Recours pour excès de pouvoir - Fonction publique - Titre d'affectation de conjoint - Intérêt pour agir - Recevabilité - Rapprochement de conjoints - Loi applicable - Rejet.
Est recevable, parce que son auteur a intérêt pour agir, le recours d'un agent public dirigé contre le titre d'affectation de son épouse qui a, auparavant, introduit une instance en divorce.
Par contre ledit recours doit être rejeté quant au fond lorsque le requérant invoque, aux fins de rapprochement de conjoints, l'application d'une loi qui n'est pas en vigueur.
N°2 du 29 février 1972
AHO Justin Etienne
C/
Décision d'Affectation n° 788/MEN/P du 07/10/68 du Ministre de l'Education Nationale
Vu la requête présentée par le sieur AHO Justin Etienne, Agent des impôt à Porto-Novo, ladite requête enregistrée le 23 janvier 1969 au Greffe de la Cour Suprême et tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision constituée par le titre d'affection n° 788/MEN-P du 07 octobre 1968 portant affectation de sa femme, dame AHO née GATTA Alimatou, à Djougou, par les moyens que cette affectation n'est pas motivée par les raisons de service, mais plutôt par des considérations particularistes tout à fait subjectives; que les raisons de cette décisions sont absolument discutables et n'ont rien à avoir avec l'intérêt général, ni les préoccupations d'une bonne administration; que cette décision a eu pour conséquence le démembrement de sa famille et a permis à sa femme d'engager une procédure de divorce à la faveur de cette mutation; que tout s'est passé comme si c'était à bon escient que le Ministre s'est fait complice des désordres qui ont eu lieu à cette époque dans son foyer; que la séparation des ménages n'est ni le rôle, ni le but de l'Administration; que le Ministre se sert de son Ministère à des fins régionalistes;
Vu, enregistré comme ci-dessus, le 21 juin 1969, le mémoire en défense du Ministre de l'Education tendant au rejet de la requête quant au fond, par les moyens que celle-ci est irrecevable, le requérant n'ayant pas qualité pour attaquer la décision incriminée qui ne le concerne pas; que la bénéficiaire de la décision, Dame AHO, n'a pas attaqué ladite décision; que dame AHO a sollicité sa mutation dans l'une des écoles de la ville de Djougou précisant qu'elle était en instance de divorce avec son mari depuis le 20 mars 1968; qu'elle ne voulait plus servir dans la même ville que son mari qui la menaçait constamment d'attenter à sa vie; que d'après la coutume Pila-Pila, la femme en séparation de corps avec son mari se réfugie au domicile de ses parents qui en l'occurrence demeurent à Djougou;
Que la demande de mutation était normale et la décision intervenue sauvegardait sa responsabilité de Ministre; qu'il n'y a aucun texte qui fasse obligation à l'Etat d'affecter une épouse dans la même localité que son conjoint; que de même, aucun texte ne fait obligation à l'administration d'avoir l'accord du mari avant de faire droit à la demande de mutation de la femme désirant quitter la localité où travaille celui-ci;
Vu, enregistré comme ci-dessus, le 09 septembre 1969, le mémoire en réponse du requérant, tendant aux même fins par les mêmes motifs, et en outre par les moyens qu'en tant que père de famille, il a intérêt à attaquer la décision incriminée qui disloque sa famille; que le ministre de l'éducation affirme à tort qu'aucun texte n'oblige au rapprochement des époux fonctionnaires; que la loi Roustan du 30 décembre 1921 applicable dans l'ex-AOF prescrivait ce rapprochement; que seule l'autorité judiciaire pouvait prescrire dans des cas exceptionnels de domicile séparé aux époux; que le ministre de l'Education commet donc un excès de pouvoir en décidant hors l'autorité judiciaire d'affecter sa femme à Djougou; que cette décision ne respecte pas les prescriptions de l'article 215 du Code Civil qui prescrit un domicile unique au époux;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier;
Vu l'ordonnance 21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour Suprême;
OUÏ à l'audience du mardi vingt neuf février mil neuf cent soixante douze, monsieur le Conseiller BOUSSARI en son rapport;
Monsieur le Procureur Général GBENOU en ses conclusions;
Et après avoir délibéré conformément à la loi;
Sur la recevabilité du recours en la forme
Considérant qu'il convient sur la question d'irrecevabilité du recours soulevée par le Ministre de l'Education Nationale;
Considérant qu'en ce qui concerne la pleine juridiction, pour être admis à ouvrir une instance, le demandeur doit établir qu'il jouit d'un droit lésé (ou qu'il est l'ayant cause ou le représentant du titulaire du droit) par la décision administrative qu'il soumet à la censure du juge et dont il demande réparation; qu'au contraire, le recours pour excès de pouvoir est d'une accessibilité beaucoup moins étroite; qu'il n'est pas besoin de prouver un droit lésé, le recours pour excès de pouvoir étant admis dès lors qu'on peut attester qu'on a, au retour à la légalité, un intérêt personnel; que le critère retenu est celui de l'intérêt que l'annulation éventuelle de la décision attaquée peut présenter pour l'auteur du pourvoi, qu'une requête dont le signataire n'a pas un intérêt direct et suffisant à l'annulation de la décision contre laquelle cette requête est dirigée n'est pas recevable;
Considérant qu'à l'inverse, toute personne physique ou morale justifiant d'un intérêt direct suffisant et certain à l'annulation d'une décision administrative est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre cette décision;
Considérant que le Ministre de l'Education Nationale dans son mémoire en défense en date du 14 juin 1969 écrit: «Dès lors, en admettant même que le demandeur aurait qualité pour agir contre le titre d'affectation du 07 octobre 1968, on ne voit pas l'intérêt qu'il aurait maintenant à faire rapporter la décision susvisée puisqu'il est divorcé d'avec son épouse.»
