ARRET no. 76
Sofia, 22 juillet 2020
La COUR SUPREME DE CASSATION de la République de Bulgarie, Chambre commerciale, Première section, à l’audience publique du onze juin deux mille vingt, composée de :
PRESIDENTE : DARIA PRODANOVA
MEMBRES : RADOSTINA KARAКОLEVA, ANJELINA HRISTOVA
en présence de la greffière Petia Petrova, après avoir entendu l’affaire commerciale no. 1011 d’après le rôle de 2019, rapportée par la juge Hristova, et avant de statuer, a considéré ce qui suit :
La procédure est ouverte au titre l’art. 290 du Code de procédure civile (CPC).
Le pourvoi en cassation a été formé par N.P.B. contre l’arrêt no. 287 du 21 décembre 2018, rendu dans l’affaire commerciale en appel no. 221/2018 par la Cour d’appel de Veliko Tarnovo, confirmant le jugement no. 73 du 08 mai 2018, rendu dans l’affaire commerciale no. 163/2017 par le Tribunal de grande instance de Pleven, dans la partie reconnaissant comme établi, sur le fondement de l’art. 422, alinéa 1 du CPC, par rapport à N.B., que cette dernière doit à First Investment Bank AD, au titre du contrat de prêt bancaire no. 25KP-AA-6116/22.04.2008, des intérêts de retard d’un montant de 1 201,49 euros pour la période du 19 mai 2014 au 19 mai 2017.
Il est allégué dans le pourvoi en cassation que l’arrêt attaqué est erroné du fait de violations des formes substantielles et du droit matériel et que par conséquent il doit être annulé, le juge devant statuer à nouveau afin de rejeter entièrement l’action exercée. La demanderesse en cassation allègue que la juridiction d’appel a commis un vice de procédure, car elle ne s’est pas prononcée sur l’ensemble des moyens et exceptions soulevés par les parties et n’a pas examiné tous les éléments de preuve. Elle conteste comme injustifiée l’imputation d’intérêts sur les intérêts (anatocisme), en alléguant que le juge n’a pas examiné les oppositions formées à cet égard. Elle soutient que le juge du fond, après avoir constaté que l’art. 11 du contrat de prêt, prévoyant l’obligation de paiement d’intérêts de retard d’un taux majoré de 20% sur le taux contractuel, est une clause abusive, c’est-à-dire nulle, l’a remplacée par des intérêts de retard majorés de 10% sur le taux contractuel, en interprétant et en appliquant incorrectement les dispositions de l’art. 6, §1 de la Directive 93/13 du Conseil du 05 avril 1993 et la jurisprudence de la CJUE concernant les conséquences de l’annulation de certaines clauses dans un contrat à la consommation.
Le défendeur First Investment Bank AD conteste le recours comme infondé avec les arguments exposés dans la réponse écrite au pourvoi en cassation. Il considère que l’arrêt attaqué est conforme à la loi, qu’il est régulier et qu’il a été rendu dans le respect du droit matériel et des règles procédurales. Il réclame que lui soient accordés les frais.
La Cour suprême de cassation, Chambre commerciale, formation de jugement de la Première section, après avoir considéré les éléments en l’espèce et les moyens de cassation avancés, conformément à ses compétences au titre de l’art. 290, alinéa 2 du CPC, a admis ce qui suit :
Afin de confirmer le jugement de la juridiction de première instance dans la partie attaquée, la juridiction d’appel a admis comme établi, avec l’autorité de la chose jugée, sur le fondement de l’art. 422, alinéa 1 du CPC, par rapport à la demanderesse, que celle-ci doit à la banque défenderesse, sur le contrat en cause de prêt bancaire no. 25KP-AA-6116/22.04.2008, le principal échu non remboursé d’un montant de 21 058,59 euros, avec les intérêts légaux dus sur cette somme, à compter de 19 mai 2017 jusqu’au remboursement total de la dette ; les intérêts contractuels échus d’un montant de 4 362,35 euros, imputés pour la période du 19 mai 2014 au 19 mai 2017 ; les frais de gestion du prêt d’un montant de 3 268,63 euros et les frais de mise en demeure d’un montant de 144 leva (cette partie du jugement du Tribunal de grande instance de Pleven est devenue définitive faute d’un recours) ; et, concernant les intérêts de retard accordés, d’un montant de 1 201,49 euros pour la période du 19 mai 2014 au 19 mai 2017, le juge a admis, sur la base des conclusions de l’expertise comptable judiciaire et de la nullité constatée de l’art. 11 du contrat, que les exceptions des défendeurs ont été entièrement accueillies. Le juge du fond a considéré que l’obligation des emprunteurs, prévue à l’art. 11 du contrat, de payer des intérêts de retard d’un taux égal au taux contractuel majoré d’un taux de retard de vingt points en cas d’impayés sur le prêt, ne répond pas à l’exigence de bonne foi et crée un déséquilibre important entre les droits et les obligations des parties, car la majoration déterminée de 20 points sur le