Vu la requête de pourvoi en cassation introduite par Maître RWAGASORE agissant pour le compte de la SOCABU en date du 12 Août 1994 et parvenue au Greffe de la Cour Suprême le 16 Août 1994 par laquelle il demande la censure par la Haute Cour de l'Arrêt R.C.A. 3176;
Vu l'arrêt R.C.A. 3176 rendu par la Cour d'Appel de Bujumbura en date du 20 Mai 1994 et dont le dispositif est ainsi libellé :
« La Cour,
« Statuant publiquement et contradictoirement après en avoir délibéré
« Conformément à la loi;
« Reçoit l'appel principal et le déclare non fondé;
« Reçoit l'appel incident et le déclare partiellement fondé;
« Confirme le jugement entrepris en ce qui est du dommage matériel et du manque à gagner;
« Statuant à nouveau;
« Déclare que ces sommes seront majorées des intérêts de 8 % l'an calculés;
« Depuis l'assignation jusqu'à parfait paiement volontaire ou forcé;
« Les frais de justice sont à charge de la SOCABU »;
Attendu que la SOCABU a été signifiée de l'arrêt attaqué en date du 14 Juin 1994;
Attendu que cette dernière s'est pourvue en cassation le 16 Août 1994 et les frais de consignation payés le même jour;
Attendu qu'en date du 22 Août 1994, les défendeurs en cassation ont été signifiés du dépôt d'une requête tendant à casser l'arrêt R.C.A. 3176;
Attendu que le 24 Août 1994, les mêmes défendeurs ont fait parvenir au greffe de la Cour Suprême leur réplique;
Attendu qu'en date du 15 Novembre 1994, le Président de la Cour Suprême prit une ordonnance de fixation par laquelle il donna acte à la demanderesse du dépôt de sa requête et ordonna que la requête et l'ordonnance soient signifiées aux défendeurs et l'assignation leur fut donnée de comparaître devant la Chambre de Cassation à son audience publique du 25 Novembre 1994;
Attendu que la cause fut appelée à l'audience publique du 25 Novembre 1994 à laquelle seuls les défendeurs comparaissent tandis que le Conseil de la demanderesse s'excusa, raison pour laquelle elle fut remise au 19 Décembre 1994;
Attendu qu'à l'audience publique du 19 Décembre 1994 à laquelle la cause fut de nouveau appelée, toutes les parties ont comparu mais elle fut remise au 2 Janvier 1995 sur demande du Conseil de la demanderesse pour que celui-ci, dit-il, puisse préparer le dossier;
Attendu qu'à l'audience publique du 2 Janvier 1995 seul un des défendeurs en l'occurrence NSABIMANA Christian a comparu tandis que le Conseil de la demanderesse fit défaut ainsi que A Ab et la cause fut remise au 20 Janvier 1995;
Vu spécialement cette audience publique du 20 Janvier 1995 à laquelle toutes les parties comparurent, plaidèrent et clôturèrent les débats et la Cour prit la cause en délibéré pour y être statué comme suit :
De la recevabilité :
Attendu que les défendeurs ont soulevé in limine litis l'exception de forclusion comme quoi la SOCABU s'est pourvue en cassation en dehors des délais prévus par la loi, que partant le pourvoi ainsi introduit doit être déclaré irrecevable;
Attendu que selon les mêmes défendeurs, le délai pour se pourvoir en cassation a expiré le 12 Août 1994 tandis que la demanderesse a introduit sa requête de pourvoi le 16 Août 1994, qu'il y a donc manifestement dépassement des délais, que par conséquent un tel pourvoi doit être rejeté pour tardiveté;
Attendu que de son côté, le Conseil de la demanderesse s'en défend en invoquant les journées "ville morte" du 8, 9 et 10 Août 1994, qu'il ne doit pas être pénalisé alors qu'il n'a été en aucun cas responsable de l'arrêt de travail pendant ces trois jours;
Attendu que pour les défendeurs, la demanderesse ne peut invoquer les journées "ville morte" du 8, 9 et 10 Août 1994 pour être relevé de la forclusion parce que, estiment-ils, beaucoup de services publics ont travaillé pendant ces jours dont les banques, les greffes et les assurances pour ne citer que ceux-là, et que par ailleurs même son pourvoi ne l'a signé que le 12 Août 1994;
Attendu que pour le Conseil de la demanderesse, même s'il est vrai que le pourvoi a été signé le 12 Août 1994, ce n'est qu'à partir du 16 Août 1994 que le greffe a ouvert ses portes;
QUE même si la loi dit que le pourvoi doit être introduit dans un délai de 60 jours à compter de la signification, les 60 jours doivent être compris comme étant 60 jours utiles;
