Ag
Bf Ag c. Az
Y 1
c. Az (compétence) (2009) 1 RJCA1 1
(compétence) (2009)
Bf Ag c. République du Az
Arrêt du 15 décembre 2009. Fait en anglais et en français, le texte
français faisant foi
Juges B X, AKUFFO, MAFOSO-GUNI, NGOEPE, FANNOUSH
GUINDO, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ et MULENGA
N’a pas siégé conformément à l’article 22 : GUISSE
Le requérant a saisi la Cour pour empêcher l’État défendeur de
poursuivre M. Ba Aa, ancien Président du Tchad, qui se trouvait à
époque au Az. La Cour a estimé qu’elle n’était pas compétente,
les "État ONG défendeur à la saisir n'ayant directement. pas fait la déclaration autorisant les individus et
Compétence (déclaration en vertu de l’article 34(6), 31, 34, 39, 40)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Compétence (déclaration en vertu de l’article 34(6), 10, 26 requête à
rejeter par le Greffier, 12, 40 ; consentement nécessaire pour que la Cour
soit compétente en vertu du droit international 21, 22, 31)
1. Par requête en date du 11 août 2008. M. Bf Ag (ci- après dénommé « le requérant »), de nationalité tchadienne, né en 1959 et résidant actuellement à Bienne en Suisse, a introduit devant la Cour une instance contre la République du Az (ci-après dénommé le « Az »), «en vue du retrait de la procédure actuellement diligentée par la République et l' État du Az en vue d’inculper, juger et condamner le sieur Ba Aa, ex-chef d'Etat tchadien actuellement réfugié à Dakar au Az »
2. Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, (ci- après dénommé « le Protocole »), et à l’article 8(2) du Règlement intérieur intérimaire de la Cour (ci-après dénommé « Règlement »), Monsieur C Bk Bw membre de cette Cour de nationalité sénégalaise s'est récusé
3. Le requérant a adressé sa requête au Président de la Commission de l'Union africaine par courrier électronique en date du 19 août 2008 cette requête a été reçue au greffe de la Cour le 29 décembre 2008 sous couvert d’une communication du Conseiller juridique de la Commission de l’Union africaine en date du 21 novembre 2008
4. Par lettre du 2 janvier 2009, adressée au requérant, le Greffe a accuse réception de la requête et précisé que toutes les
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communications à la Cour devaient être adressées directement à celle- ci, à son siège à Arusha, Tanzanie.
5. Sous couvert d’une lettre recommandée en date du 5 janvier 2009, et conformément à l’article 34(6) du Règlement, le Greffe a adressé copie de la requête au Az ; conformément à l’article 35(4) alinéa (a) du Règlement, le Greffe a également invité le Az à lui communiquer, dans délai de trente jours, les noms et adresses de ses représentants.
6. Par lettre datée du même jour, et conformément à l’article 35(3) du Règlement, le Greffe a en outre informé le Président de la Commission de l’Union africaine du dépôt de la requête.
7. Par lettre du 30 janvier 2009, reçue au Greffe le 5 février 2009, le requérant a informé ce dernier qu’il serait son propre représentant fins de l'instance qu’il a in traduite devant la Cour.
8. Par lettre en date du 10 février 2009, reçue au Greffe le même jour par télécopie, le Az a accusé réception de la requête et a communiqué les noms de ses représentants devant la Cour.
9. Par une nouvelle lettre en date du 17 février 2009, reçue au Greffe le même jour par télécopie, le Az a demandé à la Cour une prorogation du délai pour la présentation de ses observations de manière à lui permettre « de se mettre convenablement en état de répondre à la requête du demandeur ».
10. Par ordonnance en date du 6 mars 2009, la Cour a fait droit à la demande du Az et a reporté au 14 avril 2009 le délai pour la présentation de ses observations.
11. Copie de cette ordonnance a été adressée au requérant et au Az par télécopie en date du 7 mars 2009.
12. Dans le délai prescrit par l'ordonnance susmentionnée, le Az a déposé son mémoire en réponse dans lequel il a soulevé des exceptions d’incompétence et d'irrecevabilité ; il a également exprimé sa position quant au fond.
13. Sous couvert d’une lettre en date du 14 avril 2009, le Greffe a communiqué au requérant copie du mémoire en réponse du Az. 14. Le requérant n’ayant pas réagi audit mémoire, le Greffe, par une nouvelle lettre datée du 19 juin 2009, l’a informé que s'il ne répondait pas dans un délai de trente jours, la Cour considérerait qu’il ne souhaitait pas présenter de mémoire en réponse sur la base de l’article 52(5) du Règlement.
15. Le 29 juillet 2009, le requérant a accusé réception du mémoire ci- dessus et indiqué ce qui suit : « la réplique susvisée n’a pas apporté d'éléments nouveaux susceptibles de modifier significativement l’opinion exposée dans ma requête initiale. Je maintiens par conséquent, l'intégralité de celle-ci et m’en remets à l'autorité de la Cour ».
