TRIBUNAL SUPÉRIEUR DE JUSTICE
Chambre civile
TSJC.- 0000305/2019
ORIGINE : 2600011/2011 - 00
NIG : 5300513120140000051
PARTIES
Appelant : M. LA
Avocat : Mme MNVA
Intimé : Mme ME
Avocat : Mme JSH
Partie : MINISTÈRE PUBLIC
JUGEMENT 164-2020
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : M. VINCENT ANIERE
Magistrats : M. CARLES CRUZ MORATONES
Mme ALEXANDRA CORNELLA SOLÀ
Andorre-la-Vieille, le 30 novembre 2020.
Au nom du peuple andorran.
La Chambre civile du Tribunal supérieur de justice d'Andorre a entendu l'appel contre la procédure susmentionnée.
Dans le traitement de cette procédure, les prescriptions légales ont été respectées, et le magistrat M. CARLES CRUZ MORATONES, en tant que juge rapporteur, exprime l'opinion du Tribunal.
EXPOSÉ DES FAITS
Premièrement.- Le dossier de juridiction des mineurs, enregistré sous le numéro 2600011/2011, instruit en relation avec les mineurs A et B.
Deuxièmement.- Le père M. LA a déposé un recours contre les Arrêts rendus les 01/08/19 et 12/09/19 par la juge des enfants de la section civile. Mme ME en a fait de même, mais ses recours ont été déclarés nuls.
Troisièmement.- Ces recours en appel enregistrés sous les numéros 306/2019 et 307/2019 ont été ajoutés au recours en appel contre l’Arrêt du 31/07/19 également formé par M. LA et enregistré sous le numéro 305/2019, compte tenu de leur lien étroit.
Quatrièmement.- Par Arrêt du 23/10/20, il a été décidé ce qui suit :
« Premièrement.- Ne pas admettre les prétentions probatoires avancées par Mme ME à ce stade.
Deuxièmement.- Réaliser à titre de preuve pour mieux statuer un examen de la mineure A, avec la présence du ministère public, qui sera effectué le jeudi 29 octobre prochain à 13 heures au Siège de la Justice. »
Cinquièmement.- Le 30/10/20, l’examen de la mineure A a été effectué en présence du ministère public.
Sixièmement.- Par Arrêt du 5/11/20, ce Tribunal a rendu le jugement suivant :
« Premièrement.- ADMETTRE PARTIELLEMENT l’appel interjeté par la représentation procédurale de LA contre les Arrêts cumulés de la juge en date du 1ᵉʳ août et du 12 septembre 2019 que nous révoquons intégralement.
Deuxièmement.- Nous accordons à l'appelant le transfert du contenu des documents des pages 1282 à 1288 (avec l'exception indiquée) et des pages 1309 à 1312, ainsi que du rapport de l’examen de la mineure qui a eu lieu le 29/10/20 et des derniers rapports transmis par le Centre Résidentiel et intégrés à la procédure pour mieux statuer.
Troisièmement.- Nous accordons un délai de 5 jours ouvrables à l'appelant et au ministère public pour qu'ils puissent faire les allégations qu'ils jugent appropriées avant que ce Tribunal ne statue sur le contenu litigieux de l’Arrêt rendu par la Batllia le 31 juillet 2019. »
Septièmement.- Le 12/11/20, le ministère public a produit le mémoire correspondant et a indiqué qu'il ne s'opposait pas à la demande de M. LA au point 7 et plus subsidiairement, qu'il ne s'opposait pas à son mémoire d’appel.
Par la suite, par exposé du 18/11/20, M. LA a présenté son exposé des griefs.
FONDEMENTS DE DROIT
Premièrement.- Comme nous l'avons dit dans l’exposé des faits, dans la procédure principale des Mineurs en situation de risque, il a été décidé de suspendre l'autorité paternelle des parents de A et de son frère B et dans deux résolutions différentes datées du 1ᵉʳ août et du 12 septembre 2019, il a été convenu que dans la procédure principale indiquée, les documents des pages 1282 à 1288 et les documents des pages 1309 à 1312, respectivement, ne seraient pas communiqués aux autres parties (les parents). Nous avons déjà résolu la question relative aux documents non remis aux parties dans une résolution séparée ainsi que l’inutilité d’attribuer à A un défenseur judiciaire. Il est maintenant nécessaire d'aborder la question de fond une fois que les documents susmentionnés et les suivants ont été fournis à toutes les parties et qu'elles ont pu faire des allégations en toute connaissance de l'ensemble des éléments de preuve.
Deuxièmement.- Suspension de l'autorité parentale sur la mineure A.
Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire dans notre précédente résolution, le fils B, frère de A, a eu 18 ans le 11/10/20 et pour cette raison, est déjà exclu de la question de l'autorité paternelle qui s’annule suite à cet événement et compte tenu de sa personnalité spécifique. En outre, il fait déjà l'objet d'une autre procédure relative à son éventuelle incapacité et à la désignation dans son cas de la personne ou de l'institution qui doit continuer à prendre soin de lui. Dans ladite procédure, les parents doivent également pouvoir être entendus en tant qu'intéressés à l'avenir de leur fils B.
