LA COUR SUPREME DU BURUNDI SIEGEANT EN MATIERE REPRESSIVE A RENDU L'ARRÊT RPC 243 AU COURS DE L'AUDIENCE PUBLIQUE DU 13 AOUT 1981.
EN CAUSE : MINISTERE PUBLIC / AGISSANT EN FAVEUR DE DAME BUSAGO
Vu le réquisitoire déposé au greffe de la Cour Suprême en date du 6 janvier 1981 par lequel le Ministère Public forme pourvoi en cassation dans l'intérêt de la loi contre le jugement n°24/RPA/80 du Tribunal de province de Makamba rendu en date du 27 octobre 1980 dont le dispositif est libellé comme suit :
"Sentare ica imana imbona nkubone:
"Ishinze ko:
« 1°Yakiriye urubanza rwungururijwe na A kandi ivuze ko imbarano" ziwe ziskemeye mu mpande zose.
« 2°MARANIRO ico caha co kwararaza uwundi araceze.
« 3°BUSAGO icaha co kurega no kugira ibintu vy'amazimwe kiramwagiriye, ahanishwe "umunyororo w'impaga w'imyaka ibiri yongere atange ihadabu ry'amafaranga 2.000", mu ndagano y'imisi 8 aharenze apfungwe 10 jours de S.P.S.
« 4°Amafaranga y'igarana ry'urubanza uko angana na 125 atangwa na BUSAGO mu ndagano y'imisi 3 aharenze, apfungwe iminsi 6 de C.P.C.;
« Uko niko ruciwe kandi ruvuzwe mu ntahe y'icese i Makamba ku wa 27 Gitugutu 1980 ».
Vu qu'aucune partie ne s'est pourvue en cassation;
Vu que dans l'intérêt de la loi, le Procureur Général de la République s'est pourvu en cassation par le réquisitoire du 6 janvier 1981 déposé au greffe le 9 janvier 1981;
Vu l'ordonnance de fixation de la cause de l'audience publique du 30 mars 1981 signée par le Président de la Cour Suprême le 10 mars 1981
Vu l'appel de la cause à l'audience publique du 30 mars 1981 dans laquelle le Ministère public requiert :
« De recevoir ce pourvoi formé dans l'intérêt de la loi;
« De casser le jugement n° 24/RPA/80 du Tribunal de Province de Makamba du 27 octobre 1980 dans sa disposition condamnant arbitrairement dame BUSAGO;
« Ordonner la remise en liberté de cette dernière conformément à la disposition de l'article 12 du Décret-loi n° 1/51 du 23 juillet 1980 relatif au pourvoi en Cassation et à la procédure suivie devant la Chambre de Cassation de la Cour Suprême ».
Après quoi la cour prit la cause en délibéré pour statuer à l'audience publique de ce jour et rendre l'arrêt suivant;
Attendu que le pourvoi formé par le Ministère public est basé sur les motifs que le jugement du Tribunal de Province est irrégulier en ce que :
1°Sur appel du prévenu A condamné pour imputation dommageable, il a acquitté ce dernier et condamné la partie citante en premier degré (dame BUSAGO) du chef d'épreuves superstitieuses.
2°Les éléments de l'infraction épreuves superstitieuses retenue à charge de BUSAGO ne sont pas réunis dans son chef.
