ARRET
no. 369
Sofia, 08 août 2019
AU NOM DU PEUPLE
La Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, Chambre commerciale, Deuxième section, en son audience publique de ce vingt-huit novembre deux mille dix-huit, composée de :
PRESIDENT : TATIANA VARBANOVA
MEMBRES : BOYAN BALEVSKI
PETIA HOROZOVA
En présence de la greffière Alexandra Kovatcheva, après avoir entendu l’affaire commerciale no. 647/2018, rapportée par la juge Petia Horozova, et avant de statuer, a considéré ce qui suit :
La procédure a été ouverte sur le fondement de l’art. 290 du CPC.
Le pourvoi en cassation a été formé par EIBANK EAD, Aa, remplacée au cours de la procédure par son ayant droit au sens de l’art. 262, alinéa 1 de la Loi sur le commerce, UNITED BULGARIAN BANK AD, Sofia, contre l’arrêt no. 2508/01.12.2017, rendu par la Cour d’appel de Sofia, Chambre commerciale, 5e formation de jugement, dans l’affaire commerciale no. 2016/2017, par lequel arrêt était confirmé le jugement no. 2104/02.12.2016, rendu sur l’affaire commerciale no. 2168/2015 par le Tribunal de grande instance de Sofia, Chambre commerciale, 20e formation de jugement, prononçant la dissolution d’EXTRACTA AD, Aa, identifiant national (EIK) 831201810, à la demande du procureur, sur le fondement de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce.
Le demandeur en cassation (un tiers, personne intervenante en faveur du défendeur) invoque des moyens d’irrégularité de l’arrêt attaqué, tirés de la violation de la loi matérielle et procédurale, et sollicite qu’il soit annulé et qu’un nouvel arrêt soit prononcé afin de rejeter le recours introduit. Il soutient également que le Parquet n’a pas intérêt à agir pour demander la dissolution de cette société. Il estime que les juridictions ont appliqué la loi de manière strictement formelle, sans tenir compte de la finalité et du sens de la disposition de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce, et qu’elles ont apprécié de manière erronée le fait que le défendeur est doté d’un organe (gérant de l’entreprise commerciale d’après la Loi sur les gages spéciaux), qui peut engager valablement la société dans son activité quotidienne. Lors de l’audience publique, il soutient le pourvoi et demande qu’il soit accueilli.
Dans les délais au titre de l’art. 287, alinéa 1 du CPC, le représentant ad hoc désigné d’EXTRACTA AD exprime l’avis que le pourvoi en cassation est fondé ; le Parquet de la République de Bulgarie n’a pas présenté de réponse. Lors de l’audience publique, le représentant du Parquet suprême de cassation sollicite que l’arrêt d’appel attaqué soit maintenu en force et soutient que le gérant nommé au titre de la Loi sur les gages spéciaux ne dispose pas des compétences du Conseil d’administration et qu’il n’est pas en mesure de remplir pleinement les fonctions dévolues aux organes d’administration d’une société.
Le pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel est déclaré recevable dans l’hypothèse de l’art. 280, alinéa 1, point 3 du CPC, sur la question de droit matériel suivante : Dans les cas où, en résultat de droits exercés au titre de l’art. 46 de la Loi sur les gages spéciaux, le gérant d’une entreprise commerciale est inscrit dans le Registre du commerce et, par la suite, les administrateurs sont rayés du Registre du commerce, existe-t-il des préalables légaux de dissolution d’une société par actions au titre de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce ?
Compte tenu de ses compétences au titre de l’art. 290 du CPC, la présenté formation de jugement de la Cour suprême de cassation, Chambre commerciale, Deuxième section, a considéré ce qui suit :
Afin de se prononcer sur le jugement attaqué, les juges de la juridiction d’appel ont partagé et fait référence aux motifs de la première juridiction en ce qui concerne le bien-fondé du recours introduit au titre de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce. Dans ces motifs, la règle de droit a été appréciée comme impérative et il a été indiqué que, même si on admettait qu’une appréciation du juge eût été possible, dans le cas en question toutes les inscriptions étaient radiées, concernant tous les membres du Conseil d’administration, et la société n’avait plus de conseil d’administration ; le gérant de l’entreprise, nommé au titre de la Loi sur les gages spéciaux, ne dispose pas de pleins pouvoirs administratifs et représentatifs, ses pouvoirs sont réduits à la simple activité commerciale, en raison de quoi la société ne peut pas participer sur un pied d’égalité aux échanges commerciaux. Plus loin, la juridiction d’appel a exposé ses propres motifs comme suit : afin d’appliquer la disposition de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce, il faut que les conditions suivantes soient réalisées cumulativement – durant 6 mois, le nombre des administrateurs doit être inférieur au nombre minimal requis par la loi. S’agissant des inscriptions au Registre du commerce, les préalables indiqués existent et le litige des parties porte sur le caractère de la disposition : a-t-elle un caractère dispositif ou impératif, et sur la signification de la circonstance de l’inscription d’un gérant de la société défenderesse au titre de l’art. 46 de la Loi sur les gages spéciaux. Selon le juge, un élément décisif pour le litige est la radiation de l’ensemble des inscriptions concernant tous les membres du Conseil d’administration. L’inscription du gérant au titre de Loi sur les gages spéciaux ne constitue pas un obstacle procédural d’introduction de l’action au titre de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce et ne peut pas justifier le caractère infondé de celle-ci. En l’espèce, tous les administrateurs ont été rayés suite à l’inscription du gérant au titre de la Loi sur les gages spéciaux, sans que leurs compétences aient été annulées au titre de l’art. 46, alinéa 6 de la Loi sur les gages spéciaux, ces dernières pouvant être éventuellement rétablies au titre de l’art. 51 de la Loi sur les gages spéciaux. Autrement dit, en l’espèce, les compétences des organes du constituant du gage n’ont pas été annulées au titre de la Loi sur les gages spéciaux et, en outre, cette circonstance ne fait pas partie de l’action engagée. Le juge a apprécié comme non pertinents pour le litige les arguments concernant la protection des créanciers de la société défenderesse du point de vue des conséquences juridiques du jugement.
