N° 36/CJ-S du Répertoire ; N° 2011-01/CJ-S du greffe ; Arrêt du 13 novembre 2020 ; AH C (Me Bertin AMOUSSOU) C/ Ab A AI (Me Théodore KOUNTINHOUIN ZANOU Me Ernest KEKE-Me Claire-Lyse HENRY)
Procédure sociale – Responsabilité de l’employeur – Exonération de l’employé – Violation d’une prescription concernant l’exécution du service – Violation de la loi par fausse application (Non) – Rejet (Oui).
Procédure sociale – Appréciation souveraine – Fausse qualification (Non) – Irrecevabilité (Oui).
Procédure sociale – Portée et valeur de preuve – Appréciation souveraine – Défaut de base légale (Non) – Irrecevabilité (Oui).
Procédure sociale – Dommages-intérêts – Défaut d’indication des caractères du préjudice – Défaut de base légale (Oui) – Cassation partielle (Oui).
N’est pas reprochable de la violation de la loi par fausse application une Cour d’appel qui fait des constatations et énonciations mettant en jeu la responsabilité de l’employeur et tendant à exonérer l’employé quant à la violation d’une prescription concernant l’exécution du travail.
Est irrecevable tout moyen ou toute branche de moyen qui tend à remettre en discussion les faits souverainement appréciés par les juges du fond.
La portée ou la valeur d’un élément de preuve relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Encourt cassation pour défaut de base légale une Cour d’appel qui accueille une demande de dommages-intérêts sans indiquer par une analyse les caractéristiques du préjudice réparable.
La Cour,
Vu l’acte n°01/10 du 09 septembre 2010 du greffe de la cour d’appel de Parakou par lequel Ad B, représentant AH C, a déclaré élever pourvoi en cassation contre les dispositions de l’arrêt n°07/10 rendu le 05 août 2010 par la chambre sociale de cette cour ;
Vu la transmission du dossier à la Cour suprême ;
Vu l’arrêt attaqué ;
Vu la loi n° 2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême ;
Vu la loi n° 2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;
Vu la loi n° 2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes telle que modifiée et complétée par la loi n°2016-16 du 28 juillet 2016 ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï à l’audience publique du vendredi 13 novembre 2020 le président Sourou Innocent AVOGNON en son rapport ;
Ouï le procureur général Ac Aa Y en ses conclusions ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que suivant l’acte n°01/10 du 09 septembre 2010 du greffe de la cour d’appel de Parakou, Ad B, représentant AH C, a déclaré élever pourvoi en cassation contre les dispositions de l’arrêt n°07/10 rendu le 05 août 2010 par la chambre sociale de cette cour ;
Que par lettre n°0231/GCS du 11 février 2011, Ad B, représentant AH C, a été invitée à produire son mémoire ampliatif dans le délai d’un (01) mois, conformément aux dispositions de l’article 12 de la loi n°2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;
Que les mémoires ampliatif et en défense ont été produits ;
Que le procureur général a produit ses conclusions lesquelles ont été communiquées aux parties pour leurs observations ;
Que maîtres Bertin AMOUSSOU et Claire-Lise HENRY ont produit leurs observations respectivement pour le compte de AH C et de Ab A AI ;
EN LA FORME
Attendu que le présent pourvoi a été élevé dans les forme et délai de la loi ;
Qu’il convient de le déclarer recevable ;
AU FOND
Faits et procédure
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que suite à son licenciement pour faute lourde par ECOBANK-BENIN, Ab A AI a saisi le directeur départemental de la Fonction Publique et du Travail du Borgou qui, après l’échec de la tentative de conciliation, a établi le procès-verbal de non conciliation n°141/MFPTRA/DC/SGM/DDFPT-B du 11 juin 2004 qu’il a transmis au tribunal de première instance de première classe de Af ;
Que par jugement contradictoire n°14/05 du 04 juillet 2005, le tribunal saisi a jugé que le licenciement n’est pas abusif et débouté Ab A AI de toutes ses demandes ;
