ARRET
no. 29
Sofia, le 24 février 2021
AU NOM DU PEUPLE
La Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, Deuxième section pénale, à son audience publique du dix-sept février 2021, composée de :
PRESIDENTE :
TATIANA KANTCHEVA
MEMBRES :
TEODORA STAMBOLOVA
BISSER TROYANOV
Avec la participation de la greffière IVANOVA,
en présence du procureur SIMOV,
a entendu l’affaire pénale de cassation no. 1027/20, rapportée par la juge STAMBOLOVA, et afin de statuer, a considéré ce qui suit :
Par jugement no. 51/13.11.19 du Tribunal de grande instance de Pazardjik (TGI de Pazardjik), rendu dans l’affaire pénale no. 484/19, le prévenu S.O.Y. a été reconnu coupable et a été condamné pour avoir commis une infraction au titre de l’art. 116, alinéa 1, point 4, phrase 2, point 6, phrase 3, point 12, phrase 1, en lien avec l’art. 115, en lien avec l’art. 29, alinéa 1, lettre « b » du Code pénal et en lien avec l’art. 58А, alinéas 2 et 3 du Code pénal, à une peine de réclusion de 25 ans, à purger dans les conditions d’un régime initial strict. Le prévenu a été condamné à verser à M.I. la somme de 15 000 leva à titre d’indemnité pour dommages immatériels, avec les intérêts légaux dus, ainsi qu’à A.I. la somme de 5 000 leva. Les actions des deux derniers ont été rejetées, pour chacun d’eux, jusqu’à concurrence du montant revendiqué de 150 000 leva. Sur recours de l’auteur et des accusateurs privés (sur la peine infligée) et parties civiles, la Cour d’appel de Plovdiv a ouvert l’affaire pénale d’appel 330/20 d’après le rôle de cette juridiction. Par arrêt no. 260036/03.11.20, le jugement indiqué a été annulé dans sa partie concernant la condamnation au titre de l’art. 116, alinéa 1, point 6, hypothèse 3 du Code pénal et Y. a été reconnu non coupable et acquitté sur ce chef d’accusation. Sa peine de réclusion à perpétuité a été diminuée à treize ans et quatre mois. Le reste de la condamnation a été confirmé. L’un des juges, qui a signé l’arrêt, a exprimé une opinion dissidente quant à l’acquittement d’Y.
Un pourvoi a été formé par le prévenu, par l’intermédiaire de son défenseur Me Y., avocat. On y fait valoir une violation de la loi matérielle, car le juge n’a pas admis que l’infraction commise relève des éléments constitutifs d’une infraction au titre de l’art. 124 du Code pénal (art. 348, alinéa 1, point 1 du CPP), et qu’en ce sens la peine infligée est manifestement injuste. On demande que l’arrêt de la Cour d’appel de Plovdiv soit modifié en ce sens. On demande également que la partie attribuant une indemnité pour dommages immatériels à A.I. soit modifiée et que l’action de ce dernier soit entièrement rejetée.
Un pourvoi en cassation a été également formé par les accusateurs privés et parties civiles М. et A.I. qui, par l’intermédiaire de leur représentant pour la procédure, s’opposent à l’acquittement du prévenu dans la partie indiquée ci-dessus, à la réduction de la peine infligée (art. 348, alinéa 1, points 1 et 3 du CPP), et au rejet de leurs prétentions civiles jusqu’à concurrence des montants réclamés. Ils demandent à cette Cour de condamner Y. pour la commission d’un meurtre dès lors qu’il existe une circonstance aggravante au titre de l’art. 116, alinéa 1, point 6, hypothèse 3 du CPP, de lui infliger la peine maximale de privation de liberté, prévue par la loi, et d’accueillir dans leur ensemble les actions civiles introduites. Ils demandent également de condamner Y. à tous les frais pour les honoraires d’avocat, engagés pour les procédures devant les trois instances.
Lors de l’audience devant la CSC, le prévenu, son défenseur professionnel Me Y. et ses défenseurs personnels О. et М. Y. au titre de l’art. 91, alinéa 2 du CPP, soutiennent le pourvoi et les moyens de cassation avec les demandes y avancés.
Les accusateurs privés et parties civiles et leur avocat, régulièrement convoqués, ne comparaissent pas. L’avocat D. a déposé un mémoire, dans lequel ses clients soutiennent le pourvoi en cassation et demandent qu’il soit accueilli avec l’ensemble des demandes y avancées.
Le représentant du Parquet près la Cour suprême de cassation considère que l’arrêt doit être maintenu.