taux contractuel est injustement élevée. En admettant que la clause de l’art. 11 est abusive et, par conséquent, nulle sur le fondement de l’art. 146, alinéa 1 de la Loi sur la protection des consommateurs, le juge a avancé des arguments selon lesquels il y a lieu de remplacer la clause nulle de l’art. 11 du contrat de prêt par les règles impératives de la loi : les intérêts de retard, représentant une indemnité au titre du contrat en cas de remboursement retardé des montants dus, doivent être majorés non pas de 20 points, mais de 10 points, qui est le taux applicable à l’égard du calcul des intérêts légaux en cas de remboursements retardés en euros, conformément à l’art. 86, alinéa 1 de la Loi sur les obligations et les contrats, en lien avec le décret no. 100 du Conseil des ministres (JO no. 42 du 5 juin 2012, point 2). La juridiction d’appel a considéré que les intérêts de retard dus pour la période du 19 mai 2014 au 19 mai 2017 sont d’un montant de 1 201,49 euros si la forme de calcul ci-dessus est appliquée, et, conformément aux conclusions de l’expert, elle a relevé qu’un tel remplacement est acceptable conformément à la disposition de l’art. 26, alinéa 4 de la Loi sur les obligations et les contrats et qu’il n’est pas en contradiction avec l’art. 6, paragraphe 1 de la Directive 93/13/CEE du Conseil du 05 avril 1993 et avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
Par ordonnance no. 54/23.01.2020, l’arrêt d’appel a été admis en cassation sur le fondement de l’art. 280, alinéa 1, point 2 du CPC, sur la question de savoir si une clause nulle d’un contrat à la consommation peut être remplacée par une disposition impérative du droit national.
Afin de répondre à la question de droit posée, la présente formation de jugement de la CSC a considéré ce qui suit :
Le §13а des Dispositions complémentaires de la Loi sur la protection des consommateurs transpose les dispositions des directives citées, y compris la Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, la Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive précédente, la Directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs. Les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), interprétant des dispositions du droit de l'Union européenne ou la validité d’actes émanant des autorités de l’Union européenne, ont une force obligatoire pour l’ensemble des juridictions bulgares.
Dans son arrêt С-618/10 du 14 juin 2012, dans l’affaire Banco Espanol de Credito contre Joaquin Calderon Camino, rendu à la suite d’une demande de décision préjudicielle concernant l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1 de la Directive 93/13/CEE du Conseil du 05 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et l’article 2 de la Directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs, la chambre de la CJUE a statué que cette disposition s’oppose à une réglementation d’un Etat membre qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter le contenu de cette clause.
Dans les motifs de l’arrêt С-421/14 du 26 janvier 2017, dans l’affaire Banco Primus SA contre Jesus Gutierrez Garcia (point 71), la chambre de la CJUE a admis qu’il ressort du libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la Directive 93/13/CEE du Conseil du 05 avril 1993 que le juge national est tenu uniquement d’écarter l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sans qu’il soit habilité à réviser le contenu de celle-ci. Le contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible.
Sur le bien-fondé du pourvoi en cassation :
La présente formation de jugement considère comme fondé le grief soulevé par le demandeur en cassation, tiré du caractère erroné de l’arrêt, dans sa partie attaquée (concernant les intérêts de retard accordés d’un montant de 1 201,49 euros, pour la période du 19 mai 2014 au 19 mai 2017), en raison de la violation du droit matériel : motif d’annulation au titre de l’art. 281, point 3, hypothèse 1 du CPC.
Est fondée et légitime la conclusion du juge du fond selon laquelle la disposition de l’art. 11 du contrat de prêt bancaire conclu entre First Investment Bank AD et N.P.B. le 22 avril 2008, prévoyant l’obligation pour les emprunteurs de payer des intérêts de retard d’un taux égal au taux contractuel majoré d’un taux de retard de vingt points en cas d’impayés sur le prêt, ne répond pas à l’exigence de bonne foi et crée un déséquilibre important entre les droits et les obligations des parties, car la majoration déterminée de 20 points en-dessus du taux contractuel est injustement élevée, voilà pourquoi la clause de l’art. 11 est abusive et, par conséquent, nulle conformément à l’art. 146, alinéa 1 de la Loi sur la protection des consommateurs.
