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11/06/2024 | ANDORRE | N°109/2024

Andorre | Andorre, Tribunal supérieur de justice, Chambre civile, 11 juin 2024, 109/2024


PARTIES :
Appelant : M. JEGF,
JLM,
RCGF,
VVMG
Représentante : Mme MGP
Avocate : Maître ACR

Intimé : MINISTÈRE PUBLIC

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : M. Vincent ANIÈRE
Magistrats : M. Carles CRUZ MORATONES
M. Jaume TOR PORTA

ARRÊT 000109/2024

À Andorre-la-Vieille, le 11 juin 2024

Au nom du peuple andorran.-

Après s’être réunie, la Chambre Civile du Tribunal Supérieur de Justice d'Andorre a entendu l'appel contre les actions mentionnées ci-dessus.

Dans le traitement de ces acti

ons, les prescriptions légales ont été observées et M. Vincent ANIÈRE, qui exprime l’opinion du tribunal, a agi en tant que juge ra...

PARTIES :
Appelant : M. JEGF,
JLM,
RCGF,
VVMG
Représentante : Mme MGP
Avocate : Maître ACR

Intimé : MINISTÈRE PUBLIC

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : M. Vincent ANIÈRE
Magistrats : M. Carles CRUZ MORATONES
M. Jaume TOR PORTA

ARRÊT 000109/2024

À Andorre-la-Vieille, le 11 juin 2024

Au nom du peuple andorran.-

Après s’être réunie, la Chambre Civile du Tribunal Supérieur de Justice d'Andorre a entendu l'appel contre les actions mentionnées ci-dessus.

Dans le traitement de ces actions, les prescriptions légales ont été observées et M. Vincent ANIÈRE, qui exprime l’opinion du tribunal, a agi en tant que juge rapporteur,

EXPOSÉ DES FAITS

1.- Le 21/04/2023, le Tribunal de Juicio de Niños, Niñas y Adolescentes de la Circunscripción Judicial del Estado Anzoátegui, sede Barcelona (Venezuela), a émis le jugement BP02-V-2023-000020 et a décidé :
« DISPOSITIF :
Pour les raisons exposées précédemment, ce Tribunal de Première Instance du Circuit de Protection des Garçons, des Filles et des Adolescents du District Judiciaire de l'État d'Anzoátegui, agissant au nom de la République Bolivarienne du Venezuela et par autorité de la Loi, déclare :

PREMIÈREMENT: EN PREMIER LIEU la Mesure de Protection de PLACEMENT FAMILIAL DÉFINITIF, en faveur de l'adolescente JGMG, actuellement âgée de quatorze (14) ans, fille biologique de citoyens RCGF et JLMM, vénézuéliens, majeurs, titulaires des cartes d'identité n° *** et ***, présentée par les citoyens JEGF et VVMG, vénézuéliens, majeurs, titulaires des cartes d'identité n° *** et *** respectivement, dûment assistés par l'avocat CA, inscrit à l'IPSA sous le n° *** et par conséquent, le placement familial définitif sous la modalité de famille élargie de l'adolescente JGMG est décrété, à exécuter au domicile des citoyens JEGF et VVMG à qui est accordée l'INTÉGRATION et la PERMANENCE au domicile des citoyens référés préalablement identifiées, qui devront lui garantir tous les droits inhérents à la santé, aux soins, au développement, à la protection et à l'éducation complète, et à cet effet devront vivre avec elle, sans être autorisés à la remettre à tout autre membre de la famille, jusqu'à ce que le Tribunal détermine ce qui convient, en évaluant pour ce fait les résultats obtenus par le suivi du dossier.

DEUXIÈMEMENT : Les citoyens du JEGF et du VVMG sont informés qu'à compter de ce jugement, ils seront responsables de l'éducation et de la garde de l'adolescente ; cette donnée étant la même, elle est personnelle et incessible conformément à ce qui est prévu à l'article 358 de la LOPNNA, et sont habilités à exercer l'éducation, la garde, la surveillance et l’aide matérielle, morale et affective de l'adolescente.

TROISIÈMEMENT : Un suivi de ce Placement Familial est ordonné pour une durée de six (06) mois, et un rapport final du présent suivi du dossier devra être consigné au dossier.

