ARRET no. 100
Sofia, 06 octobre 2020
AU NOM DU PEUPLE
La COUR SUPREME DE CASSATION, Chambre commerciale, formation de jugement de la 1e section commerciale, à l’audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt, composée de :
Président : Emil Markov
Membres : Irina Petrova
Dessislava Dobreva
en présence de la greffière Ina Andonova, après avoir entendu l’affaire commerciale no. 2133 d’après le rôle de 2019, rapportée par la juge Petrova, et avant de statuer, a considéré ce qui suit :
La procédure est ouverte au titre de l’art. 290 du Code de procédure civile (CPC).
Le pourvoi en cassation a été formé par le demandeur Dedax EOOD, [ville] contre l’arrêt no. 3060 du 25 avril 2019, affaire civile en appel no. 10653/2017 du Tribunal de grande instance de Sofia, Chambre civile, formation de jugement en appel 2-A, par lequel arrêt a été annulé le jugement rendu dans l’affaire civile no. 72797/2015 par le Tribunal d’instance de Sofia, 53e formation de jugement, et ont été rejetées les actions exercées contre Petrol AD : action en constatation, au titre de l’art. 422, alinéa 1 du CPC, d’une créance en espèces en faveur du bénéficiaire Dedax EOOD, d’un montant de 22 374 leva, due sur le fondement de l’art. 538, alinéa 1 de la Loi sur le commerce, sur un billet à ordre émis le 14 avril 2010 par Petrol AD, représentée par le directeur général Ts.I.D., arrivant à échéance le 31 décembre 2011, avec les intérêts légaux dus à compter du 29 septembre 2014, date de dépôt de la requête sur la base de laquelle une ordonnance portant injonction de payer a été délivrée (affaire civile privée no. 52517/2014 du Tribunal d’instance de Sofia, 53e formation de jugement) ; action en paiement, fondée sur l’art. 86, alinéa 1 de la Loi sur les obligations et les contrats, exercée pour le montant de 4 195,96 leva, indemnité pour le paiement retardé du principal sur le billet à ordre pour la période du 25 novembre 2012 au 28 septembre 2014.
Il est allégué dans le pourvoi en cassation, sur la base des arguments de l’art. 281, point 3 du CPC, que l’arrêt rendu est erroné. Il est demandé qu’il soit annulé et que soient accueillies l’action en constatation et l’action en paiement, avec les conséquences juridiques que cela implique. On conteste le bien-fondé de l’appréciation du Tribunal de grande instance de Sofia, selon laquelle la charge de la preuve, concernant l’établissement de la date de la création réelle du billet à ordre, incombe au bénéficiaire en cas d’opposition formée par le souscripteur, tirée de l’antidate du titre et de l’allégation soutenue par ce dernier, selon laquelle le billet à ordre n’a pas été émis à la date indiquée sur lui (14 avril 2010), mais plus tard, à un moment où le signataire Ts.D. ne disposait plus de pouvoir de représentation par rapport à la société souscriptrice. Le demandeur en cassation considère que la répartition erronée de la charge de la preuve a déterminé l’appréciation erronée selon laquelle la créance cambiaire n’a pas de force contraignante pour la société par actions. Il est soutenu que la formation de jugement du Tribunal de grande instance de Sofia a commis une violation des formes substantielles : malgré la charge de la preuve répartie par la juridiction de première instance à la partie défenderesse, souscriptrice du billet, concernant l’établissement de l’antidate alléguée, le TGI l’a répartie, avec l’arrêt d’appel, à la charge du demandeur (l’intimé), changeant ainsi sa répartition en l’absence de griefs, dans le recours en appel (déposé par le défendeur), tirés du rapport et des instructions données sur la charge de la preuve. Il est relevé que la formation de jugement en appel, après avoir admis que : 1) le billet à ordre contient toutes les mentions obligatoires, prévues par la disposition de l’art. 535 de la Loi sur le commerce, constituant une condition de validité de la déclaration de volonté cambiaire, dont la date de création, et 2/ qu’en l’espèce, sans qu’il soit contesté que Ts.D. est le signataire du document et qu’au 14 avril 2010, il a détenu le pouvoir de représentation, la formation en appel, en contradiction avec ces appréciations et de manière absolument erronée, a conclu que le bénéficiaire n’a pas apporté la preuve pleine et entière de la date de création du document, en considérant que cela oblige le juge d’admettre que le document a été créé à un moment, lorsque Ts.D. avait perdu ses pouvoirs de représentation par rapport à Petrol AD.
