N° 66/CJ-DF du répertoire ; N° 2019-43/CJ-DF du greffe ; Arrêt du 13 novembre 2020 ; -Gaston HOUNGBEDJI -Antoine KOUKE -Jean-Marie KOUKE -Dominique As X -Antoine BOUTOKPO (Mes Issiaka MOUSTAFA & Olga ANASSIDE) C/ -Bernadin BADA -Jean KOUKE (Mes Ar Y & Az Z)
Code foncier et domanial – Point de départ des délais de prescription – Appréciation souveraine du juge de fond – Offre de rachat d’immeuble – Conditions.
Le point de départ de la computation des délais pour constater la prescription relève de l’appréciation souveraine du juge du fond.
Mérite rejet, tout moyen qui sous le grief de la violation de la loi, par fausse application, tend à remettre en débats les faits souverainement appréciés par les juges d’appel.
Le rejet des prétentions d’une partie ne peut être assimilé à un défaut de réponse à conclusions.
L’offre de rachat d’immeuble ne s’applique que dans le cadre d’une procédure d’expulsion consécutive à une décision de justice passée en force de chose jugée et obéit en outre, à des conditions précises.
La Cour,
Vu l’acte n°27 du 28 mars 2019 du greffe de la cour d’appel de Cotonou par lequel maître Olga ANASSIDE, conseil de Ah C a élevé pourvoi en cassation contre l’arrêt n°032/19 rendu le 19 mars 2019 par la deuxième chambre civile de droit de propriété foncière de cette cour ;
Que suivant l’acte n°30 du 03 avril 2019 du même greffe, maître Issiaka MOUSTAFA, conseil de Al AI, Am AI, Aw As X et Al X, a élevé pourvoi en cassation contre le même arrêt ;
Vu la transmission du dossier à la Cour suprême ;
Vu l’arrêt attaqué ;
Vu la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême ;
Vu la loi n°2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;
Vu la loi n°2008-07 du 28 février 2011 modifiée et complétée par la loi n°2016-16 du 28 juillet 2016 portant code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes ;
Vu la loi n° 2013-01 du 14 août 2013 portant code foncier et domanial en République du Bénin modifiée et complétée par la loi n°2017-15 du 10 août 2017 ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï à l’audience publique du vendredi treize novembre deux mil vingt, le président Sourou Innocent AVOGNON en son rapport ;
Ouï le procureur général Ae At AK en ses conclusions ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que suivant l’acte n°27 du 28 mars 2019 du greffe de la cour d’appel de Cotonou, maître Olga ANASSIDE, conseil de Ah C a élevé pourvoi en cassation contre l’arrêt n°032/19 rendu le 19 mars 2019 par la deuxième chambre civile de droit de propriété foncière de cette cour ;
Que suivant l’acte n°30 du 03 avril 2019 du même greffe, maître Issiaka MOUSTAFA, conseil de Al AI, Am AI, Aw As X et Al X, a élevé pourvoi en cassation contre le même arrêt ;
Que par lettres n°4792/GCS et n°4793/GCS du 03 juillet 2019 du greffe de la Cour suprême, maîtres Issiaka MOUSTAFA et Olga ANASSIDE ont été mis en demeure d’avoir à consigner dans un délai de quinze (15) jours et à produire leurs moyens de cassation dans le délai de deux (02) mois, le tout, conformément aux dispositions des articles 931 alinéa 1er , 933 et 935 de la loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes modifiée et complétée par la loi n°2016-16 du 28 juillet 2016 ;
Que les consignations ont été payées et les mémoires ampliatifs et en défense produits ;
Que le procureur général a pris ses conclusions, lesquelles ont été communiquées aux parties pour leurs observations ;
Que maîtres Issiaka MOUSTAFA et Olga ANASSIDE ont versé leurs observations au dossier ;
EN LA FORME
Attendu que les présents pourvois ont été élevés dans les forme et délai légaux ;
Qu’il convient de les déclarer recevables ;
AU FOND
Faits et procédure
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par requête en date du 17 février 1999, Ax A a saisi le tribunal de première instance de première classe de Cotonou, statuant en matière civile de droit traditionnel (Biens) d’une action en confirmation de son droit de propriété sur un domaine sis à Au Ac dans la commune d’Abomey-Calavi contre Aj AI, An AI, Af AI et Ap Av X ;