QUATRIÈMEMENT : Les citoyens JEGF et du VVMG sont AUTORISÉS à représenter l'adolescent du JGMG devant toute institution publique ou privée et à gérer ou à traiter les documents d'identification, les passeports ou les visas, ou toute autre démarche requise ou nécessaire en faveur de l’adolescente en question, ainsi qu'à voyager sur ou en dehors du territoire national, et en outre de résider avec ses représentants légaux, les citoyens JEGF et VVMG, sur le lieu de leur résidence ou domicile.

CINQUIÈMEMENT : Un régime de vie de famille est établi pour les parents de l'adolescente, comme suit : les citoyens RCGF et JLMM pourront rendre visite à leur fille n'importe quel jour de la semaine ou le week-end au domicile de l'oncle maternel et de même, ils pourront aller se promener et faire des courses avec elle, sur accord préalable des parties, et à condition que ces visites n'interrompent pas ses heures de repos ou ses activités scolaires. En outre, il est recommandé aux deux parties qu'en cas de conflit, elles recourent à la voie du consentement mutuel et écoutent l’adolescente, conformément aux dispositions de l'article 80 de la LOPNNA.

Le 02-05-2023, le caractère définitif de cette décision a été prononcé.

2.- Dans un exposé daté du 28/09/2023, la représentation procédurale de MM. JEGF, VVMG, RCGF et JLMM a déposé une demande d’exequatur de la décision vénézuélienne susmentionnée, le ministère public étant partie au procès.

3.- Au moyen d’un exposé produit le 30/10/2023, le ministère public a répondu à la demande d'exequatur sans s'y opposer.

4.- Moyennant un jugement rendu le 08-11-2023, la juge a décidé :
« Ne pas accorder l'exequatur au jugement du 21/04/2023 prononcé par la juge Mme SSF du Tribunal de première instance pour la protection des enfants, des garçons et des adolescents du district judiciaire de l'État d'Anzoátegui de Barcelona, de la République bolivarienne du Venezuela. »

5.- Tant le ministère public que la représentation en justice de M. JEGF, VVMG, RCGF et JLMM ont interjeté appel contre ce jugement et demandé la révocation du jugement d'instance ainsi que l’acceptation de l’exequatur du jugement étranger en date du 21/04/2023.

6.- La représentation en justice de MM. JEGF, JLMM, RCGF et VVMG fonde son recours sur une erreur dans l'appréciation des preuves, sur une violation de l'article 13.2 de la Constitution et sur une application incorrecte de la jurisprudence de la Chambre civile du Tribunal Supérieur de Justice, ainsi que de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Premièrement, elle affirme, d’une part, que c’est le 18/01/2023, et non début 2022 comme indiqué en raison d’une erreur de transcription, que la demande correspondante a été soumise à la justice vénézuélienne, et que l’on ne peut donc pas considérer que la temporalité contrevienne à toute mesure de protection du mineur, et d'autre part, que la mesure adoptée est définitive et que, par conséquent, la mineure devra vivre avec MM. JEGF et VVMG jusqu'à sa majorité, quelle que soit la date à laquelle la demande a été introduite dans le pays étranger.

Deuxièmement, elle soutient que c'est à la demande du Service de l’Immigration, comme condition inexcusable aux fins de l'obtention d'une autorisation de regroupement en faveur de la mineure, que l'exequatur a été demandé et qu'en l'absence d'exequatur, la mineure se trouve en situation irrégulière en Principauté d’Andorre, ne pouvant y séjourner que trois mois avec les personnes qui doivent la prendre en charge, situation qui viole l'article 13.2 de la Constitution.

Troisièmement, elle indique que selon la jurisprudence de cette chambre civile du Tribunal Supérieur de Justice et les articles 3.1 et 3.2 de la Convention relative aux droits de l'enfant, l'intérêt supérieur de la mineure fonctionne comme une notion d'ordre public, lorsque le refus de l'octroi de l'exequatur implique un préjudice direct pour celle-ci, l'incitant à quitter le pays et l'empêchant de pouvoir séjourner avec les personnes qui en ont la garde.

