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11/09/2024 | BELGIQUE | N°P.24.0184.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 septembre 2024, P.24.0184.F


N° P.24.0184.F
I. à XII. P. B.,
accusé,
ayant pour conseils Maîtres Isabelle Slaets et Nathalie Buisseret, avocats au barreau de Bruxelles, et Jean Flamme, avocat au barreau de Gand,
XIII. à XXV. S. T.,
accusé, détenu,
ayant pour conseil Maître Anthony Rizzo, avocat au barreau de Bruxelles,
demandeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois du premier demandeur sont dirigés contre l’arrêt rendu le 19 septembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, contre les arrêts interlocutoires rendus le

s 21 juin 2023 sous les numéros 3759 et 3760, 9 et 13 octobre 2023 sous les numéros 5439 e...

N° P.24.0184.F
I. à XII. P. B.,
accusé,
ayant pour conseils Maîtres Isabelle Slaets et Nathalie Buisseret, avocats au barreau de Bruxelles, et Jean Flamme, avocat au barreau de Gand,
XIII. à XXV. S. T.,
accusé, détenu,
ayant pour conseil Maître Anthony Rizzo, avocat au barreau de Bruxelles,
demandeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois du premier demandeur sont dirigés contre l’arrêt rendu le 19 septembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, contre les arrêts interlocutoires rendus les 21 juin 2023 sous les numéros 3759 et 3760, 9 et 13 octobre 2023 sous les numéros 5439 et 5542, 23 novembre 2023 sous le numéro 6578, et 8 et 21 décembre 2023 sous les numéros 6962, 6963 et 7446, par la cour d’assises de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, ainsi que contre les arrêts de motivation, d’internement et ordonnant le maintien de l’accusé en liberté sous conditions, rendus les 19 décembre 2023 sous le numéro 7445 et 22 décembre 2023 sous les numéros 7448 et 7449 par ladite cour d’assises.
Les pourvois du second demandeur sont dirigés contre l’arrêt rendu le 19 septembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, contre les arrêts interlocutoires rendus les 21 juin 2023 sous les numéros 3759 et 3760, 9 et 13 octobre 2023 sous les numéros 5439 et 5542, 23 novembre 2023 sous le numéro 6578, et 4, 8 et 21 décembre 2023 sous les numéros 6835, 6962, 6963 et 7446, par la cour d’assises de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, ainsi que contre les arrêts de motivation et de condamnation, rendus les 19 et 22 décembre 2023 sous les numéros 7445 et 7447 par ladite cour d’assises.
Le premier demandeur invoque onze moyens et le second demandeur en fait valoir trois, chacun dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 16 août 2024, le premier avocat général Michel Nolet de Brauwere a déposé au greffe des conclusions auxquelles le second demandeur a répliqué par une note remise le 29 août 2024.
À l’audience du 11 septembre 2024, le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport et le premier avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur la demande de remise formulée par Maître Flamme pour le premier demandeur afin de répondre aux conclusions écrites du ministère public :
Lorsque les conclusions écrites du ministère public sont déposées au greffe de la Cour pour être jointes au dossier de la procédure et que l’avocat et les parties sont avertis en temps utiles de ce dépôt, il n’y a aucune raison de remettre l’instruction de la cause ou de la mettre en continuation, dès lors que les parties peuvent, au plus tard, à l’audience, y répondre par une note en réplique, en application de l’article 1107, alinéa 2, du Code judiciaire.
Les conclusions écrites du ministère public ont été déposées le 16 août 2024 et adressées au premier demandeur et à Maître Flamme le même jour. À l’audience, Maître Flamme a signalé n’en avoir pris connaissance qu’à son retour de vacances et n’avoir pu, à temps, en conférer avec Maître Slaets, avocate attestée, en charge de la procédure en cassation. Cette circonstance ne constitue pas un cas de force majeure autorisant de déroger à l’article 1107, alinéa 2, du Code judiciaire, dès lors que le dépôt a été fait en temps utiles.
A. Sur les pourvois de P. B. :
La Cour n’a pas égard au « dossier de pièces justificatives concernant le neuvième moyen de cassation », déposé par le demandeur le 24 avril 2024, soit après l’expiration du délai prescrit par l’article 429, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle.
1. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt de renvoi à la cour d’assises :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt interlocutoire rendu le 21 juin 2023 sous le numéro 3759 :
Sur le quatrième moyen :
Selon le demandeur, l’arrêt ne peut légalement décider que les faits pour lesquels il fut poursuivi et acquitté le 24 janvier 2009 au Rwanda ne sont pas les mêmes que ceux dont a été saisie la cour d’assises. Le moyen soutient qu’il aurait été possible de joindre au dossier l’ensemble des pièces du procès du demandeur, qui s’est tenu au Rwanda, et que le document produit par l’accusation ne permettait pas au président de la cour d’assises de considérer que le demandeur ne fut jugé dans cet État que pour un seul meurtre, et non en raison des mêmes faits de génocide que ceux dont la cour d’assises a été saisie.
En tant qu’il reproche au ministère public et au juge d’instruction d’avoir respectivement méconnu le principe de l’égalité des armes et l’obligation d’instruire à décharge, le moyen, étranger à l’arrêt attaqué, est irrecevable.
Le moyen critique l’appréciation en fait, par le président de la cour d’assises, de l’identité des infractions à l’origine des poursuites successives exercées à charge du demandeur au Rwanda et en Belgique ou exige, pour son examen, une appréciation d’éléments de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir.
Dans cette mesure également, le moyen est irrecevable.
Enfin, le reproche de ne pas attribuer à une pièce la portée que, selon le demandeur, elle revêt ne constitue pas un grief de violation de la foi due à un acte.
À cet égard, le moyen manque en droit.