La Cour suprême de cassation, Deuxième section pénale, après avoir pris en compte les pourvois et les considérations y exposées et apprécié les positions exprimées par les parties lors de l’audience, ainsi qu’après avoir pris elle-même connaissance des éléments du dossier en l’espèce, dans le cadre de ses compétences au titre de l’art. 347 et suivants du CPP, considère comme établi ce qui suit :
І. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE LA LOI MATERIELLE :
1. SUR LE POURVOI FORME PAR LE PREVENU :
Le principal moyen est tiré de la qualification au titre de l’art. 116 en lien avec l’art. 115 du CP des faits incriminés commis par le prévenu, donnée par les juridictions au fond ; il est avancé que la loi matérielle a été incorrectement appliquée car le juge n’a pas retenu la thèse selon laquelle les faits relèvent de l’énoncé de l’art. 124 du CP. Les moyens avancés devant cette instance sont les mêmes que ceux avancés devant la juridiction d’appel. Celle-ci, de son côté, les a examinés dans le contexte de l’argumentation du TGI de Pazardjik.
La procédure judiciaire devant la juridiction de première instance s’est déroulée dans les conditions de l’art. 371, point 2 et suivants du CPP : le prévenu a entièrement avoué les faits exposés dans le dispositif de l’acte d’accusation et a consenti à ce que des preuves ne soient pas recueillies sur eux. Sur la base de ses propos, les faits criminels reconnus par lui, tels que notés dans l’acte d’accusation, f. 2, paragraphes 8 et 9, sont les suivants : « Il a donné plusieurs gifles à l’enfant, mais celui-ci n’arrêtait pas de pleurer, alors il l’a tiré avec force par le bras et l’enfant est tombé par terre, en heurtant dans sa chute la partie arrière de sa tête au rebord du lit. L’accusé Y. a soulevé l’enfant et l’a posé sur le lit. Comme l’enfant continuait à pleurer, il l’a de nouveau tiré, afin qu’il tombe, et l’enfant s’est de nouveau cogné la partie arrière de la tête, lors de sa chute. L’accusé Y. l’a soulevé et l’a posé sur le lit, mais l’enfant n’arrêtait pas de pleurer. L’accusé Y. a frappé cinq ou six fois l’enfant R., en lui donnant des coups de poings sur la tête, le dos et le ventre. Après les coups, l’enfant R. a continué à pleurer encore un peu et s’est endormi. Dans une heure environ, l’accusé Y. a remarqué que l’enfant respirait avec difficulté. Il l’a aspergé d’eau, en essayant de le réveiller, mais sans succès. Alors l’accusé Y. a appelé au téléphone la témoin M.H. afin qu’elle rentre tout de suite chez elle. L’accusé Y. a essayé, avec de la respiration artificielle, d’aider l’enfant, mais celui-ci continuait de dormir et de respirer avec difficulté ».
Dans son arrêt, p. 10, 11 et 12, la juridiction d’appel a donné, parallèlement à ce qui a été exposé, ses arguments qui montrent, sur la base des éléments admis, que le TGI de Pazardjik a correctement conclu qu’il s’agissait d’un meurtre volontaire et que les demandes de la défense d’une requalification au titre de l’art. 122 (aucun moyen en ce sens n’est présenté devant la CSC) ou de l’art. 124 du CP n’étaient pas fondées. Devant la présente instance, cependant, on ne s’oppose pas à l’argumentation du juge, mais on fait valoir de nouveau qu’il est nécessaire de procéder à une requalification de l’infraction, en avançant des considérations selon lesquelles, faute de connaissances médicales, le demandeur en cassation n’avait pas pu juger que ses actes pouvaient conduire à la mort de l’enfant. Son seul objectif a été de faire taire les pleurs de l’enfant.
A cela, la CSC répondra de manière générale qu’un auteur, qui donne la mort au sens de l’art. 124 du CP, a un comportement psychologique différent vis-à-vis des conséquences différentes de ses actes qui sont volontaires en ce qui concerne les coups et blessures et involontaires en ce qui concerne la mort qui a suivi. Cela doit être retenu parmi les éléments constitutifs des faits incriminés, conformément au comportement objectivé de l’auteur.
La juridiction suprême en matière pénale a eu, dans le passé, plusieurs occasions de statuer sur le rapport entre meurtre et homicide au titre de l’art. 124 du CP. La présente formation de jugement citera un arrêt qui, à son avis, se rapporte au cas de figure concret. Conformément à l’arrêt 336-77-1 de la chambre pénale de la Cour suprême de la République de Bulgarie, dans le cas d’un meurtre volontaire, les éléments psychologiques de l’infraction incluent la mort comme un résultat possible, mais l’auteur reste indifférent à sa survenance, alors que dans le cas de l’infraction visée à l’art. 124 du CP, l’intention de l’auteur est dirigée vers certains types de coups et blessures et la mort survient en tant que conséquence de l’imprudence manifestée dans ses deux formes.