Le ministère public déclare ne pas s'être opposé au recours.

7.- Le ministère public fonde son recours sur une appréciation incorrecte des preuves et une application incorrecte de la Jurisprudence de la chambre civile en matière d'exequatur.

Il soutient en premier lieu que la période qui s'est écoulée depuis l'ouverture de la procédure judiciaire dans l'État du Venezuela jusqu'à la date, obéit à la même durée de la procédure engagée et en aucun cas à la conduite des requérants.

Il soutient en deuxième lieu, d'une part, que l'Andorre et le Venezuela ont ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, comme le reconnaît le jugement attaqué, un point qui oblige l'État andorran à reconnaître cette mesure de protection de « placement familial », et d'autre part, que le jugement attaqué se fonde sur « une éventuelle » violation de la légalité en matière de regroupement familial ou d’autres de la Loi sur l'Immigration, sans toutefois indiquer quelles garanties ou droits fondamentaux reconnus par le système juridique andorran aurait été violés, alors qu'au contraire, la décision étrangère a respecté les principes considérés comme fondamentaux par notre système juridique, et qu'aucune violation de l'ordre public national n’a été constatée.

La représentation en justice de MM. JEGF, JLMM, RCGF et VVMG déclare se joindre à l'appel du ministère des Finances.

8.- Au moyen d’un jugement prononcé le 13/02/2024, le juge rapporteur a décidé d'admettre les preuves proposées par l’appelant, et de mettre le recours en délibéré.

FONDEMENTS JURIDIQUES

Premièrement.- L'article 427 CPC prévoit la possibilité de reconnaissance et d'exécution des décisions judiciaires définitives étrangères et l'article 428 relatif aux critères applicables précise que les décisions de justice définitives rendues par des tribunaux étrangers peuvent être exécutées en Andorre conformément aux accords internationaux qui font partie du système juridique andorran et qu'en l'absence d'accord international, les décisions de justice définitives rendues par des tribunaux étrangers peuvent être exécutées en Andorre dans le cas où le tribunal compétent en décide ainsi en vertu de la procédure d'exequatur établie à l'article 429 et dont l'objet est de vérifier et de contrôler que la décision judiciaire étrangère destinée à être reconnue répond cumulativement aux exigences suivantes :
a) La compétence de la juridiction qui a rendu la décision.
b) La régularité de la procédure suivie devant cette juridiction.
c) L'application de la loi compétente selon les règles nationales de conflit.
d) Le respect de l'ordre public national et international.
e) L'absence de fraude à la loi nationale.

L'article 429 du CPC réglemente la procédure d'exequatur qui doit être suivie devant les juridictions andorranes.

Ainsi, les affaires qui empêchent la reconnaissance comme exécutoire d'une décision de justice étrangère sont évaluées, conformément à la promotion de la coopération juridique internationale.
De plus, la juridiction qui doit accorder ou non une valeur exécutive à la décision ne peut connaître le fond de l'affaire et doit considérer le jugement sous tous ses aspects.
Par conséquent, l'objet de la présente demande d'exequatur n'est autre que celui de déterminer si le jugement rendu par le « Tribunal Juicio de Niños, Niñas i Adolescentes de la Circunscripción Judicial del Estado de Anzoátegui, sede Barcelona », peut être reconnu et exécuté en Andorre selon les critères fixés par la loi.

Deuxièmement.- Dans le cas présent, la juge a considéré qu'il n'y avait aucun élément venant contredire la compétence de la juridiction vénézuélienne qui a prononcé le jugement, ni la régularité de la procédure et n'a pas invoqué l'existence d'une hypothèse de fraude à la loi.
Cependant, elle a avancé que :
- on pouvait sous-entendre à travers les éléments fournis que ses parents d’accueil vivraient en Andorre, que la temporalité de la procédure contrevenait à toute urgence dans une mesure conservatoire, et
- plus abondamment, que l'octroi de l'exequatur aurait pour conséquence une éventuelle violation de la loi en vigueur en matière de regroupement familial ou autres, au sens des articles 106 et de nombreux autres concordants de la loi sur l'immigration de la Principauté d'Andorre, violant de ce fait l'ordre public national et les règles administratives établies en la matière. La juge a ajouté que son rejet de la demande d'exequatur était sans préjudice du traitement d'une éventuelle demande de regroupement familial auprès du ministère compétent en la matière et de l'accès au tribunal compétent en droit administratif en cas de désaccord.