Sur le cinquième moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 56 et 281, § 2, du Code d’instruction criminelle.
En tant qu’il est dirigé contre le mandat d’arrêt décerné à charge du demandeur et qu’il reproche au juge d’instruction de ne pas avoir adhéré à la jurisprudence du Tribunal international pour le Rwanda ou au raisonnement du demandeur à propos du déroulement des évènements dans ce pays et de ne pas avoir accepté de faire droit aux demandes de devoirs complémentaires destinés à établir le fondement historique de ce raisonnement, le moyen, étranger à l’arrêt attaqué, est irrecevable.
Pour le surplus, le demandeur reproche au président, saisi du contrôle de la régularité des poursuites en application de l’article 278bis du Code d’instruction criminelle, de ne pas avoir exercé les prérogatives que lui attribue, lors des débats, l’article 281, § 2, du même code, afin d’ordonner les devoirs dont le juge d’instruction avait refusé l’accomplissement.
Saisi du contrôle de légalité susvisé, le président n’avait pas, à ce moment et dans ce cadre, à se déterminer quant à une demande, introduite sous le couvert de la critique de la légalité de l’instruction, tendant en réalité à faire ordonner des devoirs d’enquête précédemment refusés par le juge d’instruction et la juridiction d’instruction.
À cet égard, le moyen manque en droit.
Sur le sixième moyen :
Le moyen invoque notamment la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 14.3.c du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 149 de la Constitution et 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale. Il reproche au président de la cour d’assises d’avoir écarté la défense tendant à faire constater que les poursuites étaient irrecevables en raison du dépassement du délai raisonnable pour être jugé.
Le demandeur ne précise pas les moyens, contenus dans ses conclusions, auxquels l’arrêt omettrait de répondre.
Dans cette mesure, imprécis, le moyen est irrecevable.
Il n’est pas contradictoire, d’une part, de décider que l’accusé n’a été appelé à se défendre des faits dont la cour d’assises a à connaître que depuis le 25 mai 2016, date à laquelle le juge d’instruction a été saisi desdits faits, et, d’autre part, de constater que l’intéressé a été poursuivi à l’étranger en raison, selon la cour d’assises, d’autres faits, pour lesquels il a bénéficié en 2009 d’un acquittement.
À cet égard, procédant d’une lecture erronée de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Et en tant qu’il est déduit de cette confusion entre les poursuites respectives exercées à charge du demandeur au Rwanda et en Belgique, le moyen, qui considère que l’intéressé est amené à se défendre depuis 1994 des accusations en raison des crimes dont la cour d’assises fut saisie, manque également en fait.
Enfin, en tant qu’il fait valoir que l’instruction a connu des périodes de latence dont il est résulté une déperdition des preuves à décharge, le moyen requiert un examen en fait, lequel échappe au pouvoir de la Cour, et procède d’une hypothèse.
Dans cette mesure également, le moyen est irrecevable.
Sur le septième moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 67 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Le demandeur fait valoir que, conformément à l’article 67 du Statut de Rome, devant la Cour pénale internationale, la défense de l’accusé est présente lors de tout interrogatoire d’un témoin à charge ou lors des visites sur les lieux.
La procédure d’interrogatoire des témoins durant l’instruction et devant la cour d’assises, de même que celle relative à la descente du juge d’instruction ne sont pas réglées par cette disposition.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Le demandeur soutient encore qu’il a été désavantagé en raison de l’impossibilité pour lui de participer à l’exécution des commissions rogatoires adressées à l’étranger par le juge d’instruction, et de la violation du principe contradictoire durant l’instruction, à laquelle le ministère public a en revanche pu assister.
Mais contrairement à ce que le moyen revient à affirmer, l’instruction régie par le Code d’instruction criminelle est, en règle, inquisitoriale et secrète.
À cet égard, le moyen manque également en droit.
Le demandeur fait ensuite valoir que le magistrat fédéral a pu faire interroger les témoins, ce qui lui a conféré un avantage par rapport à la défense.
Le principe de l'oralité des débats devant la cour d'assises, voulu par le législateur et découlant des articles 280, alinéa 1er, et 294 à 316 du Code d'instruction criminelle, relève de manière substantielle du respect des droits de la défense. Il implique que les jurés et, le cas échéant, les juges ne fondent leur intime conviction que sur les éléments dont ils ont pu acquérir la connaissance à l'audience et qui ont été soumis à la libre contradiction des parties.
Le demandeur ne soutient pas que, lors des débats devant la cour d’assises, l’interrogatoire des témoins a eu lieu en son absence ou en l’absence de son conseil.
Dans cette mesure, dépourvu d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Enfin le demandeur soutient qu’en raison de la prise en charge insuffisante de ses frais de défense dans le cadre de l’assistance juridique, il subit une nouvelle rupture de l’égalité des armes entre lui et l’accusation.
Pareil grief, qui critique l’organisation et la hauteur de l’intervention de cette assistance juridique, est étranger à la décision attaquée.
Dans cette mesure, le moyen est également irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
3. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt interlocutoire rendu le 21 juin 2023 sous le numéro 3760 :
Sur le premier moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 6.1 et 6.3.d de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 14.5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 10 et 11 de la Constitution. Le demandeur soutient que dans la mesure où la Cour constitutionnelle a jugé que l’article 278, § 4, du Code d’instruction criminelle était inconstitutionnel en ce qu’il n’autorisait pas l’accusé à se pourvoir immédiatement contre la décision qui arrête la liste des témoins à entendre, le président de la cour d’assises était obligé de remettre l’examen de la cause sine die jusqu’au moment où il aura été apporté remède, par le législateur, à ce grief.
Mais le dispositif législatif que la Cour constitutionnelle a censuré aux termes de son arrêt du 29 septembre 2022, rendu sous le numéro 119/2022, est celui qui interdisait à l’accusé de former un pourvoi tant immédiat que différé, contre l’arrêt rendu en application de l’article 278, §§ 2 et 3, du Code d’instruction criminelle.