Dans sa réponse écrite, Petrol AD conteste l’existence des conditions préalables d’admission du pourvoi en cassation et le bien-fondé de celui-ci.
Par ordonnance no. 289 du 30 avril 2020, le pourvoi a été admis sur la question de procédure : Est-il possible, par une décision de la juridiction d’appel, d’imputer à l’autre partie la charge de prouver un fait juridiquement pertinent qui, selon les instructions de la juridiction de première instance, a dû être établi par la partie adverse, sans tout d’abord informer les parties de sa position quant à la manière de répartir la charge de la preuve du fait devant être prouvé, sans leur donner la possibilité d’exprimer leur avis et sans donner des instructions de présenter des preuves au regard de la condition juridique supplémentaire au titre de l’art. 280, alinéa 1, point 1 du CPC aux fins d’apprécier la conformité de l’arrêt d’appel aux instructions données au point 1 et au point 2 de l’arrêt interprétatif no.1 du 09 décembre 2013 sur l’affaire interprétative no. 1/2013 de l’Assemblée générale des chambres civile et commerciale de la CSC, et à la solution admise dans la décision au titre de l’art. 290 du CPC, affaire civile no. 7040/2014 de la 3e section civile de la CSC ?
Le pourvoi en cassation a été admis également sur la question de procédure : Comment est répartie la charge de la preuve quant à l’établissement de la date de création du billet à ordre dans les conditions d’une opposition formée par le souscripteur, tirée de l’antidate du titre, comme étant créé à un moment postérieur par un ancien représentant de son organe de direction, après la fin de ses fonctions représentatives, dans les conditions d’une action exercée au titre de l’art. 422 du CPC, fondée sur une ordonnance portant injonction de payer délivrée sur le fondement de l’effet de commerce ? Le pourvoi sur cette question a été admis dans l’hypothèse de l’art. 280, alinéa 1, point 3 du CPC.
Lors de l’audience publique, les représentants des parties soutiennent leurs positions.
La Cour suprême de cassation, Chambre commerciale, Première section commerciale, après avoir considéré les éléments en l’espèce et les moyens de cassation avancés, conformément à ses compétences au titre de l’art. 290, alinéa 2 du CPC, a admis ce qui suit :
Dans son pourvoi, le demandeur Dedax EOOD se fonde sur un billet à ordre, émis le 14 avril 2010 en sa faveur, sans frais, avec comme souscripteur Petrol AD, représentée par le directeur général Ts.I.D., d’un montant de 22 374 leva, arrivant à échéance le 31 décembre 2011. Il a exercé une action au titre de l’art. 422 du CPC en constatation de sa créance fondée sur une ordonnance portant injonction de payer, et une action en indemnité pour retard du paiement du principal pour la période du 25 novembre 2012 (réclamé à un moment postérieur à la date d’échéance) à la date du dépôt de la requête en injonction.
Dans sa réponse au recours, le défendeur, tout en formant d’autres oppositions, déclare que le billet n’a pas été créé à la date y inscrite, 14 avril 2010 ; il conteste la date indiquée comme date de sa création, allègue que le billet a été créé beaucoup plus tard, à un moment où Ts.D. ne disposait plus de pouvoir de représentation par rapport à Petrol AD et que cela a conduit à l’absence d’une volonté valablement formée d’assumer la créance cambiaire.
