N°07/CA du Répertoire
N° 2005-37/CA3 du Greffe
Arrêt du 08 janvier 2020 REPUBLIQUE DU BENIN
AU NOM DU PEUPLE BENINOIS
COUR SUPREME
CHAMBRE ADMINISTRATIVE AFFAIRE :
ELIANE RECINA PADONOU
- PREFET DES DEPARTEMENTS
DU LITTORAL ET DE
L’ATLANTIQUE
EPOUSE A
- Y Aa
La Cour.
Vu la requête introductive d'instance datée du 22 février 2005, enregistrée au cabinet du Président de la Cour suprème le 25 février 2005 sous le numéro 0759 et au greffe de la Cour suprême le 28 février 2005 sous le numéro 0268/GCS, par laquelle Ad Ag B a saisi la haute Juridiction d’un recours pour excès de pouvoir aux fins de l’annulation des permis d’habiter n°2/4143 du 20 juin 2003 et n°2/211 du 16 juin 2002 établis par le Préfet des départements de l’Atlantique et du Littoral relativement à la parcelle "N" du lot 1192 à Cadjèhoun :
Vu la loi n°90-032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin telle que révisée par la loi n°2019-40 du 07 novembre 2019 ;
Vu l’Ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême alors en vigueur ;
Vu la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition. organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême :
Vu la loi n°2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la
_ Vu la loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes ;
Vu toutes les pièces du dossier ;
Le Conseiller Etienne FIFATIN entendu en son rapportet l’Avocat général Saturnin D. AFATON en ses conclusions ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que la requérante expose :
Que son auteur feu B Ab est propriétaire d’une parcelle de terre sise à Ah pour l’avoir acquise le 10 avril 1959 auprès de MONTCHO Laly ;
Que suite aux travaux de lotissement et de recasement de la zone, cette parcelle a été identifiée sous le numéro 1192 parcelle "N" et attribuée à B Ab comme mentionné au répertoire de la préfecture ;
Qu’ayant constaté qu’une tierce personne tentait d’occuper cette parcelle en la clôturant en matériaux définitifs, les héritiers de feu B Ab se sont rapprochés des services de la préfecture et se sont aperçus de ce que le nom de leur auteur a été biffé dans le répertoire pour être remplacé par celui d’un certain Y Aa pour des raisons qu’ils ignorent ;
Que ce dernier s’est fait établir un permis d’habiter sous le n°2/211 du 16 juin 2002 et a procédé par la suite, après cession, à sa mutation au nom de AG Ae épouse A, à qui le permis d’habiter n°4143 a été établi le 20 juin
2003 à son tour ;
Que toutes les démarches entreprises pour obtenir copies de ces permis d’habiter auprès de la préfecture de l’Atlantique se sont avérées vaines ;
Qu’il s’agit d’un faux grossier commis pour soutenir ces différentes opérations en fraude des droits des héritiers de feu B Ab.
. Qu’ayant saisi le Préfet d’un recours gracieux devenu infructueux, elle s’adresse à la Cour pour solliciter l’annulation des permis d’habiter contestés ; Ne EN LA FORME
Sur la recevabilité du recours
Sur le moyen d’irrecevabilité tiré du défaut de qualité de Ad B
Considérant que le recours introduit par Ad B est un recours pour excès de pouvoir ;
Que pour ce recours, non seulement la fin de non recevoir tiré du défaut de qualité du requérant lié à l’absence d’un mandat spécial pour agir est une formalité régularisable, mais aussi la notion d’intérêt et par conséquent de qualité à agir est de portée assez large de manière à ouvrir aux administrés autant qu’il est possible l’accès au juge administratif ;
Considérant que dans le cas d’espèce, Ad B a justifié sa qualité d’héritière de feu B Ab en produisant copie de son extrait d’acte de naissance établissant sa filiation ;
Qu’en tant que telle, elle a un intérêt certain et qualité à exercer un recours pour excès de pouvoir visant la sauvegarde des intérêts de la succession de son feu auteur ;
Que par conséquent ce moyen d’irrecevabilité mérite rejet ;
Sur le moyen d’irrecevabilité tiré de la violation de l’article 66 de l’Ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 relatif au défaut de production de l’acte attaqué par la requérante
