N° C.23.0404.F
S. C.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
C. C.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 11 mai 2023 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Selon l’article 19, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire, le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, sauf les recours prévus par la loi ; le juge qui a épuisé sa juridiction sur une question litigieuse ne peut plus en être saisi sauf exceptions prévues par ce code.
En vertu de l’article 19, alinéa 3, du même code, le juge peut, avant dire droit, ordonner une mesure préalable destinée soit à instruire la demande ou à régler un incident portant sur une telle mesure, soit à régler provisoirement la situation des parties.
Il suit de la combinaison de ces dispositions que le juge, qui ordonne une mesure d’instruction ou règle provisoirement la situation des parties, rend une décision avant dire droit, lors même qu’il tranche, sans incidence sur la recevabilité ou le fondement de la demande, une contestation relative à cette mesure.
Dans la mesure où il soutient que toute décision tranchant une contestation entre les parties constitue une décision définitive, le moyen, en cette branche, manque en droit.
Pour le surplus, l’arrêt du 4 juin 2021 considère que le demandeur « a commis un dol incident […] en taisant [au défendeur], avant la signature de la convention de cession, le résultat du calcul de l’actif net consolidé du groupe » et que, dès lors que le défendeur « n’aurait pas contracté aux mêmes conditions, s’il en avait eu connaissance, [sa] demande de dommages et intérêts […] est fondée en son principe », que cette demande « ne peut être accueillie en l’état sur la base de l’estimation effectuée [par son conseil technique] », mais que, pour « respecter l’intention des parties qui ont opté pour une procédure prévoyant un calcul par RSM Interaudit suivi, le cas échéant, d’un échange entre les réviseurs choisis par les parties puis d’un arbitrage » et « afin de ne pas retarder inutilement l’issue du litige, [le demandeur] étant disposé à mettre en œuvre la procédure d’évaluation conventionnelle », il y a lieu, « avant dire droit, [d’]invite[r] les parties à reprendre la procédure d’évaluation de l’actif net de la société Easi Group par RSM Interaudit, selon le processus décrit à l’article 3.1 de la convention, étant précisé que l’actif net du groupe sera calculé en additionnant les actifs nets des différentes sociétés du groupe ».
Il ressort de ces énonciations que l’arrêt du 4 juin 2021, qui ne statue définitivement que sur le principe du dommage du défendeur et sur la définition de l’actif net à prendre en considération, ne considère pas que l’évaluation du dommage devait avoir lieu dans le respect de la procédure prévue par la convention, mais se borne à prononcer une mesure d’instruction calquée sur la procédure conventionnelle prévue.
Dans cette mesure, le moyen, qui, en cette branche, procède d’une interprétation inexacte de l’arrêt, manque en fait.
Quant à la seconde branche :
L’arrêt du 4 juin 2021 relève, d’une part, que le défendeur « fait à juste titre valoir que la partie du prix calculée sur la base de l’actif net avait fait l’objet d’une estimation par les parties, ainsi qu’en témoigne l’évolution de leurs négociations », en sorte que, « au regard [des éléments visés aux pages 16 et 17, le défendeur] pouvait raisonnablement attendre un complément de prix de l’ordre de 1 500 000 à 1 800 000 euros, sauf une modification de la situation financière du groupe qui n’est pas alléguée, bien loin de celui de 176 608,70 euros, près de dix fois moindre, qui lui a été versé à la suite de la signature de la convention », d’autre part, que le demandeur « avait connaissance du résultat du calcul effectué par RSM Interaudit avant la signature de la convention », qu’il « était débiteur d’une obligation de parler à l’égard [du défendeur] » et qu’il « soutient enfin vainement que [le défendeur] avait connaissance du montant de l’actif net consolidé avant de signer ». Il déduit de ces énonciations que le demandeur « a commis un dol incident […] en taisant [au défendeur], avant la signature de la convention de cession, le résultat du calcul de l’actif net consolidé du groupe et que [le défendeur] n’aurait pas contracté aux mêmes conditions s’il en avait eu connaissance », que « la demande de dommages et intérêts [du défendeur] est fondée en son principe », mais qu’elle « ne peut être accueillie en l’état sur la base de l’estimation effectuée par BDO à sa demande » et qu’il convient, « avant dire droit, [d’]invite[r] les parties à reprendre la procédure d’évaluation de l’actif net […], étant précisé que l’actif net du groupe sera calculé en établissant les actifs nets des différentes sociétés du groupe ».
L’arrêt attaqué, qui constate l’échec de la mesure d’instruction, procède, « sur la base des rapports de RSM Interaudit lus à la lumière de la convention de cession », au calcul de « l’actif net pertinent pour le calcul du prix de cession, tel qu’il a été voulu par les parties », aboutit à la somme de 8 157 181,13 euros et décide que « le complément de prix qui aurait dû être payé [au défendeur] est de
3 711 517,41 euros, […] même si ses espérances avant de conclure le contrat se situaient en dessous de ce montant ».
Il ne ressort d’aucune de ces énonciations que l’arrêt du 4 juin 2021 et l’arrêt attaqué considèrent que le défendeur aurait accepté de contracter à un prix se situant en dessous du montant ainsi retenu.
Le moyen, qui, en cette branche, procède d’une lecture inexacte de ces arrêts, manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de trois cent soixante-sept euros trente-quatre centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Hugo Mormont, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.