N° 39/CJ-P du répertoire ; N° 2019-46/CJ-P du greffe ; Arrêt du 27 novembre 2020 ; -NESTOR ADJAVON -BARNABE YELOUASSI -CHRISTIAN TOLODJI -SEBASTIEN GERMAIN AJAVON C/ -MINISTERE PUBLIC -DIRECTION GENERALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS (DGDDI) -SOCIETE MEDITERRANEAN SHIPPING CO
Incompétence de la Cour suprême du Bénin pour cause de dessaisissement par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Non).
Déchéance du pourvoi pour non observance des dispositions de l’article 594 du code de procédure pénale (Oui).
Le demandeur qui a formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême du Bénin et satisfait aux mesures d’instruction à lui adressées par ladite cour n’est pas admis à soulever l’incompétence de la même Cour pour dessaisissement par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
En application des dispositions de l’article 594 du code de procédure pénale la condition préalable pour la recevabilité du pourvoi d’une personne condamnée au Bénin à une peine privative de liberté, qui n’est pas détenue ou qui n’a pas obtenu une dispense d’exécuter sa peine, est qu’elle se présente au parquet pour subir sa détention.
Est donc déchu de son pourvoi celui qui ne satisfait pas aux exigences de cette disposition légale.
La Cour,
Vu l’acte n°004 du 19 octobre 2018 du greffe de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) par lequel maîtres Yves KOSSOU, Hippolyte YEDE, Issiaka MOUSTAFA, Prosper AHOUNOU, Roméo GODONOU, Renaud V. AGBODJO, Ayodélé AHOUNOU et Julien BENSIMON, conseils de Ag Af B, Ae B, Ab A et Aa X ont déclaré élever pourvoi en cassation contre les dispositions de l’arrêt n°007/3 C. COR rendu le 18 octobre 2018 par la troisième chambre correctionnelle de ladite cour ;
Vu la transmission du dossier à la Cour suprême ;
Vu l’arrêt attaqué ;
Vu la loi n° 2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême ;
Vu la loi n° 2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;
Vu la loi n° 2012-15 du 18 mars 2013 modifiée et complétée par la loi n° 2018-14 du 02 juillet 2018 portant code de procédure pénale ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï à l’audience publique du vendredi 27 novembre 2020 le président Sourou Innocent AVOGNON en son rapport ;
Ouï le procureur général Ac Ad C en ses conclusions ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que suivant l’acte n°004 du 19 octobre 2018 du greffe de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET), maîtres Yves KOSSOU, Hippolyte YEDE, Issiaka MOUSTAFA, Prosper AHOUNOU, Roméo GODONOU, Renaud V. AGBODJO, Ayodélé AHOUNOU et Julien BENSIMON, conseils de Ag Af B, Ae B, Ab A et Aa X ont déclaré élever pourvoi en cassation contre les dispositions de l’arrêt n°007/3 C. COR rendu le 18 octobre 2018 par la troisième chambre correctionnelle de ladite cour ;
Que suivant les actes numéros 005, 006, 007, 008, 009 du 19 octobre 2018, maîtres Yves KOSSOU, Issiaka MOUSTAFA, Renaud V. AGBODJO, Bidossessi Roméo GODONOU et Hippolyte YEDE, au nom et pour le compte de Ae B, Ab A, Aa X et Ag Af B, ont respectivement déclaré élever pourvoi en cassation contre les dispositions de cet arrêt ;
Que par actes n°010, 011 et 012 du 19 octobre 2018 du même greffe, Ab A, Aa X et Ae B ont respectivement déclaré élever pourvoi en cassation contre les dispositions du même arrêt ;
Que par acte n°013 du 22 octobre 2018, Ag B a déclaré élever pourvoi en cassation contre les dispositions du même arrêt ;
Que par acte n°015 du 30 octobre 2018, le greffe de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) a reçu sous pli postal du 22 octobre 2018, la correspondance en date à Paris du 18 octobre 2018 par laquelle Ag Af B a déclaré se pourvoir en cassation contre le même arrêt ;
Que par acte n°016 du 30 octobre 2018, le greffe de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) a reçu un pli postal en date à Cotonou du 22 octobre 2018, contenant la correspondance n° IM/JA/0762/18 en date à Cotonou du 19 octobre 2018 par laquelle maître Issiaka MOUSTAFA, conseil de Ag Af B, Ae B, Aa X et Ab A, a déclaré se pourvoir en cassation contre les dispositions du même arrêt ;
Que par lettres numéros 2892, 2893, 2896, 2897 et 2898/GCS toutes reçues le 28 mai 2020 d’une part, puis par lettres numéros 2894 et 2895/GCS reçues le 29 mai 2020 d’autre part, maître Issiaka MOUSTAFA, Hippolyte YEDE, Yves A. KOSSOU, Julien BENSIMON, Prosper AHOUNOU, Bidossessi Roméo GODONOU et Renaud V. AGBODJO, ont été respectivement mis en demeure d’avoir à produire leurs moyens de cassation dans un délai d’un (01) mois, conformément aux dispositions des articles 12 et 13 de la loi n°2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;
