EN CAUSE : MINISTERE PUBLIC
CONTRE :
1. Y An, fils de Y Michel et de Ai Ao, né en 1943, à Aq, arrondissement et Province de Bururi, marié, père de 7 enfants, Murundi, domicilié à l'avenue des Flamboyants n°6, préventivement détenu à la Prison de Mpimba, représenté par Maître NTIYANKUNDIYE.
2. C Ak, fils de BARASUKANA et de SUZUGUYE, né en 1932 à Bukeye, Commune Bukeye, Arrondissement et Ar Ad, Murundi, marié, fonctionnaire, résidant à Rohero I, 10 Avenue des Flamboyants, prévenu libre.
3. Z As, fils de RUZAHABABAZA et de MUYAGIRWA, né en 1945, à Rutovu, Commune, Arrondissement et Province de Bururi, Murundi, marié, Diplomate, résidant à Rohero I, prolongement de l'avenue d'Août.
4. AM Pie, fils de NGOMIRAKIZA et de MAGOYANE, né en 1939, à Ah, Commune Ag, Arrondissement et Ar Ai, Murundi, marié, commerçant, résidant à l'avenue de la Plage, prévenu libre.
Prévention :
1. A charge des Prévenus Y et AM
Avoir à Ae, Commune, Arrondissement et Province de Ae, Aw du Burundi, au cours de l'année 1976, sans préjudice de dates plus précises, en tant que coauteurs ou complices, suivant l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 du CPL I, étant fonctionnaires en l'occurrence Ministre de l'Intérieur et Maire de la ville de Ae détourné des deniers publics pour un montant de 49.303 Frs qui étaient entre leurs mains soit en vertu, soit à raison de leurs charges, articles 21, 22 et 145 du CPL II.
2. A charge des Prévenus Y et AM
a) Avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, revêtus des mêmes qualités, en tant que coauteurs ou complices, suivant l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 CPL I détourné des deniers publics pour un montant de 344.899 Frs qui étaient entre leurs mains, soit en vertu, soit à raison de leurs charges, articles 21, 22 et 145 CPL I et II.
b) Avoir, dans les circonstances de lieu citées plus haut, après le 4 septembre 1976 sans préjudice de dates plus précises, étant fonctionnaires publics, en tant que coauteurs ou complices, suivant l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 du Code pénal, détourné des deniers publics pour un montant de 556.965 Frs qui étaient entre leurs mains soit en vertu, soit à raison de leurs charges, articles 21, 22 et 145 CPL I et II.
3. A charge du Prévenu Y seul
a) Avoir, à Ae, Commune, Arrondissement et Province de Ae, Aw du Burundi, le 30 mai 1974, étant Ministre de l'Intérieur détourné des deniers publics pour un montant de 148.000 Frs qui étaient entre ses mains, soit en vertu, soit à raison de sa charge, article 145 CPL II.
b) Avoir, dans les mêmes circonstances de lieu, le 9 juillet 1975, étant Ministre de l'Intérieur, détourné des deniers publics pour un montant de 114.089 Frs qui étaient entre ses mains, soit en vertu, soit à raison de sa charge, article 145 C.P.L.II.
c) Avoir, dans les circonstances de lieu décrites ci-dessus, le 2 décembre 1975, étant Ministre de l'Intérieur, détourné des deniers publics pour un montant de 231.000 Frs qui étaient entre ses mains soit en vertu, soit à raison de sa charge, article 145 du C.P.L.II.
4. A charge de Y et Z
a) Avoir, à Ae, Commune, Arrondissement et Province de Ae, Aw du Burundi le 24 janvier 1976 étant fonctionnaire de l'État, en tant que coauteurs ou complices, suivant l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 du Code pénal, détourné des deniers publics pour un montant de 100.000 Frs qui étaient entre leurs mains soit en vertu, soit à raison de leurs charges article 145 du C.P.L.II.
b) Avoir, dans les mêmes circonstances de lieu, le 3 juin 1976, étant fonctionnaires de l'État que coauteurs ou complices, suivant l'un des modes da participation prévus aux articles 21 et 22 du Code pénal, détourné des deniers publics pour un montant de 40.000 Frs qui étaient entre leurs mains, soit en vertu, soit à raison de leurs charges articles 21, 22 et 145 C.P.L.I et II.
5. A charge de Y et AM
Avoir à Ae, Commune, Arrondissement et Province de Ae en République du Burundi au cours de l'année 1975 et en tant que coauteurs ou complices suivant l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 C.P.L.I, frauduleusement utilisé, au profit de Y An, les services de la main d'oeuvre de la Mairie placée sous leurs ordres par l'État du Burundi en vue d'un travail à exécuter pour celui-ci, articles 21 et 22 C.P.L.I et 97 du C.P.L.II.
6. A charge de Y et C
Avoir, dans les mêmes circonstances de lieu, après le 2 septembre 1976, en tant que coauteurs ou complices suivant l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 du C.P.L.I, frauduleusement détourné, au profit de AG Ap, les services de la main d'oeuvre de la Mairie de Ae placée sous leurs ordres par l'État du Burundi en vue d'un travail à exécuter pour celui-ci, articles 21 et 22 C.P.L.I et 97 C.P.L.II.
Vu les pièces du dossier ouvert à charge des prévenus ci-dessus identifiés par le Parquet Général de la République pour les faits susmentionnés;
Vu l'acte de transmission du dossier au Président de la Cour par le Procureur Général de la République ainsi que son dépôt au greffe en date du 16 août 1977;
Vu l'ordonnance de fixation de la cause à l'audience publique du 5 septembre 1977;
Vu les exploits d'assignation des prévenus à comparaître devant la Cour à l'audience publique du même jour pour y présenter leurs dires et moyens de défense et s'entendre condamner;
Vu l'appel de la cause à l'audience de ce jour à laquelle tous les prévenus comparaissent à nouveau, soutiennent et complètent leurs moyens de défense, la cour procède à l'audition des témoins et achève l'instruction;
Vu l'audience publique du 19 septembre 1977 à laquelle le Ministère public présente son réquisitoire et le conseil du prévenu Y ses conclusions;
Vu les procès-verbaux de toutes ces audiences;
Après quoi la cour prit la cause en délibéré pour statuer ainsi à l'audience publique de ce jour;
Attendu qu'il échet en la présente cause de considérer d'abord en deux points l'action publique et l'action civile, d'examiner ensuite sur l'action publique la responsabilité des accusés et la peine applicable à qui sera reconnu responsable de quelque fait d'étudier et de qualifier enfin quant à la responsabilité les faits mis à charge de chaque prévenu ou groupe de prévenus ainsi que la participation de chacun.