Attendu que A a accusé B devant leurs voisins communs d'être umusozi parce que disait-il, il venait de le surprendre la nuit dans son enclos en train d'exécuter des danses (GUKINDA);
Attendu que par ce fait, BUSAGO par citation directe intenta une action contre A pour imputation dommageable devant le Tribunal de résidence de Mabanda qui condamne ce dernier à 1.000 Francs d'amende et 3.000 francs de dommage-intérêts;
Attendu que A interjette appel contre ce jugement devant le Tribunal de province de Makamba qui le reforma dans toutes ses dispositions et acquitte l'appelant;
Qu'en plus dans cette même cause le tribunal de province condamna la partie citante au premier degré à 2 ans de S.P.P.et à 200 Francs d'amende du chef d'épreuves superstitieuses au sens de l'article 57 du Code Pénal Livre II;
Attendu que la juridiction d'appel n'aurait pas dû se saisir au degré d'appel d'une infraction dont le premier juge n'avait pas été saisi;
Attendu que s'il avait voulu exercé l'action publique en sa qualité d'Officier du Ministère public, le juge du tribunal de province aurait dû la mettre en mouvement et l'exercer au premier degré dans un procès différent;
Attendu que le jugement du tribunal de province a donc violé les dispositions du Code de Procédure Pénale;
Attendu que par ailleurs l'infraction d'épreuves superstitieuses suppose selon les termes de l'article 57 du Code Pénal Livre III, la soumission, de gré ou de force, d'une personne à un mal physique réel ou supposé en vue de déduire des effets produits l'imputabilité d'acte ou d'un événement en toute autre conclusion;
Attendu que dans les faits jugés, personne n'a été soumise à un mal physique réel ou supposé en vue de tirer des effets produits une quelconque conclusion;
Attendu que donc le juge a mal appliqué la loi aux faits constatés en condamnant pour des faits non répréhensibles;
Par ces motifs :
La Cour,
Vu le Décret-loi n°1/186 du 26 novembre 1976 portant organisation des pouvoirs législatif et réglementaire tel que modifié par le Décret-loi n°1/32 du 16 octobre 1978;
Vu le Décret-loi n°1/24 du 28 août 1979 sur l'organisation et la compétence judiciaires;
Vu le Décret-loi n°1/51 du 23 juillet 1980 relatif au pourvoi en cassation et à la procédure suivie devant la Chambre de Cassation de la Cour Suprême spécialement en ses articles 11 et 12;
Vu le Code de Procédure Pénale;
Vu le Code Pénal;
Reçoit le pourvoi et le déclare entièrement fondé;
Casse dans l'intérêt de la loi le jugement n° 24/RPA 80 du Tribunal de province Makamba en ce qu'il condamne dame B, et ordonne en conséquence son élargissement;
Ordonne l'inscription du présent arrêt dans le registre du Tribunal de Province de Makamba en marge du jugement 24/RPA/80
Les frais sont mis à charge du Trésor;
Ainsi arrêté et rendu en audience publique du 13 août 1981 où siégeaient Messieurs NJINYARI Juvénal, Président, BIDAHARIRA Jérôme et NGARIGARI Diomède, Conseillers, BIRIHANYUMA Marc, Officier du Ministère public et MAGERANO Marcien, Greffier.
Le Président : NJINYARI Juvénal (sé)
Les Conseillers : BIDAHARIRA Jérôme (sé); NGARIGARI Diomède (sé)
L'Officier du Ministère public : BIRIHANYUMA Marc (sé);
Le Greffier : MAGERANO Marcien (sé)
COMMENTAIRE DE L'ARRET RPC 243
Le pouvoir du juge d'appel est soigneusement délimité par les faits dont la juridiction du premier degré a été saisie. Le juge ne saurait, en appel, se saisir des faits nouveaux pour les qualifier et les réprimer, sauf à ouvrir une nouvelle instance, de premier degré et non d'appel. En agissant autrement, il s'expose à la censure du juge de cassation. L'arrêt RPC 243 du 13 mai 1981 permet de s'en rendre compte.
Outre cet enseignement sur le plan procédural, l'intérêt du présent arrêt est qu'il attire également l'attention du praticien du droit et du juge en particulier sur la problématique de la qualification exacte des infractions et de l'interprétation restrictive de la loi pénale, en prenant appui sur l'élément matériel l'infraction d' « épreuves superstitieuses ».
