Recours en annulation - Excès de pouvoir - Garanties disciplinaires - Demande d'indemnisation - Rejet.
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Est rejeté le recours en annulation pour excès de pouvoir combinant le plein contentieux.
N°21/CA du 15 juin 1973
Colonel Philippe AHO
C/
Etat Dahoméen
(Ministère des Finances)
Vu la requête présentée par Maître BARTOLI, Avocat défenseur à Cotonou, pour le compte du Colonel Philippe AHO, ladite requête enregistrée le 27 mai 1971 au Greffe de la Cour Suprême et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n°190/PR/MFAEP/DC.3 du 8 juillet 1968 mettant le requérant à la retraite d'office; de la décision implicite du refus du retrait dudit décret et du refus d'exécuter l'arrêt rendu par la Cour Suprême le 21 janvier 1970, par les motifs et les moyens que par arrêté n° 010 du 31 janvier 1968, le requérant a été mis à la retraite d'office pour compter du 1er février 1968; qu'il s'est pourvu contre cette décision qui a été annulée par arrêt de la Cour Suprême en date du 21 janvier 1970; que le requérant ayant demandé l'exécution de cet arrêt, le Gouvernement lui répondit le 23 février 1971 qu'un décret n° 190 du 8 juillet 1968 avait vidé de son contenu l'arrêt précité et l'avait mis à la retraite d'office pour compter de la date antérieure; que le requérant a saisi le Président du Conseil Présidentiel d'un recours préalable reçu le 17 mars 1971;
Qu'il y a violation de l'article 2 du Code Civil
Déféré en ce que ce décret référé porte mise à la retraite d'office pour compter rétroativement du 1er mai 1968 contrairement à la loi, bien que ce décret n'ait été publié qu'au journal officiel du 15 août 1968 paru au mois d'octobre suivant et n'ait pas été notifié;
Qu'il y a violation des articles 4 et 12 de l'Ordonnance du 29 décembre 1966 et 23 de celle du 4 janvier 1968
en ce que le requérant a été mis à la retraite d'office hors les cas prévus par la loi; qu'il résulte de la combinaison des textes ci-dessus que tout militaire ayant accompli 25 ans de services effectifs pouvait être admis à faire valoir ses droits à la retraite mais ne pouvait y être mis d'office sans condition de limite d'âge que dans des conditions fixées auxdits textes; que le requérant n'avait pas demandé à faire valoir ses droits à la retraite; qu'il n'avait pas atteint 58 ans, limite d'âge pour un Colonel;
Qu'il y a défaut de notification et d'opposabilité
En ce que ne lui ayant pas été notifié et qu'il n'ait connu son existence que par la lettre du 23 février 1971 du Secrétaire Général du Gouvernement alors que tout décret portant décision individuelle doit être obligatoirement notifié à l'intéressé nonobstant publication, avant d'être appliqué;
Qu'il y a détournement de pouvoir, fausse cause et violation des règles disciplinaires en ce que la décision critiquée a été prise sans nécessité de service, pour des motifs étrangers à l'intérêt public, afin de faire échec à la décision de la Cour Suprême annulant l'acte antérieur et a revêtu le caractère d'une sanction disciplinaire sans respecter les règles fixées par la loi en la matière;
Que le préjudice s'établit pour trois années jusqu'au dernier avril 1971 compte tenu du congé de trois mois dont a bénéficié le requérant lors de sa mise à la retraite, de la manière suivante:
- Perte de la solde par différence avec la pension ..... 3357324 F
- Perte des avantages en nature, logement moyens de transport etc 1792000 F
- Perte de l'indemnité de représentation ........... 1800000 F
Soit au total: ................ 6959324 F
Vu, enregistré comme ci-dessus, le 1er décembre 1971, les observations du Gouvernement tendant au rejet de la requête par les moyens que le recours du requérant a été intenté hors délai, et doit être déclaré irrecevable;
Que le caractère rétroactif du décret entrepris est bien le fait du législateur, en l'occurrence le Gouvernement des jeunes Cadres;
Que la Cour Suprême pourrait annuler la portée rétroactive du décret en le laissant subsister en tant qu'il dispose pour l'avenir à compter de la date à laquelle le décret a été pris c'est-à-dire à compter du 8 juillet 1968;
Que la mise à la retraite peut être prononcée alors que le droit à pension est ouvert;
Lorsque certaines conditions sont remplies;