Que sur appel de Ab A AI, la cour d’appel de Parakou a, par arrêt n°07/10 du 05 août 2010, infirmé le jugement querellé en toutes ses dispositions ; puis évoquant et statuant à nouveau, a déclaré le licenciement abusif et condamné AH C à lui payer la somme de deux cent trente-neuf millions neuf cent quarante mille trois cent six (239 940 306) francs CFA ;
Que c’est cet arrêt qui est l’objet du présent pourvoi ;
DISCUSSION DES MOYENS
Premier moyen tiré de la violation de la loi en deux (02) branches
Première branche prise de la fausse interprétation de la loi
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué, la fausse interprétation de la loi, en ce que la cour d’appel, pour déclarer le licenciement abusif, a motivé « que l’intimée AH C et le chef d’agence de Parakou n’ont pas pu faire la preuve d’avoir donné copie du mémorandum n°0027/DOP/2003 du 31 mars 2003 à A AI Ab, soit par décharge dans un cahier de transmission de courrier, soit par une lettre de transmission de cette pièce et même par le procès-verbal de la réunion organisée par Z Ag … », alors que, selon cette branche du moyen, ni l’article 56 du code du travail, ni aucun autre texte n’impose à l’employeur de transmettre les notes de service à ses employés par copie avec décharge dans un cahier de transmission de courriers, par une lettre de transmission ou par procès-verbal ;
Que l’article 56.2 du code du travail n’a assorti « la violation caractérisée d’une prescription concernant l’exécution du service et régulièrement portée à la connaissance du personnel » d’aucune condition relative au préjudice subi par l’employeur ;
Que la procédure de contrôle mise en place par le mémorandum n°0027/DOP/2003 du 31 mars 2003 qui a été envoyé dans toutes les agences AH C, a été portée à la connaissance de Ab A AI ;
Que dans la réponse à la demande d’explication qui lui a été adressée, le défendeur au pourvoi « confirme avoir assisté à la séance de sensibilisation sur le respect des procédures faites par monsieur Ag Z courant mai 2003 » ;
Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a fait une fausse interprétation de la loi et l’arrêt attaqué encourt cassation de ce chef ;
Mais attendu que pour conclure au défaut de la mise en place du service « Call Back », la cour d’appel a également motivé que « … AH C s’est seulement contentée de citer le contenu du mémorandum n°0027/DOP/2003 dans la lettre de licenciement et n’a pu faire la preuve de la création du service… », « … que si ledit service avait été mis en place, il devrait se renseigner téléphoniquement auprès du donneur d’ordre de virement avant de transmettre le dossier d’autorisation dudit virement à l’appelant A AI Ab ; que ne l’ayant pas fait, elle a été victime de sa propre négligence et ne doit s’en prendre qu’à elle-même… » ;
Que par ces constatations et énonciations qui mettent en jeu la responsabilité de l’employeur et tendent à exonérer l’employé quant à la violation d’une prescription concernant l’exécution du service, l’arrêt attaqué n’est pas reprochable du grief articulé ;
Que le moyen en sa première branche n’est pas fondé ;
Seconde branche prise de la fausse qualification des faits
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué, la fausse qualification des faits en ce que la cour d’appel, pour déclarer le licenciement abusif a motivé :
d’une part, « qu’à la place du procès-verbal du comité de discipline demandé par la cour pour apprécier les débats sur les faits afin de situer la responsabilité, l’intimée AH C lui produit un rapport laconique où deux (02) sanctions opposées sont proposées par chacune des parties c’est le licenciement proposé par les représentants de l’employeur qui figure dans la lettre de licenciement … » ;