Résumé des Faits
En commune Mabanda de la province Makamba vers la fin de la décennie 70, un certain A accuse son voisin BUSAGO d'être « UmuroziI » (sorcier), pour l'avoir surpris la nuit dans son enclos, en train d'exécuter des danses (gukinda). BUSAGO, se sentant outragé, saisit le Tribunal de résidence de Mabanda qui condamna A à 1.000FBU d'amendes pour imputation dommageable et à 3.000FBU de dommages-intérêts. Le condamné fit alors appel auprès du Tribunal de province de Makamba. Le 27 octobre 1980, celui-ci réforma le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et acquitta l'appelant. Bien plus et sans en avoir été saisi, il condamna BUSAGO à 2 ans de servitude pénale pour épreuve superstitieuse et à 200FBU de dommages-intérêts. Aucune partie ne s'étant pourvue en cassation, le Ministère public adressa un pourvoi dans l'intérêt de la loi à la Chambre de cassation de la Cour suprême, en date du 6/1/1981. Le juge de cassation censura cet arrêt pour deux motifs :
1° La juridiction d'appel n'aurait pas dû connaître d'une infraction dont le premier juge n'avait pas été saisi.
2° La violation de l'article 57 du Code pénal définissant l'infraction d'épreuve superstitieuse.
Les questions de droit soulevées
1° Saisine d'office en appel des faits dont le premier juge n'avait pas été saisi.
Sous ce moyen, la cour s'est limitée à suivre le requérant dans son raisonnement en rappelant le principe que le juge d'appel est lié par les faits dont le premier juge avait été saisi.
Le juge de régulation est ici en accord avec la doctrine qui enseigne constamment que le juge d'appel ne peut prendre en compte que les faits soumis au premier juge et qu'il ne saurait élargir son examen à des faits nouveaux. L'un des enjeux de cette règle est de ne pas priver le prévenu du double degré de juridiction sur les faits qui seraient évoqués pour la première fois en appel. C'est donc de bon droit que le juge de cassation censure cet arrêt.
2° De l'élément matériel de l'infraction d'épreuve superstitieuse
En censurant le Tribunal de grande instance de Makamba, la juridiction suprême a implicitement montré que l'élément matériel de l'infraction d' « épreuves superstitieuses » ne coïncide nullement avec ce que la croyance populaire appelle « UBUROZI ». En effet, il s'agit, comme la dénomination l'indique, des épreuves auxquelles l'on soumet la personne suspectée d'avoir commis une infraction pour en déduire sa culpabilité ou son innocence. Les exemples que la doctrine en donnent sont notamment l'épreuve du breuvage (akavyi), dont on croit qu'il est mortel pour les coupables et inoffensif pour les innocents, ou du passage de la main par le feu. Pour cette dernière épreuve, la croyance en effet est que ne brûle que la main du coupable .
L'extension de la définition de cette infraction à des pratiques animistes n'impliquant pas le corps humain, comme l'avait fait le jugement censuré, va à l'encontre de la volonté du législateur et foule au pied le principe de l'interprétation restrictive des lois pénales. La censure intervient donc bien à propos.
Il faut cependant constater que le juge de cassation ne soit pas allé assez loin dans sa motivation en se contentant de reprendre la définition de l'infraction portée par l'article 57 du Code pénal Livre II en vigueur à l'époque. Cet article dispose que les épreuves superstitieuses consistent en « la soumission, de gré ou de force, d'une personne à un mal physique réel ou supposé en vue de déduire des effets produits l'imputabilité d'une acte ou d'un événement ou toute autre conclusion »,
Dans une matière aussi complexe, on n'attendait pas de lui qu'il fasse une énumération exhaustive d'hypothèses dans lesquelles il serait permis de parler d'« épreuve superstitieuse », exercice d'ailleurs impossible par essence, mais qu'il clarifie à tout le moins les notions de « mal physique réel ou supposé » et du lien-nécessaire- devant exister entre les effets de la soumission à ce mal avec la conclusion que l'auteur en tire.