Recours pour excès de pouvoir - Acte du gouvernement - Procédure - Délai de forme - Incompétence - Rejet.
Est recevable, le recours pour excès de pouvoir introduit dans les délais légaux.
Par contre, ledit recours est irrecevable, pour cause d'incompétence de la Cour Suprême, lorsqu'il est dirigé contre un acte législatif pris par l'exécutif mais considéré à tort par le requérant comme un acte administratif.
n°04 du 29 février 1972
François GUEZO
C/
Ordonnance n° 48/PR-MJL du 29 août 68 portant Statut du Notariat
Vu la requête en date du 12 mai 1969, reçu et enregistrée au greffe de la Cour Suprême le 13 mai 1969 sous le numéro 378/GCS par laquelle le sieur François GUEZO, Magistrat en retraite, demeurant à Cotonou et ayant maître BARTOLI pour conseil sollicite de la Cour Suprême l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance n° 48/PR/MJL du 29 août 1968 portant statut du notariat, par les moyens qu'il fut mis à la retraite en qualité de magistrat, qu'il sollicite alors son admission aux fonction de notaire du fait qu'il remplissait les conditions fixée par le décret du 13 octobre 1934, qu'à la suite de sa demande intervenait l'ordonnance du 29 août 1968 qui modifiait les conditions d'admission aux fonction de notaire;
Qu'il y a eu violation des droits acquis en ce qu'ayant formé sa demande sous l'empire du décret du 13 octobre 1934 et alors qu'il remplissait les conditions d'admission fixées par ce texte il ne pouvait être privé rétroactivement des avantages qui en découlaient, violation des principes généraux du droit en ce que l'ordonnance entreprise subordonne l'admission aux fonctions de notaire à un stage de six années dont une en qualité de premier clerc alors que une seule étude de notaire existant au Dahomey, il suffit que son titulaire soit dans l'impossibilité d'accueillir un stagiaire ou ne le veuille pas pour que cette condition ne puisse être un condition impossible à satisfaire; violation des articles 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 21 de la déclaration universelle de 1948 promulguées au Dahomey en 1946et en 1960;
Vu le mémoire ampliatif en date du 05 août 1969, enregistré comme ci-dessus le même jour sous le numéro 531/GCS par lequel le sieur François GUEZO affirme avoir exercé les fonctions de greffier en chef et obtenu le diplôme de l'école de Notariat de Marseille, que l'ordonnance entreprise a été publiée le 26 novembre 1968, qu'il a introduit un recours préalable auprès du Président de la République auquel le 25 janvier 1969 auquel il n'a été répondu dans les deux mois, qu'en conséquence son recours contentieux, déposé le 12 mai 1969 est recevable, allégué que le texte attaqué a le caractère d'un décret loi, que les décret lois étant des actes administratifs sont susceptibles d'être attaqués devant la Chambre Administrative, que la même situation s'est produite au Dahomey en 1964 où les ordonnances du gouvernement provisoire ont été soumises à ratification dès l'installation du Parlement.
Vu le mémoire en défense du 19 septembre 1969 par lequel l'Etat conteste la recevabilité du recours du sieur GUEZO, au motif que le peuple ayant, par référendum du 28 juillet 1968, donné au gouvernement de légiférer les ordonnances prises en vertu de ce pouvoir constituent des lois et ne peuvent être en conséquence annulées que par une éventuelle assemblée nationale lorsqu'elle sera constituée;
Réplique au fond que le sieur GUEZO n'avait aucun droit acquis pour la simple raison qu'il ne remplissait guère les conditions requises par le décret de 1934, qu'il avait été d'ailleurs statué sur sa demande en date du 15 mars 1967, que le sieur GUEZO ne prouve pas l'impossibilité de remplir la condition de stage de 1er clerc, que la loi avait de très bonne raisons de fixer la limite d'âge à 65 ans.
Vu le mémoire en réplique du 10 mars 1970 par lequel le sieur François GUEZO affirme que le référendum du 28 juillet 1968 n'est ni législatif, ni constitutionnel mais qu'il s'agissait d'un référendum de ratification, ne pouvant en conséquence donner à une ordonnance postérieure le caractère d'une loi.