Attendu que selon le Conseil de la demanderesse, ces trois journées "ville morte" doivent être considérés comme constituant un cas de force majeure devant être déduit dans le délai de 60 jours prévus par la loi pour se pourvoir en cassation;
Attendu que telle est également la position de la Cour, que donc le Conseil de la demanderesse doit être relevé de la forclusion, que par conséquent le pourvoi en cassation qu'il a introduit en date du 16 Août 1994 doit être considéré comme l'ayant été dans les délais;
Attendu que des développements qui précèdent, il faut en conclure que le pourvoi en cassation introduit par la SOCABU par le biais de son Conseil est recevable;
Des moyens du pourvoi :
Attendu que le premier moyen est tiré du refus de réponse à conclusions, de la violation de l'article 142 de la Constitution et de l'article 23 du Code de Procédure Civile;
Attendu que le Conseil de la demanderesse ne montre pas en quoi les dispositions visées au moyen auraient été violées parce qu'il ne fait que les énoncer sans montrer comment elles l'auraient été;
Attendu que l'arrêt intervenu dans la présente cause a été suffisamment motivé et la Cour a répondu à toutes les conclusions lui soumises par les parties;
Que dès lors, on ne peut pas comprendre comment la demanderesse par le biais de son conseil soutient mordicus que l'arrêt n'a pas été motivé;
Attendu que pour le Conseil de la demanderesse, il faudrait annuler le jugement le condamnant pour statuer dans le sens de ses conclusions;
Attendu qu'une des parties fut-elle la SOCABU ne peut exiger à la Cour de statuer dans le sens de ses conclusions dans la mesure où le juge saisi d'un litige doit confronter les conclusions de toutes les parties pour en dégager une solution juridique au problème posé, ce qu'a fait du reste le premier juge suivi en cela par le juge d'appel;
Attendu que sous ce moyen, la Cour constate qu'il s'agit plutôt pour la demanderesse d'une manoeuvre dilatoire pour retarder tout simplement le paiement, que ce moyen n'est pas du tout fondé, raison pour laquelle il doit être rejeté;
Attendu que le deuxième moyen est tiré de la violation de l'article 26 du Titre II de la police concernant les conditions relatives à l'assurance contre les dégâts matériels de l'article 33 du Code Civil Livre III ainsi que du refus de réponse a conclusions, de l'article 142 de la Constitution ensemble avec l'article 23 du Code de Procédure Civile;
Attendu que dans la réponse au deuxième moyen, on ne revient pas sur les branches du moyen relatives à la violation de l'article 142 de la Constitution et de l'article 23 du Code de Procédure Civile parce qu'on y a déjà répondu sous le premier moyen;
Attendu donc qu'il ne reste sous ce moyen que les branches en rapport avec la violation de l'article 26 du Titre II de la police concernant les conditions relatives à l'assurance contre les dégâts matériels et de l'article 33 du Code Civil Livre III;
Attendu que même si la demanderesse invoque les dispositions de l'article 26 du Titre II de la police concernant les conditions relatives à l'assurance contre les dégâts matériels, ces mêmes dispositions doivent être lues en même temps que l'avenant d'assurance n° 1/100/103.429 du 26 Mai 1987;
Attendu que cet avenant est libellé comme suit : « Il est convenu qu'à l'effet de garantir le paiement à la société (SBF) de toutes sommes en principal, intérêts, débours et frais, dont la souscripteur (les actuels défendeurs) est ou pourrait être redevable envers elle, la société est désignée comme bénéficiaire de la police; la compagnie (SOCABU) s'engage en conséquence à payer exclusivement entre les mains de la Société (SBF) les indemnités qui seraient dues au souscripteur en vertu de cette police;
Attendu que le même avenant précise qu'en cas de réduction, suspension ou résiliation de celle-ci pour quelque cause que ce soit, la compagnie (SOCABU) en avisera la Société (SBF) par lettre recommandée et maintiendra sa garantie au profit exclusif de cette dernière pendant 15 jours à dater de l'envoi de ladite lettre;