En ce qui concerne la réponse à la question de droit posée, la présente formation de jugement considère que l’appréciation du fond tirée par la juridiction d’appel – selon laquelle il y a lieu de remplacer la clause nulle de l’art. 11 du contrat de prêt par les règles impératives de la loi : des intérêts de retard représentant une sanction au titre du contrat, en raison du remboursement retardé, majorés non pas de 20 points, mais de 10 points, qui est le taux applicable à l’égard du calcul des intérêts légaux en cas de remboursements retardés en euros, conformément à l’art. 86, alinéa 1 de la Loi sur les obligations et les contrats – est en contradiction avec la jurisprudence obligatoire de la CJUE et qu’elle est erronée. La clause abusive de l’art. 11 du contrat est nulle, c’est-à-dire elle n’a pas de force obligatoire pour la défenderesse, qui a la qualité de consommateur, voilà pourquoi cette clause n’est pas applicable dans les relations entre les parties.
Eu égard à ce qui précède, la présente formation de jugement de la CSC considère que la prétention de la banque-demanderesse quant à la constatation d’une créance sur des intérêts de retard, imputés au titre de l’art. 11 du pour la période en cause, est entièrement infondée. En admettant l’inverse et en confirmant le jugement de la juridiction de première instance, qui a accueilli l’action exercée sur le fondement de l’art. 422 en lien avec l’art. 415 du CPC, en paiement de la somme de 1 201,49 euros à titre d’intérêts de retard pour la période du 19 mai 2014 au 19 mai 2017, la juridiction d’appel a rendu un arrêt erroné qui doit être annulé.
Sur les frais :
Compte tenu de l’issue du litige, il y a lieu de réduire à 1 158,26 leva les frais accordés au demandeur pour la procédure en injonction et à 1 751.05 leva pour la procédure contentieuse devant la juridiction de première instance.
Il y a lieu d’accorder à la défenderesse les frais pour la procédure en appel, d’un montant de 48,73 leva à titre de taxe d’Etat, et les frais de 78,41 leva pour la procédure en cassation.
Sur ces motifs, la Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, Chambre commerciale, formation de jugement de la Première section,
A RENDU L’ARRET SUIVANT :
ANNULE l’arrêt no. 287 du 21 décembre 2018, rendu dans l’affaire commerciale en appel no. 221/2018 par la Cour d’appel de Veliko Tarnovo, confirmant le jugement no. 73 du 08 mai 2018, rendu dans l’affaire commerciale no. 163/2017 par le Tribunal de grande instance de Pleven, dans la partie reconnaissant comme établi, sur le fondement de l’art. 422, alinéa 1 du CPC, par rapport à N.B., que cette dernière doit à First Investment Bank AD au titre du contrat de prêt bancaire no. 25KP-AA-6116/22.04.2008 des intérêts de retard d’un montant de 1 201,49 euros pour la période du 19 mai 2014 au 19 mai 2017, ainsi que dans la partie condamnant N.P.B., EGN [EGN] à payer à First Investment Bank AD, EIK[EIK] le surplus de 1 158,26 leva à titre de frais pour la procédure en injonction et le surplus de 1 751,05 leva à titre de frais pour la procédure contentieuse, et en lieu et place de cela STATUE :
REJETTE l’action exercée par First Investment Bank AD, EIK [EIK] contre N.P.B., EGN [EGN], sur le fondement de l’art. 422, alinéa 1 en lien avec l’art. 415, alinéa 1 du CPC, ayant pour objet de reconnaître comme établi que N.P.B., EGN [EGN] doit à First Investment Bank AD des intérêts de retard d’un montant de 1 201,49 euros, au titre de l’art. 11 du contrat de prêt bancaire no. 25KP-AA-6116/22 avril 2008, pour la période du 19 mai 2014 au 19 mai 2017.
CONDAMNE First Investment Bank AD, EIK [EIK], sur le fondement de l’art. 78, alinéa 3 du CPC, à payer à N.P.B., EGN [EGN], le montant de 48,73 leva à titre de frais pour la procédure en appel et le montant de 78,41 leva à titre de frais pour la procédure en cassation.
L’arrêt n’est pas susceptible de recours.