Que par jugement contradictoire n°015/12/2CB/09 du 24 juillet 2012, le tribunal saisi, après avoir rejeté l’exception d’irrecevabilité de l’action de Ax A pour cause de prescription, a confirmé son droit de propriété sur ledit domaine sis à Ai Ay à Au dans la commune d’Abomey-Calavi d’une superficie de un hectare cinquante-trois ares quatre-vingt-deux centiares (1ha 53ares 82ca) limité au Nord par le domaine AN, au Sud et à l’Ouest par les domaines Ag Ao X, à l’Est par le domaine muni du titre foncier n°559 appartenant à H. B épouse AGBOTON Géo et au Sud-Est par le domaine AL et a annulé toutes les ventes y opérées aussi bien par Ad AI que par ses héritiers ;
Que sur appel de Aj AI, An AI et Af AI, la deuxième chambre civile de droit de propriété foncière de la cour d’appel de Cotonou a rendu l’arrêt confirmatif n°32/19 du 19 mars 2019 par lequel elle a également débouté Ah C de sa demande en revendication de droit de propriété sur les parcelles relevées à l’état des lieux sous les numéros EL 2277 d et EL 2278 d sises à Au après l’avoir déclaré recevable en son intervention volontaire ;
Que c’est cet arrêt qui est l’objet des présents pourvois ;
DISCUSSION
I- Moyens de cassation de maître Issiaka MOUSTAFA
Premier moyen en deux (02) branches tiré de la violation de la loi par refus d’application : branches réunies
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’une part, de la violation des dispositions des articles 17 du décret organique du 03 décembre 1931 et 30 du code foncier et domanial en République du Bénin en ce qu’il a débouté les demandeurs au pourvoi de leurs demandes relativement à l’extinction pour cause de prescription, de l’action de Ax A et à la confirmation de leur droit de propriété au motif qu’ « entre l’année où il est sensé savoir que le domaine est en litige en raison des actes de disposition posés par les héritiers de feu Ad AI et l’année 1999 où il a saisi la juridiction compétente, il s’est écoulé moins de dix (10) ans » alors que, selon la branche du moyen, l’article 30 de la loi n°2013-01 du 14 août 2013 portant code foncier et domanial prévoit un délai de dix (10) ans pour l’extinction d’un droit réel ou personnel du fait de l’inaction prolongée de son titulaire ; que la computation de ce délai débute à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action et qu’aux termes des dispositions de l’article 17 du décret organique du 03 décembre 1931 « l’action du demandeur est éteinte lorsque celui-ci a laissé la jouissance paisible du domaine de tenure traditionnelle pendant dix (10) ans à une tierce personne » ;
Que dans le cas d’espèce, feu Ad AI a acquis le domaine planté de palmiers auprès de Ap Av X suivant convention en date du 23 novembre 1980, qu’il l’a régulièrement exploité par l’exercice d’actes matériels de culture vivrière, d’exploitation des palmiers à l’huile et de disposition jusqu’à sa mort en 1991 au vu et au su des riverains ;
Que Ax A, détenteur d’une prétendue convention de vente en date du 07 février 1981, était également au courant des agissements de feu Ad AI depuis 1982 sans réagir ;
Qu’entre 1982 et 1995, année où il affirme avoir été informé du litige, il s’est écoulé plus de dix (10) ans ;
Qu’il est fait grief d’autre part à l’arrêt attaqué de la violation de l’article 1341 du code civil en ce qu’il a privilégié le témoignage à la barre devant le premier juge de Ap Av X dont il ressort « qu’il n’a pas vendu de parcelle à Ad AI mais des palmiers se trouvant sur cette parcelle », aux prétentions des héritiers de ce dernier qui soutiennent que leur feu père, Ad AI, a acquis une palmeraie comprenant tant le fonds que les palmiers qui s’y trouvent, alors que, selon cette seconde branche du moyen, la preuve littérale a primauté indéniable sur la preuve testimoniale conformément à l’article 1341 du code civil qui dispose en son alinéa 1er que : « il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant la somme ou la valeur de 50 F, même pour dépôts volontaires et il n’est reçu aucune preuve par témoins, contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre de 50 F » ;
