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Recours de plein contentieux - Fonction publique - Procédure - Conditions Recevabilité - Agent laissé inactif - Faute de l'Administration - Indemnisation.
Forme: Est recevable le recours de plein contentieux formé grâce à l'assistance d'un conseil, alors qu'aucune forclusion n'est encourue.
Fond: Constitue une faute justifiant la condamnation de l'Etat au paiement d'indemnités le fait pour l'Administration de laisser inactif un fonctionnaire, alors que sa remise à la disposition de ladite Administration avait été opérée plus d'un an auparavant sur décision administrative.
N°69-26/CA 21 Juin 1974
JUSTIN DA TRINIDADE C/ ETAT (MINISTERE DE LA FONCTION PUBLIQUE)
La Cour,
Vu la requête du 3 juillet 1969, reçue et enregistrée au greffe de la Cour Suprême le même jour sous le N°77/GCS par laquelle le sieur Justin da TRINIDADE, infirmier d'état à l'ambulance de OUIDAH, sollicite qu'il plaise à la Cour ordonner sa prise en charge au point de vue solde par l'Etat à compter du 15 janvier 1967, date de sa mise à la disposition du Dahomey par le gouvernement Sénégalais ;
Vu le mémoire ampliatif du 10 Avril 1970, reçu et enregistré comme ci-dessus le 16 Avril 70 sous le N°195/GCS par lequel Maître Benjamin d'ALMEIDA, avocat à Cotonou, agissant au nom et pour le compte du requérant, expliqua et précisa la demande en exposant qu'à sa sortie en 1958 de l'école Fédérale des infirmiers d'Etat de l'ex A.O.F., le sieur DA TRINIDADE a été nommé dans le corps des fonctionnaires du cadre supérieur de la Fédération de l'ex A.O.F et affecté au Sénégal; Qu'à l'éclatement de la Fédération, il fut maintenu au Sénégal qui avait besoin de ses services, ce qui arrangeait le Dahomey dont le budget n'était pas à même de récupérer tous les nationaux, qu'après 8 années d'expatriation il sollicita du Président de la République du Sénégal, sa mise à la disposition de son pays d'origine, que dans cette voie il fut appuyé par une intervention du Président de la République du Dahomey mais qu'alors que le gouvernement du Sénégal faisait droit à sa demande en le mettant à la disposition du Dahomey à compter du 15 janvier 1967, il lui fallu attendre le 29 Mai 1968 soit seize mois d'inactivité sans solde, pour obtenir du gouvernement du Dahomey sa nouvelle affectation, que cette attitude des autorités dahoméennes lui a causé un préjudice moral et matériel certain, qu'il évalue à 1 million de Francs, qu'il sollicite que l'Etat soit condamné à lui verser ;
Vu le mémoire en défense du 20 Octobre 1970, reçu et enregistré comme ci-dessus le 22-10-70 sous le N°524/GCS par lequel l'Etat représenté par le ministre de la fonction Publique répliquait au recours du sieur DA TRINIDADE, faisant observer à la Cour que c'est expressément, sur sa propre demande, que par arrêté N°05034/MFPT/MSPAS/SAGE/SP du 17 Avril 1967 du Ministre de la fonction Publique et du Travail du Sénégal, le sieur DA TRINIDADE a été rayé des contrôles des fonctionnaires du Sénégal et mis à la disposition du gouvernement du Dahomey, qu'il y a lieu de constater que la remise d'un fonctionnaire appartenant à un cadre étranger à la disposition du gouvernement Dahoméen n'entraîne pas ipso facto la prise en charge de la solde de l'intéressé par le budget national, à moins que cette remise à disposition résulte d'une demande formelle du gouvernement, que la procédure d'intégration du sieur DA TRINIDADE n'ayant abouti que quatorze mois après, l'état Dahoméen ne peut être tenu pour responsable d'un quelconque préjudice envers le requérant qui ne peut recevoir une affectation qu'en fonction des disponibilités budgétaires ;
Vu le mémoire en réplique du 25 Mars 1971 reçu et enregistré comme ci-dessus le 27.3.71 sous le N°209/GCS par lequel le sieur DA TRINIDADE répondait aux observations de l'administration, affirmant n'avoir jamais été dans la fonction Publique du Sénégal, qu'à l'éclatement de la fédération, sa situation administrative doit s'analyser comme celle d'un fonctionnaire dahoméen en position de détachement de fait au profit du Gouvernement sénégalais, qu'il était en droit de faire cesser ce détachement de fait, qu'il n'a obtenu avec l'assentiment et l'intervention du Président de la République du Dahomey, qu'en le laissant sans affectation et sans solde pendant plus d'un an l'Etat dahoméen lui a occasionné un préjudice moral et matériel indiscutable ;