Compte tenu de la réponse déposée et des exceptions soulevées, le demandeur, dans une demande complémentaire, soutient que le billet à ordre a été créé à la date y indiquée et que celui-ci garantit l’exécution de l’obligation assumée par la société défenderesse au titre de l’art. 3, alinéa 3 en lien avec l’art. 3, alinéa 2 et l’art. 4 de l’avenant du 14 avril 2010 au contrat préalable du 29 septembre 2008, ayant pour objet un local commercial, station-service no. 7306, identifié en détail à l’art. 1 du contrat. Aux fins du contrat préalable, le vendeur Petrol a été représenté par le directeur général S.Y., et lors de la signature de l’avenant, par Ts.D., ce qui est à l’origine de l’opposition formée par le défendeur, selon laquelle l’avenant est également antidaté, rédigé à un moment postérieur lorsque D. n’était plus représentant de la société par actions. En l’espèce, il n’est pas contesté qu’en même temps que le contrat de vente de la station-service no. 7306, les parties ont conclu à la même date trois autres contrats préalables de vente portant sur trois autres stations-service, et qu’en exécution des obligations contractuelles assumées, l’acheteur Dedax EOOD a payé l’acompte dû s’élevant au total à 27 000 leva TTC, mais sur l’un des contrats (concernant la station-service no. 7211) l’acompte a été restitué parce que les parties avaient signé un accord de résiliation du contrat par consentement mutuel.
La juridiction de première instance a admis comme établies les allégations du demandeur selon lesquelles sur trois des contrats préalables (sans celui pour le site 7211) des avenants ont été rédigés le 14 avril 2010, stipulant l’obligation pour le vendeur de souscrire un billet à ordre l’engageant à restituer les arrhes multipliées par trois et de payer un taux d’intérêt sur celles-ci, étant donné que le montant à inscrire dans le billet à ordre, conformément à l’art. 4 de l’avenant au contrat préalable sur la station-service no. 7306, était de 22 374 leva. La juridiction de première instance a constaté dans ses motifs que le rapport en l’espèce impute la charge de la preuve pour établir les oppositions susceptibles d’exclure des droits, formées dans la réponse écrite, à la partie défenderesse, en considérant que s’est à elle de prouver l’allégation du fait selon lequel le billet n’a pas été créé le 14 avril 2010, mais plus tard, et elle a donné des instructions en ce sens. Le tribunal d’instance a admis que l’analyse des éléments de preuve ne permet pas de conclure que le titre a été créé à une date différente de celle y inscrite ; que l’opposition formée par le défendeur, selon laquelle les obligations assumées aux termes de l’avenant au contrat préalable et du billet à ordre n’ont pas de force contraignante pour la société, n’a pas été prouvée. Il a admis comme prouvée la transaction causale, garantie par le billet à ordre du 14 avril 2010, et comme non établie l’exécution de l’obligation assumée par le défendeur aux termes de la transaction causale de restitution des arrhes versées, multipliées par trois, et d’un taux d’intérêt sur l’acompte d’un montant de 22 374 leva. Le juge a accueilli l’action en constatation au titre de l’art. 538 de la Loi sur le commerce, exercée selon les modalités de l’art. 422 du CPC, et l’action en paiement, au titre de l’art. 86, alinéa 1 de la Loi sur les obligations et les contrats, des intérêts dus pour la période précédant le dépôt de la requête au titre de l’art. 417 du CPC.
Dans le recours en appel, l’appelant Petrol AD n’a pas invoqué des moyens tirés de la répartition erronée de la charge de la preuve ou d’autres exceptions en lien avec l’exhaustivité du rapport. Il a fait valoir que les éléments de preuve en l’espèce établissent que le billet n’a pas été créé à la date y indiquée. La juridiction d’appel a constaté que les parties n’ont pas fait des offres de preuve.
L’arrêt attaqué a admis d’une part que :
Le billet à ordre en cause contient toutes les mentions obligatoires, prévues par la disposition de l’art. 535 de la Loi sur le commerce, constituant une condition de validité de la déclaration de volonté cambiaire. Il contient le nom « billet à ordre » aussi bien dans l’intitulé que dans le libellé ; il existe une clause inconditionnelle de paiement en espèces d’une somme déterminée ; la date de création, le lieu de création et le lieu de paiement sont indiqués ; la société du demandeur est inscrite comme créancier et le souscripteur Petrol AD comme débiteur. Sur le billet à ordre est apposée la signature du souscripteur, la déclaration de volonté ayant été faite par le directeur général de la société souscriptrice, Ts.D.