d’autre part, « … que les personnes mises en cause dans les deux (02) opérations tant au niveau de la banque qu’en dehors de celle-ci ont été poursuivies, il y a possibilité de faire rembourser les fonds frauduleusement perçus à l’intimée ; qu’ainsi l’affaire n’étant pas restée dans un flou pouvant entrainer la perte totale desdits fonds, il y a lieu de dire que la rupture du contrat faite par l’employeur n’est pas juste, surtout que l’appelant n’a été ni poursuivi, ni entendu comme témoin afin d’établir un lien frauduleux entre eux » ;
alors que, selon cette branche du moyen, d’une part la cour avait à apprécier, au regard de l’article 56 du code de travail, les faits qui ont entraîné le licenciement et non les débats en conseil de discipline ; que Ab A AI n’a pas saisi les juges du fond du non-respect de ses droits devant le conseil de discipline ; que comme la cour l’a relevé, les représentants du personnel et ceux de l’employeur ont tous reconnu que Ab A AI avait commis une faute dans l’exercice de ses fonctions ; qu’il est un principe de droit selon lequel le pouvoir disciplinaire appartient à l’employeur à qui il revient en dernier ressort de décider de la sanction à infliger à l’employé ; d’autre part, la question juridique était de savoir si oui ou non Ab A AI a violé dans l’exécution du service, une prescription dont il avait connaissance ; que l’article 56.2 du code du travail n’a assorti « la violation caractérisée d’une prescription concernant l’exécution du service régulièrement portée à la connaissance du personnel », d’aucune condition relative au préjudice subi par l’employeur ; que Ab A AI a été licencié pour faute lourde professionnelle résultant de la violation du mémorandum n°0027/DOP/2003 du 31 mars 2003 ;
Qu’ayant motivé sa décision par le fait que le salarié « n’a été ni poursuivi, ni entendu comme témoin » devant les juridictions pénales, en méconnaissance par ailleurs du pouvoir disciplinaire de l’employeur, la cour d’appel a fait une fausse qualification des faits ;
Mais attendu que sous le couvert de la violation de la loi par fausse qualification des faits, cette branche du moyen ne tend qu’à remettre en discussion devant la Haute Juridiction les faits souverainement appréciés par les juges du fond ;
Que le moyen en sa seconde branche est irrecevable ;
Second moyen tiré du défaut de base légale
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué, le défaut de base légale en ce que la cour d’appel a motivé :
d’une part, « … que la question posée par l’appelant à Ae AG de savoir si toutes les diligences avaient été faites et sa confirmation d’avoir assisté à la séance de sensibilisation de Z Ag sur le respect des procédures ne sauraient être interprétées comme une mise au courant de l’existence du mémorandum … du 31 mars 2003 et de la procédure "Call back"… » ; …. « que pour confondre l’intimée, la cour lui a demandé de produire le procès-verbal qui souvent retrace le déroulement de toutes les réunions … mais qu’au lieu de cette importante pièce, c’est un rapport qui émane de Z Ag qui est produit ; et qu’elle n’a même pas mis à sa disposition la liste de présence pour vérifier si effectivement les chauffeurs et les agents de sécurité avaient participé à la séance de travail… » ;
d’autre part, a déclaré abusif le licenciement du défendeur au pourvoi et condamné AH C à lui payer FCFA deux cent trente-cinq millions neuf cent quarante mille trois cent six (235 940 306) à titre de dommages-intérêts en motivant : « que … les dommages-intérêts de huit cent millions (800 000 000) FCFA demandés par l’appelant … sont exorbitants et doivent être fixés dans leur proportion ;
Que compte tenu de son ancienneté dans la banque, de son évolution appréciée par cette dernière, des diverses charges et autres enregistrés depuis sa date de licenciement, il y a lieu de ramener lesdits dommages-intérêts de huit cent millions (800 000 000) FCFA à deux cent trente-cinq millions (235 000 000) FCFA » ;