En déclarant recevable le pourvoi différé du demandeur contre cet arrêt, la Cour, conformément à la décision de la Cour constitutionnelle, lui restitue le droit de critiquer et de faire contrôler la légalité de cette décision.
À cet égard, dépourvu d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Et en tant qu’il fait valoir que ce contrôle qui s’exerce à l’occasion du pourvoi différé n’est pas satisfaisant en termes d’économie procédurale et de préservation de la fiabilité des preuves dans la mesure où, si le moyen du demandeur est fondé, son admission obligera les autorités à recommencer tout le procès, le moyen, dirigé contre l’article 420 du Code d’instruction criminelle et étranger à l’arrêt attaqué, est également irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Pris de la violation des articles 6.1 et 6.3.d de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 278, § 2, alinéa 4, du Code d’instruction criminelle, le moyen reproche à l’arrêt de refuser, sans motivation, l’audition de huit des neuf témoins cités par la défense du demandeur et dont huit étaient des témoins « de contexte », destinés à contredire ceux cités par l’accusation, et le neuvième, le témoin M., également refusé, était un témoin des faits et de leur contexte.
Conformément à l’article 278, § 2, du Code d’instruction criminelle, le président, après avoir entendu le procureur général et les parties en leurs observations, dresse la liste des témoins et fixe l'ordre dans lequel ils seront entendus. Le président s'efforce de limiter autant que possible la durée de l'audience. Il peut rejeter les demandes des parties lorsqu'il est établi que les témoins présentés ne peuvent manifestement pas contribuer à la manifestation de la vérité en ce qui concerne le fait imputé à l'accusé, la culpabilité ou l'innocence de celui-ci ou la moralité de l'accusé ou de la victime.
Après avoir rappelé la règle que contient l’article 278 susvisé, l’arrêt attaqué, rendu en application de cette disposition, énonce que l’objectif de l’audition des témoins de contexte est de « donner un éclairage général aux jurés et à la cour sur la situation au Rwanda à l’époque des faits reprochés aux accusés, pour autant que l’audition de ces témoins de contexte puisse contribuer à la manifestation de la vérité […]. Dans cette optique, le président a retenu des témoins de contexte sollicités respectivement par le procureur fédéral, les accusés […] et les parties civiles, tout en limitant leur nombre, afin de limiter autant que possible la durée des débats, comme le lui impose l’article 278, § 2, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle ».
Outre sept témoins de contexte, il ressort de la liste jointe à l’arrêt que le président a admis l’audition de trente et un témoins communs et de sept témoins proposés par le demandeur.
Ainsi, contrairement à ce que soutient le moyen, il ressort de l’arrêt que le président de la cour d’assises a eu égard au caractère contributif, ou non, à la manifestation de la vérité des témoignages envisagés, afin d’arrêter la liste des témoins dont l’audition était admise et dont plusieurs furent cités par la défense du demandeur.
Par ailleurs, la loi imposant à ce magistrat de veiller à limiter autant que possible la durée des débats en écartant les témoignages ne pouvant manifestement pas contribuer à la manifestation de la vérité, il ne saurait lui être fait grief d’avoir, en faisant usage de cette prérogative, décidé de n’entendre qu’un nombre restreint de témoins de contexte.
Dès lors, l’arrêt est régulièrement motivé et légalement justifié.
À cet égard, le moyen manque en fait.
Enfin, aucune disposition, notamment celles visées au moyen, n’impose au président de motiver de manière distincte son refus pour chaque témoin dont l’audition a été sollicitée.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
4. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt interlocutoire rendu le 9 octobre 2023 sous le numéro 5439 :
En tant qu’il est dirigé contre la décision de requérir un expert judiciaire afin de déterminer l’évolution de l’état psychique du demandeur et sa capacité à suivre les débats, soit un devoir sollicité par le demandeur lui-même, le pourvoi, dénué d’intérêt, est irrecevable.
Sur le surplus du deuxième moyen :
Pris de la violation des articles 6.1 et 6.3.d de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 281, § 2, et 306 du Code d’instruction criminelle, le moyen fait grief à l’arrêt de rejeter les demandes d’audition d’un témoin et de projection d’un film, soit deux devoirs sollicités par la défense, au motif que pareille requête se heurterait à l’autorité de chose jugée, inexistante selon le demandeur, de l’arrêt rendu en application de l’article 278 du Code d’instruction criminelle.
Après avoir constaté la nécessité de l’audition d’un nouveau témoin de contexte, sollicitée par les accusés, l’arrêt constate que l’audition du témoin M., également demandée, l’avait déjà été le 12 juin 2023 et que cette requête avait été écartée par le président. L’arrêt ajoute que le film dont la projection a été postulée a été réalisé par une personne que le président avait également, aux termes de l’arrêt du 21 juin 2023, refusé d’inclure dans la liste des ceux appelés à rendre témoignage. L’arrêt en conclut que l’accusé tente de réintroduire des demandes qui ont déjà été examinées et rejetées.
En outre, l’arrêt constate que la demande de l’accusé est prématurée, dans la mesure où les débats n’ont pas encore été entamés, alors que l’article 281, § 2, du Code d’instruction criminelle réserve à cette phase ultérieure du procès l’exercice de la prérogative du président d’appeler de nouveaux témoins ou de produire de nouvelles pièces.
Ainsi, l’arrêt ne justifie pas le refus du président d’accéder aux demandes de l’accusé par la circonstance qu’elles se heurteraient à l’autorité de la chose jugée de la décision rendue en application d’une autre disposition que celle sur laquelle reposait la nouvelle requête. L’arrêt constate, ce qui est différent, que par ce procédé, l’accusé tente d’introduire des demandes de devoirs en substance similaires à d’autres, sur lesquelles il a déjà été statué, tandis que faute pour les débats d’avoir été entamés, pareille nouvelle requête est prématurée.