La qualité du signataire du document a été admise comme certaine, y compris en ce qui concerne le pouvoir de représentation de D. par rapport à la société défenderesse au 14 avril 2010. D’autre part cependant, il a été considéré qu’en l’occurrence – étant donné les positions des parties : celle du demandeur qui, en tant que bénéficiaire, réclame le paiement du billet à ordre, une créance qui selon lui est née de la déclaration de volonté de Ts.D., agissant comme représentant de l’organe de direction de Petrol AD et assumant, en cette qualité, une obligation au nom de la personne morale ; et celle du défendeur qui fait valoir que la déclaration de volonté de D. a été faite non à la date indiquée sur le document en cause présenté, mais à un moment où D. n’avait plus de pouvoir de représentation en raison de son départ du poste de directeur et l’inscription au Registre du commerce de cette mention – la charge de la preuve aux fins de l’établissement de la date réelle de création du document incombe au demandeur.
Il a été souligné que, comme Dedax EOOD prétend que l’effet de commerce a été créé à un moment où D. avait le droit de représenter Petrol AD et qu’il fonde ses droits sur cette allégation, c’est à elle d’apporter la preuve pleine et entière du fait allégué. La formation de jugement en appel a admis que les éléments de preuve en l’espèce ne permettent pas de constater de manière certaine la date de création du document et qu’en appliquant les conséquences défavorables des règles de répartition de la charge de la preuve, elle est tenue d’admettre comme établi que le document a été créé après la perte des pouvoirs de représentation de Ts.D. par rapport à Petrol AD. C’est le motif qui a justifié la conclusion selon laquelle la créance cambiaire, assumée au titre du document en cause, n’est pas en mesure de produire un effet contraignant par rapport à une personnalité morale non représentée valablement, indiquée comme souscriptrice dans les conditions d’une exception de nullité soulevée au titre de l’art. 42, alinéa 2 de la Loi sur les obligations et les contrats. Sur ces motifs, les actions exercées ont été rejetées comme infondées.
Sur la première question :
Dans l’arrêt interprétatif no.1 du 09 décembre 2013 de l’Assemblée générale des chambres civile et commerciale, la Cour suprême de cassation a donné des explications selon lesquelles les règles régissant le rapport et les instructions du juge (art. 146 du CPC) reflètent l’application combinée des grands principes de la procédure civile : office du juge, qui engage le juge à aider à l’élucidation de la situation de fait dans l’affaire ; principe de la contradiction dont la caractéristique principale est liée à la nécessité pour les parties intéressées d’indiquer les faits sur lesquels ils fondent leurs prétentions et d’apporter la preuve de ces faits ; assurer l’égalité des parties dans l’exercice de leurs droits procéduraux ; et créer ainsi des conditions à l’établissement de la vérité sur les faits d’importance pour le règlement de l’affaire. En ce sens, le rapport, avec son contenu, est important pour la recherche d’une solution valable du litige au fond, conforme à la réalité objective des faits.
La répartition de la charge de la preuve occupe une partie essentielle et importante du rapport. Bien que la juridiction d’appel n’ait pas à procéder à un nouveau rapport avec les éléments obligatoires prévus par l’art. 146 du CPC, elle doit, afin de respecter les principes procéduraux, énoncés dans l’arrêt interprétatif no. 1 du 09 décembre 2013 de l’Assemblée générale des chambres civile et commerciale de la CSC, informer les parties, si elle trouve que la charge de la preuve a été répartie de manière erronée lors de la procédure devant la juridiction de première instance. Le juge est tenu de donner la possibilité aux parties d’exprimer leurs observations sur la question et de présenter des éléments de preuve. Si la formation de jugement en appel n’informe pas les parties et ne leur donne pas des instructions, ni la possibilité de présenter des éléments de preuve, mais change la répartition de la charge de la preuve dans les motifs de sa décision, déterminant ainsi l’issue du litige, un tel acte de nature procédurale constituerait un vice particulièrement grossier de la décision de justice, une méconnaissance manifeste des règles fondamentales de la procédure civile : égalité des parties et prévisibilité des actes procéduraux que le juge doit accomplir, concernant la protection et l’assistance recherchées et dues. L’application à la décision de justice des conséquences d’une obligation de preuve non exécutée, pour laquelle des instructions n’ont pas été données, bloque la possibilité d’exercice des droits procéduraux et du droit à la défense et prive la partie de son droit à un procès équitable, ce qui constitue la réponse à la première question procédurale posée.