Troisièmement.- Tout d'abord, il convient de noter que, comme le reconnaît le Tribunal, et cela n’est pas contestable, la procédure suivie au Venezuela a été traitée conformément à la loi applicable, c'est-à-dire la loi vénézuélienne, devant une juridiction compétente et selon une procédure régulière garantissant tous les droits des parties, notamment les droits des parents biologiques qui ont été parties, et ceux de la mineure, qui a été entendue et a fait l'objet d'un rapport du service spécialisé, le tout en présence du ministère public.

De plus, ledit jugement est suffisamment motivé.

On ne constate pas non plus d'élément permettant de considérer une fraude à la loi, c'est-à-dire l'application d'une réglementation nationale étrangère pour échapper à l'application d'une réglementation nationale contraire.

Quatrièmement.- Concernant la question du manque d'urgence dans l'application de la décision étrangère que le jugement énonce comme premier motif de rejet, elle ne constitue pas un critère pour accepter ou refuser l'exequatur.

Il convient cependant de préciser que la juge souligne que la procédure de placement a commencé début 2022, comme l'indique le jugement vénézuélien. Mais, tout indique – notamment toutes les autres dates mentionnées dans le jugement daté du 18/01/2023, et non 2022 – que la demande a été déposée, cette mention de 2022 étant probablement le résultat d'une erreur matérielle.
D’ailleurs, avec les preuves fournies avec le recours et que nous avons acceptées par Arrêt du 13/02/2024, il a été prouvé et confirmé que la demande a été admise le 18/01/2023.

En tout état de cause, il a été admis par les appelants que MM. JEGF et VVMG sont actuellement résidents en Principauté d'Andorre. Cette réalité peut être mise en relation avec les déclarations de la mineure JGMG devant le Tribunal et recueillies dans le jugement de placement selon lequel elle a déclaré :
« Son désir de partir avec ses parents JEGF et VVMG, puisqu'ils l'ont élevée depuis qu'elle était bébé, qu'elle est pour eux leur fille et qu'ils sont ses parents pour elle, qu'elle ne pouvait pas les accompagner, car le passeport n'était pas encore prêt et le tribunal ne leur avait pas octroyé la garde définitive, ce dont ils avaient besoin, c'est pourquoi ils ont dû partir sans elle, mais que quand ce papier serait prêt, elle pourrait rejoindre ses parents, elle les aime beaucoup et a besoin d'être avec eux, point final. »

MM. JEGF et VVMG déclarent eux-mêmes avoir demandé l'exequatur pour répondre aux demandes du Service de l’immigration, en vue d'obtenir une autorisation de regroupement en faveur de la mineure.
Il est donc entendu que MM. JEGF et VVMG étaient déjà en Andorre lorsqu'ils ont déposé leur demande de placement auprès de la justice vénézuélienne.

Le jugement datant du 21/04/2023 et la déclaration de décision définitive du 02/05/2023, la demande d'exequatur a été présentée le 28/09/2023, on ne voit donc pas dans quelle mesure cette évolution des procédures dans le temps pourrait constituer un obstacle à l’octroi de l’exequatur.

Cinquièmement.- En matière d'ordre public, l'article 428 d) du CPC a conservé le critère traditionnel en matière d'exequatur de respect de l'ordre public national et international.
Ces notions méritent cependant certaines précisions.

Sixièmement.- La première précision est que l'ordre public national et international visé à l'article 428 CPC correspond à des notions de droit international privé et ne doit pas être confondu avec l'ordre public lorsqu'il s'agit du maintien de l'ordre dans la société et de la sauvegarde de la sécurité intérieure.

Nous constatons avec le ministère public que la juge, se référant à la question de la législation sur le regroupement familial, a invoqué une éventuelle et hypothétique violation de la loi en vigueur en la matière « ou d'autres », sans toutefois préciser laquelle.
En tout état de cause, de tels soupçons ne permettent en aucun cas d’établir un défaut de respect de l’ordre public national ou international.