1. Sur l'action publique
1.1 La responsabilité
Attendu que la responsabilité pénale suppose la culpabilité, c'est-à-dire le fait d'avoir commis une faute pénale ou une infraction et l'imputabilité, l'obligation d'en répondre en subissant la peine qu'elle emporte;
Attendu que toute infraction suppose à son tour trois éléments constitutifs à savoir un élément matériel, un élément moral et un élément légal tandis que l'imputabilité tient à l'absence d'une cause d'excuse ou d'un fait justificatif;
Attendu qu'il n'y a pas responsabilité pénale à défaut d'un seul de ces éléments;
Qu'il importe de voir s'ils sont tous réunis dans le chef de chaque prévenu pour chaque fait lui reproché;
Attendu que tous les prévenus sont poursuivis sur base des articles 97 ou 145 du code Pénal Livre II ou des deux cumulativement;
Attendu que l'article 97 dispose que "sera puni des peines portées à l'article 95, quiconque aura frauduleusement utilisé à son profit ou au profit d'un tiers les services d'engagés indigènes ou non indigènes placés sous ses ordres par le maître en vue d'un travail à exécuter pour celui-ci ou pour autrui;
Attendu que l'article 95 réprimant l'abus de confiance le punit de trois mois à cinq ans de servitude pénale et d'une amende dont le montant ne dépasse pas 1.000 Frs ou d'une de ces peines seulement;
Attendu que l'article 145 prescrit quant à lui que : « sera puni d'une servitude pénale de deux à dix ans tout fonctionnaire ou Officier public » :
1° qui, aura détourné des deniers publics ou privés, des effets en tenant lieu, des pièces, titres, actes, effets mobiliers qui étaient entre ses mains soit en vertu, soit à raison de sa charge;
2° qui aura méchamment ou frauduleusement détruit ou supprimé des actes ou titres dont il était dépositaire en sa qualité ou qui lui avaient été communiqués à raison de sa charge;
Attendu qu'il faut bien établir ou écarter dans chaque groupe de prévenus et pour chaque accusé les éléments de l'infraction de détournement de deniers publics ou de celle de détournement de main d'oeuvre ainsi que les éléments de la responsabilité, pour conclure à la condamnation ou à l'acquittement;
1.1.1. Pour les prévenus Y et AM
1.1.1.1. Quant à la première infraction
Avoir à Ae, Commune, Arrondissement et Province de Ae Aw du Burundi, au cours de l'année 1976, sans préjudice de dates plus précises; étant fonctionnaires en l'occurrence Ministre de l'Intérieur et Maire de la Ville de Ae, détourné des deniers publics pour un montant de 49.303 Frs qui étaient entre leurs mains soit en vertu soit à raison de leurs charges (articles 21, 22 C.P.L.I et 145 C.P.L.II);
Attendu que le Ministère public a précisé dans son intervention verbale à l'audience du 5 Septembre 1977 et dans son réquisitoire qu'il s'agit de fonds de la Mairie de Ae ayant servi à la construction d'une case dans la parcelle privée du prévenu Y lors de son mandat ministériel;
Attendu que le prévenu Y ne conteste pas devoir ce montant selon les propres termes de son Conseil Maître NTIYANKUNDIYE;
Attendu qu'il invoque le fait qu'il a réclamé sans suite les factures relatives au coût des travaux par sa lettre du 25 juin 1976 pour exclure son intention frauduleuse et sa culpabilité en conséquence;
Attendu qu'il est vrai que la dite lettre a été adressée à cette date au Maire de la Ville de Ae auquel elle est parvenue le lendemain;
Mais attendu qu'il ne peut s'agir pour cette seule raison d'une dette civile comme l'avancent le prévenu Y et son Conseil;
Attendu en effet que ni le prévenu ni son Conseil n'allèguent la conclusion d'un contrat d'entreprise entre la Mairie de Ae et le prévenu Y Ministre de l'Intérieur à l'époque des faits ou une quelconque base civile de cette obligation que les travaux de construction de la case ont été effectués, sur ordre du prévenu Y c'est à dire par sa volonté unilatérale;
Attendu que, l'eût-il prétendu, il n'y a pas contrat sans le concours des volontés des parties contractantes;
Attendu en outre que les factures relatives au coût des travaux de la case ont été transmises au prévenu Y par le Maire C Ak ayant remplacé AM, chose non contestée par l'accusé;
Attendu que le prévenu refusa de les régler sous prétexte que le montant total renseigné sur le relevé des factures était trop petit, chose également non contestée par le prévenu Y;
Attendu cependant qu'il était logiquement tant mieux pour lui si le coût en était sous estimé;
Attendu qu'il résulte de cette attitude que le prévenu Y n'a jamais eu l'intention de rembourser le prix des matériaux et de la main d'oeuvre engagés pour la construction de la case en question;
Attendu que si le prévenu n'avait pas d'intention frauduleuse il aurait payé promptement à la première réquisition quitte à réclamer ultérieurement un réajustement en faveur de la Mairie et satisfaire ainsi son ambition patriotique s'il en eut;
Attendu enfin que l'infraction de détournement est consommée du moment que l'auteur a posé un acte matériel ou juridique de dissipation, fait déjà accompli avant la lettre du 25 juin 1976 dont se prévaut le prévenu en aveu;
Que ni les propositions de restitution ni même la restitution intégrale et spontanée n'enlève aucun élément à la culpabilité de l'auteur;
Que le fait aurait simplement constitué une circonstance atténuante en faveur du prévenu s'il avait été sincère;
Attendu que l'infraction de détournement est établie dans le chef du prévenu Y par l'existence d'un élément matériel reconnu par lui-même et par un élément moral l'intention frauduleuse déniée mais prouvée;
Que les conditions d'application de l'article 145 C.P.L.II sont toutes réunies;
Attendu qu'il est à relever que la qualité de fonctionnaire exigée par l'article 145 C.P.L.II s'applique bien également aux Ministres;
Qu'en effet, l'expression « fonctionnaire public » ne doit pas être entendue au sens restreint du statut général de la Fonction Publique mais bien au sens le plus général comprenant tous ceux qui concourent à la gestion des affaires de l'État, les Ministres en tête;
Attendu que l'infraction n'est ni excusable ni justifié pour le prévenu et qu'il doit par conséquent en répondre devant la société burundaise;
Attendu que le conseil du prévenu souligne que "si il en était jugé ainsi il faudrait que la Haute Cour reconnaisse qu'il existe des milliers de détourneurs dans notre pays;
Attendu quant à ce, que le fait qu'un usage infractionnel soit assez répandu ne le justifie pas; que bien au contraire la responsabilité s'en aggrave proportionnellement pour ceux qui ont contribué sciemment à le répandre;
Attendu que le prévenu AM a toujours déclaré tant devant l'Officier du Ministère Public que devant le Tribunal qu'il n'a fait qu'exécuter l'ordre de son chef Y alors Ministre de l'Intérieur dont il ignorait l'intention frauduleuse et pensait qu'il paierait le prix des travaux effectués;
Attendu qu'à l'appui de son moyen le prévenu AM déclare qu'il a toujours conservé les factures y relatives en attendant la fin des travaux pour les présenter à son Ministre;
Attendu qu'il est vrai que les dites factures n'ont jamais été imputées à la comptabilité de la Mairie;
Attendu en effet que le Ministère public n'a pas rejeté l'allégation du prévenu AM pour ce qui est de sa bonne foi laquelle doit dès lors être considérée comme étant hors de doute;
Attendu qu'ainsi le prévenu AM n'a pas participé à l'infraction de détournement de deniers publics;
Attendu que pour tomber sous le coup de la loi pénale la participation doit être volontaire et consciente à défaut de quoi l'intention frauduleuse manque;
Attendu que si le prévenu Y avait eu l'intention de faire exécuter des travaux à payer comme le pensait son co-prévenu AM Pie il se serait alors agi d'une malversation d'une autre nature;
Que partant le prévenu Y doit être tenu pour seul responsable de l'infraction de détournement libellée à l'acte de prévention à charge de Y et AM, et ce en tant qu'auteur par provocation;
Attendu qu'aux termes de l'article 21 du C.P.L.I « sont considérés comme auteurs d'une infraction;... ceux qui par "offres, dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machinations "ou artifices coupables, auront directement provoqué cette infraction.... »