Vu le deuxième mémoire en défense en date du 22 juin 1970, par lequel l'Etat maintient son moyen d'irrecevabilité du recours en comparant la situation du Dahomey à celle qui prévalait en France sous le régime du Maréchal PETAIN et sous celui du Gouvernement Provisoire de la République, qu'en effet plusieurs actes législatifs non susceptibles de recours avaient été pris par l'exécutif, qu'au précédent de 1964 il oppose celui de fin 1958 et que jamais au Dahomey une; une juridiction administrative n'a admis sa compétence à l'égard d'un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance;
Vu le deuxième mémoire en réplique, par lequel le Sieur GUEZO répond à l'Etat en affirmant que l'argument tiré du précédent français ne peut s'appliquer en ce sens qu'un acte constitutionnel a toujours accordé au chef de l'Etat le pouvoir législatif
Vu toutes les pièces produite et jointes au dossier,
Vu l'ordonnance N° 21 PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attribution de la Cour Suprême;
Ouï à l'audience publique du mardi vingt neuf février mil neuf cent soixante douze,
Monsieur le Conseiller FOURN en son rapport;
Monsieur le procureur Général en ses conclusions;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi
SUR LA RECEVABILITE DU RECOURS DU SIEUR FRANCOIS GUEZO EN CE QUI CONCERNE LES DELAIS LEGAUX
Considérant que l'ordonnance n° 48/PR/MJL du 29 août 1968 portant statut du notariat fut inséré au journal officiel du 1er septembre 1968 qui fut publié le 26 novembre 1968;
Considérant que le 25 janvier 1969, le sieur GUEZO formait un recours préalable auprès du Président de la République;
Que la lettre du requérant comportait en substance la phrase suivante:
" J'ai l'honneur de former devant vous un recours contre les dispositions de l'ordonnance n° 48/PR/MJL portant statut du notariat au Dahomey pour excès de pouvoir»
Qu'à cette lettre était jointe copie d'une correspondance adressée à la Cour Suprême le 21 janvier 1969 et portant en objet: Recours devant la Cour Suprême pour excès de pouvoir"
Qu'induit en erreur par la présence de cette seconde pièce, le Président de la République par dépêche n° 131/PR/MJL - 342 en date du 17 février 1969, accusait réception au sieur GUEZO de ce qu'il allait au contentieux devant la Cour Suprême;
Que le 20 février 1969, maître BARTOLI, conseil du requérant, adresse une seconde lettre au président de la République en expliquant le sens réel de la requête de son client et en sollicitant une décision préalable.
Qu'aucune réponse n'étant intervenue, dans les deux mois après le silence de l'Etat, le sieur GUEZO déposait son recours contentieux le 12 mai 1969;
Considérant que si l'on tient la réponse en date du 17 février pour une décision explicite de rejet, le recours du sieur GUEZO devra être déclaré irrecevable pour avoir été formé hors délais.
Mais considérant que le requérant ne doit pas supporter les conséquences de l'erreur commise par l'Etat, et qu'en conséquence la Cour doit fixer le point de départ des délais légaux au jour de l'envoi de la lettre du 20 février 1969 et recevoir en ce qui concerne les délais le recours du sieur GUEZO;
En ce qui concerne la compétence de la Chambre Administrative
Considérant qu'aux termes de l'article 31 de l'ordonnance 21 PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation , fonctionnement et attribution de la Cour Suprême:» relèvent du contentieux administratif:
1 - Les recours en annulation pour excès de pouvoir des décisions des autorités administratives;
Qu'il découle du principe clairement posé par les dispositions susvisées que seuls les actes administratifs relèvent de la compétence de la chambre administrative de la Cour Suprême à l'exclusion des actes législatifs;
Considérant que l'acte qui est soumis à l'appréciation de la Cour Suprême porte comme titre "ordonnance" , son premier visa étant ainsi libellé "Vu la proclamation du 17 juillet 1968 approuvée par référendum du 28 juillet 1968"; que l'article 109 de ce texte mentionne «la présente ordonnance sera exécutée comme loi de l'Etat»; que suivant les signatures du Docteur Emile Derlin ZINSOU Président de la République et M. DANGOU Issaka, Garde des Sceaux.