Dans cette mesure, procédant d’une lecture erronée de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Enfin, il n’est pas contradictoire, d’une part, de décider qu’il n’y a pas lieu de réexaminer une demande sur laquelle il a déjà été statué et, d’autre part, de considérer, en qualifiant ce motif de surabondant, qu’en tout état de cause, le président n’apparaît pas compétent pour trancher pareille demande, dans la mesure où elle semble prématurée.
À cet égard, le moyen manque également en fait.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
5. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt interlocutoire rendu le 13 octobre 2023 sous le numéro 5542 :
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 et 6.3.a de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 281, § 2, du Code d’instruction criminelle. Le demandeur reproche à la cour d’assises d’avoir poursuivi le jugement de la cause alors qu’un rapport d’expertise psychiatrique du 30 septembre 2021 et une expertise complémentaire du 10 octobre 2023, ordonnée par le président à la demande de la défense, avaient établi que les facultés mentales de l’accusé, hospitalisé durant une partie des débats, ne cessaient de se détériorer au point qu’il en était rendu incapable de participer à son procès, faute de le comprendre. Selon lui, ni l’intérêt de la société au jugement du procès ni celui des victimes à ce qu’il soit statué en la cause ne justifient qu’un accusé incapable de comprendre les débats puisse être jugé.
Il ne résulte ni de l’article 6 de la Convention ni d’aucune autre disposition que le juge soit tenu de conclure à l’irrecevabilité des poursuites au seul motif qu’au jour du jugement, l’accusé, sain d’esprit au moment de l’infraction, ne dispose plus des capacités cognitives lui permettant de comprendre le procès qui lui est fait.
Ainsi, à supposer que la capacité mentale de l’accusé soit réduite à néant, cette circonstance ne saurait porter en elle-même atteinte à l’essence du procès, qui peut constituer également un enjeu important pour les victimes et pour la société, pour autant que les règles de procédure garantissent la protection de la personne poursuivie.
À cet égard, l’article 9 de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement prévoit notamment que l’internement, qui n’est pas une peine mais est une mesure de sûreté, peut être prononcé, dans les conditions que cette disposition détermine, à l’égard d’une personne qui est atteinte, au moment de la décision, d’un trouble mental qui abolit sa capacité de discernement ou de contrôle de ses actes. Par ailleurs, l’article 81, § 1er, de cette loi dispose que les juridictions ne peuvent statuer sur les demandes d'internement qu'à l'égard des personnes concernées qui sont assistées ou représentées par un avocat.
La loi détermine ainsi les conséquences attachées, du point de vue de l’action publique, au constat, par le juge, que l’accusé est atteint au moment de son procès d’un trouble mental qui abolit sa capacité de discernement. Ni l’irrecevabilité des poursuites ni la suspension de l’examen de la cause ne constituent le remède applicable en pareille situation.
Dès lors, en tant qu’il soutient que, pour qu’un accusé puisse être jugé, il est requis qu’il comprenne « les déclarations des témoins dans chaque détail et [soit] en mesure d’en parler à son avocat ainsi que de lui donner des instructions » et qu’à défaut pour l’intéressé d’être en mesure de comprendre les débats, la cour d’assises ne peut poursuivre le jugement de la cause, le moyen manque en droit.
À la page 2 de l’arrêt, la cour d’assises a fait une juste application des principes rappelés ci-avant, considérant que la conséquence que la loi attache au constat de l’abolition des capacités mentales de l’accusé au moment du procès n’est pas son acquittement et, renvoyant aux motifs de l’arrêt du 21 juin 2023, que cette conséquence n’est pas davantage l’irrecevabilité ou l’arrêt des poursuites.
Dans cette mesure, en tant qu’il soutient que la décision de poursuivre l’examen de la cause n’est pas motivée, voire qu’aucune décision n’aurait été prise à cet égard, le moyen manque en fait.
Pour le surplus, le moyen n’indique pas en quoi l’arrêt violerait la foi due aux rapports d’expertise psychiatrique invoqués.
À cet égard, imprécis, le moyen est irrecevable.
6. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt interlocutoire rendu le 23 novembre 2023 sous le numéro 6578 :
L’arrêt se borne à décider que le témoin y visé sera entendu en audience publique et non à huis clos ainsi qu’il en avait fait la demande.
Pareille décision n’inflige aucun grief au demandeur.
Le pourvoi est irrecevable.
7. Sur les pourvois dirigés contre les arrêts interlocutoires rendus les 8 et 21 décembre 2023 sous les numéros 6963 et 7446 :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
8. Sur les pourvois formés contre l’arrêt interlocutoire rendu le 8 décembre 2023 sous le numéro 6962 et contre l’arrêt de motivation rendu le 19 décembre 2023 sous le numéro 7445 :
En tant qu’il est dirigé contre les dispositions de l’arrêt de motivation aux termes desquelles le demandeur a été acquitté, le pourvoi, dénué d’intérêt, est irrecevable.
Sur le huitième moyen :
Quant à la première branche :
Se référant notamment à l’article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le demandeur reproche à la cour d’assises de l’avoir reconnu coupable du crime de génocide sans avoir constaté la présence de l’élément contextuel de l’infraction, étant, selon lui, une forme particulière de préméditation en vue de l’élimination d’une population : il soutient que la preuve doit ainsi être rapportée de l’existence « d’une politique ou d’un plan génocidaire […] préexistant à l’acte ». Il en conclut que ce crime ne peut être commis par un individu isolé – le demandeur – mais relève d’une politique dont l’auteur doit avoir connaissance, pour ensuite participer sciemment à sa mise en œuvre. Il reproche également à l’arrêt de motivation de ne contenir aucun motif à ce sujet.