Attendu qu'en l'espèce le prévenu Y a abusé de son autorité et ainsi provoqué l'infraction;
1.1.1.2. Quant à la deuxième infraction
Avoir à Ae, Commune, Arrondissement et Province de Ae en République du Burundi, au cours de l'année 1975, en tant que coauteurs ou complices suivant l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 du Code Pénal Livre I, frauduleusement utilise au profit;
Attendu que le prévenu Y An reconnaît avoir ordonné la construction de la case dont question ci-haut avec la main d'oeuvre de la Mairie de Ae dans les mêmes circonstances de temps et de lieu;
Attendu qu'il rejette cependant le caractère frauduleux de cet acte tel que qualifié par l'Officier du Ministère public;
Attendu qu'il se fonde sur les mêmes arguments avancés en défense à la première accusation à savoir qu'il a réclamé toutes les factures relatives au matériel et à la main d'oeuvre ayant servi à la construction de sa case;
Attendu que ces arguments doivent rencontrer la même réponse et que la responsabilité du prévenu Y s'établit "mutatis mutandis" pour les deux infractions;
Attendu que par conséquent l'article 97 C.P.L.II s'applique au prévenu Y comme auteur tel que déjà expliqué;
Attendu que le prévenu AM Pie présente aussi les mêmes moyens de défense à savoir qu'il ignorait totalement l'intention frauduleuse de son chef;
Attendu qu'il présente les mêmes arguments;
Attendu que le Ministère public est resté sans réplique sur la question de l'intention frauduleuse du dit prévenu et que partant celui-ci doit être déclaré non coupable pour les mêmes raisons;
1.1.2. Pour les prévenus Y et C
1.1.2.1. Quant à la première infraction
Avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, revêtus des mêmes qualités, en tant que coauteurs ou complices selon l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 C.P.L.I., détourné des deniers publics pour un montant de 344.899 Frs qui étaient entre leurs mains soit en vertu, soit à raison de leurs charges (articles 21, 22 C.P.L.I et 145 C.P.L.II);
Attendu que le Ministère public explique que cette somme représente le coût des travaux effectués sur la résidence privée du prévenu Y alors qu'il était Ministre de l'Intérieur, travaux effectués avec les fonds et la main d'oeuvre de la Mairie de Ae;
Attendu qu'une fois de plus le prévenu Y reconnaît tous les faits et circonstances en excluant seulement son intention frauduleuse;
Attendu qu'il considère le montant de 344.899 Frs comme dû par lui à titre de simple dette civile;
Mais attendu qu'ici non plus il ne fournit pas la base civile soit conventionnelle soit légale de son obligation;
Attendu en outre qu'un relevé des factures relatives à la fourniture de matériaux ayant été utilisé pour la réfection de la maison en question lui a été présenté pour acquittement par les soins de Monsieur AL Af qu'il n'a pas réglé sa soi-disant dette;
Attendu que le prévenu Y reconnaît ce fait qu'il justifie en disant que le relevé lui est parvenu au moment où il était en résidence surveillée;
Attendu toutefois qu'à ce moment il n'a pas offert de payer et qu'il n'explique pas d'où procédait pour lui l'impossibilité d'exécuter son obligation en signant un chèque ou quelque autre effet libératoire;
Attendu que ceci prouve à suffisance que le prévenu Y n'a jamais eu la conscience d'avoir une dette envers la Mairie de Ae;
Attendu que même dans le cas où il aurait payé ou promis de payer sa dette, l'infraction n'en était pas moins consommée;
Qu'en effet celle-ci l'est entièrement du moment que l'auteur a déjà posé un acte de dissipation des fonds subtilisés tel que la construction ou la réfection de sa maison avec ces deniers;
Attendu enfin que le prévenu Y et son Conseil invoquent un manuscrit non daté paraphé par C Ak et rédigé comme suit :
« La Sûreté est venue m'interroger sur ce document. Je leur ai répondu qu'il n'y a pas la moindre intention de voler »;
Attendu que le prévenu C reconnaît ce manuscrit comme rédigé et paraphé de sa main;
Attendu que le Ministère public conteste quant à lui la valeur de cette pièce nouvelle qui n'a jamais été présentée pendant toute la durée de l'instruction pré juridictionnelle;
Attendu que l'accusé peut présenter n'importe quel moyen de défense et n'importe quelle preuve à l'audience publique lors même qu'il n'en aurait pas fait état devant le Magistrat Instructeur pourvu qu'il se trouve devant la juridiction du premier degré;
Attendu que la cour peut donc en examiner la valeur pour établir ou rejeter la culpabilité de celui qui l'invoque;
Mais attendu que le fait pour C de déclarer ignorer ou même d'ignorer totalement les intentions frauduleuses de son co-prévenu Y ne signifie pas que ce dernier n'en avait pas; que pareille interprétation serait contraire à la logique et erronée;
Attendu que la pièce est sans aucune valeur et que la culpabilité doit s'apprécier sur d'autres bases lesquelles sont exposées plus haut;
Attendu qu'ici encore l'infraction de détournement de deniers publics établit dans le chef du prévenu Y comme auteur conformément au prescrit de l'article 145 C.P.L.II par un élément matériel avoué et un élément moral non-avoué mais clairement prouvé;
Attendu que la responsabilité du prévenu Y n'est couverte par aucune cause d'excuse absolutoire ni par aucun fait justificatif;
Attendu qu'à ce propos le conseil du prévenu avance que dans le cas d'espèce Monsieur Y alors Ministre de l'Intérieur représentait également sinon la collectivité mais tout au moins le Gouvernement du Burundi puisqu'il recevait au nom de celui-ci son collègue belge de l'intérieur, chose non contestée par le Ministère public;
Attendu néanmoins qu'il ne s'agit là que d'un mobile et que le mobile est sans aucune influence en Droit Pénal sur la responsabilité;
Attendu qu'en conséquence le prévenu Y doit répondre de cette infraction comme des autres;
Attendu que le prévenu C reconnaît les faits comme son prédécesseur et co-prévenu AM mais dénie comme celui-ci toute intention frauduleuse en son chef;
Attendu qu'il s'appuie sur le fait qu'il a transmis un relevé des factures relatives au coût des travaux de réfection des résidences
Attendu qu'en effet le fait prouve à suffisance que le prévenu C n'était pas conscient de la fraude;
Attendu que pour être punissable la participation doit être volontaire et consciente, quod non à l'espèce;
Attendu que si Y avait eu un instant l'intention de rembourser il se serait encore agi d'une malversation d'une autre nature et non d'un détournement;
Attendu que le ministère public n'a rien répliqué à l'argument du prévenu C mais s'est seulement borné à charger le prévenu Y;
Attendu que ce dernier doit être déclaré seul responsable et ce en tant qu'auteur en vertu de l'article 21 C.P.L.I pour avoir provoqué l'infraction en abusant de son autorité;
Avoir dans les circonstances de lieu citées plus haut après le 4 septembre 1976 sans préjudice de dates plus précises étant fonctionnaires publics, en tant que coauteurs ou complices selon l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 C.P.L.I, détourné des deniers publics pour un montant de 556.965 Frs qui étaient entre leurs mains soit en vertu soit à raison de leurs charges (articles 21, 22 CPL I et 145 CPL II);
1.1.2.2. Quant à la deuxième infraction
Attendu que l'acte d'accusation porte que :
Alors qu'aucune raison impérieuse ou valable ne justifiait la vente de l'immeuble dont question (sis avenue de la Poste et qui avait jusque là abrité les Maires de la Ville) le prévenu Y appela C à son domicile où se trouvait déjà AG Ap qui allait devenir le nouvel acquéreur de la maison, Y alors Ministre de l'Intérieur intima à C l'ordre verbal de vendre l'ex-résidence du Maire aux conditions qu'il dicta manifestement pour favoriser l'acheteur en la personne de AG;
Attendu que le prévenu Y nie catégoriquement avoir eu connaissance de quoi que ce soit de cette vente, avoir donné l'ordre de vendre ou de réparer et de meubler la maison vendue;
Attendu qu'il reconnaît seulement avoir autorisé la vente comme la lui proposait le Maire de la Ville à l'époque C, en apposant sa signature pour accord sur le texte du contrat de vente passé entre la Mairie de Ae représentée par C Maire et Monsieur AG Ap acquéreur;