Sur la deuxième question :
Les effets de commerce sont des actes écrits formels et la loi pose des critères stricts quant à leur forme. La loi attribue à ces documents non seulement une importance fondée sur le droit cambiaire subjectif, mais également en tant que preuve essentielle en cas de litige. La date de création est une mention obligatoire que doit contenir l’effet de commerce : art. 535, point 6, hypothèse 1 de la Loi sur le commerce. L’absence de cette mention, constituant une lacune insurmontable en ce qui concerne le contenu du document, est susceptible d’entraîner la nullité du titre : art. 536, alinéa 1 de la Loi sur le commerce. Le billet à ordre revêt le caractère d’un acte privé de disposition, voilà pourquoi la date de sa création en tant qu’acte écrit coïncide avec la date de sa souscription. La nullité de la date de création inscrite, selon la règle impérative de l’art. 536, alinéa 1 de la Loi sur le commerce, équivaut à une absence d’une des mentions obligatoires (art. 536, point 6 de la Loi sur le commerce), ce qui empêche sa prise d’effet. La nullité de la date n’est pas assimilable à une hypothèse de postdate ou d’antidate, si les faits faussant la date ne sont pas postérieurs, mais existent lors de la création de l’acte. Dans une hypothèse où l’on cherche à engager la responsabilité cambiaire de la personne représentée et que la date de création du document est d’importance pour l’établissement de l’existence d’un pouvoir de représentation du représentant par rapport au souscripteur-personnalité morale, l’application de la règle selon laquelle pour que l’effet soit valable par rapport à la personne représentée, il n’est pas nécessaire que la date soit une date réelle et authentique, mais seulement qu’elle soit possible et qu’elle ne soit pas postérieure à la date de l’échéance, est exclue. Non applicable est également la règle selon laquelle il est sans importance juridique pour la validité de l’effet, par rapport à la personne représentée, de savoir si celui-ci a été postdaté ou antidaté car en matière de titres, la représentation et les conséquences des actes du représentant pour la personne représentée sont régies par les dispositions générales de l’art. 36-43 de la Loi sur les obligations et les contrats. L’absence d’un pouvoir de représentation conduit à l’invalidité (pendante) et constitue un obstacle à la prise d’effet de l’effet de commerce (conformément aux explications applicables à l’hypothèse examinée, données au point 2 de l’arrêt interprétatif no. 5/2014 de l’Assemblée générale des chambres civile et commerciale de la CSC).
La réponse à la question de savoir « Comment est répartie la charge de la preuve quant à l’établissement de la date de création du billet à ordre dans les conditions d’une opposition formée par le souscripteur, tirée de l’antidate du titre, comme étant créé à un moment postérieur par un ancien représentant de son organe de direction, après la fin des fonctions représentatives, dans les conditions d’une action exercée au titre de l’art. 422 du CPC, fondée sur une ordonnance portant injonction de payer délivrée sur le fondement de l’effet de commerce » se trouve dans les explications données au point 17 de l’arrêt interprétatif no. 4/2013 du 18 juin 2014, affaire interprétative no. 4/2013 de la CSC, Assemblée générale des chambres civile et commerciale. Conformément à celles-ci, dans les conditions d’une action en constatation exercée au titre de l’art. 422, alinéa 1 du CPC, dans l’hypothèse d’une ordonnance portant injonction de payer délivré au titre de l’art. 417, point 10 (ancien point 9) du CPC, l’affaire a pour objet l’existence de la créance fondée sur le billet à ordre en tant qu’effet de commerce dûment rempli. L’objet de l’affaire ne change pas même quand il est allégué dans le recours que la créance de l’ordonnance portant injonction de payer découle d’une relation causale concrète. Ces instructions ont été appliquées de manière constante dans des décisions de justice rendues au titre de l’art. 290 du CPC par des formations de jugement de la CSC, qui ont admis que dans une procédure au titre de l’art. 422, alinéa 1 du CPC, le demandeur-créancier, qui s’est fait délivrer une ordonnance portant injonction de payer sur la base d’un billet à ordre, doit prouver sa créance, fondée sur l’effet de commerce : il prouve l’existence d’un billet à ordre dûment rempli, susceptible de paiement. Par conséquent, le demandeur-porteur d’un billet à ordre dûment rempli n’est pas tenu, dans une procédure au titre de l’art. 422 du CPC, d’établir les faits et les circonstances ayant trait à la validité de chacune des mentions obligatoires inscrites sur le document, respectivement la charge de la preuve pour établir la date réelle de sa création et l’existence à cette date d’un pouvoir de représentation par rapport au souscripteur représenté, ne pèse pas sur lui. Compte tenu du rôle spécifique, accordé par la loi à l’effet de commerce dans les échanges commerciaux, le porteur n’est pas tenu d’établir d’autres éléments en dehors du contenu lui-même du document qui lui procure des conséquences juridiques avantageuses. « Le détenteur d’un billet à ordre valide n’est pas tenu de présenter d’autres éléments de preuve à l’appui de son action. Le billet perdrait son importance si le bénéficiaire devait présenter d’autres éléments de preuve » (arrêt de la CSC no. 457 du 08 juin 1939, affaire civile no. 345/1939, 2e section civile, recueil 1939, p. 222-224).
