N° S.24.0010.F
D. A.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
COMMUNE […],
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le
26 septembre 2022 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 5 juillet 2024, l’avocat général Hugo Mormont a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général Hugo Mormont a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Lorsque le dommage consiste en la perte d'une chance d'obtenir un avantage espéré, ce dommage est certain lorsque la perte, en relation causale avec la faute, porte sur un avantage probable.
Il appartient à celui qui demande la réparation d’un tel dommage d’établir que l’avantage perdu était probable.
L’arrêt constate que, « le 10 mars 2008, [le demandeur] a été engagé par la [défenderesse] dans les liens d’un contrat de travail à durée indéterminée », qu’ « il y a exercé la fonction de conseiller en aménagement du territoire », que, le 10 août 2016, le demandeur a été convoqué par la défenderesse à une audition fixée le 16 août 2016, en vue de l’entendre sur des faits survenus le 4 août 2016, que, par courrier électronique du 14 août 2016, le demandeur a accusé réception de la convocation et a indiqué que son état de stress et les troubles associés dus au surmenage constaté par son médecin traitant, qui l’avait mis en arrêt de travail, ne lui permettaient pas de se présenter sereinement et que, « le 16 août 2016, [la défenderesse a procédé] au licenciement avec effet immédiat moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ».
Après avoir exposé que le demandeur, qui estimait que la défenderesse a commis une faute en procédant à son licenciement sans audition préalable, demandait sa condamnation « à des dommages et intérêts […] pour le préjudice matériel consistant en la perte d’une chance de conserver son emploi » et décidé qu’ « en procédant au licenciement le jour de l’audition, sans même envisager un report de celle-ci à brève échéance pour permettre [au demandeur] d’organiser sa défense et de comparaître en se faisant assister ou représenter par un défenseur, la [défenderesse] a agi avec légèreté et précipitation et n’a pas permis à l’intéressé de se défendre », l’arrêt énonce que « la perte d’une chance de conserver son emploi constitue un dommage distinct du préjudice matériel et moral causé par le licenciement lui-même, lequel est indemnisé forfaitairement par le paiement de l’indemnité de rupture », que « ce dommage doit être certain et ne peut être seulement hypothétique, conjectural ou éventuel », qu’il « doit s’agir d’une chance réelle » et qu’ « il appartient [au demandeur] d’établir la réalité du dommage qu’il allègue, et ce dommage doit être certain dans son principe ».
Après avoir relevé que le demandeur « a été nommé directeur général faisant fonction dans une autre commune […] le 12 septembre 2016, soit moins d’un mois après son licenciement et quelques jours après la fin de sa période d’incapacité », que « cette nomination est l’aboutissement d’une procédure de recrutement initiée avant son licenciement » et que le demandeur « fait valoir qu’en l’absence de licenciement, il aurait peut-être refusé ce nouvel emploi […] pour rester dans ses fonctions [chez la défenderesse] ‘au regard de la stabilité d’emploi que son ancienneté lui conférait et de ses éventuelles perspectives d’avenir’ », l’arrêt considère que, « certes, s’il n’avait pas été licencié, [le demandeur] aurait peut-être décidé de rester [au service de la défenderesse] », qu’ « il s’agit cependant d’une simple possibilité qui n’est pas du tout démontrée », que la perte de chance, qui doit être appréciée en fonction des circonstances particulières propres à chaque cause, doit être certaine et pas seulement probable ou éventuelle », qu’ « aucun élément ne permet de tenir pour établi que [le demandeur] entendait rester au service de [la défenderesse] » et que « le préjudice allégué consistant en la perte d’une chance de conserver son emploi n’est donc pas établi ».
L’arrêt, qui déduit, non de ce que le demandeur a été engagé dans une autre commune après son licenciement, mais de ce que la procédure de recrutement avait été initiée avant celui-ci et de ce qu’il ne démontre pas qu’il eût refusé ce nouvel emploi, que la probabilité qu’il conserve son emploi au sein de la défenderesse en l’absence de ce licenciement n’est pas établie, justifie légalement sa décision de dire cette demande non fondée.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent vingt-neuf euros trente-six centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du seize septembre deux mille vingt-quatre par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Hugo Mormont, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.