Attendu qu'il ajoute qu'il avait, d'ailleurs interdit la vente de tout bien meuble ou immeuble appartenant aux communes par sa lettre n°530/378 du 4 novembre 1975;
Mais attendu qu'il est irrelevant de se prévaloir d'un acte que l'on reconnaît avoir violé sciemment en apposant sa signature pour approbation d'une proposition y contrevenant;
Attendu par ailleurs que l'acquéreur de la maison en question comparaissant en qualité de témoin à l'audience publique du 12 septembre 1976, après avoir prêté serment, a produit des éléments faisant conclure au bien fondé de l'accusation en déclarant qu'il a d'abord été trouvé le Maire pour lui communiquer son offre d'achat mais que ce dernier lui expliqua qu'il n'avait pas le pouvoir de vendre et qu'il fallait absolument voir le Ministre de l'Intérieur, le prévenu Y, chez lequel il se rendit aussitôt et qui autorisa la vente;
Attendu qu'il résulte de ce témoignage que ce n'est pas le Maire mais bien l'intéressé AG qui a demandé l'autorisation de vente;
Attendu qu'il est évident que le prévenu Y ne pouvait autoriser le prévenu C à vendre la maison alors que celui-ci ne le proposait pas mais seulement proposer lui-même ou alors ordonner la vente comme l'affirme C;
Attendu qu'il est peu probable que le prévenu C ait osé faire une telle proposition alors qu'une instruction récente l'interdisait;
Attendu dès lors que la version soutenue par C et le Ministère Public à savoir que le prévenu Y a appelé C pour lui dicter l'ordre de vendre la résidence du Maire est la seule à retenir bien que rejetée par le prévenu Y et le témoin AG;
Qu'en effet Y, AG et C doivent s'être vus quelque part au sujet de cette vente;
Que dans l'hypothèse contraire l'on ne voit pas comment le prévenu C a pu être au courant de l'intention du Ministre sur cette question puisque par ailleurs il n'y a pas eu d'autre écrit avant la signature de la convention;
Et qu'enfin le prévenu C ne pouvait pas faire foi à une simple affirmation verbale de AG que le Ministre ne s'y opposerait alors que sa propre instruction le prohibait;
Qu'il est pour le moins certain que si le Maire a renvoyé AG à la compétence du Ministre il a dû attendre la réponse de ce dernier pour passer et signer l'acte;
Attendu qu'au surplus si le prévenu Y alors Ministre de l'Intérieur a ordonné cette vente en violation de ses propres instructions c'était pour donner le plus grand avantage à l'acquéreur;
Qu'il est ainsi clair que tout ce qui fut fait le fut sur ordre du prévenu Y puisque ni Y ni AG ne parviennent à expliquer l'intérêt matériel ou autre que le prévenu C avait à l'opération de vente violant d'abord une instruction ministérielle et ensuite les termes d'un contrat portant le visa du Ministre;
Attendu en effet sur ce dernier point que l'article 4 du contrat de vente stipulait que : « le contractant de première part décline toute sa responsabilité résultant notamment des vices cachés dans les constructions et d'une façon générale, rejette toutes réclamations ultérieures de la part du contractant de seconde part après l'achat »;
Attendu que le fait du détournement de deniers publics est établi dans le chef du prévenu Y et qu'il est frauduleux;
Attendu qu'il n'importe aucunement que l'auteur ait dans son intérêt pour que le détournement soit déclaré frauduleux mais il suffit que l'auteur ait eu pour but de procurer soit à lui-même soit comme en l'espèce, un avantage quelconque au préjudice d'autrui;
Attendu que sans l'ordre du prévenu Y l'infraction n'aurait pas été commise et qu'il doit être considéré comme auteur au sens de l'article 21 CPL I;
Attendu que l'infraction établie n'est ni excusable, justifiée pour le prévenu Y An;
Attendu que le prévenu C avoue tous les faits lui reprochés mais nie avoir eu une quelconque intention frauduleuse;
Attendu qu'il souligne que déjà la maison allait être vendue au prix de 700.000 Frs s'il n'était intervenu;
Attendu que cela n'est contesté par personne;
Attendu que le prévenu C n'avait pas la nette conscience que l'arrangement auquel il procédait sur l'ordre de Y était pénalement délictueux quand il acceptait de continuer les travaux de réparation et de meubler la maison déjà vendue à AG ainsi qu'il l'a déclaré à l'audience publique du 12 septembre 1977;
Attendu qu'il ne le trouvait que simplement déséquilibré mais pas punissable puisqu'il s'inscrivait dans le cadre de l'exécution d'un contrat déjà conclu bien que cette exécution dépassait les limites des termes du contrat conclu;
Attendu que pour être punissable la participation doit être volontaire et tout à fait consciente sans quoi l'intention frauduleuse exigée fait défaut;
Attendu que la participation n'est pas volontaire est consciente lorsqu'elle ne consiste qu'en l'exécution d'un ordre en apparence légale et émanant de l'autorité légitime;
Qu'il en est ainsi en l'espèce et que partant le prévenu C comme AM ne peut être tenu pour coupable;
1.1.2.3. Quant à la troisième infraction
Avoir, dans les mêmes circonstances de lieu, après le 2 septembre 1976, en tant que coauteurs ou complices suivant l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 C.P.L.I, frauduleusement détourné au profit de AG Ap les services de la main d'oeuvre de la Mairie de Ae placée sous leurs ordres par l'État du Burundi en vue d'un travail à exécuter pour celui-ci (articles 21 et 22 C.P.L.I et 97 C.P.L.II);
Attendu que les travaux effectués sur la maison achetée par AG à la Mairie l'ont été par la main d'oeuvre de la Mairie;
Attendu que cette main d'oeuvre n'a pas été rémunérée ni par AG ni par Y mais bien par la Mairie;
Attendu que cette accusation n'a pas trouvée de réponse;
Attendu que cette main d'oeuvre a été affectée à ce travail sur ordre du prévenu Y mais que celui-ci le réfute par les arguments développés sur le deuxième chef d'accusation à charge de Y et C à savoir qu'il n'a jamais rien dit au Maire de la ville à propos de la maison achetée par AG;
Attendu que les mêmes arguments doivent trouver la même réponse et que le prévenu Y doit être reconnu coupable de cette infraction comme de la précédente;
Attendu que les faits sont prévus et punis par l'article 97 CPL II contrairement à l'opinion du conseil du prévenu qui, en reconnaissant les faits à l'audience publique du 5 septembre 1977 demandait sous le coup de quel article de notre code pénal ils tombaient;
Attendu que le prévenu C plaide encore son innocence sur ce chef d'accusation à motif qu'il n'a pas agi en toute conscience;
Attendu que la même solution adoptée pour la prévention précédente s'impose pour les mêmes raisons et que le prévenu C doit, ici encore, être déchargé de cette accusation;
1.1.3. Pour les prévenus Y et Z
1.1.3.1. Quant à la première infraction
Avoir à Ae, Commune, Arrondissement et Province de Ae, Aw du Burundi, le 24 janvier 1976 étant fonctionnaire de l'État, en tant que coauteurs ou complices suivant l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 C.P.L.I, détourné des deniers publics pour un montant de 100.000 Frs qui étaient entre leurs mains soit en vertu soit à raison de leurs charges (article 145 C.P.L.II);
Attendu que le prévenu Y avoue tous les faits en rectifiant cependant que ce montant lui fut remis chez Charles pour payer une dette au tenancier du restaurant;
Attendu qu'il considère également ce montant comme dû à l'État à titre de prêt;
Mais attendu qu'il n'a jamais conclu de contrat de prêt avec l'État et que cette obligation manque de base civile;
Attendu que le prévenu Y n'a jamais eu l'intention de rembourser cette somme avant son incarcération;
Attendu en effet qu'il a évité de signer un quelconque reçu;
Attendu que le reçu dont se prévaut le Conseil du prévenu porte la mention remis et n'est signé que de la main de Z remettant et non de Y; qu'il ne peut donc être interprété qu'en faveur du premier;
Attendu en outre que le prévenu Y nie avoir agi en sachant que la somme lui remise provenait de la caisse publique mais que son co-prévenu Z le contredit;
Attendu qu'interrogé sur les termes dans lesquels il demandait cette somme le prévenu Y répondit qu'il s'adressait à son co-prévenu par téléphone en ces termes « Nta mahera yoba ngaho ng'umpe »? N'y-a-t-il pas d'argent là ?