Concernant A, nous partageons avec Mme la juge d'instance qu'effectivement, au vu des nombreux rapports périodiques sur sa situation personnelle et scolaire (tant du Centre Résidentiel d'Action Éducative – CRAE – G que de l'école secondaire d’U), sa progression personnelle et de maturité a été positive et répond à l'aide que les professionnels des deux domaines lui apportent et qu'elle apprécie (le dernier rapport du 10/08/20 est très précis et détaillé dans sa description de la situation de A).
Ainsi, comme le propose le M. public, elle doit rester dans la même situation afin d'atteindre une vraie maturité pour décider de sa vie et de ses intérêts. Nous comprenons que les parents ne puissent toujours pas lui offrir cet environnement de tranquillité, d'accompagnement et de soutien qu'offre le CRAE et qui doit être complété par la précieuse collaboration du père et de la mère, qui doivent éviter les interférences dans le travail louable effectué par le personnel spécialisé qui s'en occupe et se soucie d’elle. L’enfant a besoin de stabilité dans sa vie et les parents peuvent collaborer de manière significative, en supposant qu'ensemble, ils peuvent lui assurer une croissance harmonieuse dans tous les domaines, ce qui lui permettra plus tard de décider ce qui lui convient le mieux. Par conséquent, nous estimons qu'il est en ce moment dans l'intérêt de A de maintenir sa stabilité actuelle et que la suspension de l'autorité parentale, décidée en vertu de l'article 89.4 de la Loi qualifiée relative aux droits de l'enfant et de l'adolescent, est justifiée. Nous ajouterons que lors de l’examen effectué par ce Tribunal, nous avons constaté que A est parfaitement consciente de l'objet de cette procédure par rapport à sa situation personnelle et familiale.
Troisièmement.- Droits de visite parentale (art. 89.4 de la Loi 14/2019)
Cependant, conformément à ce que nous venons de dire sur le rôle important que les parents ont à jouer pour contribuer au bien-être et à la sérénité nécessaire de leur fille à ce stade de sa vie, nous comprenons également que la décision consistant en ce que les visites entre eux se fassent de manière encadrée et au Point de Rencontre Famille, n'est ni justifiée ni faisable. Dans le dernier rapport de la CRAE du 10/08/20, nous ne voyons aucune référence contraire à un régime de visites libre ni aucune recommandation concernant l’encadrement des visites.
Nous avons pris connaissance de l'emploi du temps de A, tant pendant les vacances que les jours d'école, et avons constaté qu'elle dispose d’heures libres pour aller où bon lui semble avec ses amis. Par conséquent, lui imposer à 16 ans que des visites ne puissent s'établir librement entre elle et ses parents est chimérique et injustifié. A a exprimé son désir de pouvoir voir et être en compagnie de ses parents pendant son temps libre et il est logique et opportun qu'elle puisse le faire, vu que l'empêchement ne pourrait que nous conduire à l'absence absolue de contact pour éviter qu'il y ait un contrôle extérieur à ses contacts familiaux ou que ceux-ci soient clandestins et qu'ils génèrent chez A un sentiment de culpabilité qui ne peut que nuire à son développement affectif et émotionnel et ne servir qu'à judiciariser davantage sa situation. La jeune fille a fait preuve d’une maturité propre à son âge et sait gérer son temps libre, ce qui la rend digne de voir et d'être en compagnie de ses parents à sa convenance dans les horaires établis.
Et, étant bien entendu que s'il s'avérait que ces contacts libres lui causent un préjudice ou une déstabilisation quelconque, le CRAE devra le communiquer immédiatement à la juge, laquelle prendra la décision appropriée (sans la déléguer aux services spécialisés), après avoir accompli les démarches ou écouté qui elle jugera opportun. Il conviendra de se baser sur le fait que toutes les parties agiront au mieux en faveur de A et en pensant uniquement à ses intérêts. Si tel n'était pas le cas, les tribunaux devront alors prendre les décisions appropriées pour la protéger.
En conclusion, nous révoquons la décision consistant en ce que les visites soient surveillées dans un endroit établi, et nous laissons à la libre décision de A et de ses parents d’établir les contacts qu'ils jugent opportuns, conjointement ou séparément avec les parents, dans la mesure où ils n'interfèrent pas avec les horaires du CRAE.