Attendu néanmoins que la SOCABU n'a pas informé la SBF de la survenance de l'accident au véhicule qu'elle avait financé alors que l'avenant l'avait prévu ainsi;
Attendu que ce n'est que par la diligence des défendeurs en cassation que la SBF a pu être informée de l'accident du 11.11.1988;
Qu'en outre, la SOCABU n'a pas versé entre les mains de la SBF les 603.433 FBU représentant le montant de l'expertise du véhicule accidenté alors que l'avenant à la police d'assurance l'avait bien stigmatisé;
Qu'en agissant comme elle l'a fait, la demanderesse a manqué à ses obligations, qu'elle ne peut dès lors que s'en prendre à elle même, raison pour laquelle le deuxième moyen est inopérant, qu'il est par conséquent à rejeter;
Attendu que le troisième moyen est pris de la violation de l'article 3 de l'avenant n° 1/100/103.429 ensemble avec les articles 33 et 258 du Code Civil Livre III, du refus de réponse et de l'article 142 de la Constitution;
Attendu que la motivation qui vient d'être développée sous les précédents moyens vaut également pour celui-ci sauf en ce qui concerne la violation de l'article 258 du Code Civil Livre III;
Attendu que le juge d'appel n'a violé en aucune façon le prescrit de l'article 258 du Code Civil Livre III parce qu'en confirmant le jugement du Tribunal de Grande Instance en ce qui est du dommage matériel et du manque à gagner, il avait constaté que le premier juge avait des éléments suffisants d'appréciation tels l'usage auquel le véhicule était affecté, le temps passé en immobilisation, les recettes journalières qu'apporte un tel véhicule;
Que par conséquent, le Conseil de la demanderesse ne peut être reçu à invoquer cette prétendue violation, étant donné que cela relève de l'appréciation souveraine du juge du fond, que partant ce moyen est à rejeter;
Attendu que le quatrième moyen est pris de la violation des articles 45, 46, 48 et 258 du Code Civil Livre III;
Attendu que comme déjà dit ci-dessus, la demanderesse ne peut que s'en prendre à elle-même parce que c'est bien elle qui n'a pas respecté l'avenant au contrat d'assurance qui le liait et aux défendeurs et à la SBF qui avait financé l'acquisition dudit véhicule;
Attendu qu'en ce qui concerne la prétendue violation par le juge d'appel de l'article 258 du Code Civil Livre III, la réponse à ce moyen a déjà été donnée sous le troisième moyen;
Que par conséquent, ce moyen est à rejeter parce qu'il n'est pas plus fondé que les précédents;
Attendu que le cinquième moyen est pris des articles 48, 49 et 258 du Code Civil. Livre III, l'article 142 de la Constitution et du défaut de réponse à conclusion`;
Attendu que sous ce moyen, même si le Conseil de la demanderesse invoque ces dispositions, encore faut-il convaincre parce que l'inexécution de la convention la liant aux défendeurs lui revient entièrement étant donné que n'eussent été les spéculations de la demanderesse, les défendeurs avaient déjà en date du 24 Mai 1989, fait parvenir une proposition à la SOCABU en date du 31 Mai 1989 (voir lettre de Me NZEYIMANA agissant pour le compte des défendeurs adressée à la SOCABU);
Attendu que ce n'est qu'en date du 10 Décembre 1992 que la
SOCABU a finalement déclaré tenir à la disposition des défendeurs le montant représentant l'indemnité correspondant aux dégâts survenus au véhicule accidenté alors que ledit accident est intervenu le 11/11/1988;
Attendu qu'en n'indemnisant pas à temps les défendeurs alors que leur véhicule était assuré contre tous risques, ceux-ci (les défendeurs) ont subi un grand préjudice du fait de la demanderesse, c'est donc à juste titre que les défendeurs réclament réparation en n'oublie pas évidemment le manque à gagner subi à cause d'une longue période d'immobilisation;
Attendu donc que les sommes auxquelles la SOCABU a été condamnée pour paiement sont justifiées pour réparer intégralement le préjudice que les défendeurs ont, subi par son fait;
Que d'ailleurs le premier juge a fait une longue motivation sur ce, et le juge d'appel ne trouvant aucun grief à lui reprocher l'a confirmée;
Attendu que la Cour de céans estime que ce moyen invoqué pour demander la censure de l'arrêt attaqué ne peut être accepté, qu'il est par conséquent à rejeter;