Le jugement d'instance invoque une possible violation des règles administratives en matière de regroupement familial. Mais, sauf en cas de fraude à la loi nationale (que ni la juge ni cette chambre ne considèrent comme établie), ce n'est pas dans le cadre d'une procédure d'exequatur qu'il faut déterminer s’il y a violation des règles administratives, un point qui appartient à l’administration et en particulier au Service de l’immigration.
En outre, le jugement le considère tacitement ainsi lorsqu'il indique que la décision de refuser l'exequatur est sans préjudice de la présentation d'une demande de regroupement familial.

Autrement dit, à partir du moment où M. JEGF et VVMG se trouvent déjà régulièrement en Andorre, le fait de permettre à la mineure de les rejoindre (il ressort des déclarations des appelants qu'elle y serait déjà) dépend du Service de l’immigration. Cette circonstance ne peut cependant pas déterminer l’octroi de l’exequatur.

Si l'éventualité sous-entendue par la juge est qu’une fois la mineure installée en Andorre, ses parents biologiques profiteraient de cette circonstance pour présenter à leur tour une demande de regroupement, est hautement hypothétique et impliquerait une fraude à la loi qui pourrait être vérifiée et punie.
Quoi qu’il en soit, la mauvaise foi ne peut être prononcée.

Septièmement.- La deuxième précision est que l'ordre public national et international présente deux aspects.

D'un point de vue plus interne, il correspond à toutes les matières qui concernent le bon fonctionnement de la société et auxquelles l'État et le Législateur reconnaissent un caractère essentiel et supérieur vis-à-vis des intérêts privés, les particuliers ne pouvant déroger à l'application des lois qui régissent ces sujets.
Traditionnellement, les lois qui réglementent l'assistance éducative et l'autorité parentale font partie des lois devant être observées et auxquelles les individus ne peuvent déroger.

Du point de vue des conflits de lois, l'ordre public international (il est « international » car il porte sur un éventuel conflit entre une loi étrangère et une loi nationale) correspond à une exception que le juge de l'exequatur peut invoquer pour rejeter la loi étrangère qui serait en principe applicable lorsque son application spécifique contredit les principes essentiels du pays où le jugement doit être exécuté.

Ce qui est contraire à l’ordre public est ce qui entre en conflit avec nos conceptions sociales et juridiques fondamentales et directrices.
Nous avons pu justifier que cela n'est pas fixe ni immuable, mais peut évoluer dans le temps, et qu'il doit être compris comme intégré par le système ou l'ensemble des droits et des libertés garantis par la Constitution andorrane et par les conventions internationales des droits de l’homme ratifiées par l’Andorre.

Il est important de souligner que dans ce sens, nous faisions référence, d'une part, à la CEDH et à son article 8 tel qu'il a été interprété par le TEDH en relation avec la protection de l'enfant, et d'autre part, à l'article 3 de la Convention des Nations Unies, signée à New York le 20/11/1989, sur les droits de l'enfant, qui prévoit que l'intérêt supérieur du mineur doit être le premier critère à adopter dans toutes les décisions qui affectent les mineurs et, en troisième lieu, à l'article 13.2 de la Constitution d'Andorre qui ordonne aux pouvoirs publics de protéger la famille.

Huitièmement.- La question essentielle à résoudre est donc de savoir si la mesure adoptée par le jugement vénézuélien est contraire à l'ordre public andorran tel que défini dans les deux Fondements précédents.

Justement, par rapport à la Convention relative aux droits des enfants de l'ONU, et dans le cas d'une kafala, nous avions déterminé (Jugement de la Chambre daté du rôle 219/08 et non 218/08 comme il est dit dans le jugement réfuté) :
« Toutefois, la Principauté d'ANDORRE et le Royaume du MAROC ont ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant qui stipule dans son article 20 que les enfants qui sont temporairement ou définitivement privés de leur milieu familial, ou qui dans leur propre intérêt ne peuvent être laissés dans cet environnement, ont droit à la protection et à une aide particulière de l’État. Les États prévoient une protection de remplacement pour ces enfants, conformément à leur législation nationale. Cette protection de remplacement peut prendre la forme d'un placement dans une famille, d'une kafala de droit islamique, d'une adoption ou, le cas échéant, d'un placement dans une institution pour enfants appropriée. L'adhésion à cette convention oblige les États qui l'ont approuvée à reconnaître sur leur territoire tous les actes de protection des mineurs délivrés par les autorités étrangères compétentes d'un pays ayant ratifié ladite convention. Cela détermine la condition de réciprocité exigée par la réglementation andorrane ». (Les phrases ont été mises en caractères gras par nos soins).

