N° C.24.0078.F
M. B.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
contre
1. J. V. D. K.,
2. A. V. D. K.,
3. D. V. D. K.,
4. C. V. D. K.,
5. V.D.K., société à responsabilité limitée,
6. LES TUILERIES, société anonyme,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
7. M. C.,
8. G. V. D. K.,
défendeurs en cassation,
9. R. L.,
10. S. L.,
11. D. L.,
12. V. L.,
13. N. L.,
faisant élection de domicile chez leur conseil,
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 6 octobre 2023 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 5 juillet 2024, l’avocat général Hugo Mormont a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 5 juillet 2024, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général Hugo Mormont a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première et à la troisième branche :
Le principe général du droit fraus omnia corrumpit tend à écarter tout effet juridique résultant d'un comportement frauduleux. Cette sanction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter que l'objectif visé par la fraude soit atteint.
Suivant l'article 48.1, alinéas 1er et 2, de la loi sur le bail à ferme, le propriétaire ne peut vendre le bien de gré à gré à une personne autre que le preneur qu'après avoir mis celui-ci en mesure d'exercer son droit de préemption ; à cet effet le notaire notifie au preneur le contenu de l'acte établi sous condition suspensive de non-exercice du droit de préemption, l'identité de l'acheteur exceptée ; si le preneur accepte l'offre, il doit notifier son acceptation au notaire dans le mois de la notification visée au premier alinéa, auquel cas, conformément à l'article 1583 de l’ancien Code civil, la vente est parfaite entre parties dès que l'acceptation du preneur est arrivée à la connaissance du notaire.
L’article 48bis de cette loi dispose, à l’alinéa 1er, que le preneur peut céder son droit de préemption pour la totalité du bien, ou pour partie s'il l'exerce lui- même pour le surplus, à un ou plusieurs tiers aux conditions suivantes, à l’alinéa 2, qu’en cas de vente de gré à gré, le preneur et le ou les tiers notifient ensemble la cession et l'acceptation au notaire, selon l'article 48.1, alinéa 2, et, à l’alinéa 4, qu’en cas d'application dudit article 48bis, le bail est renouvelé de plein droit au profit du preneur à dater du jour anniversaire de l'entrée en jouissance du preneur suivant la date d'acquisition par le tiers.
Il dispose, à l’alinéa 5, que le preneur qui a cédé son droit de préemption dans les conditions prévues par l’article 48bis ne peut, pendant une période de neuf ans à dater de l'entrée en vigueur du nouveau bail visé au troisième alinéa, céder l'exploitation du bien à des personnes autres que son conjoint, ses descendants ou enfants adoptifs ou ceux de son conjoint ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs et, à l’alinéa 6, qu’en cas d'inobservation de cette disposition, le preneur est tenu de payer au vendeur une indemnité correspondant à 50 p.c. du prix de vente des parcelles en question, sauf s'il a obtenu, au préalable et pour des motifs sérieux, l'autorisation du juge de paix.
Aux termes de l’article 55 de la même loi, dans sa rédaction applicable, en cas d'aliénation du bien loué, l'acquéreur est subrogé aux droits et obligations du bailleur.
En vertu de l’article 56 de cette loi, sont réputées inexistantes toutes conventions par lesquelles le preneur, d’une manière expresse ou tacite, renonce, en tout ou en partie, aux droits que lui confèrent les articles 45 à 51 et 55.
Ces dispositions de la loi sur le bail à ferme n’excluent pas la possibilité pour le juge, qui considère que le preneur qui, par la cession frauduleuse, et avec la complicité du cessionnaire, de son droit de préemption, a empêché un tiers ayant acquis un bien rural sous condition de devenir propriétaire de ce bien et qui estime que cette sanction est nécessaire pour éviter que l'objectif visé par la fraude soit atteint, de sanctionner ce comportement frauduleux par l’annulation de la vente du bien au cessionnaire du droit de préemption.
Le moyen, qui, en ces branches, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant à la deuxième branche :
L’arrêt, qui déduit des circonstances qu’il relève que, « de manière certaine, dès la cession, les [septième et huitième défendeurs], avec la complicité de [la demanderesse], qui n’ont fourni aucune explication plausible sur la manière dont les terres ont été cultivées et sur l’identité du ou des cultivateurs, le cas échéant dans le cadre de contrats de culture, savaient que la cession du droit de préemption se faisait en fraude des droits des [six premiers défendeurs] dans la mesure où, vu leur âge, leurs intentions et leur état d’esprit, il est clair que les [septième et huitième défendeurs] entendaient terminer au plus vite l’exploitation et n’avaient en tout cas aucune intention d’assurer une exploitation durant neuf années », considère par une appréciation en fait que, avec la complicité de la demanderesse, les septième et huitième défendeurs ont détourné leur droit de préemption de son but en portant frauduleusement atteinte aux intérêts des six premiers défendeurs.
Le moyen, qui, en cette branche, s’érige contre cette appréciation en fait, est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille huit cent soixante-huit euros vingt-deux centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du seize septembre deux mille vingt-quatre par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Hugo Mormont, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.