Plein contentieux - Circulation routière - Réglementation - Procédure - Vice de forme - Faute - Dommages - Responsabilité de l'Administration - Réparation.
Constitue une faute le fait pour l'Administration de procéder à la destruction du véhicule d'un particulier encombrant une voie publique, alors que les délais impartis au propriétaire pour enlever ledit véhicule n'avait pas expiré.
Responsable du préjudice résultant de la destruction du véhicule, l'Administration est condamnée à le réparer.
N°22 du 28 juillet 1972
SOGNON Victor
C/
Etat Dahoméen
(Ministère des Finances)
Vu les requêtes et mémoire présentés par Maître AMORIN, Avocat-Défenseur à Cotonou pour le compte du Monsieur SOGNON Victor, élisant domicile en l'étude du conseil sus désigné, lesdits requête et mémoire enregistrés les 13 Avril et 9 Octobre 1968 au Greffe de la Suprême et tendant à la condamnation de l'Etat Dahoméen à une réparation pécuniaire du préjudice à lui causé par la démolition par le commandant de Cercle de Kandi au mois de Novembre 1953 de son camion immatriculé sous le numéro 1854-7 . A part les moyens que courant 1953, le sieur SOGNON Victor avait abandonné à Malanville le camion dont s'agit alors une panne de pneumatique; que ledit camion avait été achevé 475.000 francs à un sieur TANOUS Joseph; que sur convocation de commandant de cercle de Kandi par lettre n°894 du 22 Septembre 1953, convocation à lui notifiée le 2 Novembre 1953, il s'était rendu à Malanville où il ne trouva même pas son camion; que des renseignements recueillis, il apprit que sur ordre du commandant de cercle, ce camion avait été détruit, qu'il ne trouva ni son épave, ni aucune pièce provenant de celle-ci; qu'il n'a pas pu rencontrer le commandant de cercle pour avoie des explications sur cette démolition; que par lettre en date du 12 Février 1954, il saisissait de cette affaire le Gouvernement du Dahomey puis le Haut-Commissaire de l'A. O. F; qu'à la suite de cette diligence il lui était répondu le 29 Avril 1954 par le Gouverneur du Dahomey, qu'il devait saisir le Conseil Contentieux Administratif de l'A. O F. à Dakar; qu'il y a faute de l'Administration du fait que le Commandant de cercle ne s'est pas inquiété de la notification de sa convocation au requérant avant la démolition du camion au mépris du délai quinze jours impartis en ladite convocation;que cette convocation ne lui a été notifiée que le 2 Novembre 1953 comme en fait foi l'attestation du commandant de cercle de Cotonou en date du 19 Février 1954; que compte tenu du délai de quinze jours qu'impartissait ladite autorité et du délai de route, la démolition du camion si elle était légale, ne pouvait intervenir qu'après le 20 Novembre 1953; que cependant, le 6 Novembre, il lui a été dit que cette démolition s'était opérée dix jours avant, c'est-à-dire le 4 Novembre 1953; que cette démolition prématurée constitue manifestement une faute administrative; qu'il y a faute administrative par suite de cette démolition elle-même parce que l'enlèvement et la démolition sont intervenues sans accomplissement préalable des formalités administratives prescrites en la matière; qu'aucune de ces formalités n'ayant été accomplie, il y a lieu de constater la faute administrative; qu'il fixe le préjudice à lui causé à la suite de cette démolition à 750.000 francs.
Vu, enregistrés comme ci-dessus les 8 Août et 4 Décembre 1969 les mémoires de l'Etat Dahoméen tendant au rejet du recours du sieur SOGNON Victor par les moyens que le requérant ne justifie pas la valeur de son camion au moment de la démolition et son manque à gagner; qu'il ne figure pas au dossier de pièce justifiant que le camion ait été acheté à 400.000 francs; que les transports effectués par le requérant au cours de l'année 1952 se chiffrent à 43.462 francs pour trois mois; qu'il devrait être attribué au requérant qu'une somme symbolique au cas où la Cour reconnaîtrait la responsabilité de l'Etat.
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier;
Vu l'ordonnance n°21/PR du 26 Avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attribution de la Cour Suprême;
Oui à l'audience du vendredi vingt huit juillet mil neuf cent soixante douze, Monsieur le Conseiller BOUSSARI en son rapport,
Monsieur le Procureur Général Grégoire GBENOU en ses conclusions écrites;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Considérant que la lettre du commandant de cercle de Kandi adressée au requérant et qui impartissait à celui-ci un délai de 15 jours pour l'enlèvement de son camion qui encombrait la voie publique lui à été notifiée le 2 Novembre 1953, comme en fait foi l'attestation en date du 19 Février 1954 de l'adjoint au commandant de cercle de Cotonou.