Par conséquent, la citation littérale des éléments des faits incriminés, reconnus comme réalisés par l’auteur, mène à la conclusion catégorique qu’il s’agit de la manifestation d’un comportement permettant l’appréciation de la mort comme un résultat possible. A l’appui de cette conclusion, la Cour d’appel de Plovdiv, conformément à la loi, a cité également les conclusions de l’examen médico-légal psychiatrique d’Y., ordonné lors de la procédure, intégrées dans le dispositif de l’acte d’accusation. Conformément à ces conclusions, au moment de la commission des faits, Y. a été en état de comprendre le contenu et le sens de ses actes et de les contrôler, ainsi que de réagir par l’agressivité à tous les stimuli déclencheurs d’une frustration, parmi lesquels dominait le pleur inconsolable de l’enfant.
Il n’y aucun motif d’admettre que les manifestations concrètes de la violence envers le bébé pleurant n’incluaient pas, du point de vue psychologique, l’idée de survenance de la mort comme un résultat possible, avec lequel l’auteur se résignait. Les actes ultérieurs, face à l’état empirant de l’enfant encore vivant, n’excluent pas la thèse retenue par les juges.
2. SUR LE POURVOI FORME PAR LES ACCUSATEURS PRIVES :
Le principal grief avancé dans ce pourvoi est tiré de l’acquittement d’Y. par la Cour d’appel de Plovdiv, sur la circonstance aggravante imputée au titre de l’art. 116, alinéa 1, point 6, hypothèse 3 du CP, dans l’acte d’accusation: commission d’un meurtre d’une nature particulièrement cruelle, pour la réalisation duquel il a été condamné par le TGI de Pazardjik. Cette appréciation a deux dimensions. D’une part, une appréciation de droit matériel qui exige de la CSC de dire si l’acquittement sur cet élément de la qualification a réellement violé la loi matérielle. D’autre part, une appréciation de droit procédural : si l’on admet que l’acquittement est irrégulier, quelles sont les compétences sur ce point-là de la juridiction suprême en matière pénale ?
А. Sur la question de droit matériel :
La juridiction contrôlée a exposé sa position sur les arguments du TGI de Pazardjik, en reprochant à ce dernier la trop grande émotion dans ses motifs quant à la commission d’un meurtre d’une nature particulièrement cruelle, et les contradictions internes dans l’argumentation de la thèse. La présente juridiction ne commentera pas les considérations formulées sous l’aspect traité, dans la mesure où, en fin de compte, il n’y a pas lieu de conclure quant à une partialité du TGI de Pazardjik, susceptible de faire penser que le jugement a été prononcé par une formation de jugement irrégulière ; et dès lors qu’il n’existe pas d’aussi profondes contradictions dans les motifs, susceptibles de rendre complètement opaque la volonté du juge. La CSC s’arrêtera sur l’opinion de la Cour d’appel de Plovdiv quant à l’absence de l’élément examiné de la qualification, et sur les thèses inverses exprimées par un juge membre de l’instance d’appel et par l’avocat des accusateurs privés.
En bref, d’après la majorité de la formation de jugement, la mort de R.H. est survenue à la suite d’un acte unique (f. 14 de l’arrêt), consistant en une façon de tirer avec force l’enfant par le bras, et de sa chute au sol, lors de laquelle l’enfant a heurté sa tête contre le rebord du lit. Les autres actes, admis à la suite d’une procédure différenciée au titre du chapitre 27 du CPP, tels que décrits dans l’acte d’accusation, n’ont pas été en lien direct de cause à effet avec la mort survenue et ne peuvent pas servir pour prouver les éléments des faits incriminés. On a pris également en compte le comportement de l’auteur après les faits, notamment le fait d’asperger le bébé avec de l’eau à la vue de sa respiration difficile, les tentatives de le réveiller avec de la respiration artificielle, l’appel au téléphone de la mère et l’assistance prêtée pour transporter l’enfant à l’hôpital, en même temps que le comportement en principe de garder l’enfant pendant que la témoin I. était absente de la maison.
Selon les considérations exposées dans l’opinion dissidente, signée par un des membres de la formation de jugement, l’élément aggravant existe, car le bébé a reçu de nombreuses lésions traumatiques, les violences ont été réalisées avec une intensité, sur une personne incapable de se protéger : gifles, chutes du lit à deux fois, coups de poings sur le dos et le ventre afin de faire taire ses pleurs ; le comportement manifesté ensuite témoigne également d’une absence de volonté de chercher le secours médical, tout de suite après la respiration difficile constatée de R. ; des éléments caractérisant la personnalité de l’auteur sont également donnés : plusieurs fois condamné, un meurtre commis dans les conditions d’une récidive dangereuse, la présence d’un comportement criminel durable.