Quatrièmement.- Le défenseur judiciaire
Étant donné que dans l'Arrêt du 31/07/19 il est fait référence à l'inutilité de nommer un défenseur judiciaire pour A à la demande du père, il convient de rappeler qu'il n'est pas nécessaire de faire appel par analogie à cette figure prévue en cas d'incapacité (articles 62 à 64 de la Loi 15/2004 pour les cas de conflit d'intérêts entre tuteur et pupille) vu que nous n'avons détecté aucun conflit d'intérêts entre les parents et A. Article 21.2 in fine de la Loi 14/2019, a contrario, nous permettrait de faire appel à cette figure de la Loi 15/2004 par analogie, lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre le mineur et ses parents ou les titulaires de la tutelle ou de la garde, étant donné qu'elle n'est pas développée expressément dans la Loi 14/19.
Il est en outre nécessaire de faire quelques considérations entre cette figure et le rôle attribué au ministère public, puisqu'ils sont différents, et la référence incluse dans le 4ᵉ « Attendu que » de l’Arrêt rendu le 31/07/19.
Le défenseur judiciaire est une figure transitoire et provisoire qui est chargée de défendre les intérêts privés d'une personne faisant l'objet d'une procédure d'incapacité – si elle ne peut se défendre elle-même – ou d'un mineur qui a des conflits d'intérêts avec les titulaires de l'autorité parentale, de la tutelle ou de la curatelle. Ce défenseur est nommé directement par le juge d'office, à la demande du ministère public (cas de l'article 63 de la Loi 15/2004 sur l'incapacité) ou de toute autre personne ayant connaissance du handicap d'une personne. Il peut être nommé dans le cadre d'une procédure de juridiction volontaire (lorsque aucune procédure n'a été engagée) ou en cours de procédure. À la fin de ses fonctions, il doit rendre des comptes à l'autorité judiciaire.
Par contre, le ministère public est un établissement public qui assiste les tribunaux dans les fonctions qui lui sont attribuées par la Loi du ministère public du 12/12/96 et dont le but – entre autres – est de s'assurer que la fonction juridictionnelle est menée à terme de manière effective et conformément aux lois et dans les termes qu'elles indiquent, en exerçant le cas échéant les actions, recours et procédures pertinents (art. 1.1 de la LMF). En même temps, dans l'ordre civil, il intervient dans toutes les procédures dans lesquelles les absents, les mineurs, les personnes inaptes ou démunies ont un intérêt et, au point de vue de l'impartialité, en tant que partie, il exerce le droit d'appel. Si tel est le cas, dans l'intérêt particulier de la personne, il favorise la constitution de l'organe de tutelle (art. 3.10 de la LMF).
Dès lors, la figure du défenseur judiciaire (qui doit incomber à une personne légitimée à comparaître et que le tribunal juge la plus appropriée à l'exercice de la fonction – que ce soit un avocat en exercice ou non – n'est pas comparable à l’institution publique du ministère public, sinon qu’il est investi d'une fonction spécifique et précise dans l'intérêt privé ou particulier de la personne défendue et non la défense de la légalité et des libertés individuelles en général et de l'intérêt public, telles qu'attribuées à l’institution publique. Le défenseur judiciaire veille sur les personnes démunies (mineurs, absents et inaptes) en demandant dans la procédure ce qu’il estime être le plus bénéfique pour eux. Il ne doit cependant pas assumer la défense des prétentions particulières du protégé s’il ne pense pas que c'est ce qui leur convient le mieux. D'une certaine manière, on peut dire que le DF est un collaborateur de l'administration de la justice dans le cadre de la protection d’une personne en particulier et qui fait entendre la voix du protégé.
Cette distinction entre les deux figures explique que le MF lui-même puisse demander la désignation d'un défenseur judiciaire dans un cas précis.
Nous avons déjà dit qu'en l'espèce, nous n'avons constaté aucun conflit d'intérêts entre A et ses parents et que, pour cette raison, nous avons exclu la nécessité de sa nomination.
Cinquièmement.- Compte tenu de la nature de ce type de litige, nous n'imposons pas de dépens à ce niveau.
Compte tenu de la législation en vigueur et des us et coutumes applicables à la présente affaire, la Chambre civile du Tribunal Supérieur de Justice d'Andorre a pris la suivante
DÉCISION
Premièrement.- ADMETTRE PARTIELLEMENT l'appel interjeté par la représentation procédurale de LA contre l'Arrêt du 31 juillet 2019 que nous révoquons partiellement dans le sens de permettre que le régime des visites et des contacts entre A et ses parents puisse être libre et sans surveillance dans les plages de disponibilité horaire dont dispose la mineure au sein du CRAE. Dans le cas où un impact négatif sur le développement de la mineure serait détecté, les responsables de sa tutelle devraient immédiatement en informer la juge des enfants, afin qu'elle puisse, préalablement aux procédures qu'elle considère opportunes, adopter la décision appropriée pour protéger A.
Deuxièmement.- Nous maintenons le reste de l’Arrêt.
Cette résolution est ferme et exécutoire.
Ainsi, à travers cette résolution définitive, qui sera transmise à la Batllia pour la porter à sa connaissance et à tous les effets opportuns, nous le prononçons, ordonnons et signons.