Considérant que cette thèse est combattue par le requérrant dans son mémoire en réponse au mémoire du Ministre de l'Education Nationale par l'argumentation suivante: «Quant à l'argument tiré du jugement rendu le 04/03/69 par le tribunal de première instance de Porto-Novo prononçant le divorce, il est de portée nulle car ladite décision n'a pas encore autorité de la chose jugée, un appel interjeté contre ce jugement suivant son cours»
Considérant qu'il a été jugé que l'intérêt de nature à rendre recevable un recours pour excès de pouvoir s'apprécie à la date d'introduction du recours contentieux que la circonstance que cet intérêt a disparu entre l'introduction de la demande contentieuse et le jour où le juge statue ne rend pas le pourvoi irrecevable;
Considérant qu'il apparaît donc clairement que le requérant, désirant que la cohabitation avec son épouse soit maintenu malgré ses «difficultés de ménage», a un intérêt direct matériel et même moral suffisant et certain à l'annulation de la décision n° 788/MEN-P du 07 octobre 1968 du Ministre de l'Education Nationale;
Considérant en conséquence que son recours formé dans le délai légal doit être déclaré recevable en la forme.
Sur la recevabilité du recours au fond
Sur la violation de l'article 215 du code Civil
Considérant que la législation Dahoméenne sur l'Etat des personnes n'ayant pas encore fixé un statut unique pour l'ensemble des Dahoméens, ceux-ci se répartissent entre deux groupe: ceux qui ont gardé leur statut personnel et ceux qui sont régis par le code civil français (étant avant l'indépendance des citoyens français ou ayant opéré une option de législation); qu'on doit se demander dans quelle catégorie peut se placer le requérant? Que la réponse à cette question nous est opportunément fournie par l'acte d'appel interjeté le 22 mars 1969 par le sieur AHO Justin Etienne contre le jugement n° 22 du 04 mars 1969 rendu par la Chambre Traditionnelle du tribunal de première instance de Porto-novo; qu'ainsi donc le tribunal de droit traditionnel étant compétent pour prononcer le divorce d'entre les époux AHO, Il faut en déduire que ceux-ci ont conservé leur statut Civil Particulier et relèvent de la coutume;
Que c'est donc à tort que le requérant invoque la violation d'une disposition légale qui ne lui est pas applicable;
Sur la violation de la loi Roustan du 30 décembre 1921 en son article 394
Considérant que le «Code soleil», ouvrage cité par le requérant n'indique nullement, à la page 192, l'article 394 de la loi Roustan prétendument violée;
Qu'un attentif examen de l'ouvrage permet de découvrir à la page 204 et au n° 384 la question du «Rapprochement des conjoints décidant dans des départements différents»; que bien qu'il soit fait référence à la Loi du 30 décembre 1921, dite loi Roustan pour réserver» 25% des postes vacants au cours de l'année dans chaque département aux fonctionnaires qui, étrangers au département ou à une personne qui y a fixé depuis un an sa résidence ou pour permettre aux autorités administratives de se concerter pour offrir aux ménages de fonctionnaires, aussitôt que l'occasion s'en présentera et sans léser les droits des tiers, soit un poste double, soit deux postes dans la communes limitrophes ou dans le même canton», Aucune disposition de la loi évoquée ne fait obligation à l'administration de ne pas muter les conjoints fonctionnaires à plus de 30m l'un de l'autre; que d'ailleurs toutes ses dispositions de la loi du 30 décembre 1921 sont prises dans l'intérêt du règlement ne confère à un maître le droit d'être nommé à un poste déterminé;
Que cette législation française n'a jamais été rendu applicable à l'époque aux colonie; que c'est donc en vain que le requérant invoque encore la violation d'une loi ne lui est pas applicable;
Par ces motifs
DECICE:
Article 1er Le recours susvisé du sieur AHO Justin Etienne est recevable en la forme.
Article 2 Ledit recours est rejeté au fond.
Article 3 Les dépends sont mis à la charge du requérant.
Article 4 Notification de la présente décision sera faite aux parties.
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Administrative) composée de messieurs:
Cyprien AÏNADOU, Président de la Cour Suprême: PRESIDENT
Corneille T. BOUSSARI et Gaston FOURN : CONSEILLERS
La Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de Monsieur:
Grégoire GBENOU: PROCUREUR GENERAL
Et maître P. V. AHEHEHINNOU: GREFFIER
Et ont signé
Le Président Le Conseiller rapporteur
C. AÏNADOU C.T. BOUSSARI
Le Greffier
P.V. AHEHEHINNOU