Que les mémoires ampliatifs et en défense ont été produits ;
Sur le moyen tiré de l’incompétence de la Cour suprême du Bénin pour cause de dessaisissement par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
Attendu qu’il est sollicité de la Cour suprême du Bénin de prendre acte de l’arrêt n°013/2017 rendu le 29 mars 2019 par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ayant ordonné à l’Etat du Bénin de prendre toutes les mesures nécessaires pour annuler l’arrêt n°007/3C. COR rendu le 18 octobre 2018 par la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET), de manière à en effacer les effets et de se déclarer incompétente pour connaître du présent pourvoi ;
Que le Bénin a adhéré depuis le 21 octobre 1986 à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, et au protocole y relatif le 22 août 2014 et a déposé le 08 février 2016 la déclaration prévue à l’article 34 (6) dudit protocole, acceptant la compétence de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples pour recevoir les requêtes directement introduites par les individus et les organisations non gouvernementales ; que ladite Cour ayant ordonné l’anéantissement des effets de l’arrêt n°007/3C. COR du 18 octobre 2018 de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET), cette décision n’est susceptible d’aucun recours et s’impose à l’Etat du Bénin et à ses juges ;
Mais attendu que, ni les dispositions invoquées des articles 30 et 34 du Protocole relatif à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ni aucune disposition dudit Protocole ne font des Cours suprêmes ou juridictions de cassation des Etats, des organes chargés de l’exécution des décisions de la Cour à qui, celles-ci s’imposeraient de plein droit au point d’entamer leur saisine ; qu’en l’occurrence, l’injonction d’annuler l’arrêt n°007/3C.COR rendu le 18 octobre 2018 est faite à l’Etat béninois, non à la Cour suprême ;
Attendu que par ailleurs, la compétence d’attribution d’une juridiction qui est déterminée par la loi, n’est pas variable selon les circonstances ;
Que selon l’article 40 de la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 organisant la Cour suprême, la chambre judiciaire se prononce sur les pourvois en cassation pour incompétence, violation de la loi, contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par toutes les juridictions de l’ordre judiciaire ;
Qu’ayant saisi la Cour suprême de leurs pourvois, et satisfait aux mesures d’instruction qui leur ont été adressées, les demandeurs ne sauraient être admis à soulever l’incompétence de cette même Cour, pour cause de dessaisissement par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, dont ses décisions ne sont pas du reste, justiciables ;
Qu’en conséquence, le moyen tiré de l’incompétence de la Cour suprême du Bénin pour cause de dessaisissement par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) ne saurait être accueilli ;
SUR LE MOYEN TIRE DE LA DECHEANCE
Attendu que les prévenus et leurs conseils sollicitent de la Haute Juridiction de déclarer leurs pourvois recevables en ce que la mise en œuvre de l’obligation de se constituer prisonnier, prévue par l’article 594 du code de procédure pénale, sous peine de déchéance du pourvoi, porterait atteinte à leur droit à un tribunal, à un procès équitable et violerait l’article 7.1 de la charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
a- Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ;
b- le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
c- Le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;
d- Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale » ;
Que la déchéance du pourvoi qui pourrait être opposée aux prévenus en application de l’article 594 du code de procédure pénale est une atteinte à la substance même du droit d’accès à la Cour suprême puisque ladite loi qui viole l’article 7.1 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ci-dessus cité, les prive de toute possibilité de faire contrôler en cassation la légalité de leur condamnation, et au cas où l’arrêt d’appel aurait été cassé, de toute chance de faire établir leur innocence par la cour d’appel de renvoi ;
Que l’obligation de se mettre en état ou de se constituer prisonnier avant l’audience de la Cour suprême peut se révéler d’une gravité excessive au regard de la durée de la peine que les prévenus seront appelés à purger et de leur sécurité qui n’est pas garantie ;
