N° P.24.1183.F
L. A.
interné, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège-Huy.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 15 juillet 2024 par le tribunal de l’application des peines de Liège, chambre de protection sociale.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Françoise Roggen a fait rapport.
L’avocat général Els Herregodts a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 66, b), de la loi du 5 mai 2014 relative à l'internement et 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Quant à la première branche :
Le moyen fait grief au tribunal d’avoir rejeté la demande de libération à l’essai du demandeur sans expliquer les raisons pour lesquelles une telle libération ne serait pas suffisamment cadrante, alors que cette juridiction a admis qu’il peut être retenu que l’intéressé n’est pas atteint d’une maladie psychiatrique au sens strict.
Il fait en substance valoir qu’en application de l’article 66, b), de la loi du 5 mai 2014, si l’état de la personne internée a évolué dans une mesure telle qu’il n’est plus question d’un trouble mental, il appartient à la chambre de protection sociale de décider si, eu égard au risque de la commission d’infractions visées à l’article 9, § 1er, 1°, de la loi, ainsi qu’aux objectifs de l’article 5, § 1er, e), de la Convention, un placement est encore nécessaire ou si le risque précité peut être écarté par des mesures moins contraignantes, comme une libération à l’essai.
Par aucune considération, le tribunal de l’application des peines n’a énoncé que le demandeur ne souffrirait d’aucune pathologie mentale au sens de la loi de défense sociale.
En tant qu’il repose sur une lecture erronée du jugement, le moyen manque en fait.
L’article 66, b), de la loi du 5 mai 2014 prévoit que la libération définitive peut être octroyée à la personne internée à condition que le trouble mental soit suffisamment stabilisé pour qu'il n'y ait raisonnablement plus à craindre qu'à cause de son trouble mental ou non, en conjonction éventuellement avec d'autres facteurs de risque, la personne internée commette à nouveau des crimes ou délits portant atteinte à ou menaçant l'intégrité physique ou psychique de tiers.
Il résulte de la manière dont la loi du 5 mai 2014 organise l’exécution de la décision d’internement et la gestion de celui-ci que même en cas de disparition ou de stabilisation du trouble mental qui a donné lieu à l’internement, le maintien de l’interné sous la contrainte peut se justifier lorsque d’autres formes de troubles entraînent un risque de récidive.
D’une part, aux termes des motifs du jugement, le tribunal a relevé que le rapport du 21 mai 2024 des intervenants psychosociaux indique que le demandeur oriente sa vie sur un mode névrotique, diagnostic qui semble couplé à l’existence de tendances psychopathiques importantes (« la jouissance prend le dessus sur la loi - est la loi -, la violence est un moyen d’accès au plaisir comme un autre, absence quasi-totale de culpabilité envers l’autre »).
D’autre part, il a énoncé que ces diagnostics sont similaires à ceux exposés dans les quatre expertises médicales précédentes. Il a ajouté que les intervenants ont relevé dans l’une de celles-ci la description d’une tendance perverse fondamentale qui consiste à transgresser la loi selon son désir, son impulsion et ensuite, de tenter de négocier un déplacement des limites, toujours selon son désir.
Selon le tribunal, si le demandeur n’est pas atteint d’une maladie psychiatrique au sens strict, les différents psychiatres qui l’ont examiné concluent à la présence dans son chef de troubles de la personnalité et d’un risque élevé qu’il commette à nouveau des infractions graves, en lien avec ceux-ci.
Enfin le tribunal a considéré, pour rejeter la demande de libération à l’essai, que le demandeur demeurait en défaut de proposer un projet de réinsertion suffisamment cadré et strict adapté à la prise en charge de ses fragilités et de nature à contenir le risque de récidive toujours présent dans son chef.
Par ces considérations, le tribunal a légalement justifié sa décision de rejeter tant la libération définitive que la libération à l’essai du demandeur.
Le moyen ne peut, à cet égard, être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le demandeur soutient que l’avis du directeur de l’établissement dans lequel il est interné qui se réfère à la réticence du Service de protection sociale à le soutenir dans son projet de reclassement en raison du risque de récidive qu’il présente a pour effet de l’empêcher de mettre sur pied un tel plan et donc, de permettre au tribunal, d’envisager sa libération à l’essai.
En tant qu’il critique l’avis du directeur et est ainsi étranger au jugement attaqué, le moyen est irrecevable.
Exigeant pour le surplus la vérification d’éléments de fait, laquelle échappe au pouvoir de la Cour, le moyen est, dans cette mesure, également irrecevable.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution (et non 49) et 26 de la loi du 5 mai 2014 relative à l'internement. Il reproche au jugement de ne pas faire droit à la demande d’octroi de la libération à l’essai ou de la mesure de surveillance électronique dans le respect de la disposition légale précitée qui exige de rencontrer l’ensemble des contre-indications qui y sont énumérées.
L’article 26 de la loi du 5 mai 2014 dispose :
« La détention limitée, la surveillance électronique et la libération à l'essai peuvent à tout moment de l’internement être accordées à la personne internée qui satisfait aux conditions suivantes :
1° il n'existe pas, dans le chef de la personne internée, de contre-indications auxquelles la fixation de conditions particulières ne puisse répondre.
Ces contre-indications portent sur :
a) l'absence de perspectives de réinsertion sociale de la personne internée compte tenu de son trouble mental ;
b) (…)
c) le risque qu'elle commette des infractions ;
d) le risque qu'elle importune les victimes ;
e) l'attitude de la personne internée à l'égard des victimes des faits qui ont conduit à son internement ;
f) (…)
g) les efforts consentis par la personne internée pour indemniser la partie civile, compte tenu de sa situation patrimoniale telle qu'elle a évolué par son fait depuis la perpétration des faits pour lesquels elle a été internée ;
2° la personne internée marque son accord sur les conditions qui peuvent être attachées à la détention limitée, à la surveillance électronique et à la libération à l'essai en vertu des articles 36, 37 et 40. »
Partant de la prémisse erronée que le rejet d’une des demandes visées à l’article 26 de la loi précitée suppose l’examen de l’ensemble des contre-indications qui y sont énoncées, le moyen manque, dans cette mesure, en droit.
En considérant que le demandeur ne présente pas de plan de réinsertion suffisamment cadré et strict adapté à la prise en charge de ses fragilités et de nature à contenir le risque de récidive d’infractions graves en lien avec ses troubles de la personnalité, le tribunal a régulièrement motivé et légalement justifié le rejet de sa demande de surveillance électronique.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambre des vacations, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, président, Françoise Roggen, Ariane Jacquemin, Steven Van Overbeke et Bruno Lietaert, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt août deux mille vingt-quatre par Filip Van Volsem, président, en présence de Els Herregodts, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.