L’avis de la Cour suprême de cassation, Deuxième chambre commerciale, sur le point de droit soumis à son examen, se fonde sur ce qui suit :
La disposition de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce est impérative et inconditionnelle. Elle a été établie en vue de protéger l’intérêt général qui ne tolère pas l’existence de sociétés non actives, en l’espèce une société par actions, dont le conseil (conseil d’administration, directoire ou conseil de surveillance) ne satisfait pas à l’exigence de la loi d’un nombre minimal de membres durant 6 mois et qui par conséquent n’est pas en mesure de remplir ses fonctions liées à la représentation de la société et/ou d’organiser et diriger son activité. L’action protectrice de cette disposition est dirigée vers les tiers, vers la société par actions et vers ses propres actionnaires. Elle a en outre pour objectif d’encourager, sous peine de dissolution de la société, le respect d’exigences substantielles de la loi quant à la composition minimum des conseils. Compte tenu de ce qui précède et en vertu de l’art. 26, alinéa 3 du CPC, le procureur a l'intérêt légitime d’introduire l’action constitutive tendant à la dissolution de la société, au titre de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce, et en l’occurrence, cela ne peut pas être soumis à une appréciation de l’existence d’un intérêt à agir en tant que préalable procédural absolu de la recevabilité de l’action. Etant donné que la Loi sur les gages spéciaux, chapitre ІХ « Exécution sur une entreprise commerciale », régit la figure du gérant de l’entreprise commerciale, avec ses compétences déterminées en matière de représentation et de gestion, sur la base desquelles la société peut participer aux échanges commerciaux, la question qui se pose est de savoir si l’existence d’un gérant, inscrit au Registre du commerce aux termes de la Loi sur les gages spéciaux, constitue un obstacle d’accueillir l’action engagée au titre de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce.
Conformément à l’art. 46 de Loi sur les gages spéciaux (dans sa version antérieure aux amendements, publ. JO, no.105/2016), si le créancier gagé choisit d’obtenir satisfaction au travers de l’entreprise commerciale en tant qu’un ensemble, il peut nommer un gérant de cette entreprise. Avec l’inscription du gérant au Registre du commerce, le commerçant ne peut pas exercer ses droits sur l’entreprise commerciale. Conformément à l’art. 48 de la Loi sur les gages spéciaux, le gérant de l’entreprise exécute l’ensemble des actions relevant de l’activité ordinaire de l’entreprise commerciale, sans avoir le droit de vendre des biens ou de grever l’entreprise de charges en général ou en ce qui concerne ses biens immobiliers, de contracter des obligations découlant de lettres de change, de souscrire des emprunts, d’ester en justice. Le commerçant, quant à lui, ne peut exercer que des actions ne relevant pas du champ de compétences du gérant, et cela avec l’accord du créancier gagé, ou introduire de manière autonome des actions en justice, en engageant sa propre responsabilité. Le gérant de l’entreprise commerciale est tenu de gérer cette dernière et de représenter le commerçant, en prenant soin de ses intérêts : art. 49 de la Loi sur les gages spéciaux.