Vu le mémoire responsif du 13 Juillet 1971, reçu et enregistré le 14 juillet 1971 sous le N°475/GCS par lequel l'Etat répliquait au sieur DA TRINIDADE, observant que lors de l'éclatement de la fédération de l'ex-A.O.F., le transfert du fonctionnaire appartenant aux cadres commun supérieur a été fait auprès de chaque Etat conformément aux dispositions de l'arrêt général 31.23/IGAA du 31 Mars 1959, que si le dossier du sieur DA TRINIDADE n'a pas été transféré au Dahomey, c'est parce que l'intéressé a préféré continuer ses services au Sénégal et de ce fait a été incorporé à la fonction Publique de ce Etat, que s'il l'avait voulu, il aurait pu obtenir son intégration dans la fonction Publique Dahoméenne, quitte à solliciter son détachement par la suite auprès de la République sénégalaise, que ne pouvant exciper d'un acte prouvant sa qualité de fonctionnaire Dahoméen, le sieur DA TRINIDADE ne peut se prévaloir d'aucun texte lui permettant d'imposer à l'Etat une date précise pour sa nomination dans la fonction Publique ;
Vu le mémoire en réplique du 5 Décembre 1972, reçu et enregistré le 7 Décembre 1972 sous le N°766/GCS par lequel le sieur DA TRINIDADE faisait réponse aux observations de l'administration en date du 13 Juillet 1971, réitérant qu'il n'a jamais appartenu à la fonction Publique du Sénégal qu'il était en conséquence un fonctionnaire Dahoméen en détachement de fait au Sénégal, que cette situation lui a été contrairement à ce qu'affirme l'administration, imposée par le gouvernement Dahoméen, que ce fait résulte de deux lettres écrites en 1960 et 1961 par les autorités Dahoméennes aux autorités Sénégalaises, qu'il produit aux débats ;
Vu la lettre du 18 juin 1973, reçue et enregistrée comme ci-dessus le 19.6.73 sous le N°485/GCS par laquelle le Ministre de la fonction Publique faisait part à la Cour qu'en réponse au dernier mémoire du sieur DA TRINIDADE, il confirmait purement et simplement ses dernières observations ;
Vu la consignation prévue par l'article 45 de l'ordonnance N°21/PR du 26 Avril 1966 constatée par reçu N°164 du 19 septembre 1969 ;
Vu toues les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu l'ordonnance N°21/PR du 26 Avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour Suprême ;
Ouï à l'audience Publique du vendredi vingt et un juin mil neuf cent soixante quatorze, Monsieur le Conseiller Gérard AGBOTON en son rapport ;
Monsieur le Procureur Général Grégoire GBENOU en ses conclusions ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
SUR LA RECEVABILITE DU RECOURS EN SA FORME
Considérant que le recours du 3 juillet 1969 a été introduit par le sieur DA TRINIDADE Justin sans Ministère d'avocat, mais que par production d'un mémoire du 10 Avril 1970, Maître Benjamin D'ALMEIDA a régularisé la procédure; qu'aucune forclusion n'étant encoure, il échet de déclarer le recours recevable en la forme.
AU FOND:
Considérant que le sieur Justin DA TRINIDADE, infirmier d'Etat de l'ancien cadre commun supérieur de l'ex-A.O.F était resté en service au Sénégal après l'éclatement de la fédération en 1959 ;
Qu'au cours d'un congé administratif de trois mois dont il jouissait au Dahomey, son pays d'origine, il sollicitait du Gouvernement sénégalaise, par lettre du 28 octobre 1966 son retour au Dahomey, que n'ayant reçu aucune réponse, il réitérait le 5 janvier 1967, sa demande en priant le Président de la République du Sénégal d'en saisir le gouvernement Dahoméen ;
Que par correspondance du 16 janvier 1967, le requérant écrivait au Président de la République du Dahomey, sous couvert du Directeur de la santé Publique et des affaires sociales à Cotonou, pour solliciter l'intervention des autorités Dahoméennes auprès du Président de la République du Sénégal pour, dit-il '' son retour éventuel au Dahomey'' ;
Considérant que par dépêche N°206/PR/CAB du 20 février 1967, le Président de la République du Dahomey demandait à son homologue Sénégalais de hâter la mise à la disposition du Dahomey de l'intéressé en ajoutant ceci: ''afin d'éviter aussi bien à votre gouvernement qu'au mien des frais de déplacement inutiles, j'ai invité M. DA TRINIDADE à surseoir à son départ pour le Sénégal, en attendant que votre décision intervienne pour la régularisation de sa situation''
Que par arrêté N°005034/MFPT/MSPAS/SAGE/SP-1 du 17 Avril 1967, le Ministère de la Fonction Publique et du Travail du Sénégal radiait le sieur DA TRINIDADE du contrôle des fonctionnaires du Sénégal et le mettait à la disposition du gouvernement de la République du Dahomey ;
Que par décision N°390/MEPTT/DP. 1du 7 juin 1968 du Ministère de la fonction Publique, du travail et du tourisme du Dahomey, le requérant était mis à la disposition du Ministre de la Santé Publique et des Affaires Sociales à Cotonou;
Qu'ainsi pendant plus d'un an, le sieur DA TRINIDADE n'a pas reçu d'affectation et demande réparation à l'Etat du préjudice tant moral que matériel que lui a causé cette période d'inactivité, réparation qu'il chiffre à 1 million de Francs ;
Considérant qu'il convient en premier lieu d'examiner la situation administrative du sieur DA TRINIDADE au moment de l'éclatement de la fonction Publique de la fédération de l'ex-A.O.F.