16. Au vu des éléments du dossier, la Cour n'a pas considéré nécessaire d’organiser des audiences publiques et a par conséquent décidé de clore les débats aux fins de délibérations.
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17. Dans sa requête, le requérant affirme notamment que «les Républiques et Etats du Az et du Tchad, membres de l’Union africaine, sont parties au Protocole [portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples], et ont respectivement fait la déclaration au titre de l’article 34.6 acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes des individus ».
18. Quant aux faits, il relève que le sieur Ba Aa, ancien Président du Tchad, est réfugié politique au Az depuis décembre 1990 et qu’en 2000, il a été soupçonné de complicité de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et d'actes de torture dans l'exercice de ses fonctions de chef d’État, sur la base de plaintes de présumées victimes d’origine tchadienne.
19. Le requérant relève également que par une décision de juillet 2006, l’Union africaine a donné mandat au Az pour « chercher et trouver une solution, sinon une alternative au posé la poursuite pénale de l’ancien chef africaine d’État tchadien, problème le sieur Hissein par
20. Habré Il fre … en outre que, le 23 juillet 2008, les deux chambres du
Parlement sénégalais ont adopté une loi portant modification de la Constitution et « autorisant la rétroactivité des lois pénales en vue de juger uniquement et seulement le sieur Ba Aa ».
21. En procédant ainsi, le Az aurait violé « le sacro-saint principe de non-rétroactivité de la loi pénale, par ailleurs consacré, non seulement par la Constitution sénégalaise mais aussi par l’article 7(2), de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples » à laquelle il est partie.
22. Selon le requérant, ceci témoignerait également de l'intention du Az « d'utiliser de manière abusive, à des fins politiques et pour des considérations pécuniaires, le mandat à lui confié par l’Union africaine en juillet 2006 ». En privilégiant la solution judiciaire à une solution inspirée des traditions africaines, comme le recours à l'institution de l’« Ubuntu » (recherche de la réconciliation par le dialogue, la recherche vérité et les réparations), le Az chercherait selon lui à monnayer ses prestations de mandataire de l’Union africaine.
23. Pour terminer, le requérant a formulé ses conclusions comme suit : « 1) Constater la recevabilité de la présente requête ;
2) Déclarer l'effet suspensif de la présente requête sur l'exécution en cours du mandat de l’Union africaine donnée en juillet 2006 à la République et l’État du Az jusqu'à ce qu’une solution africaine soit trouvée au cas de l’ancien chef de l’État tchadien, le sieur Ba Aa actuellement réfugié politique statutaire à Dakar en République et État du Az ;
3) Constater la violation, par la République et l'État du Az, de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples en plusieurs points de son préambule et de ses articles :
4) Constater la violation, par la République et l’État du Az, de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, notamment la Convention de l’OUA [UA] du 10 septembre 1969, en vigueur depuis
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le 26 juin 1974, régissant les aspects propres aux problèmes de réfugiés en Afrique ;
5) Constater la nature politique et l’utilisation abusive par la République et l'État du Az du principe de compétence universelle dans la procédure actuellement enclenchée en vue de l’inculpation et du jugement du sieur Ba Aa ;
6) Constater, dans la procédure actuellement enclenchée en vue de l’inculpation et du jugement du sieur Ba Aa, le caractère politique, le mobile pécuniaire ainsi que l’utilisation abusive dudit principe de compétence universelle, dont l’utilisation devient de facto, lucrative (coût estimé à 40 milliards de francs CFA). Ce qui ne manquera pas de susciter des vocations dans d’autres pays africains où d’anciens chefs d’État africains pouvaient se réfugier ;
7) Constater l'abus et l’utilisation abusive des chefs d'accusation du sieur Ba Aa, notamment la publicité et le tapage médiatique qu’en ont fait la République et l'État du Az, la République, l’État français et l’organisation humanitaire Bl Bt Bu AHAG) ;
8) Constater l’effet déstabilisateur pour l'Afrique de cet usage abusif de la compétence universelle et l'impact négatif qu’il pourra générer sur le développement _politique, économique, social et culturel non seulement de l’État tchadien, mais aussi de tous les autres Etats d'Afrique, ainsi que sur leur capacité à entretenir des relations internationales normales ;
9) Suspendre le mandat accordé en juillet 2006 par l’Union africaine au Az et donc la procédure actuellement enclenchée par la République et l’État du Az en vue d’inculper et, éventuellement, juger le sieur Ba Aa ;
10) Ordonner aux Républiques et Etats du Tchad et du Az de créer une Commission nationale tchadienne de « Vérité, justice, réparation et réconciliation sur le modèle sud-africain, issu du concept philosophique africain « d'Ubuntu » pour tous les crimes commis au Tchad de 1962 à 2008, et résoudre ainsi, à l’africaine, les cas problématique de l’ancien chef d’État tchadien, le sieur Ba Aa ; 11) Recommander aux autres Etats membres de l'Union africaine d'assister le Tchad et le Az dans la mise en place et la conduite de cette Commission «Vérité, justice, réparations et réconciliation » ; 12) Sous suite des frais et dépens, en mettant le requérant au bénéfice d’une procédure gratuite ».