Dans le cas présent, nous sommes confrontés à une mesure d’accueil ou de placement familial adoptée à titre de mesure de protection.
Nous sommes donc a priori dans un cas où la mesure de protection des enfants régulièrement adoptée à l’étranger doit être reconnue.

Neuvièmement.- Cependant, nous devons rechercher si la mesure susmentionnée pourrait conduire à une violation de l'ordre public national et international.
Cela implique de procéder à son étude spécifique et de la comparer aux principes de l'ordre public national andorran.

Concernant la mesure contentieuse, il s'agit d'une mesure de protection d'une mineure en situation de vulnérabilité, adoptée judiciairement avec le consentement des parents, consistant en un placement définitif dans la famille de l'oncle maternel de la mineure, avec transfert des attributs de l'autorité parentale, tout en prévoyant un droit de visite aux parents et un contrôle par le service des mineurs compétent.

Dans le but d’éviter tout doute d'interprétation, nous notons le fait que le jugement étranger implique le transfert des attributs de l'autorité parentale à la famille d'accueil, puisque cet aspect de la mesure est particulièrement important pour vérifier sa conformité avec l'ordre public national andorran.

En effet, selon l'article 126 et l'article 396 de la Loi Organique pour la Protection des garçons, des filles et des adolescents du Venezuela (LOPNNA), il s'agit d'une mesure de protection dont le but est d'accorder la responsabilité d'élever un mineur qui a besoin d'une mesure de protection.
Concernant son caractère définitif, le placement est en principe temporaire. Alors que l'adoption est une mesure irrévocable et irréversible puisque le mineur acquiert le statut de fils/fille, le placement familial est une mesure provisoire où l'enfant peut grandir comme un autre membre de cette famille, tout en conservant un certain lien avec sa famille biologique. Exceptionnellement, il est possible de passer du placement à l'adoption. Mais, dans le cas présent, comme le précise le jugement vénézuélien et l’indique la décision réfutée, il s’agit d’un placement familial définitif.

En outre, ladite mesure de placement est ici combinée avec la possibilité prévue à l'article 400 de la loi précitée pour les parents de confier un mineur à des tiers pour son éducation.
(Article 400. Remise par les parents à un tiers : lorsqu'un garçon, une fille ou un adolescent a été remis pour être élevé par son père ou sa mère, ou par les deux, à un tiers capable d'exercer la responsabilité de l’élever, le juge, avant le rapport respectif, considérera cette option comme la première option pour l'octroi du placement familial de ce garçon, de cette fille ou de cet adolescent.).

Concernant notre ordre public national, nous devons d'abord prendre en compte les dispositions de la CEDH sur la protection de l'enfant, celles de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, relatives à l'intérêt supérieur du mineur et à son droit à bénéficier de mesures de protection appropriées et de l’article 13.2 de la Constitution d’Andorre relatif à la protection de la famille. Tous conduisent à privilégier la mesure qui permet au mineur de bénéficier d'une protection adéquate et de vivre avec des personnes judiciairement reconnues comme constituant la famille idéale permettant son plein développement.

Deuxièmement, nous devons tenir compte des dispositions nationales sur l'autorité parentale et les droits des enfants et des adolescents.

À cet égard, la loi 30/2022 du 21 juillet, qualifiée sur la personne et la famille, prévoit que l'autorité parentale, que nous avons définie comme un droit-devoir, est exercée conjointement par les parents de manière personnelle au profit des enfants afin de faciliter le plein épanouissement de leur personnalité et de leur assurer une formation générale et professionnelle adaptée à leurs aptitudes, selon les possibilités et les moyens dont ils disposent.
Elle ajoute que les parents et les enfants ont le droit d'entretenir des relations personnelles, même si les premiers n'ont pas l'exercice de l'autorité parentale ou de la garde, à moins que la loi ou une décision de justice n'en dispose autrement, mais que l'autorité judiciaire peut, dans chaque cas, adopter les mesures nécessaires pour limiter ou supprimer ces relations si les parents ou d'autres personnes ne remplissent pas leurs devoirs ou en présence de toute autre juste cause.