Considérant que les conseils de l’administration et de AG Ae épouse A font grief à la requérante de n’avoir pas joint à sa requête les copies des permis d’habiter attaqués, ainsi que le prescrivent les dispositions de l’article 66 de l’Ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 organisant la procédure devant la Cour suprême ;
Considérant que la requérante fait valoir que toutes les démarches entreprises pour obtenir copies de ces actes ont été vaines ;
Considérant que, ni le conseil de l’administration, ni celui de AG Ae, bénéficiaire du permis d’habiter n°2/4143 du 20 juin 2003 obtenu après mutation du permis d’habiter n°2/211 du 16 juin 2002 précédemment établi au nom de Y Aa suite à la cession faite par ce dernier par acte notarié, ne font état de l’inexistence de ces deux permis d’habiter ; que la matérialité de ces actes en cause a été confirmée non seulement par le Préfet de l’Atlantique dans sa lettre n°1874/DEP-ATL/SG/SAD du 10 décembre 2002 adressée à Y Aa pour l’autoriser à céder les installations sur la parcelle "N" du lot 1192, mais aussi par le notaire Af C dans l’acte notarié de cession qu’elle a établi le 11 décembre 2002 ;
Considérant que dans le cadre des mesures d’instruction du présent recours, l’administration invitée à plusieurs reprises, à cet effet, a fini par produire, suivant lettre n°1171/DEP- LIT/SG/SAG/DAD/SA du 08 août 2019, copies de ces actes qu’elle a établis ;
Que de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le moyen d’irrecevabilité tiré du défaut de production par la requérante des actes attaqués invoqué par AG Ae épouse A et par le Préfet du département de l’Atlantique ;
Sur le moyen d’irrecevabilité tiré de la violation de l’article 68 de l’Ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 relatif au non respect des délais de recours
Considérant que par l’organe de son conseil, AG Ae épouse A reproche à la requérante d’avoir introduit hors délai son recours ;
Considérant que les permis d’habiter attaqués sont des actes administratifs individuels qui n’ont pas fait l’objet de publication et dont seuls les bénéficiaires ont reçu notification ; que l’administration préfectorale, auteur de ces actes, n’a pas fait état de leur notification ni à B Ab dont le nom figurait dans le registre comme attributaire de la parcelle objet desdits actes ni à ses ayants droit ;
Que dans ces conditions, les délais de recours ne commencent à courir contre ceux qui se sentent lésés par ces actes que dès la connaissance acquise comme l’a d’ailleurs soutenu AG Ae épouse A dans son mémoire en défense ;
Considérant que la connaissance est acquise lorsqu’il est établi de façon indubitable que celui qui entend contester un acte est informé de son existence;
Considérant que dans le cas d’espèce l’acte posé par la requérante qui justifie une prise de connaissance certaine des actes en cause est le recours gracieux daté du 24 novembre 2004 qu’elle a adressé au Préfet de l’Atlantique et du Littoral ;
Qu'’ainsi, la date du recours gracieux doit être considérée comme le moment de la connaissance acquise et marquer le point de départ de la computation du délai de recours ;
Considérant que suite à ce recours gracieux du 24 novembre 2004 auquel le Préfet n’a donné aucune réponse, elle a saisi le juge administratif d’une requête datée du 22 février 2005 enregistrée à la Cour le 25 février 2005, soit dans les délais prévus par l’article 68 de l’Ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 ;
Que le moyen d’irrecevabilité tiré du non respect du délai du recours encourt rejet ;
Qu’il y a lieu, au regard de tout ce qui précède, de déclarer le présent recours recevable pour avoir été introduit conformément à la loi ;
AU FOND
Sur le moyen d’annulation de la requérante tiré de l’abus de pouvoir commis par le Préfet et de la violation par ce dernier de l’article 1°" de la loi n°60-20 du 13 juillet 1960