Selon les accusateurs privés, il faut tenir compte non seulement des arguments avancés dans l’opinion dissidente, mais aussi du comportement d’Y. envers l’enfant décédé, manifesté les jours précédents : une gifle qui avait provoqué le gonflement des paupières du bébé, des morsures sur les deux joues afin qu’il arrête de pleurer, suivies de coups sur le visage et le corps. Tout cela permet d’aboutir à la conclusion d’une nature particulièrement cruelle du meurtre commis.
Afin de répondre aux questions soulevées devant elle, la présente juridiction doit procéder à quelques explications d’ordre général :
Conformément au point 15 de l’Ordonnance 2/57 de l’Assemblée plénière de la Cour suprême, il y a meurtre d’une nature particulièrement cruelle lorsque, dans sa réalisation, l’auteur a manifesté « une rage, un acharnement, une rancune ou un sadisme extrêmes, le caractérisant comme une personne cruelle ». Comme il est correctement souligné dans l’opinion dissidente, l’auteur doit avoir montré de l’inhumanité et de la férocité. Il y a lieu de préciser ici que cela n’exige pas que la personne soit caractérisée elle-même comme a priori cruelle, mais que le meurtre commis soit concrètement caractérisé comme étant d’une nature particulièrement cruelle. La jurisprudence est constante dans sa thèse selon laquelle il s’agit d’une caractéristique de la personne qui se dévoile à travers la manière de réalisation de l’infraction. Elle a donné aussi des instructions selon lesquelles, aux fins de l’appréciation, il faut prendre en compte le nombre et la force des coups portés, les lésions corporelles occasionnées à la victime, le comportement entier du prévenu au cours de la commission des faits incriminés, sa relation avec la victime et ses proches, le profil de la personnalité de l’auteur.
Au vu de ce qui précède, les considérations de fait formulées dans le dispositif de l’acte d’accusation, reconnues par l’auteur dans les conditions de l’enquête judiciaire raccourcie, rapportées aux conclusions de l’expertise, justifient incontestablement la présence de la circonstance aggravante « d’une nature particulièrement cruelle ». L’enfant a subi des violences de la part du prévenu même avant la journée incriminée : gifle, morsures sur les deux joues, coups sur le visage et le corps (f. 2 de l’acte d’accusation, paragraphes 4 et 5), toujours en raison de ses pleurs. Concernant le comportement antérieur d’Y., il y a lieu d’inclure l’élément dévoilant son comportement envers la mère de la victime, figurant également dans l’acte d’accusation : à sa question pourquoi l’enfant avait les yeux gonflés et pochés, au lieu de répondre qu’il l’avait frappé pour faire taire ses pleurs, Y. a déclaré que l’enfant était tombé du lit (paragraphe 4), évidemment en voulant cacher ses actes agressifs vis-à-vis du bébé R.
Plus loin, il y a une appréciation des lésions occasionnées à l’enfant. En effet, il est mort des suites de traumatismes graves fermés du crâne et du cerveau, du thorax et de l’abdomen. Les deux derniers sont le résultat d’un mécanisme d’inertie, mais néanmoins ils ont été provoqués par les autres violences faites au bébé. En fin de compte, concernant les modalités concrètes de la commission de l’infraction pénale et sa qualification comme « d’une nature particulièrement cruelle », il faut apprécier de manière attentive la complexité du comportement de l’auteur, bien que la victime soit décédée des suites d’un seul traumatisme. En l’espèce, il ne s’agit pas d’un acte unique, mais d’une série d’actes de violence de la part d’Y., caractérisés par une grande intensité et dirigés contre un enfant complètement incapable de se protéger.
Toujours à la lumière du facteur examiné, il faut analyser de manière précise également le comportement de l’auteur pendant que l’enfant restait encore en vie. Il a réagi à sa respiration difficile, provoquée par le traumatisme crânio-cérébral fermé (suite à un coup direct) et les traumatismes thoracique et abdominal (suite au mécanisme d’inertie), mais sans chercher un secours médical qualifié (la respiration artificielle ne pouvait pas donner des résultats), préférant agir indirectement, en appelant la mère de l’enfant qui, de son côté, a téléphoné à l’oncle de l’auteur pour qu’il les conduise en auto à l’hôpital. C’est là qu’a été constatée la mort du bébé R.H. Ces circonstances doivent être rapportées de plein droit à la conclusion de commission d’un meurtre d’une nature particulièrement cruelle.