Considérant qu'il est manifeste que dans sa présentation formelle, ce texte présente les caractères d'une loi.
Que la question qui se pose est de savoir si le Gouvernement du Docteur ZINSOU avait la compétence législative;
Qu'il convient de rappeler ici que depuis la prise du pouvoir au Dahomey en décembre 1965 par l'armée, il y a confusion des attributions exécutive et législative entre les mains du chef de l'Etat;
Considérant que la proclamation du 17 juillet 1968 approuvée par référendum du 28 juillet 1968 confiait tous les pouvoirs tant exécutif que législatifs au Docteur Emile Derlin ZINSOU pour une durée de 5 ans;
Que dans ce cadre le Docteur ZINSOU tout comme leur régimes qui ont précédé ou qui lui ont succédé peut légiférer;
Considérant que la seule différence entre les actes administratifs et législatifs pris par le chef de l'Etat réside dans la présentation formelle de l'acte;
Considérant que le requérant soutient que le texte attaqué émanant de l'exécutif et ayant le caractère d'un décret-loi est un acte administratif susceptible d'être entrepris devant la juridiction administrative;
Considérant que le ministère du Docteur ZINSOU avait compétence législative et que l'ordonnance dont il s'agit a elle même définit son caractère législatif dans l'article 109 qui dispose qu'elle sera exécutée comme loi d'Etat.
Considérant que le requérant invoque les précédent dahoméen de la loi n° 64-12 du 15 juillet 1964 qui a dû ratifier certaines ordonnances pour leur donner le caractère de la Loi
Mais considérant que d'autres précédents dahoméens et français pourraient tout aussi bien être invoqués qui sont en sens contraire, qu'admettre la position du sieur GUEZO équivaudrait à dire que depuis décembre 1965, et si l'on s'en tient à la charte, jusqu'en 1976 date éventuelle de l'installation d'une assemblée législative au Dahomey, toutes les ordonnances prises par le gouvernement devront être reprises analysées, ratifiées ou rejetées par la future assemblée nationale que si l'on adoptait une pareille solution, cette assemblée aura nécessairement à revoir les travaux législatifs de onze années de pouvoir.
Considérant que la proclamation du 17 juillet 1968 approuvée par le référendum du 28 juillet 1968 confiait tous les pouvoir au Docteur Emile Derlin ZINSOU, pour cinq ans, que le Chef de l'Etat avait compétence législative et exécutive; que l'ordonnance n° 48/PR/MJL portant statut du notariat a été prise sous la forme législative et déclarée par le président de la république «loi d'Etat
Considérant que encore que les principes de démocratie parlementaire auxquels nous sommes habitués ne soient guère respectés dans un régime de confusion des pouvoirs, force est de constater que l'ordonnance entreprise constitue bien un acte législatif, donc insuceptible de recours pour excès de pouvoir.
Qu'il échet en conséquence de déclarer irrecevable le recours du sieur François GUEZO sans qu'il soit besoin de l'examiner au fond.
PAR CES MOTIFS.
DECIDE
Article 1er: Le recours du sieur François GUEZO est déclaré irrecevable en la forme;
Article 2: Les dépens seront mis à la charge du requérant;
Article 3: Notification sera faite aux parties
Ainsi fait et délibéré par le Cour Suprême (Chambre Administrative) composée de Messieurs:
Cyprien AINADOU, Président de la Cour Suprême: PRESIDENT
Corneille Taofiqui BOUSSARI et Gaston FOURN: CONSEILLERS
La Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus, en présence de Monsieur:
Grégoire GBENOU: PROCUREUR
Et de Me Pierre V. AHEHEHINNOU: GREFFIER
Et ont signé
Le Président
Le Conseiller rapporteur
Le Greffier