Que le décret entrepris n'a fait état de l'Ordonnance du 29 décembre 1966 qu'en ce qui concerne la durée des services fixée par l'article 12, alinéa 1er qui précise que le droit à pension d'ancienneté est acquis par les militaires après 25 ans de services civiles et militaires effectifs; qu'il s'agissait d'une mise à retraite obligatoire;
Que cette obligation s'impose quelle que soit la situation de l'Agent; Que le décret entrepris ne peut être annulé car il n'y a pas violation de la loi; qu'en ce qui concerne la notification et l'opposabilité, si la loi n'a rien précisé, ce qui est le cas de l'espèce, la jurisprudence se montre extrêmement libérale sur les formes qu'elles peuvent revêtir; qu'une notification verbale et même une notification par bordereau collectif sont valables lorsqu'elles sont officiellement constatées; que le défaut de publicité est ici sans influence sur la validité de l'acte administratif lui-même, celui-ci a valeur juridique dès sa signature; que l'intention maligne ou la mauvaise foi n'est pas établie; que la preuve du détournement de pouvoir n'est pas rapportée; qu'il y a lieu de débouter le requérant de sa demande relative à la gratuité de transport à la domesticité et à l'indemnité de représentation;
Vu toutes les autres pièces produites et jointes au dossier;
Vu l'ordonnance n° 21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour Suprême;
Ouï à l'audience publique du mardi vingt neuf mai mil neuf cent soixante treize, Monsieur le Conseiller FOURN en son rapport;
Monsieur le Procureur Général GBENOU en ses conclusions;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
EN LA FORME
SUR LA RECEVABLITE DE LA REQUETE
Considérant que les décisions collectives ou individuelles doivent être notifiées à tous ceux qu'elles intéressent directement, et pour ceux-ci, seule la notification marque le point de départ ou du délai de recours;
Considérant que la notification est nécessaire pour faire courir le délai du recours contentieux en ce qui concerne les décisions collectives, individuelles ou juridictionnelles, mais seulement à l'égard de ceux que ces décisions concernent personnellement et directement;
Considérant que le Gouvernement n'a pas apporté la preuve de la notification du décret n° 190/PR/MFAEP/DC-3 du 8 juillet 1968 incriminé;
Que le requérant affirme en avoir eu connaissance par la lettre du Président du Conseil Présidentiel en date du 23 février 1971;
Que c'est à compter de cette date qu'il convient de faire courir les délais de recours;
Considérant que le recours gracieux de Maître BARTOLI pour le compte du Colonel adressé au Président du Conseil Présidentiel le 16 mars 1971, l'a été dans les délais;
Que son recours contentieux, après le silence gardé par le Gouvernement plus de deux mois, devait intervenir au plus tard le 17 juillet 1971;
Que ladite requête enregistrée comme ci-dessus le 27 mai 1971 l'a été dans le délais prescrits par l'article 68 de l'Ordonnance n° 21/PR du 26 avril 1966 organisant la Cour Suprême; qu'elle est donc recevable.
Sur la validité du décret n° 190/PR/MFAEP/DC-3 du 8 juillet 1968 en ce qu'il porte mise à la retraite du Colonel AHO
Considérant que la validité d'un acte administratif s'apprécie à la date de sa signature, qu'il convient en conséquence d'examiner celle du décret querellé portant la date du 8 juillet 1968;
Considérant qu'aux termes de l'article 23 de l'ordonnance n° 1/PR/MFAEP/DB du 4 janvier 1968 portant loi des finances pour la gestion 1968 "les Magistrats, les Membres de la Cour Suprême, les fonctionnaires de l'Etat et les Militaires qui réuniront en 1968 le nombre d'années de services requis pour prétendre à une pension d'ancienneté et qui n'ont pas atteint la limite d'âge de leur catégorie seront admis à la retraite ?;
Considérant qu'aux termes de l'article 12 alinéa 1 de l'Ordonnance n° 63/PR du 29 décembre 1966 portant Code des pensions civiles et militaires ?le droit à pensions civiles et militaires? après 25 ans de services civils et militaires effectifs?;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et des pièces versées au débat que le Colonel AHO comptait au 1er mai 1968 plus de 36 ans de service militaires, qu'en application des deux ordonnances susvisées, l'administration avait l'obligation de l'admettre à la retraite, qu'il échet de constater que l'autorité administrative avait compétence liée et que partant le décret de mise à la retraite attaqué a été pris conformément à la loi.