Que dans le cas d’espèce, la convention délivrée par Ap Av X à Ad AI porte sur une valeur de cent vingt mille (120 000) francs ;
Mais attendu que la computation des délais de prescription acquisitive ou extinctive, la constatation d’une possession utile, publique, non équivoque, paisible et continue d’un domaine de tenure coutumière relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond et échappent au contrôle de la juridiction de cassation ;
Que relativement à la violation alléguée de l’article 1341 du code civil, la cour d’appel était en face tant d’une preuve testimoniale que deux (02) preuves littérales en l’occurrence les conventions produites par les parties ;
Que sous prétexte de la violation par refus d’application des dispositions légales ci-dessus mentionnées, le moyen, en ses deux (02) branches réunies tend en réalité à remettre en discussion devant la Haute Juridiction, des faits souverainement appréciés par les juges du fond ;
Qu’il est irrecevable ;
Deuxième moyen tiré de la dénaturation des termes clairs et précis de la convention de vente de feu Ad AI
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir dénaturé les termes clairs et précis de la convention de vente en date du 23 novembre 1980 en affirmant que son « examen révèle que feu Ad AI détenait un droit précaire sur le domaine où il a acheté des palmiers et y exploite du vin de palme et qu’en tant que tel, ses descendants ne peuvent prescrire » alors que, selon le moyen, bien qu’il soit constant que les juges interprètent souverainement les conventions des parties obscures ou ambigües, il est également connu que lorsque les termes d’une convention sont clairs et précis, les juges ne doivent pas lui refuser cet effet ni dénaturer les obligations qui en résultent et modifier les stipulations qu’elle renferme ;
Que dans le cas d’espèce, la convention précise qu’il s’agit d’un terrain et non de plants de palmiers ;
Qu’en dénaturant foncièrement les termes clairs et précis de cette convention, l’arrêt attaqué mérite cassation ;
Mais attendu que c’est pour écarter l’argument tiré de la prescription extinctive invoqué par les demandeurs au pourvoi que les juges du fond ont affirmé au vu de la convention de vente de feu Ad AI en date du 23 novembre 1980 que son examen révèle un droit précaire sur le domaine en cause ; que ces énonciations, loin de dénaturer les termes de ladite convention, a plutôt précisé la portée des dispositions des articles 17 du décret organique du 03 décembre 1931 et 30 du code foncier et domanial en République du Bénin ;
Que par ailleurs, l’arrêt attaqué n’est pas uniquement fondé sur la convention ci-dessus mentionnée mais également sur celle du 07 février 1981 faisant état de ce que Ap Av X a vendu à Ax A une palmeraie au prix de trois cent soixante-quinze mille (375 000) francs avec détermination et précision des limitrophes ainsi que les déclarations à la barre devant le premier juge le 25 mai 1999 où il indiquait n’avoir vendu aucune parcelle à Ad AI mais plutôt des palmiers ;
Que le moyen n’est pas fondé ;
Troisième moyen tiré du défaut de réponse à conclusions
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué du défaut de réponse à conclusions en ce qu’il a omis de statuer sur les demandes de maître Issiaka MOUSTAFA relativement à la confirmation du droit de propriété de Aa AM, Claire Ab AJ AH et Aq Ak AG qui ont acquis leurs parcelles auprès de Aj AI alors que, selon le moyen, leurs prétentions ont été valablement développées dans les notes de plaidoirie en date du 17 février 2017 ;
Mais attendu que le jugement n°015/12/2CB du 24 juin 2012, a confirmé le droit de propriété de Ax A sur le domaine litigieux et annulé toutes les ventes opérées sur ledit domaine aussi bien par Ad AI que par ses héritiers en ordonnant leur déguerpissement tant de leurs personnes que de tous occupants de leurs chefs ;
Qu’en confirmant ledit jugement en toutes ses dispositions, l’arrêt dont pourvoi a nécessairement répondu aux demandes de Aa AM, Claire Ab AJ AH et Aq AG ;
Que le moyen n’est pas fondé ;