Et, en dernier lieu, il est correctement relevé dans l’opinion dissidente que parallèlement aux facteurs exposés, l’appréciation doit également prendre en compte le profil psychologique du prévenu. Cela s’impose en l’espèce aussi bien par rapport aux traits négatifs d’Y., que par rapport à ses condamnations. La présente juridiction estime que cela n’est admissible que par rapport aux condamnations qui ne sont pas liées à la circonstance aggravante au titre de l’art. 116, alinéa 1, point 12 du CP : meurtre commis dans les conditions d’une récidive dangereuse. Le dispositif de l’acte d’accusation (f. 6, paragraphe 4) contient une seule information de condamnation aux termes d’un accord conclu le 09 juin 2016 avec le Tribunal d’instance de Plovdiv, et rien sur les trois autres condamnations ; bien que la récidive dangereuse invoquée soit une telle, au titre de l’art. 29, alinéa 1, lettre « b » du Code pénal, il faut citer au moins deux condamnations à une peine d’emprisonnement pour infractions de droit commun.
Le casier judiciaire de l’auteur, dont les éléments sont reproduits dans l’affaire de première instance, f. 102 et 103 (voir les motifs du jugement du TGI de Pazardjik), renferme des condamnations différentes de celles requises pour que la circonstance aggravante visée soit retenue. Ces éléments ne sont pas reproduits dans l’arrêt rendu par la deuxième instance, ce qui est important dans la mesure où il est indiqué dans l’opinion dissidente que le prévenu a été condamné quatre fois, sans aucun élément concret à l’appui. Dans le même temps, la conclusion relative à « la nature particulièrement cruelle » de l’infraction est suivie par l’indication qu’il y a lieu de tenir compte du fait que le meurtre en question a été commis dans les conditions d’une récidive dangereuse. Autrement dit, l’appréciation d’une circonstance aggravante a été effectuée sur la base d’une autre. En principe, cela mène à une aggravation irrégulière de la situation de la personne, dès que l’élément en question a été retenu une première fois comme circonstance aggravante de l’infraction pénale et, une deuxième fois, pour compléter les considérations quant à l’existence d’un autre élément aggravant (tiré de l’art. 56 du CP).
Eu égard à tout ce qui précède, il n’est pas possible de ne pas conclure que le comportement d’Y. à l’égard de l’enfant a été brutal, cruel et implacable. Il s’agit d’un bébé et les bébés montrent leur indisposition en pleurant. La personne adulte, et le prévenu est cet adulte, qui a consenti à participer à la prise en charge de l’enfant, devait mobiliser l’ensemble de ses ressources personnelles pour mettre en œuvre cette mission. En dehors de la dimension juridique, dans la vie il est impardonnable qu’un bébé soit battu, mordu ou tiré parce qu’il se comporte comme tous ses semblables. L’absence de suffisamment de patience chez l’auteur a peut-être déclenché chez lui cette férocité, mais l’ensemble de son comportement dans le cas concret revêt une dimension de droit pénal spécifique.
Voilà pourquoi la Cour d’appel de Plovdiv a commis une violation de la loi matérielle en déclarant Y. non coupable sur l’élément meurtre d’une nature particulièrement cruelle. Les faits ont été correctement retenus dans le cadre d’une procédure différenciée appropriée. Mais ces faits ont été incorrectement traités comme ne pouvant pas justifier l’élément examiné comme une circonstance aggravante.
B. Sur la question de droit procédural :
Les points admis par la CSC sont d’une importance décisive pour le règlement de l’affaire. Les accusateurs privés demandent dans leur pourvoi en cassation que cette instance condamne directement le prévenu pour la commission d’un meurtre, en tenant compte de la circonstance aggravante « d’une nature particulièrement cruelle », qui lui a été imputée dans l’acte d’accusation, et sur laquelle il a été reconnu coupable et condamné par la première instance, mais ils n’avancent pas d’arguments en soutien de leur prétention.