Les éléments constitutifs du crime de génocide sont définis par l’article 136bis du Code pénal, disposition qui ne restreint pas et donc ne méconnaît pas la portée de l’article 6 du Statut de Rome.
Conformément à l’article 136bis susdit, seule disposition à laquelle la cour d’assises devait avoir égard, le crime de génocide s'entend de l'un des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel :
1° meurtre de membres du groupe ;
2° atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
3° soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
4° mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
5° transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
L’élément contextuel allégué par le demandeur n’est érigé ni en élément constitutif de l’infraction ni en composante de son élément moral.
À cet égard, le moyen manque en droit.
Et la cour d’assises n’avait dès lors pas à répondre à des conclusions invoquant un moyen indifférent à la solution du litige dont elle était saisie.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
L’élément moral particulier requis dans le chef de l’auteur du génocide consiste donc dans l'intention, par la perpétration des actes énumérés et au-delà de l’élément moral qui leur est propre, de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel.
Aux termes d’une appréciation qui gît en fait, la cour d’assises a notamment considéré que la preuve de l’intention du demandeur « de détruire en tout ou en partie le groupe ethnique tutsi [et d’éliminer] les hutus qui s’opposaient à cette politique génocidaire résult[ait] des éléments suivants, pris dans leur ensemble » :
- le demandeur disposait d’importants moyens financiers et il s’en est servi pour financer dans une mesure considérable un média, dont il était un actionnaire prépondérant, « La Radio Télévision des Mille Collines », dont la principale fonction était d’alimenter quotidiennement un sentiment de haine envers les Tutsis, allant jusqu’à leur dénier toute humanité et en les vouant à une fin proche, ce que, selon l’arrêt, l’accusé ne pouvait ignorer ;
- le demandeur a également utilisé ses ressources pour financer un groupe qualifié par la cour de « bras armé de l’élimination des Tutsis », en lui fournissant les moyens de s’approvisionner en vivres et d’en récompenser les membres pour leurs activités comprenant l’espionnage et l’assassinat des Tutsis, assistance financière qui, selon l’arrêt, fut attestée par des témoins ;
- le demandeur a mis à la disposition de tels groupes une aide logistique en leur fournissant des véhicules, notamment pour mener leurs expéditions punitives et transporter des vivres, des armes ainsi que les personnes chargées de ces activités ;
- le demandeur a participé à l’approvisionnement en armes et à leur distribution, en vue de la mise en œuvre effective du génocide, un témoin ayant indiqué avoir assisté, en présence du demandeur et du coaccusé, au déchargement de deux cents fusils provenant de chez le demandeur et qui furent répartis entre plusieurs milices, dont celle du coaccusé. Selon l’arrêt, plusieurs témoins confirmèrent ces faits de distribution, par le demandeur, d’armes ou d’argent en vue d’en acquérir ;
- le demandeur a fourni son concours en vue de l’entraînement militaire des miliciens, entraînement qui a eu une importance non-négligeable sur l’effectivité des opérations d’élimination systématique contre les Tutsis. Le demandeur aurait ainsi participé à la sélection des recrues ;
- le demandeur tenait lui-même un discours alimentant la haine envers les Tutsis, conseillant de les tuer et de les piller ;
- si personne ne confirma avoir vu le demandeur tuer personnellement les victimes, il fut décrit comme ayant encouragé les meurtres, notamment en ayant été présent à un endroit où plusieurs centaines de personnes furent massacrées dans une église, le demandeur exhortant les auteurs à se dépêcher car d’autres « travaux » restaient à exécuter ;
- des témoins décrivirent la proximité du demandeur avec les milices armées, auxquelles il donnait des instructions ou dont il véhiculait personnellement les membres ;
- le demandeur fut désigné comme ayant donné l’ordre d’ériger des barrières sur les routes pour y « filtrer » les Tutsis, et sa présence fut observée à un tel endroit ;
- le demandeur a remis au coaccusé des listes de Tutsis à exécuter et il a procédé à des repérages afin d’identifier les endroits où les futures victimes se trouvaient. Ainsi, lors du déclenchement du génocide, les auteurs savaient immédiatement et exactement où ils devaient se rendre et dans quel ordre.
Ainsi, l’arrêt énonce les éléments qui ont convaincu la cour d’assises que le demandeur avait participé à l’organisation et à l’exécution de meurtres en vue de détruire, en tout ou en partie, la population des Tutsis notamment dans la préfecture de Kigali, et de tuer ceux qui sont qualifiés de Hutus « modérés » ou « opposants ».
Dès lors, l’arrêt motive régulièrement et justifie légalement la décision que le demandeur, animé de l’élément moral particulier requis, a commis le crime de génocide.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Enfin, le demandeur soutient qu’un individu ne peut accomplir seul des faits relevant de la qualification de génocide.
Mais, d’une part, le demandeur est poursuivi en raison de ce crime et en a été reconnu coupable avec un coaccusé et, d’autre part, les motifs énoncés ci-avant de l’arrêt indiquent que, selon la cour d’assises, les faits ont été commis par le demandeur avec d’autres auteurs, fussent-ils non identifiés pour certains, auxquels il donna des instructions et des informations en vue de la perpétration du génocide, à qui il fournit dans ce but des armes, des moyens de subsistance et une aide logistique, et qu’il exhorta notamment à tuer des Tutsis.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
Quant à la seconde branche :
Le moyen reproche à l’arrêt interlocutoire du 8 décembre 2023 de refuser de soumettre au jury une question en rapport avec les éléments constitutifs des crimes mis à sa charge, tels que ces éléments sont prévus par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Mais il ressort des pièces de la procédure que le demandeur a été poursuivi du chef des crimes visés aux articles 136bis, 136quater, § 1er, 136quinquies, 136sexies, 136septies et 136octies du Code pénal, et qu’il en a été jugé coupable sur la base de la réponse affirmative donnée par le collège du jury et de la cour aux questions libellées en rapport avec les qualifications criminelles susdites.