Les articles 226 et suivants réglementent la déchéance, le rétablissement, la suspension et la cessation de l'autorité parentale.
Les parents peuvent être privés de leur autorité parentale en totalité ou en partie, entre autres motifs, en cas de manquement grave ou répété à leurs devoirs. En outre, l'autorité des parents peut temporairement être suspendue si leurs fonctions ne peuvent être exercées correctement pendant une période raisonnable, compte tenu des circonstances du cas.
L'autorité parentale est annulée suite au décès des parents ou de l'enfant, l'adoption de l'enfant, à moins qu'il ne soit adopté par le conjoint ou le concubin de l'un des parents, et sauf en cas d'émancipation ou de majorité de l'enfant et de déclaration d'absence des parents ou de l'enfant.

Concernant la loi 14/2019 du 15 février intitulée Droits des enfants et des adolescents, elle stipule dans son article 33 relatif à la responsabilité parentale et au développement intégral que :
"1. La meilleure prise en charge des besoins des enfants et des adolescents est naturellement accordée au sein de leur famille. La responsabilité première du soin, de l'éducation et de la formation complète des enfants et des adolescents revient aux parents ou aux personnes auxquelles la tutelle ou la garde a été confiée, conformément aux dispositions de la réglementation applicable.

2. Les parents et les personnes chargées de la tutelle ou de la garde des enfants et des adolescents doivent garantir leur bien-être et leur assurer un milieu de vie adéquat et sain, toujours en fonction de leurs possibilités.

3. Les parents ou les personnes chargées de la tutelle ou de la garde des enfants et des adolescents ont l'obligation d'exercer leurs fonctions de manière responsable, sans préjudice de l'action subsidiaire des administrations publiques, dans les termes établis par la réglementation applicable. »

D'autre part, les articles 86 et suivants de ladite loi définissent la situation de vulnérabilité comme la situation dans laquelle il est indispensable de séparer l'enfant de son noyau familial comme mesure appropriée pour garantir sa prise en charge adéquate, avec la suspension correspondante de l'autorité parentale et la possibilité de confier la garde à un membre de la famille, sans préjudice de la détermination par le tribunal pour mineurs des communications et des rencontres de l'enfant avec ses parents.

Concernant les mesures de protection des enfants et adolescents en situation d’impuissance, l’article 95 prévoit :
« Article 95. Typologie des mesures de protection
1. Les mesures de protection qui peuvent être adoptées dans le cas d'un enfant ou d'un adolescent en situation d'impuissance, en vertu d'une décision judiciaire motivée, sont les suivantes :
a) La suspension de l'autorité parentale du parent qui met en danger l'enfant ou l'adolescent et l'attribution exclusive à l'autre parent.
b) L’accueil familial temporaire par une personne ou une famille.
c) Le placement permanent par une personne ou une famille.
d) L’accueil familial spécialisé.
e) L’accueil en établissement.
f) La supervision des visites de l'enfant ou de l'adolescent avec les parents, le tuteur, la personne qui en a la garde ou d'autres proches à travers le Service de Rencontres Familiales.
g) La suspension des visites de l'enfant ou de l'adolescent avec les parents, tuteur, personne qui en a la garde ou autres membres de la famille.
h) L’adoption comme filiation judiciairement établie, qui peut être la conséquence de l'adoption antérieure d'autres mesures de protection.
i) Toute autre mesure sociale, éducative ou thérapeutique indiquée en fonction de la situation de l'enfant ou de l'adolescent, ainsi que les mesures de transition vers la vie adulte et de soutien à l'autonomie personnelle.