Considérant que la requérante pour soutenir l’abus de pouvoir commis par le Préfet en établissant à d’autres personnes que les héritiers de feu B Ab les permis d’habiter contestés sur la parcelle "N" du lot 1192 de Cadjèhoun, a produit la convention de vente affirmée du 10 avril 1959 attestant l’acquisition d’une parcelle par son auteur feu B Ab à Ah et non encore bornée, un procès-verbal de compulsion des registres fonciers de la préfecture et de la mairie de Cotonou dressé le 27 janvier 2005 par maître Charles COOVI, huissier de justice, et dont il ressort d’une part que la parcelle "N" du lot 1192 lotissement de Cadjèhoun est celle qui revient à feu B Ab dont la parcelle avait été relevée lors des travaux d’état des lieux sous le n°12578 et d’autre part qu’il a été procédé à une mutation au profit des héritiers Y Aa conformément à l’attestation n°285/SOCOGIM-LIQ du 17 novembre 1994 ;
Considérant que, ni le Préfet de l’Atlantique, ni les héritiers Y Aa, ni AG Ae n’ont produit aux débats l’attestation dont ils font état et qui a sous-tendu le changement d’attribution de la parcelle "N" du lot 1192 de Cadjèhoun enregistrée après lotissement et recasement au prime abord au nom de feu B Ab comme le prouve le procès-verbal de compulsion des registres fonciers de la mairie de Cotonou établi le 27 janvier 2005 par maître Charles COOVI, huissier de justice ;
Que de même, les héritiers Y Aa et AG Ae épouse A n’ont produit aux débats quelque pièce qui puisse justifier l’existence d’une parcelle initiale ayant fait l’objet d’enregistrement à l’état des lieux de la zone de Cadjèhoun et dont ils étaient présumés propriétaires pour y être recasés ;
Que par ailleurs, invité à éclairer la Cour sur les motifs de la mutation de droit d’occupation et l’établissement du permis d’habiter opérés en faveur des héritiers Y Aa relativement à la parcelle "N" du lot 1192 de Cadjèhoun dans les livres fonciers qu’il détenait alors, le Préfet de l’Atlantique se prévaut d’une attestation n°285 que la SOCOGIM Liquidation aurait délivrée le 17 novembre 1994 et qui aurait créé des droits au profit des bénéficiaires;
Considérant que le Préfet n’a pas produit copie de ladite attestation au dossier ;
Que même l’existence de cette seule attestation, si elle avait été versée aux débats, ne suffisait pas dans les circonstances de l’espèce pour que le Préfet, qui a l’obligation de s’entourer de garanties suffisantes lui permettant de contrôler l’exactitude de la matérialité des faits s’agissant de la gestion du foncier de son ressort, puisse accorder une mutation de droit d’occupation de la parcelle en cause sans excéder ses pouvoirs ;
Qu’il lui revenait donc de prouver à la Cour que ce contrôle indispensable a été fait et a été concluant pour la mutation sollicitée ;
Que pour n’avoir pas rapporté cette preuve, et s’étant contenté de l’attestation de la SOCOGIM sans s’assurer de l’exactitude de la matérialité des faits avant de rectifier dans les registres fonciers de Cotonou l’attributaire initial de la parcelle en cause et établir en conséquence le permis d’habiter n°2/211 du 16 juin 2002 à Y Aa, le Préfet de l’Atlantique a commis un excès de pouvoir ;
Considérant que la requérante soutient qu’il y a également excès de pouvoir en ce que les permis d’habiter attaqués ont été délivrés par le Préfet de l’Atlantique sur un terrain non immatriculé au nom de l’Etat, et ce, en violation de l’article 1°" de la loi n°60-20 du 13 juillet 1960 fixant le régime des permis d’habiter au Dahomey (Bénin) ;
Considérant qu’en réplique, AG Ae épouse A fait observer qu’aucune des pièces versées aux débats par la requérante ne justifie du caractère non immatriculé du terrain objet des permis d’habiter au livre foncier de Cotonou ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1° de la loi sus visée, « Dans tous les centres urbains du Dahomey dotés d’un plan de lotissement ou d’un plan d’aménagement régulièrement approuvé des commandants de cercle et chefs de subdivision (désignés ci-après sous le vocable : chefs de circonscription), peuvent délivrer sur les terrains immatriculés au nom de l’Etat des permis d’habiter dans les conditions édictées par la présente loi. » ;