II- Moyen de cassation de maître Olga ANASSIDE : Violation de la loi par refus d’application
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué de la violation de l’article 535 du code foncier et domanial en ce qu’il a débouté Ah C de sa demande de revendication de droit de propriété sur les parcelles relevées à l’état des lieux sous les numéros EL 2277 d et EL 2278 d dans le domaine litigieux au motif « qu’aucune pièce au dossier n’atteste de ce que les deux parties se sont entendues sur un quelconque prix de vente, encore moins sur la chose objet de la vente » alors que, selon le moyen, l’article 535 du code foncier et domanial dispose ce qui suit :
« Pour les occupants de bonne foi, l’offre de rachat doit réaliser une corrélation entre le coût d’acquisition initial de l’immeuble et sa valeur marchande ;
Elle tient compte de la durée de temps passée sur l’immeuble ;
Les autres éléments qui peuvent affecter la détermination de la valeur de l’offre de rachat incluent :
L’usage courant qui est fait de la propriété ;
L’historique de l’acquisition et de l’usage de la propriété ;
L’importance de l’investissement réalisé par l’occupant sur la propriété ;
Le but ou la raison de l’expulsion » ;
Qu’en exigeant de Ah C de justifier être parvenu à un accord, ou en rejetant sa demande au seul motif qu’il n’a pas prouvé qu’il est parvenu à un accord sur la chose et le prix, les juges du fond ont ajouté à l’article 535 du code foncier et domanial, une condition nouvelle dans leur décision qui mérite cassation ;
Mais attendu que les dispositions de l’article 535 du code foncier et domanial invoquées relatives à l’occupant de bonne foi et à l’offre de rachat d’un immeuble ne s’appliquent que dans le cadre d’une procédure d’expulsion consécutive à une décision de justice passée en force de chose jugée ;
Qu’aux termes des dispositions de l’article 528 alinéas 1 et 2 du code foncier et domanial : « l’exécution d’une décision de justice, de jugement ou d’arrêts et ordonnant une expulsion forcée est précédée d’une étape de négociation à l’amiable en vue du rachat par la partie perdante au procès de l’immeuble habité ;
Cette négociation devra être menée sous l’égide du conseil consultatif foncier … » ;
Que selon l’article 532 alinéa 1er du même code, « l’accord ainsi réalisé est validé par le président du tribunal du lieu de situation de l’immeuble querellé » ;
Que dans le cas d’espèce, les négociations entre Ah C et le défendeur au pourvoi Ax A ont eu lieu courant 2011 et donc bien avant la reddition de l’arrêt attaqué ;
Que ces négociations n’ont pas été menées sous l’égide du conseil consultatif foncier, qu’aucun accord n’a été réalisé et validé par le président du tribunal de première instance de deuxième classe d’Abomey-Calavi, lieu de situation de l’immeuble ;
Qu’enfin, aucune procédure d’expulsion n’avait été initiée en ce moment contre Ah C ;
Qu’en appliquant les règles du droit commun en matière de vente qui exigent un accord entre les parties sur la chose vendue et le prix pour rejeter les demandes formulées par le demandeur au pourvoi relativement aux deux (02) parcelles revendiquées, les juges de la cour d’appel de As ont justement décidé ;
Que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
Reçoit en la forme le présent pourvoi ;
Les rejette quant au fond ;
Met les frais à la charge de Ah C, Al AI, Am AI, Aw As X et Al X ;
Ordonne la notification du présent arrêt au procureur général près la Cour suprême ainsi qu’aux parties ;
Ordonne la transmission en retour du dossier au greffier en chef de la cour d’appel de Cotonou ;
Ainsi fait et délibéré par la Cour suprême (Chambre judiciaire) composée de :
Sourou Innocent AVOGNON, président de la chambre judiciaire, PRESIDENT ;
Michèle CARRENA ADOSSOU Et Isabelle SAGBOHAN, CONSEILLERS ;
Et prononcé à l’audience publique du vendredi treize novembre deux mil vingt, la Cour étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de :
Ae At AK, procureur général, MINISTERE PUBLIC ;
Mongadji Henri YAÏ, GREFFIER ;
Et ont signé
Le président-rapporteur, Le greffier.
Sourou Innocent AVOGNON Mongadji Henri YAÏ