2. Les mesures d'accueil familial ont, dans la mesure du possible, la priorité sur les mesures d'accueil en établissement, notamment dans la petite enfance. »

Selon les articles 96 et 97, le placement familial s'entend comme la mesure de protection d'un enfant ou d'un adolescent en situation de vulnérabilité en vertu de laquelle se produit la pleine participation de cet enfant ou de cet adolescent à la vie d'une famille, laquelle famille assume les obligations de prendre soin de lui, de le garder en sa compagnie, de le nourrir, de l'élever et de lui assurer une éducation complète dans un environnement affectif stable qui rend possible le développement intégral de sa personnalité.
La famille d'accueil a le devoir, entre autres, de veiller au bien-être, à la santé et à l'intérêt supérieur de l'enfant ou de l'adolescent accueilli, de le garder en sa compagnie, de le nourrir, de l’élever et de lui assurer une formation complète dans un environnement affectif stable qui permet le développement intégral de sa personnalité.

La famille d’accueil peut être temporaire ou permanente. Le caractère permanent doit être décidé si la situation de vulnérabilité est définitive et que les circonstances appropriées ne sont pas réunies pas ou s'il n'est pas possible, conformément à l'intérêt supérieur de l'enfant ou de l'adolescent, de procéder à la pré-adoption, dans les conditions établies par la réglementation applicable et tout autre devoir ou obligation à l'égard de l'enfant ou de l'adolescent accueilli que la réglementation applicable établit pour les titulaires de l'autorité parentale.

Enfin, selon l'article 103, la famille d'accueil doit, entre autres, exercer tous les droits inhérents à la garde de l'enfant ou de l'adolescent accueilli. Dans le cas d'un placement familial permanent, ces droits s'étendent à la tutelle.

D’autre part, selon l'article 122, l'adoption, que l'article 95 h) définit comme une possible mesure de protection d'un mineur en situation de vulnérabilité, peut être constituée au moyen d'un arrêt du tribunal compétent pour enfants et tient toujours compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ou de l’adolescent adopté et de l’aptitude de la ou des personnes adoptantes à exercer l’autorité parentale.

Dixièmement.- De la comparaison de toutes ces dispositions, nous ne constatons aucune divergence avec l'ordre public national.

Même si notre système ne prévoit aucune disposition comparable à l'article 400 de la LOPNNA permettant aux parents de confier leurs enfants à un tiers pour leur éducation, ledit article ne prévoit cette hypothèse qu'à titre de circonstance factuelle que le juge doit prendre en compte lors de la désignation de la personne d’accueil et non comme une mesure de protection en soi.
Cela n’empêche surtout pas que la mesure de protection définitive en famille d’accueil finalement adoptée judiciairement est compatible avec nos principes fondamentaux.

Par conséquent, la violation d'une liberté ou d'un droit fondamental reconnu par le système juridique andorran n'étant pas établie, tel que défini ci-dessus, et au contraire, étant établi que la résolution étrangère est conforme aux principes qui composent ledit système juridique, nous ne pouvons pas la considérer comme un non-respect de l’ordre public national et international.

De ce fait, il convient d’admettre les recours.

Onzièmement.- L’admission des recours en appel ne comporte aucune imposition des frais de procédure en deuxième instance.

Compte tenu de tout ce qui a été exposé, le Tribunal Supérieur de Justice, chambre civile,

A DÉCIDÉ

Premièrement.- D’admettre le recours en appel du représentant en justice de MM. JEGF, VVMG, RCGF et JLMM et le recours en appel du ministère public, contre le jugement du 11/08/2023, que nous révoquons et déclarons exécutoire en Andorre le jugement BP02-V-2023-000020 du 21/04/2023 du « Tribunal de Juicio de Niños, Niñas i Adolescentes de la Circunscripción Judicial del Estado Anzoátegui, sede Barcelona » (Venezuela).

Deuxièmement.- De ne pas imposer de frais de procédure en deuxième instance.

Cet arrêt est définitif et exécutoire.

Ainsi, à travers ce jugement définitif, nous l’ordonnons et le signons.


Synthèse
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 109/2024
Date de la décision : 11/06/2024

Analyses

EXEQUATUR – Venezuela - Notion d'ordre public national et international


Origine de la décision
Date de l'import : 19/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ad;tribunal.superieur.justice;arret;2024-06-11;109.2024 ?
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