Considérant que, compte tenu de ce délai de quinze jours et du délai de route, la démolition du camion ne pouvait intervenir qu'après le 20 Novembre 1953;
Considérant qu'il résulte du dossier que le requérant, s'étant présenté à Malanville le 6 Novembre 1953, il lui a été dit que le camion avait déjà démoli le 4 Novembre 1953;
Considérant que cette hâte de l'administration à détruire le camion procède d'une faute dommageable pour non respect des délais impartis;
Considérant que l'arrêté du 15 Mai 1951 portant réglementation générale de la circulation routière indique en son article 3: «Dans le cas d'un abandon de véhicule sans qu'aucune précaution d'éclairage ou de dégagement de la route ait été prise, les agents de la force publique feront conduite à la fourrière la plus proche le véhicule abandonné. En attendant cette conduite, ils pourront requérir le service des passants pour garer le véhicule sur le bas côté de la route;
Considérant qu'il résulte du dossier que ces formalités aient été accomplies;
Qu'il résulte de vice de forme une faute dommageable;
Considérant que tout dommage causé à autrui mérite; réparation;
Considérant que le sieur SAMSON, Commandant de cercle de Kandi a agi en qualité de préposé de l'administration;
Que l'Administration doit être tenue de son préposé es-qualifié;
Considérant que le requérant évalue le préjudice qui lui a été causé à la somme de 750.000 frs;
Considérant que ce taux est exagéré;
Considérant que la Cour Suprême (Chambre Administrative) possède des éléments d'appréciation suffisant pour fixer le taux du préjudice subi par SOGNON Victor à une juste proportion;
Considérant que le camion T 45, immatriculé 1854-7 A démoli a été mis en circulation pour la première fois le 12 Octobre 1949 suivant renseignements du service des transports terrestres;
Que ledit camion coûtait neuf, à l'époque 925.000 francs suivant indication du garage nègre, concessionnaire des camions T 45 du Dahomey;
Considérant que le requérant déclare avoir acheté ce véhicule à 475.000 francs en 1951, c'est-à-dire deux ans après sa mise en circulation;
Considérant que si deux ans après sa mise en circulation, ce camion ne valait plus qu'environ la moitié de son prix à l'état neuf on peut, sans risque d'erreur fixer sa valeur à 250.000 francs en 1953 année où il était resté en panne à Kandi;
Considérant qu'il résulte de la procédure que les transports auxquels les requérants s'était livrés au cours de l'année 1952 ont produit un bénéfice de 43.462 francs pour trois mois soit environ 175.000 francs pour une année entière;
Considérant qu'il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi par SOGNON Victor en le fixant à la somme 425.000 francs de dommage intérêt, toutes causes confondues;
PAR CES MOTIFS
DECIDE
Article 1ER: la requête du sieur SOGNON Victor enregistrée ci-dessus le 18 Avril 1968 est recevable en la forme;
Article 2: l'Etat Dahoméen est déclaré responsable du fait de son préposé, commandant de cercle de Kandi, es-qualité;
Article 3: l'Etat Dahoméen est condamné à payer au requérant susnommé la somme de QUATRE CENT VINGT CINQ MILLE( 425.000 ) francs toutes causes , préjudices confondues;
Article 4: les dépens sont mis à la charge du Trésor Public;
Article 5: Notification de la présente décision sera faite au sieur SOGNON Victor et au Gouvernement Dahoméen;
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Administrative) composée de Messieurs:
Cyprien AÏNANDOU, Président de la Cour Suprême, PRESIDENT
Corneille BOUSSARI et Gaston FOURN, CONSEILLERS
Et prononcé à l'audience publique du Vendredi vingt huit juillet mil neuf cent soixante douze, la Chambre étant composé de Messieurs:
Grégoire GBENOU, PROCUREUR GENERAL
Et de Maître Honoré GERO AMOUSSOUGA GREFFIER EN CHEF
Ont signé:
LE PRESIDENT
C. AÏNANDOU
LE RAPPORTEUR
C. BOUSSARI
LE GREFFIER EN CHEF
H. GERO AMOUSSOUGA.