Le moyen n’indique pas en quoi la question additionnelle qu’il évoque aurait pu modifier la délibération relative à l’accusation dont le demandeur avait à se défendre.
Telle qu’il la dénonce, l’omission dont le demandeur accuse l’arrêt n’est pas de nature à lui infliger grief.
Imprécis et dénué d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Sur le neuvième moyen :
Quant à la première branche :
Dirigé contre l’arrêt interlocutoire du 8 décembre 2023 et ses suites, le moyen lui fait grief de révéler la partialité de la cour d’assises : il reproche à cette dernière d’avoir « dénaturé le contenu des conclusions » que le demandeur avait déposées la veille et soutient que les termes employés par l’arrêt ont influencé de façon défavorable les jurés avant le début de la délibération qui a donné lieu à l’arrêt de motivation.
Dans la mesure où il réitère des griefs invoqués à l’appui d’une requête en récusation qui a été rejetée par la Cour aux termes d’un arrêt du 11 juillet 2023, le moyen est irrecevable.
L’étonnement du juge face à des conclusions réitérant des moyens d’illégalité sur lesquels il a déjà été statué ou formulant des demandes prématurées en raison du fait que l’instruction de la cause n’est pas terminée, ne saurait à lui seul constituer une circonstance apte à renverser la présomption d’impartialité dont bénéficie ce magistrat.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Pour le surplus, le demandeur ne précise pas à quels moyens contenus dans ses conclusions, la cour n’aurait pas répondu.
Dans cette mesure, imprécis, le moyen est irrecevable.
Quant à la deuxième branche :
Le moyen reproche d’abord à l’arrêt du 8 décembre 2023 de répondre aux conclusions du demandeur déposées la veille, alors que, selon lui, la loi n’aurait pas prévu la possibilité de rendre une telle décision interlocutoire et que la réponse aurait dû être donnée par la cour d’assises, aux termes de sa décision statuant au fond.
Mais, d’une part, c’est le demandeur qui a pris l’initiative de déposer des conclusions susceptibles d’intéresser notamment le fond, dès avant la clôture des débats devant la cour d’assises.
Dès lors, il ne peut faire le reproche à cette juridiction d’y avoir répondu.
À cet égard, le moyen est irrecevable.
Et d’autre part, après avoir constaté que certaines des demandes formulées avaient déjà été examinées aux termes de décisions antérieures, l’arrêt se borne à constater que, pour le surplus, elles sont prématurées et étrangères à la compétence du président et de ses assesseurs, renvoyant leur examen à la décision à rendre sur le fond.
Ainsi, les juges composant la cour d’assises n’ont pas commis l’excès de pouvoir dont le moyen les accuse.
Dans cette mesure, procédant d’une lecture erronée de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Quant à la troisième branche :
Le demandeur reproche à la cour d’assises un déni de justice : il aurait été omis de statuer sur sa demande de poser au jury des questions additionnelles, dont celle relative aux éléments constitutifs du crime de génocide.
Ainsi qu’il a été indiqué en réponse au huitième moyen, le demandeur ne précise pas en quoi l’omission qu’il allègue lui aurait causé grief, tandis que le président ne doit pas poser au jury une question indifférente à la solution du litige qui lui est soumis.
Réitérant ainsi le grief vainement invoqué à l’appui du moyen précédent, le moyen est irrecevable.
Quant à la quatrième branche :
Le moyen fait valoir que les 24 et 30 janvier 2024, le conseil du demandeur a invité le greffe de la cour d’assises à confirmer qu’il avait été pris acte d’une demande de récusation d’un juré, formulée oralement par la défense des accusés lors de l’audience du 21 décembre 2023, avant le prononcé de la décision de condamnation, puis le 22 décembre suivant, avant et après la décision sur l’arrestation immédiate du second demandeur. Le demandeur reproche à la cour d’assises d’avoir poursuivi les débats sans avoir statué sur ces requêtes et en ayant laissé participer à la décision un juré qui, en dehors de l’audience, avait manifesté de l’hostilité envers un avocat de la défense.
La récusation d’un juré ne se demande par verbalement à l’audience et le demandeur ne prétend pas avoir déposé à cette fin une requête, conformément aux articles 828 et suivants du Code judiciaire.
Partant, la cour d’assises n’avait pas à ordonner d’office le remplacement d’un juré accusé verbalement de partialité.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Et en tant qu’il postule que le juré concerné a dû être influencé par l’arrêt rendu le 8 décembre 2023 par les magistrats de la cour, le moyen revient à réitérer le grief vainement invoqué à l’appui de la première branche.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Sur le dixième moyen :
Le demandeur reproche à l’arrêt de motivation de ne pas répondre « aux nombreux et importants moyens de fait » soulevés dans ses conclusions déposées le 7 décembre 2023.
Conformément à l’article 334, alinéas 1 et 2, du Code d’instruction criminelle, sans devoir répondre à l'ensemble des conclusions déposées, le collège indique les principales raisons de la décision du jury, et le questionnaire visé aux articles 323 et suivants de ce code et portant la décision du jury est joint à la formulation des motifs.
En tant qu’il revient à soutenir que la cour d’assises était tenue de répondre à l’ensemble des « moyens de fait » invoqués par le demandeur dans ses conclusions, le moyen manque en droit.
Aux termes des motifs rappelés en réponse à la première branche du huitième moyen, la cour d’assises a indiqué les éléments de fait qui, selon l’arrêt, envisagés ensemble, constituaient les principales raisons de la décision du jury.