Attendu que le sixième moyen est pris du défaut de base légale et de la violation de l'article 142 de la Constitution;
Attendu que le Conseil de la demanderesse précise que le dommage allégué était constitué par deux chefs de demande à savoir le coût de la remise en état du véhicule ainsi que le manque à gagner;
Attendu que pour le Conseil de la demanderesse, le fait pour le juge d'appel d'avoir statué ex aequo et Ad sans autre motif, la Cour n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 258 du Code Civil Livre III et a violé l'article 142 de la Constitution;
Attendu que sous ce moyen, même si le Conseil de la SOCABU soutient que le juge n'a pas donné de base légale à sa décision celui-ci a tenu compte de beaucoup d'éléments en sa possession comme déjà dit précédemment pour qu'il puisse y avoir réparation de tout le préjudice subi suite à l'inobservation des termes de la convention par la demanderesse elle-même;
Attendu que sous ce rapport, il s'ensuit qu'il ne peut y avoir une quelconque reproche à l'endroit du juge d'appel qui a confirmé le premier jugement parce qu'il l'a trouvé conforme à la loi;
Que le jugement ayant été motivé tant en fait qu'en droit, le juge d'appel l'a confirmé, partant le moyen sous examen n'est pas du tout fondé, il est par conséquent à rejeter;
Attendu que le septième, et dernier moyen est pris de la violation des articles 51 et 258 du Code Civil Livre III;
Attendu que sous ce moyen, le Conseil de la demanderesse prétend que le juge d'appel, en allouant des intérêts de 8% à partir de l'assignation sur l'ensemble des indemnités, il a violé l'article 51 du Code Civil Livre III par fausse application et l'article 258 du Code Civil Livre III par refus d'application;
Attendu qu'en ce qui concerne la première branche de ce moyen, l'allocation des intérêts de 8% l'an est fortement justifiée par l'usage auquel le véhicule accidenté était affecté à savoir le transport rémunéré des personnes, que donc la taux qui doit être d'application est celui applicable en matière commerciale à savoir 8%;
Attendu que pour ce qui est de la date à partir de laquelle les intérêts judiciaires doivent commencer à courir, la Cour de céans s'est déjà prononcée là-dessus dans son arrêt de principe le R.T.C 4, que c'est donc à juste titre que le juge d'appel ait déclaré que ces intérêts doivent commencer à courir à partir de l'assignation, que par conséquent il n'y a pas eu fausse application de l'article 51 visé au moyen;
Attendu qu'en ce qui concerne la deuxième branche du moyen, il est reproché au juge d'appel d'avoir violé l'article 258 du Code Civil Livre III par refus d'application;
Attendu que la réponse à cette branche du dernier moyen a déjà été donnée dans les développements qui précèdent, qu'il n'est donc point opportun d'y revenir encore une fois;
Qu'en conséquence, même cette branche du moyen doit être rejetée parce que manifestement non fondée comme vu précédemment, que partant tout le moyen doit être rejeté;
Par tous ces motifs :
La Chambre de Cassation de la Cour Suprême;
Vu la Constitution de la République du Burundi;
Vu la Loi n /1/004 du 14 Janvier 1987 portant Réforme du Code de l'Organisation et de la Compétence Judiciaires;
Vu le Décret-loi n°1/51 du 23 Juillet 1980 relatif au pourvoi en cassation et à la procédure suivie devant la Chambre de Cassation de la Cour Suprême;
Vu le Code Civil;
Vu le Code de Procédure Civile;
Ouï le Ministère Public en son avis écrit;
Statuant contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Déclare le pourvoi en cassation introduit par la SOCABU recevable le dit néanmoins non fondé, et partant le rejette;
Confirme en conséquence l'arrêt R.C.A. 3176 dans toutes ses dispositions;
Dit que cet arrêt sera inscrit dans les registres des arrêts de la Cour d'Appel de Bujumbura en marge de l'arrêt non cassé;
Les frais de justice sont à charge de la SOCABU soit 3.900 Frs;
Ainsi arrêté et prononcé à Aa en audience publique du 31 Mars 1995 où siégeaient : HAVYARIMANA Fidèle, Président, NJINYARI Juvénal et BISUMBAGUTIRA
Timothée, Conseillers, assistés de BARENGA Liboire, Officier du Ministère Public et de UWIZEYE Béatrice, Greffier.
