaré que MM. RA et BM sont les parents légaux de tout enfant né entre le 28-12-2017 et le 28-10-2018 de Mme TM à la suite du processus de transfert d'embryon convenu entre les parties, et que la mère porteuse n'a aucun droit parental sur le bébé, pas plus que son mari, M. RQ.
L'enfant, R, est né le 22-09-2018 à SAN DIEGO et le 28-09-2018 l'officier de l'état civil de SAN DIEGO a établi un acte de naissance mentionnant comme parents MM. RA et BM.
TROISIÈMEMENT. L'article 49 de la loi transitoire sur les procédures judiciaires exige que pour octroyer un exequatur, la décision respecte les conditions suivantes :
- la compétence de la juridiction qui l'a dicté.
- la régularité de la procédure suivie devant cette juridiction.
- l'application de la loi compétente selon les règles nationales de conflit.
- le respect de l'ordre public national et international.
- l'absence de toute fraude vis-à-vis de la loi nationale
QUATRIÈMEMENT. En ce qui concerne les deux premiers critères, on constate que les décisions en question ont été rendues par la Cour supérieure de l'État de Californie (comté de Los Angeles), l'organe judiciaire compétent, puisque dans les deux cas, à la date de la décision, le mineur n'était pas encore né, mais est effectivement né le 01-05-2016 au centre médical de H (comté de San Diego) en ce qui concerne S et le 22-09-2018 au centre médical Kaiser H (comté de San Diego) pour ce qui est de R.
Dans la procédure suivie devant la juridiction américaine, les principes de défense, d'audience et de contradiction ont été respectés, puisque les deux parents MM. RA et BM ainsi que la mère porteuse et son époux, MM. TM et RQ ont comparu, chacun ayant sa propre défense, et ont demandé que la relation parentale soit établie en faveur des requérants.
CINQUIÈMEMENT. En ce qui concerne l'ordre public, cette Chambre a déjà motivé que celui-ci n'était pas fixe ou immuable, mais pouvait évoluer dans le temps, et qu'il devait être compris comme intégré par le système ou l'ensemble des droits et libertés garantis par la Constitution andorrane et par les conventions internationales des droits de l'homme ratifiées par l'Andorre.
En ce sens, nous entendions :
- premièrement, dans la CEDH et dans son article 8 tel qu'interprété par la CEDH en relation avec la protection de l'enfant au regard des conséquences de la GPA et qui doit conduire à considérer qu'une telle protection de l'enfant implique que son droit de voir déterminée la substance de son identité et de son affiliation ne peut être affecté.
- deuxièmement, à l'article 3 de la Convention des Nations Unies, signée à New York le 20-11-1989, relative aux droits de l'enfant, qui prévoit que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être le critère primordial à adopter dans toutes les décisions qui touchent les mineurs,
- troisièmement, à l'article 13.2 de la Constitution andorrane qui ordonne aux pouvoirs publics de protéger la famille.
Sur la base de ces principes fondamentaux, nous avons pu conclure qu'en l'absence d'interdiction et conformément au principe de priorité de l'intérêt supérieur de l'enfant et compte tenu « que le refus de reconnaissance produirait un impact direct ou une ingérence dans l'identité des mineurs et leur intégration dans la société andorrane, en plus de laisser la filiation indéterminée, l'éventuelle acquisition de la nationalité, des droits de succession ou de leur statut lorsqu'ils atteignent l'âge de la majorité », la reconnaissance devrait être accordée à la décision de justice (voir TSJC 483/16 du 09/12/2017, TSJC 416/17 du 27-02-2018 et, TSJC 099/18 du 24-07-2018).
SIXIÈMEMENT. D’autre part, suite à ces décisions, la loi 12/2019 du 15 février, qualifiée de techniques de procréation assistée, est entrée en vigueur le 21-03-2019.
L'article 12 relatif à la grossesse par substitution pose comme principe que la filiation en cas de grossesse de substitution à l'égard de la mère est déterminée par l’accouchement, et que le contrat par lequel elle est convenue, avec ou sans prix, est nul et non avenu, à charge d’une femme qui renonce à la filiation maternelle au profit du contractant ou d'un tiers.
Cependant, le même article prévoit que pour la résolution de l'enregistrement des titres étrangers qui attestent une relation établie à l'étranger et dans laquelle le lien biologique avec au moins un des demandeurs est attesté, l'intérêt suprême de l'enfant doit prévaloir.
Par ailleurs, il est intéressant de retracer les développements également ultérieurs des affaires Menneson et Foulon-Bouvet que nous avons détaillés dans les arrêts précités et qui ont donné lieu à la jurisprudence de la CEDH d'intérêt et à la condamnation de l'État français pour violation de l'article 8 CEDH.
En effet, le 04-10-2018, la Cour de cassation a prononcé deux jugement qui reprennent les principes affirmés par la juridiction européenne.
Dans la première, elle a jugé que « l'existence d'une convention GPA ne fait pas obstacle à la transcription de l'acte de naissance établi à l'étranger dès lors qu'il n'est ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité biologique ».
Dans la seconde, elle a décidé de soumettre à la CEDH une demande d'avis consultatif au titre du Protocole n° 16, libellée comme suit :
“1. En refusant de transcrire sur les registres de l'état civil l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger à l'issue d'une gestation pour autrui, en ce qu'il désigne comme étant sa « mère légale » la « mère d'intention », alors que la transcription de l'acte a été admise en tant qu'il désigne le « père d'intention », père biologique de l'enfant, un État-parti excède-t-il la marge d'appréciation dont il dispose au regard de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? À cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l'enfant est conçu ou non avec les gamètes de la « mère d'intention » ?