Que l’article 594 du code de procédure pénale ne saurait donc s’appliquer en l’espèce, au nom de la protection des droits de l’homme ;
Mais attendu que la Cour suprême du Bénin n’est pas compétente pour connaître de la Constitutionnalité des lois de la République ou de leur conformité aux instruments juridiques internationaux ratifiés par le Bénin comme la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples qui fait partie intégrante de ladite constitution et du droit béninois ;
Que la loi n°2012-15 du 18 mars 2013 portant code de procédure pénale comme celle n°2018-14 du 02 juillet 2018 l’ayant modifiée et complétée ont été déclarées par décision DCC 13-030 du 14 mars 2013 et DCC 18-131 du 21 juin 2018 de la Cour constitutionnelle conformes à la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n°2019-40 du 07 novembre 2019, qui dispose en son article 7 que les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en font partie intégrante ;
Qu’il en résulte que l’article 594 du code de procédure pénale reconnu conforme à la Constitution ne saurait violer, ni l’article 7.1 de la Charte, partie intégrante de la même loi fondamentale, ni les droits proclamés et garantis par cette Charte ;
Que c’est donc sans heurter quelque droit garanti par la Charte africaine des Droits de l’Homme et à bon droit que la Cour fera application de l’article 594 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’aux termes dudit article : « sont déclarés déchus de leur pourvoi ;
Les condamnés à une peine emportant privation de liberté qui ne sont pas détenus ou qui n’ont pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation, dispense avec ou sans caution d’exécuter la peine ; il suffit au demandeur, pour que son recours soit reçu, de se présenter au parquet pour subir sa détention » ;
Qu’il ressort de cet article prévu au titre premier intitulé « Du pourvoi en cassation » du livre II intitulé « Des voies de recours Extraordinaires » de la loi n°2018-14 du 02 juillet 2018 modifiant et complétant la loi n°2012-15 du 18 mars 2012 portant code de procédure pénale en République du Bénin, que la condition préalable pour la recevabilité du pourvoi d’une personne condamnée au Bénin à une peine privative de liberté, qui n’est pas détenue ou qui n’a pas obtenu une dispense d’exécuter sa peine, est qu’elle se présente au parquet pour subir sa détention ;
Que même une mise en liberté antérieure à l’arrêt de condamnation n’affranchit pas les demandeurs, au point de vue de la recevabilité du pourvoi, de l’obligation de se constituer prisonnier ;
Que dans le cas d’espèce, par arrêt n°007/3 C. COR du 18 octobre 2018, Ae B, Aa X, Ab A et Ag Af B ont été retenus dans les liens de la prévention de trafic international de drogue à haut risque et condamnés chacun à vingt (20) ans d’emprisonnement ferme, à cinq millions d’amende ferme et aux frais par la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) qui a décerné mandat d’arrêt à leur encontre ;
Que les intéressés, demandeurs au pourvoi n’administrent pas la preuve de leur présentation au parquet pour subir leur détention ;
Qu’il y a lieu, en application des dispositions de l’article 594 du code de procédure pénale de dire et juger qu’ils sont déchus de leurs pourvois ;
PAR CES MOTIFS
Se déclare compétente ;
Déclare les nommés Ae B, Aa X, Ab A, Ag Af B et leurs conseils Yves KOSSOU, Hippolyte YEDE, Issiaka MOUSTAFA, Prosper AHOUNOU, Roméo GODONOU, Renaud V. AGBODJO, Ayodélé AHOUNOU et Julien BENSIMON déchus de leurs pourvois ;
Met les frais à la charge du Trésor public ;
Ordonne la notification du présent arrêt au procureur général près la Cour suprême, au procureur spécial près la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) ainsi qu’aux parties ;
Ordonne la transmission en retour du dossier au procureur spécial près la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) ;
Ainsi fait et délibéré par la Cour suprême composée de :
Sourou Innocent AVOGNON, président de la chambre judiciaire, PRESIDENT;
Michèle O. A. CARRENA ADOSSOU et Césaire KPENONHOUN, CONSEILLERS ;
Et prononcé à l’audience publique du vendredi vingt sept novembre deux mille vingt, la Cour étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de :
Ac Ad C, PROCUREUR GENERAL;
Osséni SEIDOU BAGUIRI, GREFFIER;
Et ont signé
Le président rapporteur, Le greffier
Sourou Innocent AVOGNON Osséni SEIDOU BAGUIRI