Ainsi, l’arrêt est régulièrement motivé.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
En tant qu’il reproche au jury de s’être basé sur des déclarations d’un témoin faites durant l’enquête plutôt que sur celles consenties sous serment lors des débats au cours desquels ce témoin aurait, selon le demandeur, contredit les premières, le moyen, qui procède d’une hypothèse, est irrecevable.
Enfin, en tant qu’il critique l’appréciation en fait du jury ou requiert, pour son examen, une vérification d’éléments de fait, qui n’est pas au pouvoir de la Cour, le moyen est également irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
9. Sur les pourvois dirigés contre les arrêts ordonnant l’internement du demandeur, rendu sous le numéro 7448, et son maintien en liberté sous conditions, rendu sous le numéro 7449 :
Sur le onzième moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 7 de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement. Il reproche à l’arrêt qui ordonne l’internement de statuer sur la base des conclusions d’une expertise psychiatrique médico-légale menée de manière non-contradictoire, le conseil du demandeur n’ayant pas été avisé des devoirs à réaliser par l’expert ni invité à y assister. Le demandeur reproche également à la cour d’assises de ne pas avoir répondu à ses conclusions déposées le 22 décembre 2023, qui faisaient valoir cette irrégularité.
Mais aux termes de l’arrêt du 21 décembre 2023, rendu sous le numéro 7446, la cour avait déjà répondu à cette défense et avait notamment indiqué que ce grief dirigé contre l’expertise réalisée durant l’instruction apparaissait tardif, tandis que le demandeur avait, lors d’étapes précédentes de la procédure, invoqué lui-même, à l’appui de sa défense, cette expertise. L’arrêt ajoute que ce grief est par ailleurs inexact et que « le demandeur et son conseil [ont] été régulièrement tenus au courant de tous les stades de l’expertise, notamment lors de la communication du rapport provisoire d’expertise, ce qui laissait toute latitude à ce dernier d’y intervenir ou de faire ses observations ».
Dès lors, la cour d’assises n’avait plus à répondre à une défense sur laquelle il avait déjà été statué aux termes d’un arrêt interlocutoire.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Et aux termes de l’arrêt interlocutoire du 9 octobre 2023, rendu sous le numéro 5439, le président de la cour d’assises, faisant droit aux conclusions du demandeur, avait ordonné à un expert psychiatre de réaliser une nouvelle expertise judiciaire de l’intéressé, afin de déterminer « l’éventuelle évolution de l’état psychique de [cet accusé], de donner un avis sur les conséquences de cette évolution sur sa capacité et son aptitude actuelle à assister à son procès et d’établir un rapport écrit […] ».
Cet arrêt a été prononcé à l’audience de la cour et, selon le procès-verbal de cette audience, en présence de l’avocat du demandeur.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
Pour le surplus, le moyen requiert une vérification d’éléments de fait, qui échappe au pouvoir de la Cour.
À cet égard, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
B. Sur les pourvois de S. T. :
1. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt de renvoi à la cour d’assises :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt interlocutoire rendu le 21 juin 2023 sous le numéro 3759 :
Sur le premier moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 6.1 et 6.3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 28bis, § 3, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle, ainsi que la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au procès équitable et au respect des droits de la défense. Il reproche à l’arrêt de ne pas répondre aux conclusions du coaccusé B. qui y avait fait valoir le défaut de loyauté et la partialité du ministère public, griefs dont l’intéressé déduisait l’irrecevabilité des poursuites. Par ailleurs, selon le demandeur, en se bornant à énoncer que « le président [de la cour d’assises] n’a pas à se prononcer sur ce point », l’arrêt s’approprie le grief de défaut de loyauté invoqué et ne permet pas à la Cour d’exercer son contrôle de la légalité de la décision.
Le juge n’est tenu de répondre qu’aux moyens, c’est-à-dire à l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte d’où, par un raisonnement juridique, cette partie prétend déduire le bien-fondé d’une demande, d’une défense ou d’une exception.
Ainsi, le juge n’est pas tenu de répondre à un moyen indifférent à la solution du litige.
Aux pages 20 à 26 de ses conclusions, le coaccusé B. avait notamment d’abord fait valoir la partialité du procureur fédéral, au motif que ce dernier n’a pas appelé à témoigner une personne que cet accusé jugeait objective quant à la description de la nature du régime politique rwandais. Ensuite, après avoir énoncé des considérations générales sur le contexte géopolitique des évènements auxquels le demandeur est soupçonné d’avoir participé, les conclusions du coaccusé B. reprochaient au ministère public d’adhérer à une thèse historique opposée à celle que soutient ce coaccusé et d’avoir gardé « secrètes les enquêtes et conclusions de son homologue au [Tribunal pénal international pour le Rwanda] » alors qu’il « est communément connu que le régime à Kigali est une dictature très féroce » et que, dans un autre dossier, des témoins auraient été « emprisonnés, torturés, menacés ». Ces conclusions faisaient enfin grief au parquet fédéral d’avoir, dans ces conditions suspectes, conclu des accords de coopération avec les autorités du Rwanda, le demandeur s’interrogeant dès lors quant à la crédibilité d’une instruction réalisée en recourant à ce cadre.
Pareille énumération de griefs, qui n’identifie aucun acte d’instruction ou de poursuite accusé d’irrégularité, se borne en réalité tantôt à contester une vision historique du contexte dans lequel les faits auraient été commis et à laquelle adhèrent d’autres parties, tantôt à énoncer de manière générale des critiques envers un régime politique.
Dès lors, le président de la cour d’assises n’était pas tenu de répondre à une défense qui, sous le couvert de l’allégation d’une cause d’irrecevabilité de l’action publique, se bornait en réalité, à la manière d’une pétition de principe, à déduire de la critique du point de vue de l’accusation ou de considérations générales étrangères aux faits dont la cour d’assises était saisie, une prétendue illégalité des poursuites.