La question qui se pose ici est laquelle de ses compétences la juridiction suprême en matière pénale doit mettre en œuvre, dans les limites de la disposition de l’art. 354, alinéas 1-3 du CPP (il n’y a pas lieu de procéder à l’examen de l’hypothèse de l’art. 354, alinéa 5, phrase 2 du CPP, car il s’agit d’un premier examen en cassation de l’affaire), afin d’appliquer correctement la loi matérielle, à condition qu’elle soit régulièrement saisie par une partie ayant un intérêt pour agir ? A cette fin, il faut répondre à la question de savoir si, au vu des éléments de l’espèce, nous devons appliquer une loi pour la même infraction ou pour une infraction moins grave ; ou appliquer une loi pour une infraction passible d’une peine plus lourde, qui n’exige pas une augmentation de la peine (question susceptible d’un examen séparé), si elle a fait l’objet d’une accusation en première instance : tout cela oblige le juge de modifier l’arrêt attaqué aux termes de l’art. 354, alinéa 2, points 2 et 4 du CPP ; ou annuler l’arrêt et renvoyer l’affaire pour réexamen à la juridiction d’appel, afin d’éliminer les violations de la loi matérielle, commises lors du prononcé du jugement d’acquittement, art. 354, alinéa 3, point 3 du CPP. Les autres motifs visés par la loi sont suffisamment spécifiques pour être utilisés en vue du règlement de cette affaire.
Il y a lieu ici de fournir quelques explications. Le « jugement » invoqué, au titre des alinéas 2 et 3 de l’art. 354 du CPP, est admis au sens général d’« acte juridictionnel », dans la mesure où il est évident non seulement de la disposition de l’art. 32 du CPP, mais aussi de la lecture de l’entière règle de l’art. 354 CPP, qu’il s’agit d’un arrêt d’appel. Par ailleurs, les arrêts d’appel font toujours l’objet d’un contrôle régulier devant la CSC, comme en l’espèce. Voilà pourquoi les moyens du pourvoi des accusateurs privés et parties civiles, tirés de la régularité du jugement de première instance, ne sont même pas abordés.
Ainsi, conformément au point 1 de l’arrêt interprétatif no. 57/04.12.84, affaire pénale 43/84 de l’Assemblée générale de la chambre pénale de la Cour suprême de la République de Bulgarie, quoique sa conclusion vise un problème lié à la modification de l’accusation, il est admis qu’il y a une « loi pour une infraction passible d’une peine plus lourde » lorsque la nouvelle infraction, dont la réalité est constatée, est passible d’une peine plus lourde selon la catégorie et le niveau de la peine prévue pour cette infraction, par rapport à la peine revendiquée dans l’acte d’accusation. La hiérarchie des différents types de peines est régie par l’art. 37 du CP. Cette interprétation a été donnée en raison des pratiques différentes des juridictions pour répondre à la question comment il faut comprendre une infraction passible d’une peine plus lourde : est-ce le cas d’une infraction pour laquelle il existe des circonstances modifiant la qualification des faits en une infraction passible d’une peine plus lourde, ou est-ce que ce sont les cas lorsque ces mêmes circonstances déterminent une peine plus lourde dans le cadre de la qualification initiale ?
Le sens de cette interprétation n’a pas été pris en compte dans l’arrêt no.13/20.03.15, rendu par la 1e section pénale de la CSC dans l’affaire pénale de cassation1595/14, ni dans l’arrêt no. 253/02.07.15, rendu par la 1e section pénale de la CSC dans l’affaire pénale de cassation no. 443/15. Il est dit de manière générale dans ces arrêts qu’il y a une loi pour une infraction passible d’une peine plus lourde y compris lorsqu’une circonstance aggravante supplémentaire est incluse dans le cadre de l’infraction non modifiée, qui a fait l’objet d’une accusation en première instance. Et comme, dans les affaires citées, il a été admis qu’il n’y a pas lieu d’augmenter la peine infligée, les compétences de la Cour au titre de l’art. 354, alinéa 2, point 4 du CPP ont été mises en œuvre. La lecture du contenu de ces arrêts mène à la conclusion qu’il y a lieu d’élargir l’accusation, dans le cadre de l’infraction initialement imputée, ce qui est interprété comme appliquer une loi pour une infraction passible d’une peine plus lourde. Ainsi, la question est résolue non sur le plan de la punissabilité, comme il est admis comme correct dans l’arrêt interprétatif cité, mais sur celui de la punition, c’est-à-dire sur l’individualisation de la peine dans le cadre de la qualification initiale qui demeure inchangée.
Toute autre est l’approche retenue dans l’arrêt no. 537/29.12.11, rendu par la CSC, 3e section pénale, dans l’affaire pénale de cassation no. 2475/11. Elle correspond aux conclusions de l’arrêt interprétatif no. 57/84 de l’Assemblée générale de la chambre pénale de la Cour suprême, concernant la loi pour une infraction passible d’une peine plus lourde : l’infraction plus légère, admise comme commise par la juridiction d’appel, a été requalifiée en une infraction passible d’une peine plus lourde, qui avait fait l’objet d’une accusation en première instance, sans qu’il soit nécessaire d’augmenter la peine prévue.
