Recours pour excès de pouvoir du sieur Amagli contre deux décisions en date des 13 et 14 décembre 1960 par lesquelles le Ministre de l'intérieur a ordonné respectivement la saisie des exemplaires des numéros 859 et 860 du Journal « Daho-Matin ».
« Attendu que par deux décisions en date des 13 et 14 décembre 1960 prises en application de l'article 49 de la loi du 30 juin 1960 sur la liberté de la presse le Ministre de l'Intérieur a ordonné la saisie des exemplaires des numéros 859 et 860 du journal « Daho-Matin »; que le 15 décembre suivant le Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Cotonou a requis l'ouverture d'une information contre le sieur Amagli, directeur-gérant dudit journal, du chef de publication de fausses nouvelles, délit prévu et réprimé par l'article 25 de la loi précitée; que le 16 décembre le juge d'instruction a ordonné « la saisie judiciaire des journaux « Daho-Matin » n°s 859 et 860 des 13 et 14 décembre 1960 dans le but d'une bonne administration de la justice »; que par jugement du 28 mars 1961 le Tribunal Correctionnel a relaxé le sieur Amagli des fins de la poursuite engagée contre lui du chef du délit sus-indiqué et prononcé la mainlevée de la saisie judiciaire opérée le 16 décembre 1960; que par la présente requête le sieur Amagli demande l'annulation pour excès de pouvoir des deux décisions ci-dessus mentionnées du Ministre de l'Intérieur en date des 13 et 14 décembre 1960;
Attendu qu'aux termes des articles 48 et 49 de la loi du 30 juin 1960 tels qu'ils étaient rédigés à la date des décisions attaquées:
« Article 48. - Dans les cas prévus aux articles 8, 20, 21 (paragraphes 1er et 2), 22, 23, 24 25, 27, 28, (paragraphe 2), 34 et 35 de la présente loi, lorsque des poursuites seront intentées par le Ministère public, immédiatement après le réquisitoire, le juge d'instruction pourra ordonner la saisie des écrits ou imprimés, des placards ou affiches, des dessins ou gravures, des peintures ou emblèmes conformément aux règles édictées par le Code d'Instruction Criminelle.
Article 49. Dans les seuls cas prévus aux articles 20, 21 (paragraphe 1er et 2), 22, la saisie provisoire des journaux ou écrits périodiques, des écrits ou imprimés, des placards ou affiches, des dessins ou gravures, des peintures ou emblèmes, pourra être ordonnée par décision du Ministre de l'Intérieur avec obligation pour celui-ci de provoquer l'exercice de l'action publique par le Minitère public le jour même de la saisie opérée. En cas de condamnation de la personne poursuivie, la juridiction aura ainsi validé la saisie, elle prononcera la destruction de tous les exemplaires. En cas de relaxe du prévenu ou d'acquittement de l'accusé, il sera ordonné la mainlevée de la saisie administrative par même décision ».
Attendu d'une part, qu'en vertu de l'article 22 de la loi du 14 mars 1960 relative au Tribunal d'Etat, dont les dispositions ont été reprises sur ce point à l'article 32 de la loi du 18 octobre 1961 sur la Cour Suprême, le recours pour excès de pouvoir est ouvert contre les décisions émanant des autorités administratives; que tel est le caractère de la mesure de saisie prévue à l'article 49 de la loi du 30 juin 1960 tant que l'autorité judiciaire n'a pas substitué sa propre décision à celle prise par le Ministre de l'Intérieur;
Attendu que l'ordonnance rendue le 16 décembre 1960 par le juge d'instruction n'a pas validé expressément la saisie ordonnée par le Ministre de l'Intérieur et ne peut être regardée comme s'étant substituée à la décision prise par cette autorité; qu'en effet si la saisie ordonnée par le Ministre dans un but de sauvegarde de l'ordre public s'est étendu conformément à l'article 49 de la loi du 30 juin 1960 à la totalité des exemplaires des numéros en cause il résulte, clairement de l'ordonnance du juge d'instruction que la saisie prescrite par celui-ci « dans le but d'une bonne administration de la justice » en application de l'article 48 de la loi précitée et du Code d'instruction Criminelle ne portait que sur le nombre d'exemplaires nécessaires à la manifestation de la vérité; qu'en outre il résulte clairement des termes du jugement du 28 mars 1961 que le Tribunal Correctionnel n'a statué que sur la saisie judiciaire ainsi ordonnée par le juge d'instruction; que, par suite, le recours pour excès de pouvoir présenté par le sieur Amagli est recevable et a conservé son objet;
Attendu d'autre part, qu'il ressort des termes mêmes de l'article 49 de la loi du 30 juin 1960 que la saisie ordonnée par le Ministre de l'Intérieur doit être provisoire et ne peut être rendu définitive que par la juridiction répressive de jugement à l'occasion de poursuites engagées du chef de l'une des infractions limitativement énumérées audit article;
Attendu qu'il est constant qu'aucune poursuite n'a été engagée en l'espèce avant l'expiration du délai de prescription sur le fondement et l'une des infractions visées à l'article 49 précité tel qu'il était rédigé lors des faits en cause; que dans ces conditions la saisie ordonnée par le Ministre de l'Intérieur a revêtu en réalité un caractère définitif et ne peut dès lors trouver de fondement légal dans ledit article 49;
Attendu qu'il suit de tout ce qui précède que le sieur Amagli est fondé à demander l'annulation des décisions attaquées. »