Attendu qu'il est tout d'abord clair d'une part que le prévenu Z devait se trouver au bureau et que d'autre part le prévenu Y ne désignait par « là » que la Caisse Publique, qu'enfin nulle part il n'a utilisé le verbe emprunter;
Attendu que le prévenu Y est également coupable de ce détournement conformément à l'article 145 C.P.L.II, et ce en tant qu'auteur conformément à l'article 21 C.P.L.I pour l'avoir provoquée en abusant de son autorité;
Attendu que le prévenu Z avoue lui aussi la remise de la dite somme mais affirme avoir pensé que Y rembourserait sans tarder cette somme qu'il considérait comme insignifiante pour lui;
Qu'il n'avait donc pas d'intention frauduleuse;
Attendu en effet que s'il avait voulu procurer un avantage illicite à son Ministre il aurait évité de le renseigner sur un écrit comme il l'a fait;
Attendu que le prévenu Z comme AM et C doit être innocenté de cette accusation;
1.1.3.2. Quant à la deuxième infraction
Avoir dans les mêmes circonstances de lieu, le 3 juin 1976, étant fonctionnaire de l'État, en tant que coauteurs ou complices selon l'un des modes de participation prévus aux articles 21 et 22 C.P.L.I, détourné des deniers publics pour un montant de 40.000 Frs qui étaient entre leurs mains soit en vertu soit à raison de leurs charges (articles 21 et 22 C.P.L.I et 145 C.P.L.II);
Attendu que le prévenu Y se défend exactement de la même façon et dans les mêmes termes que ci-haut;
Qu'il reconnaît avoir reçu cette somme qu'il a remis à son tour à Monsieur B Aj mais en ignorant qu'elle provenait de la caisse publique et avec l'intention de la rembourser;
Attendu que cette défense s'estompe de la même façon devant les mêmes arguments;
Que le prévenu Y est encore une fois coupable de ce détournement;
Attendu que le prévenu Z doit quant à lui être déclaré non coupable pour les mêmes raisons détaillées au dernier point puisqu'il présente également les mêmes moyens de défense à savoir qu'il attendait de son co-prévenu Y le remboursement rapide de toutes les sommes prêtées, chose normale;
Attendu en effet que si telle avait jamais été l'intention du prévenu Y, celui-ci aurait été coupable d'une faute d'un autre ordre et non d'une infraction;
Qu'ainsi le prévenu Z n'a pas volontairement et sciemment collaboré à la perpétration de l'infraction de détournement libellée à sa charge à l'exploit d'assignation;
1.1.4.Pour le prévenu Y seul
1.1.4.1. Quant à la première infraction
Avoir, à Ae, Commune, Arrondissement et Province de Ae, Aw du Burundi le 30 mai 1974, étant Ministre de l'Intérieur détourné des deniers publics pour un montant de 148.000 Frs qui étaient entre ses mains soit en vertu, soit à raison de sa charge (article 145 C.P.L.II);
Attendu que l'acte d'accusation précise que ce montant a été détourné par chèque n°9205 du compte n°1101/61, compte spécial du Trésor dit « compte recensement » ouvert à la Banque de la République du Burundi et géré par le Ministre de l'Intérieur à l'époque, l'actuel prévenu Y An;
Attendu que le prévenu Y avoue les faits mais rejette la responsabilité pénale de ce détournement pour la raison qu'il n'en a tiré aucun profit en attirant l'attention de la cour sur le mobile humanitaire de son acte;
Attendu en effet que le prévenu Y a disposé du dit montant au profit des nommés X, DEDERI, SEMURUNGA; GAKEME et Madame A alors qu'ils empruntaient le vol inaugural d'Air France;
Attendu que selon Y ces personnes seraient mortes de faim s'il ne leur avait distribué la somme de 148.000 Frs;
Attendu qu'il n'est pas nécessaire pour qu'il y ait intention frauduleuse que l'auteur du détournement ait agi dans son propre intérêt mais qu'il suffit que l'auteur ait agi pour procurer soit à lui-même soit à autrui un avantage quelconque au préjudice d'autrui en l'occurrence l'État puisque les bénéficiaires n'étaient pas de ses représentants;
Attendu que le sentiment humanitaire invoqué par le prévenu Y n'est nullement une cause d'irresponsabilité pénale qu'il ne s'agit que d'un mobile et que le mobile est sans influence sur la responsabilité;
Attendu qu'au demeurant aucun sentiment humanitaire n'a motivé le débit puisque les bénéficiaires de la libéralité n'étaient pas tenu de voyager; que chacun avait la liberté ou de renoncer au voyage ou de voyager à ses entiers frais;
Attendu qu'au surplus tout ceux qui ont emprunté le vol inaugural d'Air France n'ont pas bénéficié du même don ainsi que l'affirme sans réponse le représentant du Ministère public;
Attendu que le seul mobile du prévenu Y était de faire plaisir à son frère AH Al ainsi qu'à ses amis, mobile peu valable;
Attendu que l'ordre de Chef de l'État de l'époque dont font également mention le prévenu et son conseil n'est pas prouvé;
Que par ailleurs, si le prévenu Y s'est attribué le mérite du sentiment humanitaire l'ayant poussé à faire la gratification au préjudice de l'État, c'est qu'il n'en avait pas reçu l'ordre;
Attendu en conclusion que le prévenu Y An est entièrement responsable de ce détournement au sens de l'article 145 C.P.L II;
1.1.4.2. Quant à la deuxième infraction
Avoir, dans les mêmes circonstances de lieu le 9 juillet 1975, étant Ministre de l'Intérieur, détourné des deniers publics pour un montant de 114.089 Frs qui étaient entre ses mains, soit en vertu soit à raison de sa charge (art.145.CP.L.II);
Attendu que le prévenu Y reconnaît également avoir disposé de ce montant à son profit par chèque n° 9.210 du même compte n°1101/61 en écartant toujours l'intention frauduleuse;
Attendu qu'il déclare qu'il se remboursait par là les frais exposés par lui pour le compte de l'État alors qu'il faisait soigner son fils en Belgique où il fut à court de provisions;
Attendu qu'ainsi il fonde sa créance sur la notion juridique de la gestion d'affaires;
Attendu qu'il est exact que le détournement de sommes dont le prévenu établit qu'il est créancier ne réunit pas les éléments requis pour qu'il y ait infraction (App. Léop. 3.9.49, RJCB.50 p.130);
Attendu cependant qu'il n'y a gestion d'affaires que si le gérant a agi dans l'intérêt du débiteur alors qu'en l'espèce les frais exposés n'ont profité qu'au prévenu;
Attendu que le prévenu avait déjà touché des frais pour les soins de santé de son fils et leurs séjours en Belgique et que le surplus devait être supporté par lui;
Attendu enfin que la gestion d'affaires exige la nécessité, laquelle le prévenu Y ne justifie pas;
Attendu qu'en somme le prévenu Y a détourné pour se procurer un avantage illicite fait constitutif de l'infraction prévue et punie par l'article 145 CPL.II, le détournement;
1.1.4.3. Quant à la troisième infraction
Avoir, dans les mêmes circonstances de lieu décrites ci-dessus le 2 décembre 1975, étant Ministre de l'Intérieur détourné des deniers publics pour un montant de 231.000 Frs qui étaient entre ses mains soit en vertu, soit à raison de sa charge (article 145 C.P.L.II);