Compte tenu de l’interprétation donnée, dans l’arrêt interprétatif cité, à ce qu’est la loi pour une infraction passible d’une peine plus lourde, et étant donné que même si Y. doit être condamné pour la commission de l’infraction au titre de l’art. 116, alinéa 1, point 6, hypothèse 3 du CP, et compte tenu du fait que la Cour d’appel de Plovdiv a confirmé le jugement de première instance, le condamnant pour une infraction au titre de l’art. 116, alinéa 1, point 4, hypothèse 2 et point 12, hypothèse 1 du CP, la requalification due ne permettra pas la réalisation de la compétence au titre de l’art. 354, alinéa 2, point 4 du CPP (évidemment, au cas où une augmentation de la peine n’est pas exigée sur le plan de son individualisation légale) et la CSC ne pourra pas juger directement.
L’arrêt interprétatif cité, étant fondamental pour les thèses ultérieures des juridictions, a été discuté également dans l’arrêt no. 223/11.02.20, rendu par la CSC, 3e section pénale, par une formation de jugement de cinq membres, dans l’affaire pénale de cassation no. 1013/19. En partant de ce qui était déjà dit et de certaines positions théoriques, cet arrêt a développé également les notions de loi pour la même infraction, pour une infraction identique et pour une infraction passible d’une peine plus légère. D’un point de vue général, il a été admis qu’une « loi pour la même infraction » signifie que la loi matérielle applicable doit être la même que celle visée dans l’acte d’accusation. La « loi pour une infraction identique ou une infraction passible d’une peine plus légère » suppose une qualification juridique différente de l’infraction pénale que celle retenue dans l’acte d’accusation, entendue comme éléments applicables de l’infraction, visés dans la Partie spéciale du Code pénal.
En effet, une partie des théoriciens du droit procédural pénal estiment que les notions de « une même infraction » et « une infraction identique » présentent un contenu identique. Mais si c’était le cas, il ne serait pas possible d’expliquer la différence entre les compétences de l’instance d’appel et celles de l’instance de cassation au titre de l’art. 337, alinéa 1, point 2 du CPP : appliquer une loi pour la même infraction, une infraction identique ou une infraction passible d’une peine plus légère ; ou, au titre de l’art. 354, alinéa 2, point 2 du CPP, appliquer une loi pour une infraction identique ou une infraction passible d’une peine plus légère. La présente juridiction partage la thèse exposée ci-dessus, car elle considère que l’utilisation de ces notions n’est pas une fin en soi, d’une part, et, d’autre part, que cette différenciation est orientée vers l’approche différente due par une juridiction d’appel qui juge en fait et en droit, et par une cour de cassation qui est le juge du droit (la compétence visée à l’art. 354, alinéa 5, phrase 2 du CPP en est une exception), y compris sur le plan de la règle de l’art. 354, alinéa 3 du CPP.
Si l’on transpose tout cela en l’espèce, il est force de constater que la bonne application de la loi matérielle, exigeant de condamner l’auteur pour la commission du meurtre au titre de l’art. 116, alinéa 1, point 6, hypothèse 3 du CP, oriente vers l’application d’une loi pour la même infraction, une hypothèse qui ne figure pas parmi celles dans lesquelles la CSC peut juger aux termes de l’art. 354, alinéa 2, point 2 du CPP.
Ceci étant, la violation constatée de la loi matérielle, dans le contexte des faits correctement analysés par la juridiction contrôlée, quelle que soit l’opinion de cette formation de jugement sur la peine infligée à Y. et sur la régularité du jugement, oblige de corriger le reste de la qualification juridique au titre de l’art. 354, alinéa 3, point 3 du CPP, par voie d’annulation de l’arrêt attaqué et renvoi de l’affaire pour réexamen par une autre formation de jugement de la Cour d’appel de Plovdiv. L’infraction imputée, avec ses différentes circonstances aggravantes, doit faire l’objet d’un seul jugement avec toutes les conséquences qui en découleront, en raison de quoi la condamnation ne peut pas être partiellement annulée. En ce sens, le jugement d’acquittement, comme il est formulé dans le texte examiné, ne doit pas être analysé comme un acte entier d’acquittement, mais comme un acte sur lequel la juridiction suprême en matière pénale est tenue de se prononcer, y compris dans la partie prononçant l’acquittement, comme en l’espèce.
ІІ. SUR LES GRIEFS TIRES DE L’INJUSTICE MANIFESTE DE LA PEINE INFLIGEE :
1. SUR LE POURVOI FORME PAR LE PREVENU :
Le grief d’Y., tiré de l’injustice manifeste de la peine qui lui a été infligée, n’est soulevé que dans le cadre de sa prétention rejetée quant au besoin d’appliquer la disposition de l’art. 124 du CP, en raison de quoi ce grief ne sera pas examiné.