Que cette situation est réglée par les dispositions de l'arrêté N°3123/I.G.A.A. du 31 Mars 1959, qu'en application de cet arrêté, l'ensemble des compétences dévolues au haut commissaire de la République en Afrique occidentale Française en matière de fonction Publique est conféré aux chefs de gouvernement des différents Etats autonomes ;
Qu'à cet égard dispose l'arrêté, '' les dossiers des personnels des différents cadres seront transférés aux Etats
Qu'à ce niveau donc si le sieur DA TRINIDADE avait voulu se faire intégrer dans la fonction Publique de son pays d'origine rien ne s'y serait opposé, encore que s'étant ravisé un an après, il ait essayé vainement de rentrer au Dahomey;
Qu'il ne pouvait en conséquence se prévaloir de la qualité de fonctionnaire dahoméen de fait, aucune disposition légale du Gouvernement ne conférant ce titre aux nationaux dahoméen exerçant dans d'autres Etats Africains ;
Considérant qu'il convient, en deuxième lieu, d'examiner la situation administrative du requérant au moment de sa mise à la disposition du gouvernement du Dahomey et l'attitude des autorités quant à sa prise en charge par le budget Dahoméen ;
Qu'aux termes de l'arrêté N°5034 du 17 Avril 1967, le sieur DA TRINIDADE a été'' rayé des contrôles des fonctionnaires du Sénégal et mis à la disposition du gouvernement du Dahomey, son pays d'origine, sur sa demande'';
Que l'initiative de son retour au Dahomey provient du requérant lui-même, mais que l'attitude des autorités Dahoméennes, faisant hâter le dégagement de l'intéressé par le gouvernement sénégalais et l'invitant par ailleurs à rester au Dahomey pour y continuer à travailler en le laissant inactif pendant plus d'un an est constitutive d'une faute dont l'Etat doit réparation.
Qu'en application de l'article 38 de la loi N°59-21/L.D. du 31 Août 1959 portant statut général de la fonction Publique alors en vigueur, il ne peut être attribué au requérant un rappel de salaires à défaut de service accompli.
Qu'il sera fait une exacte appréciation des circonstances de la cause en condamnant l'Etat à payer au sieur Justin DA TRINIDADE, tant pour le préjudice moral que pour le préjudice matériel, une indemnité de 250.000 Francs;
Qu'il échet de mettre les frais à la charge du Trésor;
PAR CES MOTIFS
DECIDE
Article 1: Le recours sus-visé du sieur Justin DA TRINIDADE, enregistré comme ci-dessus le 3 juillet 1969 sous le N°77/GCS est recevable en la forme ;
Article 2: L'Etat Dahoméen est condamné à payer au sieur DA TRINIDADE la somme de 250.000 (deux cent cinquante mille) Francs à titre de réparation du préjudice subi ;
Article 3: les frais sont mis à la charge du trésor Publique.
Article 4: notification du Président arrêt sera faite aux parties.
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre administrative) composée de Messieurs:
Cyprien AINANDOU, Président de la Cour Suprême, PRESIDENT
Gérard AGBOTON et Expédit VIHO, CONSEILLERS
Et prononcé à l'audience publique du Vendredi Vingt et un juin mil neuf cent soixante quatorze, la Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de Monsieur :
Grégoire GBENOU, PROCUREUR GENERAL
Et de Maître Honoré GERO AMOUSSOUGA, GREFFIER EN CHEF
Et ont signé:
Le Président Le Rapporteur Le Greffier En Chef
C. AINANDOU G. AGBOTON H. GERO. AMOUSSOUGA