Qu’il résulte de cette disposition que l’autorité administrative compétente ne peut délivrer un permis d’habiter sur un terrain non immatriculé au nom de l’Etat ;
Considérant que la requérante a justifié le fait que sa parcelle objet du recasement dans le lot 1192 de Cadjèhoun est de tenure coutumière par la production d’une convention affirmée établie à son profit ;
Que la convention notariée de cession des installations
AG épouse A, n’a fait non plus mention de son immatriculation au nom de l’Etat dans les livres fonciers ;
Qu’il incombe donc à l’administration préfectorale de l’Atlantique de justifier la régularité du permis d’habiter n°2/211 qu’elle a établi le 16 juin 2002 sur la parcelle "N" du lot 1192 de Cadjèhoun en rapportant la preuve de son immatriculation dans les livres fonciers au nom de l’Etat ;
Considérant au demeurant que l’immeuble dont s’agit a été relevé à l’état des lieux sous le numéro 12578, identifié sous le numéro 1192 parcelle « N » et attribué à B Ab dont le nom figure en premier sur les répertoires fonciers de l’administration ;
Que dans ces conditions, en établissant le permis d’habiter n°2/211 du 16 juin 2002 au nom de Y Aa sur la parcelle "N" du lot 1192 de Cadjèhoun, le Préfet de l’Atlantique a commis un excès de pouvoir par la violation de l’article 1°” de la loi n°60-20 du 13 juillet 1960 ;
Considérant que la délivrance du permis d’habiter n°2/4143 en date du 20 juin 2003 par le Préfet de l’Atlantique et du Littoral à AG Ae épouse A à la suite de la cession à elle faite de la parcelle en cause par Y Aa est intervenue dans les mêmes conditions que le permis d’habiter n°2/211 du 16 juin 2002 dont ce dernier a bénéficié ;
Considérant que par lettre n°1171/DEP-LIT/SG/SAG/ DAD/SA du 08 août 2019, l’autorité préfectorale a indiqué que les permis d’habiter n°2/211 du 16 juin 2002 et n°2/4143 du 20 juin 2003 demandés par la haute Cour n’existent pas dans ses archives mais plutôt ceux n°2/211 du 16 mai 2002 et n°2/4124 du 20 juin 2003 délivrés respectivement à Y Aa et AG Ae épouse A sur la parcelle « N » du lot 1192 du lotissement de Cadjehoun I ;
Considérant que par son mémoire rectificatif n°Réf 380/19/BT/EGB du 12 août 2019, le conseil de la requérante a rectifié les références des permis d’habiter dont les héritiers de feu B Ab sollicitent l’annulation ;
Qu’il y a lieu d’annuler ces deux actes doublement entachés d’excès de pouvoir ;
PAR CES MOTIFS,
DECIDE :
Article 1°” : Le recours en date à Cotonou du 22 février 2005 de Ad Ag B, tendant à l’annulation des permis d’habiter n°2/211 du 16 juin 2002 et n°2/4143 du 20 juin 2003 établis par le Préfet des départements de l’Atlantique et du Littoral sur la parcelle "N" du lot 1192 de Cadjèhoun, est recevable ;
Article 2 : Ledit recours est fondé ;
Article 3 : Sont annulés, les permis d’habiter n°2/211 du 16 mai 2002 établi au nom de Y Aa et n°2/4124 du 20 juin 2003 établi au nom de Ae AG épouse A sur la parcelle "N" du lot 1192 de
Article 4: Les frais sont mis à la charge du trésor public ;
Article 5 : Notification du présent arrêt sera faite aux parties et au Procureur général près la Cour suprême. ;,
Ainsi fait et délibéré par la Cour suprême (Chambre administrative) composée de :
Etienne FIFATIN, Conseiller à la Chambre administrative ;
Isabelle SAGBOHAN
Et CONSEILLERS ; Césaire F. Ac Z
Et prononcé à l’audience publique du mercredi huit janvier deux mille vingt ; la Cour étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de :
Saturnin D. AFATON, Avocat général,
MINISTERE PUBLIC ;
Calixte A. DOSSOU-KOKO,
GREFFIER ; Et ont signé :
Le Président-Rapporteur Le Greffier, —
AC c Etienne FIFATIN Calixte A. DOSSOU-KOKO