Le Président : HAVYARIMANA Fidèle (sé)
Les Conseillers : NJINYARI Juvénal (sé); BISUMBAGUTIRA Timothée (sé)
Le Greffier : UWIZEYE Béatrice (sé)
COMMENTAIRE DE L'ARRET RCC 7540
L'arrêt RCC 7540 a été rendu par la Cour Suprême du Burundi en date du 31 mars 1995 entre la SOCABU (demandeur en cassation) et Ae A Ab et B Ac Cdéfendeur en cassation).
Dans le commentaire qui fait objet des lignes suivantes, il sera successivement exposé brièvement les faits et la procédure, présenté les arguments et thèses développés, discuté la question de droit en cause et rapporté la réponse de la Cour. Il sera enfin fait une appréciation de l'arrêt sous forme de conclusion générale.
Résumé des Faits
L'affaire tire son origine dans un accident de circulation causé par le véhicule du défendeur qui était assuré « tout risque » à la société d'assurance SOCABU.
Alors que l'accident est survenu le 11 novembre 1988, ce n'est qu'en 1992 (10/12/1992), que l'assureur déclarera avoir disponibilisé le montant destiné à réparer le dommage et ce malgré les rappels et insistances des défendeurs en cassation.
Ae A Ab et B Ac décideront d'emprunter la voie judiciaire. Au premier degré, le Tribunal de Grande Instance condamnera la SOCABU à payer des dommages-intérêts en rapport avec le coût de la remise en état du véhicule et le manque à gagner occasionné par l'immobilisation du véhicule accidenté.
Non satisfaite de la décision des premiers juges, la SOCABU va interjeter appel devant la Cour d'appel de Bujumbura qui de son côté va rendre un arrêt de confirmation sous le RCA 3176 du 20 mai 1994.
Cet arrêt fera à son tour, l'objet de pourvoi devant la Cour Suprême sous le RCC 7540.
Arguments et Thèses Développés
La première bataille juridique tournera autour de la question de recevabilité du pourvoi. En effet le demandeur en cassation qui a été signifié de l'arrêt le 14 juin 1994, ne saisira la Chambre de cassation de la Cour suprême par requête déposée au greffe qu'en date du 16 août 1994.
Dans leur réplique, les défendeurs soulèveront, inlimine litis, l'exception d'irrecevabilité du pourvoi au motif que la SOCABU s'est pourvue en dehors des délais prévus par la loi. Pour le demandeur en cassation, si les délais légaux sont dépassés c'est parce qu'il y a eu coïncidence entre les délais et trois(3) journées qui ont été déclarées« journées villes mortes » dans la capitale, lesquelles constituent selon le demandeur, un « cas de force majeure » et ne doivent pas entrer en ligne de compte dans la computation des délais.
Concernant le fond de l'affaire, le demandeur en cassation avance sept moyens de cassation qui ne présentaient aux yeux de la cour, aucune pertinence dans la mesure où, il apparait évident que c'était lui « qui avait manqué à ses obligations contenues dans la police d'assurance ».
Les Questions de droit soulevées
1° « force majeure et délais de procédure »
Le demandeur en cassation qui a introduit son pourvoi après les délais légalement autorisés, évoque à l'appui de sa demande, le cas de force majeure constituée par les journées « ville morte » qui ont paralysé la capitale durant cette période et l'ont empêché d'agir dans les délais requis.