La doctrine et la jurisprudence sont constantes pour admettre que les oppositions formées par le débiteur dans une procédure ayant pour objet l’établissement de l’existence d’une créance, fondée sur un billet à ordre, sont absolues (objectives), fondées seulement sur la créance cambiaire elle-même : contre la forme et le contenu du titre, contre la validité de la créance cambiaire, pour des vices de la volonté de souscription du billet à ordre, etc. ; ou relatives, dirigées personnellement contre le bénéficiaire : par exemple, pour effet de complaisance, des exceptions découlant de la relation causale en lien avec laquelle le billet à ordre a été créé, etc.
La charge de la preuve aussi bien des oppositions absolues que des oppositions relatives pèse toujours sur le débiteur, car pour le demandeur, l’effet de commerce sert à la fois de fondement et de preuve (prof. K.K., « Cours systématique de droit commercial bulgare », p. 618).
Conformément à la jurisprudence établie, le créancier doit prouver le fait générateur de sa créance : un billet à ordre dûment rempli, et le débiteur : ses oppositions formées contre la créance (comme cela a été indiqué : oppositions absolues contre la forme et/ou le contenu de l’obligation de payer, respectivement, oppositions personnelles, fondées sur ses relations avec le créancier). Si le billet à ordre est valide, mais le défendeur n’a pas prouvé ses oppositions absolues, respectivement relatives, d’inexistence de la créance litigieuse, l’action en constatation exercée au titre de l’art. 422 du CPC doit être accueillie, car le demandeur n’assume que la charge d’établir que le billet à ordre est dûment rempli.
La doctrine admet de manière certaine que les déclarations de volonté des justiciables, scellées sur le titre par la signature du souscripteur, respectivement de son représentant, constituent le fait juridique primordial qui génère la relation cambiaire. Le billet à ordre, étant une transaction juridique unilatérale et un titre, est un acte privé de disposition, voilà pourquoi à son égard sont applicables les solutions apportées par les formations de jugement de la CSC sur la question concernant le cercle des « tiers » au sens de l’art. 181 du CPC et la force probante des actes privés. La réponse fournie dans la décision au titre de l’art. 290 du CPC du 11 septembre 2017, affaire commerciale no. 2413/2015, rendue par la 2e section commerciale de la CSC, est que conformément à l’art. 180 du CPC, les actes privés signés par les personnes qui les ont souscrits, constituent la preuve que les déclarations y contenues ont été faites par ces personnes. En cas d’exception tirée de l’antidate, le souscripteur indiqué sur l’acte ne peut pas se prévaloir des règles de l’art. 181, alinéa 1 du CPC, en ce qui concerne la validité de la date, car celle-ci n’a pour destinataires que des « tiers » par rapport au document. Lorsque les déclarations englobent la date du document, celle-ci est contraignante pour les ouscripteurs, la date est opposable aux acteurs qui ont pris part à la création du document, mais chacun peut réfuter son validité en assumant, sur le fondement de l’art. 154, alinéa 1 du CPC, la charge d’établir le temps réel de sa création.