Les amendements à la Loi sur les gages spéciaux (publ. JO, no.105/2016) ont sensiblement élargi les compétences du gérant de l’entreprise commerciale. Son inscription au Registre du commerce met fin aux compétences des organes du constituant du gage personne morale, ce dernier se privant du droit d’administrer et de disposer des biens gagés, car le constituant du gage est représenté et son activité est dirigée par le gérant : art. 46, alinéa 6 de la Loi sur les gages spéciaux. Le gérant nommé de l’entreprise dirige et représente le constituant du gage et exécute l’ensemble des actions des personnes dont les compétences ont été annulées, a l’exception de la compétence de grever de charges les biens immobiliers constituant le patrimoine de l’entreprise, de souscrire des emprunts et de contracter des obligations découlant de lettres de change. Il peut réaliser des actes de disposition concernant l’entreprise commerciale ou des unités de celles-ci, y compris ses actifs distincts, non liés à l’objet social de l’entreprise, avec l’accord du créancier gagé, il dispose du droit de participer aux procédures concernant l’activité de l’entreprise, sauf si les recours portent sur la créance gagée ou la constitution du gage : art. 48 de la Loi sur les gages spéciaux.
L’analyse de ces dispositions indique que le gérant de l’entreprise, selon la première version de la Loi, est une personne jouissant de compétences similaires à celles du fondé de pouvoir ; il exerce ses compétences dans l’intérêt du créancier gagé et en vue de sa satisfaction. Il n’est pas habilité à intenter des actions en justice en engageant sa propre responsabilité, à vendre l’entreprise, à la grever de charges ou financièrement, ni d’exécuter des actes relevant de la gestion des affaires courantes et de la représentation de la société elle-même, ces compétences étant exercées par les organes concernés de la société constituante du gage. Les amendements à la Loi sur les gages spéciaux ont en partie rapproché la figure du gérant d’une entreprise commerciale à celle du syndic d’une société en faillite, étant donné que l’inscription au Registre du commerce du gérant de l’entreprise, aux termes de la Loi sur les gages spéciaux, met fin aux compétences des organes du constituant du gage, mais son activité est de nouveau soumise aux intérêts du créancier gagé qui a procédé à l’exécution.
A l’instar de l’existence du simple mandataire commercial, au sens de l’art. 21 de la Loi sur le commerce, l’existence du gérant de l’entreprise commerciale, au sens de l’art. 46 de la Loi sur les gages spéciaux, y compris dans sa version actuelle, ne constitue pas de circonstance ayant trait au bien-fondé de l’action au titre de l’art. 252, alinéa 1, point 6 du CPC. La protection du créancier gagé n’est pas en mesure de justifier une dérogation aux motifs de dissolution d’une société par actions, son action de protection se manifestant par rapport à un cercle illimité d’entités. D’autre part, la dissolution d’une société par actions constituante du gage, suivant les modalités prescrites, ne devrait pas constituer un obstacle objectif insurmontable pour la satisfaction du créancier gagé qui a procédé à une exécution sur l’entreprise commerciale dans son ensemble, y compris sur les recettes de l’activité de l’entreprise. D’abord, eu égard à la finalité de la Loi sur les gages spéciaux, notamment assurer des modalités de satisfaction à l’amiable, qui soient rapides, faciles, souples et efficaces, la procédure d’exécution aux termes de cette loi doit être réalisée dans des délais courts au maximum. Le délai de six mois, indiqué dans l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce, ainsi que le temps de la procédure en justice, constituent une garantie suffisante que le créancier gagé obtiendra satisfaction en temps utile. Ensuite, au cours de la procédure sur le fond, mais aussi à son issue, les actionnaires ont la possibilité de prévenir la dissolution et la liquidation de la société s’ils sont intéressés par l’entreprise en continuité d'exploitation. Dans le premier cas, si la composition des conseils est complétée durant la procédure, le recours doit être rejeté. Dans le deuxième cas, simultanément avec la recomposition des organes de la société, celle-ci peut prendre la décision de poursuivre son exploitation : art. 274, phrase 2 de la Loi sur le commerce. Si elle ne le fait pas, le créancier sera satisfait sur la vente de l’entreprise, de ses unités ou de ses actifs.
Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de résumer qu’il n’existe pas d’obstacle pour accueillir le pourvoi formé au titre de l’art. 252, alinéa 1, point 6 de la Loi sur le commerce, lorsqu’en résultat des droits exercés au titre de l’art. 46 de la Loi sur les gages spéciaux, le gérant de l’entreprise commerciale est inscrit au Registre du commerce et que, par la suite, le nombre des membres de ses conseils est tombé en-dessous du minimum requis par la loi.
L’arrêt attaqué correspond à la réponse ainsi fournie au point de droit substantiel pour le présent litige, voilà pourquoi il doit être maintenu en force comme légitime et bien-fondé.
Sur ces motifs, la Cour suprême de cassation, Chambre commerciale, Deuxième section,
DECIDE :
MAINTIENT EN FORCE le jugement no. 2508/01.12.2017, rendu dans l’affaire commerciale no. 2016/2017 par la Cour d’appel de Sofia, Chambre commerciale, 5e formation de jugement.
L’arrêt est définitif.
PRESIDENT: MEMBRES :