24. Dans son mémoire en réponse, pour sa part, souligne notamment que pour que la Cour puisse connaître de requêtes individuelles, « il faut que l'Etat mis en cause au préalable reconnu à la Cour la compétence pour recevoir de telles communication conformément à l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour ».
25. Le Az affirme à cet égard « avec force n’avoir pas fait la déclaration de reconnaissance de compétence de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples pour connaitre des requêtes individuelles ».
26. A titre subsidiaire, le Az affirme que le requérant « est mal venu à s’immiscer dans cette affaire qui intéresse, au titre des obligations découlant de la Convention contre la torture, exclusivement le Az, Ba Aa et les victimes » et qu’il ne peut en conséquence « justifier d’un intérêt légitime à agir contre la République du Az ».
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27. En outre, le Az réfute les allégations du requérant quant à la « prétendue violation [par lui] du principe de la non-rétroactvite de la loi pénale » et à la « prétendue violation du mandat » qui lui a été conféré par l’Union africaine en juillet 2006.
28. Pour terminer, le Az a formulé ses conclusions comme le suit : « En la forme :
Constater l’absence de déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour pour connaître des requêtes individuelles
Constater l'absence d'intérêt à agir ;
Déclarer par conséquent la requête irrecevable.
Dire et juger que les moyens invoqués par Bf Ag sont mal fondés et inopérants ;
En conséquence débouter Bf Ag de toutes ses demandes comme mal fondées
Condamner Monsieur Bf Ag à supporter les frais engagés par l’État du Az ».
29. Conformément à l’article 39(1) et l’article 52(7) de son d Règlement la Cour doit à ce stade de la procédure, examiner d’abord les exceptions préliminaires soulevées par le Az, en commençant par celle relative à sa compétence.
30. A cet égard, l’article 3(2) du Protocole et l’article 26(2) du Règlement prévoient que : « en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide ».
31. Aux fins de trancher cette contestation, la Cour fait observer que, pour qu’elle puisse connaître d’une requête contre un Etat Partie émanant directement d’un individu, il faut qu’il y ait conformité avec, entre autres l’article 5(3) et l’article 34(6) du Protocole.
32. L'article 5(3) dispose que :
« La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d'introduire directement des requêtes devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole ».
33. L'article 34(6) du Protocole est pour sa part ainsi libellé :
« À tout moment à partir de la ratification du présent protocole, l’État doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5(3) du présent protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration ».
34. || ressort d’une lecture combinée de ces deux dispositions que la saisine directe de la Cour par un individu est subordonnée au dépôt par l’État défendeur d’une déclaration spéciale autorisant une telle saisine.
35. Comme cela a été relevé plus haut dans sa requête, le requérant affirme que "les Républiques et Etats du Az et du Tchad, membres de l’Union africaine, sont parties au Protocole et ont respectivement fait la déclaration au titre de l’article 34(6), acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes des individus ». Dans son mémoire en réponse, le Az, pour sa part, « affirme avec
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force n’avoir pas fait la déclaration de reconnaissance de compétence de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, pour connaitre des requêtes individuelles ».
36. Pour résoudre cette question, la Cour a demandé au Président de la Commission de l’Bb Ad, dépositaire du Protocole de lui communiquer la liste des Etats parties à ce dernier ayant déposé la déclaration mentionnée à l’article 34(6) susvisé. Cette liste lui ayant été communiquée par le Conseiller juridique de l'Union africaine sous couvert d’une lettre en date du 29 juin la Cour observe le Az ne figure pas au nombre des 2009, États ayant fait une que telle déclaration.
37. En conséquence, la Cour en conclut que le Az n'a pas accepté la compétence de la Cour pour connaître sur cette base de requêtes dirigées contre lui émanant directement d'individus ou d'organisations non gouvernementales. La Cour n’a par [la] suite pas compétence pour connaitre de la requête.
38. La Cour doit à ce propos faire observer que bien que présentée par le Az dans son mémoire en réponse comme une exception d’ « irrecevabilité », cette première exception préliminaire doit en réalité s'analyser comme une exception d’incompétence.