2. Dans l'hypothèse d'une réponse positive à l'une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d'intention d'adopter l'enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d'établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l'article 8 de la convention ?”
Le 10-04-2019, la CEDH, après avoir effectué une étude comparative de la législation de 43 États européens parmi lesquels l’Andorre, a répondu ce qui suit :
“Dans la situation où, comme dans l'hypothèse formulée dans les questions de la Cour de cassation, un enfant est né à l'étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d'intention et d'une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l'enfant et le père d'intention a été reconnu en droit interne:
1. le droit au respect de la vie privée de l'enfant, au sens de l'article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d'un lien de filiation entre cet enfant et la mère d'intention, désignée dans l'acte de naissance légalement établi à l'étranger comme étant la « mère légale »;
2. le droit au respect de la vie privée de l'enfant, au sens de l'article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l'état civil de l'acte de naissance légalement établi à l'étranger; elle peut se faire par une autre voie, telle que l'adoption de l'enfant par la mère d'intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l'effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l'intérêt supérieur de l'enfant.”
L'un des aspects essentiels est que dans sa motivation, la CEDH réaffirme la nécessité de considérer l'intérêt supérieur de l'enfant comme la première préoccupation, bien qu'elle précise que cet intérêt comporte plusieurs composantes et ne se limite pas à l'établissement de sa filiation.
Elle précise également que les juges nationaux doivent procéder à une appréciation in concreto en fonction des particularités de chaque cas.
D’autre part, cela motive également que :
“36. En rapport avec ce qui précède, la Cour relève qu'à ce jour, sa jurisprudence met un certain accent sur l'existence d'un lien biologique entre l'enfant et au moins l'un des parents d'intention (voir les arrêts cités ci-dessus, ainsi que l'arrêt Paradiso et Campanelli c/ Italie [GC] (n° 25358112, § 195, 24 janvier 2017). Elle rappelle à cet égard que la question à examiner en l'espèce inclut explicitement un élément factuel selon lequel le père d'intention a un lien biologique avec l'enfant concerné. La Cour va circonscrire sa réponse en conséquence. Elle précise toutefois qu'elle pourrait être appelée à l'avenir à développer sa jurisprudence dans ce domaine, étant donné en particulier l'évolution de la question de la gestation pour autrui.”
SEPTIÈMEMENT. En l'espèce, bien que l'État de Californie admette la gestation pour autrui, dans le sens où une décision de justice permet l'établissement de la paternité d'un bébé lorsqu'il a été conçu par une autre personne, la mère biologique, en vertu d'un contrat entre cette dernière (« Gestational carrier ») et la partie requérante (« Intented parent »), est soumis au fait que du matériel biologique du père et un ovule d'une donneuse anonyme aient été utilisés.
HUITIÈMEMENT. Ainsi, il est nécessaire de vérifier le lien biologique entre ceux qui demandent l'exécution de la décision étrangère et les mineurs concernés.
Les requérants étaient tenus, afin de mieux se prononcer, de fournir le document prouvant la contribution biologique de l'un d’eux dans la gestation des mineurs, ainsi que la circonstance que, comme ils le prétendent, la mère enceinte n'a fourni aucun ovule.
L'examen des documents fournis pour une meilleure disposition montre qu'ils ont satisfait la condition vu qu'ils ont soumis les demandes déposées respectivement le 08-03-2016 et le 19-05-2018 à la juridiction américaine et qui sont accompagnées du certificat de l'endocrinologue spécialisé en médecine de la reproduction qui a transféré les embryons dans l'utérus de la mère porteuse MT.
De l'étude de ces documents ainsi que des documents déjà fournis, il ressort que les embryons ont été engendrés, le cas échéant, avec le sperme de M. RA et BM pour féconder un ovule donné par une femme anonyme.
NEUVIÈMEMENT. Compte tenu de tous les éléments que nous venons d'exposer, et puisque le lien biologique entre les requérants et les enfants a été établi, il convient d'accorder l'exequatur des décisions de justice dictées par la Cour supérieure de l'État de Californie, étant donné que la préservation de l'intérêt des mineurs à faire établir leur filiation conformément aux décisions de justice étrangères émises, n'entraîne à notre avis aucune violation de l'ordre public national ou international, ni aucune fraude à la loi.
DIXIÈMEMENT. Il n'y a pas lieu d'imposer des frais de procédure dans la présente procédure d'exequatur.
Au vu de de la législation en vigueur et des us et coutumes applicables à la présente affaire, la Chambre civile du Tribunal Supérieur de Justice d'Andorre, a pris la suivante
DÉCISION
PREMIÈREMENT. NOUS RECEVONS la demande d'exequatur, promue par MM. RA et BM, et déclarons exécutoires en Andorre les jugements rendus le 01-04-2016 et le 06-06-2018 par la Cour supérieure de l'État de Californie (comté de Los Angeles), aux États-Unis, établissant la paternité des requérants à l'égard des mineurs S et R.
DEUXIÈMEMENT. NOUS N'IMPOSONS aucuns frais de procédure.
Cette décision est ferme et exécutoire.
Ainsi par cette décision définitive, nous le prononçons, l’ordonnons et le signons.