Ainsi, la décision que le président de la cour d’assises n’avait pas à se prononcer sur pareils griefs et que les poursuites étaient recevables, est régulièrement motivée et légalement justifiée.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
3. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt interlocutoire rendu le 23 novembre 2023 sous le numéro 6578 :
L’arrêt se borne à décider que le témoin y visé sera entendu en audience publique et non à huis clos ainsi qu’il en avait fait la demande.
Pareille décision n’inflige aucun grief au demandeur.
Le pourvoi est irrecevable.
4. Sur les pourvois dirigés contre les arrêts interlocutoires rendus les 21 juin 2023 sous le numéro 3760, 9 et 13 octobre 2023 sous les numéros 5439 et 5542, et 4, 8 et 21 décembre 2023 sous les numéros 6835, 6962, 6963 et 7446 :
En tant qu’il est dirigé contre la décision de l’arrêt du 4 décembre 2023 d’écarter un procès-verbal, conformément à la demande de l’accusé, le pourvoi, dénué d’intérêt, est irrecevable.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
5. Sur les pourvois dirigés contre l’arrêt de motivation rendu le 19 décembre 2023 et contre l’arrêt de condamnation rendu le 22 décembre 2023 :
En tant qu’il est dirigé contre les décisions de l’arrêt de motivation aux termes desquelles le demandeur a été acquitté, le pourvoi, dénué d’intérêt, est irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 6.1, 6.3 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 2 du septième protocole à cette Convention, et 149 de la Constitution. Le demandeur reproche à la cour d’assises de l’avoir reconnu coupable et de l’avoir condamné, alors que ne figure pas au dossier l’arrêt interlocutoire rendu le 21 novembre 2023 à la suite du dépôt à cette date, par le demandeur, de conclusions postulant l’audition d’un témoin et la mise à l’écart de pièces.
Le demandeur en déduit, d’une part, qu’il a été porté atteinte à son droit à un recours effectif dès lors qu’il n’a pas été en mesure de soumettre cette décision à la censure de la Cour et, d’autre part, qu’ignorant la motivation de cet arrêt, ni lui ni la Cour ne sauraient en contrôler la régularité et la légalité, de même que la régularité de la procédure qui a conduit aux arrêts de motivation et de condamnation.
Une copie certifiée conforme de l’arrêt du 21 novembre 2023 figure actuellement parmi les pièces auxquelles la Cour peut avoir égard. Il s'ensuit que celle-ci est en mesure d'exercer le contrôle complet de la procédure, sans que les parties soient privées à cet égard de leurs droits de défense.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Et à la suite de cette jonction au dossier de la décision susvisée, le demandeur a été en mesure de se pourvoir contre cette décision et de proposer à la Cour des moyens critiquant l’arrêt de motivation ou l’arrêt de condamnation et qui trouveraient leur justification dans l’illégalité de la décision dont l’absence fut invoquée.
À cet égard, dépourvu d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Sur le troisième moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale. Dirigé contre l’arrêt de condamnation, il lui fait grief d’écarter la défense du demandeur de se voir infliger une peine réduite en raison du dépassement du délai raisonnable pour être jugé : alors que les faits dont la cour d’assises était saisie auraient été commis en 1994, dans un contexte bien connu des autorités, l’instruction n’a été ouverte qu’en 2015 et la condamnation n’a été prononcée que huit ans plus tard, soit près de trente ans après les crimes imputés au demandeur. En l’absence de retard imputable à ce dernier, la cour d’assises n’a pu légalement décider que la cause, envisagée dans son ensemble, avait, en huit ans, été traitée avec la diligence requise.
En l’absence de conclusions déposées par le demandeur à l’appui de sa défense faisant valoir que le délai raisonnable pour le juger était dépassé, la cour d’assises a légalement décidé que ce délai a été observé en constatant que le procès n’a subi aucun retard anormal depuis le 12 juin 2015, date à partir de laquelle l’accusé s’est trouvé dans l’obligation de se défendre, que de nombreux devoirs ont dû être exécutés et que ces actes furent rendus complexes par les circonstances que les infractions avaient été commises à l’étranger, dans un pays situé en-dehors de l’Union européenne, et qu’ils impliquèrent de nombreuses auditions de témoins dans des langues étrangères, des déplacements ainsi que des efforts de coordination avec les autorités locales. L’arrêt conclut en considérant que le traitement de la cause n’a pas non plus connu de retard en Belgique, eu égard à l’ampleur des faits à juger.
Ainsi, la cour d’assises a légalement justifié sa décision que le délai raisonnable pour juger le demandeur n’était pas dépassé.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Pour le surplus, en tant qu’il revient à critiquer cette appréciation en fait de la cour d’assises, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées, les décisions sont conformes à la loi et les peines ont été légalement appliquées aux faits déclarés constants par le jury.
6. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt de condamnation rendu le 22 décembre 2023 en tant qu’il ordonne l’arrestation immédiate du demandeur :
En raison du rejet du pourvoi dirigé contre elle, la décision de condamnation acquiert force de chose jugée.
Le pourvoi dirigé contre le mandement d’arrestation immédiate devient sans objet.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de ses pourvois.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de deux mille nonante-trois euros quatre-vingt-neuf centimes dont I) sur les pourvois de P. B. : mille quarante-deux euros cinquante-cinq centimes dus et II) sur les pourvois de S. T. : mille cinquante et un euros trente-cinq centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du onze septembre deux mille vingt-quatre par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, premier avocat général, avec l’assistance de Lutgarde Body, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.24.0184.F
Date de la décision : 11/09/2024
Type d'affaire : Droit international public - Droit pénal

Origine de la décision
Date de l'import : 21/09/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-09-11;p.24.0184.f ?

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