Attendu que le prévenu reconnaît avoir tiré le chèque n°9211 du même compte dit « Recensement » au profit de Monsieur At Ac membre de l'Ambassade des États-Unis chèque portant la valeur de 231.000 Frs et remis à At Ac par l'intermédiaire de AI Av alors Directeur général à la Présidence chargé de la Sécurité Présidentielle;
Attendu qu'il affirme avoir agi dans l'intérêt de l'État la dite somme ayant servi au paiement de gilets anti-balles commandés pour la sécurité présidentielle;
Attendu qu'interrogé sur le détail des faits le prévenu Y répond simplement que les gilets ont été déposés au Palais Présidentiel sans pouvoir préciser leur nombre exact ou même approximatif ni le nom du réceptionnaire, ni les témoins de la remise;
Attendu d'abord que le prévenu se contredit en affirmant à l'audience publique du 5 septembre 1977 tantôt qu'il les a déposés lui-même, tantôt qu'ils furent déposés par un membre de l'Ambassade des États-Unis;
Attendu ensuite que le témoignage de GAKIZA devant l'Officier du Ministère Public est formellement défavorable au prévenu sur ce point;
Attendu que ce dernier déclare tout ignorer de l'affaire des gilets sauf la remise du chèque à Monsieur At Ac;c;
Attendu pourtant que Monsieur AI Av alors Directeur général à la Présidence chargé de la Sécurité Présidentielle était mieux indiqué que quiconque pour commander ou tout au moins réceptionner les dits gilets;
Attendu en outre que la Sécurité Présidentielle avait sa propre caisse et qu'il est déjà curieux que les fonds d'un autre compte couvre ses dépenses;
Attendu que le prévenu Y prouve encore la réalité des gilets en question par le fait qu'un gilet a été essayé par les majors AK Ab et NAHIMANA Libère;
Attendu que le fait n'est pas contesté par le Ministère public qui réplique toutefois qu'il devait s'agir d'un autre gilet;
Attendu qu'effectivement le prévenu Y ne prouve pas que le gilet essayé était du lot commandé et payé au moyen du chèque n° 9211 remis à Monsieur At Ac;c;
Attendu que dès lors force est de conclure que la somme de 231.000 Frs a été dissipée par Y au détriment de l'État et au profit du prévenu ou de At Ac fait prévu et puni par l'article 145 C.P.L.II.;
Attendu que le prévenu Y An est ainsi déclaré coupable et responsable de tous les faits lui reprochés tandis que les prévenus: AM Pie, C Ak et Z As sont innocentés;
1.2 La Peine
Attendu que le Ministère public a requis à l'audience publique du 19 septembre 1977 l'application très sévère, à l'endroit du prévenu Y, des peines portées aux articles 97 et 145 C.P.L.II par cumul conformément à l'article 20 C.P.L.I.;
Attendu que la question du cumul ne se pose plus que pour le seul prévenu Y reconnu responsable des faits;
Attendu que pour appliquer le cumul des peines il faut d'abord établir le concours matériel d'infractions;
Attendu qu'il y a concours matériel d'infractions lorsqu'il y a plusieurs faits constituant chacun une ou plusieurs infractions;
Attendu qu'en l'espèce le Ministère public a libellé dix préventions à charge du seul prévenu Y et qu'il en requiert la répression par cumul des peines y attachées;
Attendu cependant que certaines de ces infractions se rattachent naturellement parce que procédant d'une même intention criminelle;
Qu'ils doivent par conséquent être réprimées par catégories comme une seule et même infraction dans chaque cas;
Attendu en effet que le prévenu Y An n'a pas eu dix desseins distincts d'enfreindre la loi mais qu'il a seulement réalisé ses projets en dix opérations distinctes;
Attendu que le prévenu Y An a d'abord entrepris d'aménager sa parcelle en y construisant une case et en réparant la maison principale aux frais de l'État;
Attendu que les détournements de deniers publics commis en exécution de cette intention unique peuvent être considérés comme une seule infraction de détournement, première infraction;
Attendu que le prévenu Y An a ensuite décidé de faire une donation déguisée à AG Ap avec les fonds de la Mairie de Ae, deuxième infraction;
Attendu que le prévenu Y a également eu indépendamment des deux premières, l'intention de détourner des fonds de la Direction Générale de l'Immigration, intention exécutée en deux opérations très rapprochées pouvant être réprimées comme une seule; c'est la troisième infraction;
Attendu enfin que le prévenu Y a eu une autre idée criminelle celle de subtiliser quelques derniers du compte dit « Recensement » ce qu'il fit par trois fois; c'est la quatrième infraction;
Attendu qu'à l'occasion de la construction de la case et de la réfection de sa maison le prévenu Y se rendit coupable d'une infraction d'une autre nature, le détournement de main d'oeuvre prévu et puni par l'article 97 CPL.II, cinquième infraction;
Attendu qu'il en fut de même à l'occasion de la réparation et de l'ameublement de la maison vendue à AG par la Mairie de Ae, sixième infraction;
Attendu que la première, la troisième et la quatrième infraction sont des infractions continuées mais uniques;
Attendu que l'infraction continuée se caractérise comme l'infraction d'habitude par la répétition de l'activité matérielle incriminée par la loi;
Que néanmoins tandis qu'en matière d'infractions d'habitude la répétition est une condition légale de la répression, chacun des actes accomplis par le délinquant est ici punissable isolément (Au Am et Ap Aa, Traité de Droit Criminel p. 349);
Mais attendu que lorsque la répétition des actes se produit au cours d'une même action, il n'y a véritablement qu'une seule et même infraction, tel qu'il en est en la présente cause;
Attendu qu'il y a concours matériel d'infraction mais que le cumul des peines requis par le Ministère Public doit se faire non point pour dix infractions mais seulement pour six;
Attendu que l'article 20 C.P.L.I dispose que, « lorsqu'il y a concours de plusieurs faits constituant chacun une ou plusieurs infractions le juge prononcera une peine pour chaque fait et cumulera les peines prononcées sous réserve de l'application des dispositions suivantes : notamment la somme des peines de servitude pénale à temps et des amendes cumulées ne pourra dépasser le double du maximum de la peine la plus forte prévue par la loi ni être supérieure en ce qui concerne la servitude pénale principale, à vingt ans; en ce qui concerne l'amende à vingt mille francs; en ce qui concerne la servitude pénale subsidiaire à six mois »;
Attendu qu'il en résulte que le maximum de la peine applicable au prévenu Y est de vingt ans;
Attendu toutefois que le prévenu Y n'est pas récidive et que, bien que le Ministère public a requis de prendre en considération les infractions renseignées dans le casier judiciaire du prévenu, la cour ne peut en tenir compte alors qu'elles ont toutes été classées sans suite;
Attendu que ne peut être considérée comme élément de la récidive que l'infraction établie par une décision judiciaire coulée en force de chose jugée c'est à dire susceptible d'aucun recours ni ordinaire ni extraordinaire;