Sur les moyens pris de la violation de l'article 2 du Code Civil et du principe de la non rétroactivité des lois et des actes administratifs, du défaut de notification, de l'inopposabilité de l'acte avant le 23 février 1971
Considérant que l'Etat affirme sans en apporter la moindre preuve qu'une ampliation du décret n° 190 du 8 juillet 1968 a été notifiée au Colonel AHO, qu'il est de jurisprudence constante qu'il appartient à l'Administration d'apporter la preuve de l'accomplissement des formalités de publicité requises par la loi;
Considérant que bien qu'intrinsèquement valable, l'acte querellé n'est opposable au requérant qu'à partir de la notification soit le 23 févier 1971, date à laquelle le Secrétaire Général du Gouvernement a porté à la connaissance de l'intéressé la teneur du décret de mise à la retraite;
Considérant que les autorités administratives ne peuvent donner d'effet rétroactif à leurs actes; que la validité d'un acte administratif s'apprécie à la date de sa signature;
Qu'il échet d'annuler les conséquences rétroactives du décret attaqué c'est-à-dire du 1er mai 1968 au 8 juillet 1968;
SUR LA DEMANDE D'INDEMNITE
Considérant que le requérant a choisi la voie de l'excès de pouvoir, qu'il ne peut, à même requête déboucher sur un contentieux de pleine juridiction;
Considérant que l'annulation de la partie du décret n° 190 ayant portée rétroactive lui permet de saisir l'administration compétente de sa demande en indemnisation;
Considérant que s'agissant ici de plein contentieux, il appartient au requérant de se pourvoir dans une instance séparée; qu'il lui est loisible au cas où il apporterait la preuve d'une faute de l'administration ayant entraîné pour lui un préjudice certain, encore qu'il y ait absence de service fait, de s'adresser à l'administration pour l'attribution d'une indemnité compensatrice, quitte à faire apprécier le mérite de sa demande par la Cour Suprême encas de rejet;
Qu'il échet en conséquence de rejeter comme irrecevable les conclusions à fin d'indemnité.
PAR CES MOTIFS
Article 1er: Le requête du sieur Philippe AHO enregistrée comme ci-dessus le 27 mai 1971 est recevable en la forme en ce qu'elle porte recours pour excès de pouvoir ;
Article 2: Le décret n° 190/PR/MFAEP/DC3 du 8 juillet 1968 est valable en ce qu'elle porte mise à la retraite du Colonel Philippe AHO pour compter du 8 juillet 1968 date de sa signature.
Article 3: - Annule la portée rétroactive du décret n° 190/PR/MFAEP/DC-3 du 8 juillet 1968 en ce qui concerne le sieur Philippe AHO et en ce qu'il porte la date du 1er mai 1968 comme date d'application, c'est-à-dire du 1er mai 1968 au 8 juillet 1968;
Article 4: - Le surplus des conclusions du requérant est irrecevable en la forme;
Article 5: - Les dépens sont mis à la charge du Trésor Public.
Article 6: - Notification du présent arrêt sera faite aux parties.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour Suprême (Chambre Administrative) le vendredi quinze juin mil neuf cent soixante treize, où étaient présents Messieurs:
CyprienAÏNANDOU, Président de la Cour Suprême - PRESIDENT
Corneille T. BOUSSARI et Gaston FOURN - CONSEILLERS
La Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de Monsieur:
Grégoire GBENOU, PROCUREUR GENERAL, et de Maître Honoré GERO AMOUSSOUGA, GREFFIER EN CHEF.
Et ont signé:
LE PRESIDENT LE RAPPORTEUR LE GREFFIER
C.AÏNANDOU C. T. BOUSSARI H. GERO AMOUSSOGA
LV/B