Qu'est ce qu'une force majeure ? La force majeure est constituée lorsqu'il s'agit d'un « événement exceptionnel auquel on ne peut faire face ». Et en droit pour qu'il y ait force majeure il faut que l'événement soit à la fois « imprévisible, irrésistible et extérieur ».
Ainsi la théorie classique qui définit la force majeure introduit trois critères à apprécier de manière cumulative : l'extériorité, l'imprévisibilité et l'irrésistibilité.
Extériorité : l'événement est extérieur à la personne mise en cause. Elle n'est pour rien dans sa survenance, qui résulte donc d'une cause étrangère et est indépendant de sa volonté. Les éléments intrinsèques à la personne ou à la chose ne peuvent normalement pas constituer des cas de force majeure. L'exécution de l'obligation ne doit pas seulement être rendue plus difficile ou plus onéreuse, elle doit être impossible.
Imprévisibilité (dans la survenance de l'événement) : on considère que si un événement est prédit, on pourra prendre les mesures appropriées pour éviter ou limiter le préjudice. Ne pas l'avoir fait est considéré comme une faute. L'évaluation repose sur l'appréciation du comportement avant l'événement, par référence à une personne prudente et diligente, et en tenant compte des circonstances de lieu, de temps, de saison.
Irrésistibilité (dans ses effets) : elle indique que l'événement est insurmontable, celui-ci n'est ni un simple empêchement ni une difficulté accrue. L'appréciation des faits est très stricte pour coller à cette définition : il s'agit de catastrophes naturelles (séisme, tempête) ou d'événement politiques majeurs (révolution, guerre). Quant à l'individu, il faut qu'il ait été impossible, pendant l'événement, d'agir autrement qu'il ne l'a fait. C'est une appréciation in abstracto de son comportement par référence à un individu moyen placé dans la même situation. L'irrésistibilité est parfois rapprochée des notions d'événement "inévitable" ou "insurmontable".
La question posée aux juges de la Cour Suprême est importance au plan théorique mais aussi du point de la portée pratique de la décision qui va être rendue. En effet si elle privilégie le raisonnement du demandeur, à savoir que des « journées villes mortes », généralement déclarées ou à tout le moins connues à l'avance, constituent un cas de force majeure remplissant les conditions définies plus haut, le juge fera oeuvre d'innovation et doit motiver sa décision pour éviter de prêter le flanc à la critique. De même, la décision fera écho si jamais le juge décidait de rejeter l'argumentation du défendeur en refusant de reconnaitre à ces journées villes mortes les caractéristiques de la force majeure.
La réponse de la Cour
La Cour, dans sa décision et dans son raisonnement, a fait oeuvre d'une grande subtilité en considérant que « le pourvoi est recevable et les journées ville morte sont constitutives de cas de force majeure ; que « même si la loi dit que le pourvoi doit être introduit dans un délai de 60 jours à compter de la signification de l'arrêt, le délai des 60 jours doit être compris comme étant un délai de 60 jours utiles. »Autrement dit les journées villes mortes aux yeux de la Cour, ont été le facteur déclencheur de cas de force majeure « imprévisible », « extérieure » et « irrésistible » ayant été à l'origine de l'empêchement du demandeur à exercer valablement et en temps voulu son droit de se pourvoir en cassation contre une décision qui ne lui donne pas satisfaction.
Par contre la Cour va prononcer une décision de rejet du pourvoi au motif que les autres moyens évoqués par le demandeur pour soutenir sa demande, manquent de pertinence. La Cour ira plus loin pour conclure que le pourvoi était formé dans le seul but d'user de manoeuvres dilatoires pour retarder l'exécution de la décision rendue en appel.
Conclusion
L'arrêt RCC 7540 est certes un arrêt de rejet mais il constitue un arrêt de principe par son raisonnement et par sa portée. En effet :
Il énonce une règle générale et abstraite et la fait prévaloir sur la lettre des dispositions légales et règlementaires, en affirmant que même si la loi préconise que le pourvoi doit être fait dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de signification d'une décision, il faut entendre par là un délai utile qui ne fait pas obstacle à l'exercice des droits des justiciables.
Cette décision a le mérite de renforcer la position courageuse que la Cour Suprême a eu à adopter dans le dossier RTC n°4 concernant le point de départ des intérêts judiciaires.