Attendu que l'absence d'antécédents judiciaires constitue une circonstance atténuante de la peine;
Attendu qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article 18 C.P.L.I les circonstances atténuantes ont pour effet la réduction des peines de servitude pénale et d'amendes dans la mesure déterminée par le juge;
Attendu qu'il est juste d'appliquer au prévenu Y An la peine de deux ans de servitude pénale pour chacune des quatre infractions de détournement de deniers publics et la peine de un an de servitude pénale pour chaque infraction de détournement de main-d'oeuvre soit un cumul de dix ans de servitude pénale, conformément aux articles 20 et 21 C.P.L.I, 97 et 145 C.P.L.II;
2. Sur l'action civile
Attendu que l'article 121 de la loi du 26 juillet 1962 sur l'organisation et la compétence judiciaires dispose que : « sans préjudice du droit des parties de réserver et d'assurer elles-mêmes la défense de leurs intérêts et de choisir la voie de leur choix, les tribunaux répressifs saisis de l'action publique prononcent d'office les dommages-intérêts qui peuvent être dus en vertu de la loi et des usages locaux »;
Attendu que la cour est compétente pour trancher l'action civile en la présente cause;
Attendu que le conseil du prévenu Y a soulevé le fait que il existe un dossier pendant devant le Tribunal de première instance de Ae sous le n° R.C. 5305 en cause la Mairie de Ae contre AG Ap mais qu'aucune partie n'a, à la connaissance de la cour, soulevé l'exception de connexité;
Qu'en conséquence les deux juridictions trancheront indépendamment chacune dans les limites de sa saisine;
Attendu que la cour n'est saisie que de l'action en dommages-intérêts résultant des infractions établies à charge du prévenu Y;
Attendu que l'article 258 C.C.L.III veut que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »;
Attendu que le dommage causé par le fait du prévenu Y à la Mairie de Ae se chiffre à la somme de 951.167 Frs tandis que le dommage causé à l'État s'élève à 633.089 Frs soit au total 1.584.256 Frs;
Attendu que cette somme est payable conformément à l'article 2 du Décret-loi n° 1/57 du 11 août 1970 portant modification du Code de procédure pénale et du Code pénal pour renforcer la répression des détournements commis par des fonctionnaires publics qui dit « un alinéa 3, rédigé comme suit, est ajouté à l'article 17 de décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal : « ....La durée de la contrainte par corps sera proportionnelle au montant des sommes détournées, à raison de six mois par tranche ou partie de tranche de cinquante mille francs..... »;
Attendu qu'en conséquence une contrainte par corps de 15 ans et six mois doit être appliquée au prévenu Y en cas de non paiement des sommes détournées dans le délai imparti;
Attendu que la situation économique du prévenu Y ne permet pas l'application du tarif réduit des frais de l'instance;
Par ces motifs:
La Cour,
Siégeant en matière répressive, statuant publiquement et contradictoirement en premier et dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi;
Oui les prévenus en leurs moyens de défense et le Ministère public en son réquisitoire tendant à l'application très sévère de la loi;
Vu le Décret-loi n° 1/186 du 26 novembre 1976 sur les pouvoirs législatif et réglementaire;
Vu la loi n° 1/185 du 1 octobre 1976 portant organisation et compétence Judiciaires;
Vu l'ordonnance ministérielle n° 560/40 du 21 février 1977 portant mesure d'exécution de la loi ci-dessus;
Vu le Code de procédure pénale;
Vu le Code pénal en ses articles 18, 20 et 21 C.P.L.I, 97 et 145 C.P.L.II;
Déclare établies à charge du prévenu Y An les infractions de détournement de main d'oeuvre et de deniers publics conformément aux articles 97 et 145 C.P.L.II telles que libellées à l'exploit d'assignation et le condamne en conséquence à dix ans de servitude pénale principale;
Déclare non établies les infractions libellées aux exploits d'assignation à charge des prévenus AM Pie, C Ak et Z As et les en acquitte en conséquence;
Condamne en outre le prévenu Y An à la restitution de 951.167 Frs à la Mairie de Ae et 633.089 Frs à l'État du Burundi soit au total 1.584.256 Frs, dans le délai de trois mois faute de quoi il subira quinze ans et six mois de contrainte par corps;
Condamne également le prévenu Y au paiement du droit proportionnel soit 4 % de 1.584.256 = 63.370 Frs;
Condamne enfin le prévenu Y aux frais de la présente instance, payable dans le délai légal soit 8 jours à défaut de quoi il subira encore 5 jours de contrainte par corps;
Charge le Ministère Public de l'exécution du présent arrêt;
Ainsi arrêté et prononcé à Ae à l'audience publique du 3 octobre 1977 où siégeaient Messieurs : Vincent NDIKUMASABO, Président; Sixte RURAKOKOYE et Juvénal NJINYARI, Conseillers; Léonard NCEKE, Officier du Ministère public et Zita MURANGO, Greffier.
Le Président : Vincent NDIKUMASABO (sé)
Les Conseillers : Sixte RURAKOKOYE (sé); Juvénal NJINYARI (sé)
Le Greffier : Zita MURANGO (sé)
COMMENTAIRE DE L'ARRET RPS 9
Résumé des Faits
La Cour suprême du Burundi a rendu le 30 octobre 1977, en premier et dernier ressort, l'arrêt RPS 9 dans l'affaire opposant les prévenus Y An, C Ak, Z As et AM Pie au Ministère public.
Dans cet arrêt la Cour suprême a été saisie pour connaître le fond de l'affaire en premier et dernier ressort, en raison du privilège de juridiction dont jouissaient les prévenus.
Le prévenu Y An est poursuivi par le Ministère public pour dix préventions commises lorsqu'il était Ministre de l'intérieur avec la participation de AM Pie alors maire de la ville de Ae, C Ak qui a succédé à AM dans les mêmes fonctions ainsi que Z As, fonctionnaire de l'Etat.
Les chefs d'accusations tournent autour de l'infraction de détournement des deniers publics dont Y était présumé auteur avec l'aide de AM pour le détournement des deniers ayant servi à la construction d'une case dans la parcelle privée de Y ; de C pour le détournement des deniers ayant servi à la réfection de la résidence privée du même prévenu. Il est également poursuivi pour détournement des deniers avec l'aide de C au profit d'un certain AG par vente à celui-ci de l'immeuble abritant les maires et usage frauduleux des services de la mairie pour effectuer des travaux à cet immeuble, ainsi que le détournement de deniers au profit de son frère AH Al et de ses amis.
Le prévenu Y s'en défend en invoquant l'absence d'intention frauduleuse (élément moral de l'infraction) et fait que ce que le Ministère public considère comme un détournement est soit une dette purement civile que le prévenu reconnaît, soit des frais qu'il a dépensé pour le compte de l'Etat et qu'il se rembourse. Ses coaccusés allèguent à leur tour la bonne foi en ce sens qu'ils ont agi sur ordre et avec l'ignorance de l'intention criminelle de leur ministre.