2. SUR LE POURVOI FORME PAR LES ACCUSATEURS PRIVES :
Etant donné ce qui a été admis dans la partie de l’arrêt concernant la peine, la présente juridiction ne se penchera pas sur les griefs des accusateurs privés évoquant une injustice manifeste de la peine infligée. Lors du nouvel examen en appel, le juge doit étudier de près la question de la peine à déterminer, à la lumière également de la circonstance aggravante supplémentaire, dont l’existence a été admise, d’une part. D’autre part, il est nécessaire de procéder à une appréciation rigoureuse des circonstances qui ont justifié la conclusion quant à l’existence des préalables au titre de l’art. 38А, alinéa 2 du CP et qui ont permis à la juridiction de première instance de prononcer la peine de réclusion à perpétuité, remplacée aux termes de l’art. 58А, alinéas 2 et 3 du CP à la suite de la procédure différenciée appliquée.
Les accusateurs privés demandent à la Cour, dans leur pourvoi, d’infliger directement au prévenu la peine d’emprisonnement la plus lourde et expriment leur désaccord avec la lourdeur de la peine prononcée par la Cour d’appel de Plovdiv. Il y a lieu de souligner que cela est en principe impossible, comme l’atteste la disposition de l’art. 354, alinéa 3, point 1 du CPP. La prétention formulée ne tient pas compte des compétences de cette instance dans le cadre du premier examen de l’affaire devant elle.
ІІІ. SUR LES INDEMNITES ATTRIBUEES POUR DOMMAGES IMMATERIELS :
1. SUR LE POURVOI FORME PAR LE PREVENU, QUANT A L’INDEMNITE ATTRIBUEE A A.I. POUR DOMMAGES IMMATERIELS :
De nouveau, étant donné ce qui a été dit dans la partie de l’arrêt concernant la peine, la présente juridiction n’est pas tenue de juger au fond la prétention civile. Toutefois, elle doit déclarer que lors du réexamen de l’affaire, il faut prêter sérieusement attention aux objections du prévenu et de ses défenseurs en ce qui concerne la prétention accueillie de la partie civile A.I. Le dossier de l’affaire, comme il est allégué devant la CSC, contient des preuves d’absence de prise en charge par le prévenu de l’enfant tué et même d’un rejet de l’enfant (propos tenus devant les services sociaux selon lesquels ce n’est pas lui le père). Son attention pour R. ne naît qu’après la mort de l’enfant, y compris en ce qui concerne la régularisation de son statut de père. Sur ce plan, il y a lieu de répondre à la question à quel point il s’agit, concrètement pour cette partie civile, de douleurs et souffrances subies, pour lesquelles le prévenu doit réparation.
2. SUR LE POURVOI FORME PAR LES PARTIES CIVILES :
Compte tenu de ce qui a été dit dans la partie de l’arrêt concernant la peine et de ce qui précède dans la partie concernant l’action civile, quant aux objections du prévenu, la CSC n’est pas tenue de statuer spécialement sur les demandes d’augmentation des indemnités pour dommages immatériels jusqu’à concurrence de la prétention maximale de 150 000 leva.
ІV. SUR LES FRAIS D’HONORAIRES D’AVOCAT ENGAGES PAR LES ACCUSATEURS PRIVES ET PARTIES CIVILES :
Comme cela a été déjà indiqué ci-haut, la présente juridiction ne statuera pas sur la demande adressée par les accusateurs privés et parties civiles que leur soient remboursés les frais engagés pour les honoraires d’avocat.
Il est nécessaire de relever que la demande concerne le remboursement des frais engagés devant l’ensemble des juridictions. Sans parler du fait que la partie réclamante est censée présenter des détails de sa prétention, il existe une procédure au titre de l’art. 306, alinéa 1, point 4, hypothèse 2 du CPP qui régit les conditions de satisfaction des prétentions dûment adressées. La décision rendue peut être revue.
Vu ces considérations et sur le fondement de l’art. 354, alinéa 3, point 3 en lien avec l’alinéa 1, point 5, en lien avec l’art. 348, alinéa 2, en lien avec l’alinéa 1, point 1 du CPP, la Cour suprême de cassation, deuxième section pénal,
Décide :
ANNULE l’arrêt no. 260036/03.11.20, rendu par la Cour d’appel de Plovdiv dans l’affaire pénale d’appel no. 330/20.
RENVOIE l’affaire pour réexamen par une autre formation de jugement de la juridiction d’appel.
L’ARRET est définitif.