La présente formation de jugement admet entièrement la solution citée. Dans le contexte de la question posée, il faut tenir compte que le bénéficiaire ne participe pas à la création du document et que son souscripteur fait valoir une antidate et essaie de réfuter la date de création inscrite sur l’effet. Par conséquent, la partie qui conteste et cherche à réfuter la validité de la date de la transaction juridique unilatérale, assume sur le fondement de l’art. 154, alinéa 1 du CPC la charge d’établir le moment réel de la déclaration de volonté.
Conformément aux règles de l’art. 154, alinéa 1 du CPC, concernant la répartition de la charge de la preuve, chacune des parties apporte la preuve des faits sur lesquels se fondent ses allégations et ses exceptions justifiant le droit prétendu, respectivement le droit nié, d’existence, respectivement d’inexistence, de la créance sur le billet à ordre. L’intérêt d’établir l’existence d’un vice dans la déclaration de volonté sur le titre appartient à la partie à laquelle la contestation de sa validité procure des droits et qui a intérêt à réfuter la possibilité de lier le souscripteur par cette déclaration. La charge de la preuve, en ce qui concerne l’établissement de l’opposition absolue tirée de l’absence de pouvoir de représentation – document souscrit par un représentant aux pouvoirs suspendus, de représentation défaillante de la personne morale-souscriptrice de l’effet de commerce, incombe notamment au débiteur-souscripteur et défendeur à la procédure sur l’action au titre de l’art. 422 du CPC et c’est la réponse à la deuxième question sur laquelle le pourvoi en cassation a été admis.
Sur les griefs de cassation :
Le pourvoi en cassation est fondé.
Contrairement à la réponse aux questions de droit, la juridiction d’appel non seulement n’a pas informé les parties qu’elle considère comme erronée la répartition de la charge de la preuve, effectuée par la juridiction de première instance sur la principale question litigieuse du procès, mais elle a déterminée de manière erronée la responsabilité de la preuve du demandeur, en appliquant les conséquences défavorables de la non présentation d’éléments de preuve à l’appui des faits et de l’absence de preuve, car de telles instructions n’ont pas été données à cette partie. Est fondé le grief de cassation selon lequel, malgré les instructions de la juridiction de première instance, mettant sur la partie défenderesse souscriptrice du billet la charge de la preuve d’établir l’antidate alléguée, le TGI, à peine avec l’arrêt d’appel, l’a mise sur le demandeur (l’intimé), modifiant ainsi la répartition sans que le recours en appel (déposé par le défendeur) ait contenu des griefs tirés du rapport et des instructions données en lien avec la charge de la preuve.
Est fondé également le moyen de cassation selon lequel la juridiction d’appel a créé une contradiction dans la motivation de ses appréciations en admettant, d’une part, que le billet à ordre est un effet de commerce dûment rempli et en niant, d’autre part, cette qualité du document et en rejetant l’action en constatation aux motifs que le document n’a pas été créé à la date y indiquée et qu’il n’est pas valide.
Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’annuler l’arrêt d’appel comme rendu de manière erronée et en présence de violations particulièrement importantes des formes substantielles. L’affaire doit être renvoyée pour un nouvel examen par la juridiction d’appel, qui doit se prononcer sur les moyens invoqués dans le recours en appel par Petrol AD, selon lesquels les éléments de preuve en l’espèce établissent que le billet n’a pas été créé à la date y indiquée. Le TGI n’ayant pas statué, ce vice ne peut pas être supprimé par la présente juridiction.
Par rapport aux frais engagés dans la présente procédure, il faut appliquer la disposition de l’art. 294, alinéa 2 du CPC.
Ceci étant, la Cour suprême de cassation, Chambre commerciale, formation de jugement de la Première section commerciale,
A RENDU L’ARRET SUIVANT :
ANNULE l’arrêt no. 3060 du 25 avril 2019, rendu dans l’affaire civile en appel no. 10653/2017 par le Tribunal de grande instance de Sofia, Chambre civile, formation de jugement en appel 2-A.
RENVOIE l’affaire pour un nouvel examen par une autre formation de jugement du Tribunal de grande instance de Sofia.
L’arrêt n’est pas susceptible de recours.