S'étant rallié aux arguments du Ministère public, la cour condamna le prévenu Y et acquitta ses coaccusés.
Les questions de droit et la réponse de la cour
La question juridique traitée par la Cour Suprême dans cet arrêt concerne le détournement des deniers publics et de main-d'oeuvre. Le juge rappelle dans le cas d'espèce les conditions requises pour l'existence de l'infraction de détournement et souligne l'importance de l'élément moral pour que la participation à l'activité criminelle soit établie.
Il sera d'abord fait part des éléments ayant retenu l'attention de la cour et qu'elle a considérée comme éléments constitutifs du détournement avant de faire constater l'importance réservée à l'élément moral.
1. Les éléments constitutifs du détournement des deniers publics.s.
A l'instar d'autres infractions, le détournement des deniers publics requiert, pour être établi, l'élément légal, l'élément matériel et l'élément intentionnel.
L'élément légal de l'infraction du détournement des deniers publics pour laquelle les prévenus sont poursuivis se retrouve dans les articles 21 et 22 du livre I et l'article 145 livre II du Code pénal de 1940 en vigueur au moment des faits. Les articles 21 et 22 parlent des conditions de participation en tant que complice ou coauteur et l'article 145 stipule que :
« Sera puni d'une servitude pénale de deux à dix ans tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d'un service public :
qui aura détourné des deniers publics ou privés, des effets en tenant lieu, des pièces, titres, actes, effets mobiliers qui étaient entre ses mains, soit en vertu soit à raison de sa charge ;
qui aura méchamment ou frauduleusement détruit ou supprimé des actes ou des titres dont il était dépositaire en sa qualité ou qui li avaient été communiqué à raison de sa charge. »
C'est le point 1° de cet article qui constitue la base légale des poursuites engagées par le Ministère public dans le cas d'espèce.
L'élément matériel consiste à l'accomplissement des actes de détournement. La cour s'évertue tout au long de son arrêt à prouver l'existence de ces actes que le prévenu ne conteste d'ailleurs souvent pas (du moins selon la cour), mais également à dégager certains principes à savoir que :
L'infraction de détournement est consommée du moment que l'auteur a posé l'acte matériel ou juridique de dissipation (4ème feuillet, 13ème « Attendu ») ;
Ni les propositions de restitution, ni même la restitution intégrale et spontanée n'enlève aucun élément à la culpabilité de l'auteur (4ème feuillet, 13ème « attendu », al.2) ;
Il n'importe aucunement que l'auteur ait agi dans son intérêt pour que le détournement soit déclaré frauduleux mais il suffit que l'auteur ait eu pour but de procurer soit à lui même soit à autrui, un avantage quelconque au préjudice d'autrui (9ème feuillet, 12ème « Attendu »).
C'est ce même principe que la cour a opposé à l'argument du prévenu selon lequel il ne saurait être tenu pour responsable d'un détournement dont il a tiré aucun profit et qu'on déduit d'un acte de disposition à mobile humanitaire (12ème feuillet, 10ème « Attendu »). A ce point, la cour a précisé qu'en matière pénale, le mobile est sans influence sur la responsabilité (7ème feuillet, 13ème « Attendu » et 13ème feuillet, 1er « Attendu »).
Dans cet arrêt, la cour a également donné l'interprétation qu'elle entend faire de la notion de fonctionnaire public que cible l'article 145 du Code pénal livre II : « L'expression fonctionnaire public ne doit pas être entendue au sens restreint du statut général de la fonction publique mais bien au sens le plus général comprenant tous ceux qui concourent à la gestion des affaires de l'Etat, les ministres en tête » ( 5ème feuillet, 3ème paragraphe).
Il convient d'emblée de signaler que la cour a adopté une interprétation extensive dans un domaine pénal où la règle d'or est d'interpréter restrictivement les dispositions pertinentes afin de garantir un respect absolu au principe de la légalité des délits et des peines. La cour aurait dû expliquer davantage les raisons de ce choix à défaut de quoi sa décision demeure critiquable.
2. L'importance de l'élément moral.
L'arrêt RPS 9 est longtemps revenu sur cet élément notamment en examinant la notion de participation criminelle sur base de laquelle les coaccusés du Y étaient poursuivis. La cour souligne que « pour tomber sous le coup de la loi pénale la participation doit être volontaire et consciente à défaut de quoi l'intention frauduleuse manque » (5ème feuillet, 12ème « Attendu » et 8ème feuillet 2ème « Attendu »).
C'est l'argument de défaut d'élément moral que font valoir avec succès les coaccusés de Y notamment les co-prévenus AM et C qui allèguent avoir agi de bonne foi sur ordre du Ministre et/ou dans l'ignorance de son intention frauduleuse (5ème feuillet, 7ème « Attendu »).
On remarque un caractère déterminant que le juge accorde, à juste titre, à l'intention frauduleuse pour conclure à la participation criminelle à l'infraction de détournement de deniers publics. Il est fondamental que l'auteur de l'infraction à quelque niveau de participation que ce soit, ait agi dans la conscience qu'il enfreint à la loi et en recherchant un but déterminé. C'est ce qu'on qualifie souvent de dol qui peut être soit général soit spécial.
Le dol général est le dénominateur commun de toutes les infractions et consiste dans « la conscience, l'intelligence ou la volonté d'accomplir un acte illicite ). Il s'agit donc de la faute intentionnelle, la volonté de commettre un acte que l'on sait interdit.
Le dol spécial quant à lui consiste en un élément moral plus caractérisé. Il suppose non seulement que l'agent ait eu conscience de l'acte illicite mais qu'il y ait pensé dès l'origine et qu'il ait agit dans l'intention d'atteindre un certain résultat prohibé par la loi pénale. L'infraction de détournement des deniers publics exige un dol spécial qu'il fallait au juge de prouver.
Conclusion
La cour a rendu un arrêt de condamnation. L'arrêt commenté présente plusieurs mérites.
Tout d'abord, il a le mérite d'avoir consacré d'importants développements et fixé des principes généraux sur les éléments matériels de l'infraction de détournement des deniers publics. En plus, la Cour suprême a fait une interprétation laborieuse de la notion de fonctionnaire public contenue dans l'intitulé de la section 6 du titre IV du code pénal de 1940. Cette section est effet intitulée « des détournements et des concussions commis par les fonctionnaires publics ». La cour a en effet précisé que « l'expression « fonctionnaire public » ne doit pas être entendue au sens restreint du Statut général de la Fonction Publique mais bien au sens le plus général comprenant tous ceux qui concourent à la gestion des affaires de l'Etat, les ministres en tête » (5ème feuillet, 3ème Attendu).
Ensuite, la cour a également émis un autre principe à caractère général à savoir que « pour être punissable la participation doit être volontaire et tout à fait consciente sans quoi l'intention frauduleuse exigée fait défaut » que « la participation n'est pas volontaire et consciente lorsqu'elle ne consiste qu'en exécution d'un ordre en apparence légale et émanant de l'autorité légitime » (10ème feuillet, 4ème et 5ème Attendus).
En outre, la Haute Cour a précisé qu'« en matière d'infraction d'habitude, la répétition est une condition légale de la répression » et que « chacun des actes accomplis par le délinquant est ici punissable isolément » (16ème feuillet, 5ème Attendu).
Enfin, la cour a prescrit que « l'absence d'antécédents judiciaires constitue une circonstance atténuante de la peine » (16ème feuillet, 12ème Attendu).
C'est dire que l'arrêt sous analyse est capital à tous points de vue et c'est un arrêt de principe.