alors que, selon le moyen, d’une part, il est de principe que la charge de la preuve pèse sur celui qui invoque un fait ; que la preuve est libre et peut être faite par tout moyen ; que la demanderesse au pourvoi a prouvé par la demande d’explication le 18 août 2003 et la réponse qui en est donnée que le défendeur, chef d’agence adjoint, avait bien connaissance de la procédure dite de « Call back » dont le mémorandum n°0027/DOP/2003 du 31 mars 2003 était l’objet ; que par ailleurs aucun texte ne fait obligation à l’employeur de dresser procès-verbal des réunions tenues avec son personnel ; d’autre part, les dommages-intérêts doivent être fixés en fonction du préjudice subi, conformément à l’article 52 du code du travail ; que les juges du fond n’échappent pas à l’obligation de motiver leur décision sur les dommages-intérêts ; que pour allouer la somme de deux cent trente-cinq millions (235 000 000) FCFA au défendeur, la cour d’appel s’est contentée d’une formule vague ; qu’il n’est pas possible de savoir en quoi ont consisté les « diverses charges et autres » qui ont amené les juges du fond à fixer les dommages-intérêts à FCFA deux cent trente-cinq millions (235 000 000), soit l’équivalent de trois cent quarante (340) mois (plus de vingt-huit [28] ans) de salaire de Ab A AI ; qu’en statuant sur les dommages-intérêts dans ces conditions et en refusant de prendre en compte la preuve apportée par AH C et en exigeant d’autres éléments de preuve, la cour d’appel n’a pas donné une base légale à sa décision qui encourt cassation de ce chef ;
Mais attendu que le moyen en ses deux (02) éléments, présente à juger des situations ou des faits souverainement appréciés par les juges du fond ;
Que le premier grief ne tend qu’à discuter la portée ou la valeur d’éléments de preuve, appréciée souverainement par les juges du fond ;
Que le moyen ou précisément l’élément du moyen qui tend à critiquer cette appréciation ne peut être accueilli par la Haute juridiction ;
Attendu sur le second élément du moyen, que les juges du fond sont souverains pour constater l’existence d’un préjudice, apprécier dans les limites de la demande le mode et l’étendue de la réparation ;
Qu’il n’en demeure pas moins, que la juridiction de cassation contrôle la motivation qui y sert de fondement, précisément les caractères légaux du préjudice réparable : sa licéité, sa certitude et son caractère direct ;
Attendu que pour accueillir la demande de dommages-intérêts et condamner AH C au paiement de FCFA deux cent trente-cinq (235 000 000), la cour d’appel s’est fondée sur l’ancienneté de Ab A AI à la banque, son « évolution appréciée » par cette dernière et les « diverses charges et autres » engendrées depuis sa date du licenciement ;
Qu’en statuant ainsi, sans indiquer par une analyse, le nombre d’années passées au service de AH C, les caractéristiques de sa carrière, la spécification des « diverses charges et autres » engendrées depuis sa date de licenciement, ce à l’exclusion de critères d’âge, de situation financière, de difficultés pour retrouver son emploi des avantages perdus ou même des usages, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
Que le moyen est fondé ;
PAR CES MOTIFS
Reçoit en la forme le présent pourvoi ;
Au fond, casse et annule l’arrêt n°07/10 du 05 août 2010, seulement sur les dommages-intérêts ;
Renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel de Parakou autrement composée ;
Met les frais à la charge du Trésor public ;
Ordonne la transmission en retour du dossier au greffier en chef de la cour d’appel de Af ;
Ainsi fait et délibéré par la Cour suprême (chambre judicaire) composée de :
Sourou Innocent AVOGNON, président de la Chambre judiciaire,
Michèle CARRENA ADOSSOU ET Isabelle SAGBOHAN, CONSEILLERS ;
Et prononcé à l’audience publique du vendredi treize novembre deux mille vingt, la Cour étant composée comme il est dit ci-dessus, en présence de :
Ac Aa Y, PROCUREUR GENERAL;
Djèwekpégo Paul ASSOGBA, GREFFIER ;
Et ont signé
Le président rapporteur, Le greffier
Sourou Innocent AVOGNON Djèwekpégo Paul ASSOGBA