39. La Cour rappelle que la seconde phrase de l’article 34(6) du Protocole prévoit qu’elle «ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration » (souligné ajouté). Le terme « reçoit » ne doit cependant être entendu ni dans son sens littéral, comme renvoyant au concept de « réception » ni dans son sens technique comme renvoyant au concept de « recevabilité ». Il doit plutôt être interprété à la lumière tant de la lettre que de l’esprit de l’article 34(6) pris dans son intégralité et en particulier de l'expression « déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes [émanant d’individus ou d’ONG] figurant dans la première phrase de cette disposition. Il ressort donc clairement de cette lecture que l'objectif de l’article 34(6) susmentionné est de régler les conditions pour que la Cour puisse connaitre de telles requêtes, à savoir l'exigence du dépôt d’une déclaration spéciale par l’État partie concerné, et de tirer les conséquences de l'absence d’un tel dépôt par cet Etat.
40. La Cour ayant conclu à son incompétence pour connaître de la requête, il n’y a pas lieu pour elle d'examiner la question de la recevabilité de la requête.
41. Les deux parties ayant formulé des conclusions quant aux frais la Cour doit maintenant se prononcer sur cette question.
42. Dans sa requête, le requérant a demandé à la Cour, « sous suite des frais et dépens », de le mettre «au bénéfice d’une procédure gratuite ».
43. Pour sa part, le Az a demandé de « condamner Monsieur Bf Ag à supporter les frais engagés par l’État du Az ».
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44. La Cour note que l’article 30 du Règlement dispose que : « A moins que la Cour n'en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure »
45. Tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de se départir des dispositions de l’article 30 de son Règlement.
46. Par ces motifs,
LA COUR, à l’unanimité :
1) Déclare qu’en vertu de l’article 34(6) du Protocole, elle n’a pas compétence pour connaître de la requête introduite par M. Ag contre le Az ;
2) Dit que chaque Partie devra supporter ses frais de procédure ;
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
1. Je partage l’avis de mes collègues quant aux conclusions auxquelles la Cour est parvenue relativement à la question de sa compétence et à celle des dépens et frais de procédure, et j'ai en conséquence voté en faveur de ces conclusions. J'estime toutefois que le traitement de ces deux questions méritait des développements plus complets.
2. Le requérant était en effet en droit de savoir pourquoi il s'est écoulé près d’une année entre la date de réception de sa demande au Greffe et la date d’adoption par la Cour de sa décision en la matière. Le Az était pour sa part en droit de savoir pourquoi la Cour a choisi de statuer sur la requête de manière solennelle, par le biais d’un arrêt, plutôt que de la rejeter de plano, et ce par la voie d’une simple lettre du Greffe. Les deux Parties étaient également en droit de savoir pour quelles raisons leurs demandes relatives aux frais de procédure et aux dépens, respectivement, ont été rejetées ; le requérant devrait en particulier savoir pourquoi sa demande a été traitée sur la base de l’article 30 du Règlement intérieur intérimaire de la Cour (ci-après dénommé le « Règlement ») relatif aux frais de la procédure, alors qu’elle aurait pu l’être également, sinon exclusivement sur la base de l’article 31 relatif à l'assistance judiciaire.
3. Seule cependant la question de la compétence de la Cour me paraît suffisamment importante pour que je joigne à l'arrêt l'exposé de mon opinion individuelle sur la manière dont elle aurait dû être traitée par la Cour.
4. En l’espèce, la question de la compétence de la Cour se posait en des termes relativement simples. Cette question est celle de la « compétence personnelle » ou « compétence ratione personae » de la Cour en matière de requêtes individuelles ; elle est régie par l’article 5, paragraphe 3, du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé le « Protocole ») et les modalités d'acceptation de cette compétence par un Etat partie sont prévues à l’article 34, paragraphe 6, du même protocole.
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5. Le paragraphe 31 de l'arrêt énonce cependant, non sans ambiguïté, que pour que la Cour « puisse connaitre d’une requête contre un Etat partie émanant directement d’un individu, il faut qu’il y ait conformité avec, entre autres, l’article 5(3) et l’article 34(6) du Protocole ».
6. Si la seule question envisagée ici était celle de la compétence de la Cour, l'expression « entre autres » porte à confusion car elle laisse entendre que cette compétence est subordonnée à une ou plusieurs autres conditions qui ne sont pas précisées. Or, à mon sens, il n’y a pas d’autres conditions à la compétence de la Cour en la matière que celle posée par l’article 34, paragraphe 6, du Protocole, auquel renvoie l’article 5, paragraphe 3.
7. Si toutefois l'expression « entre autres » visait également les conditions de recevabilité de la requête, il n’existerait plus de lien logique entre le paragraphe 31 et le paragraphe 29 de l'arrêt dans lequel la Cour se propose d'examiner en premier lieu la question de sa compétence. || serait surtout difficile de comprendre le sens du paragraphe 39 dans lequel la Cour donne son interprétation du verbe « recevoir » utilisé à l’article 34, paragraphe 6, du Protocole. Au paragraphe 39, la Cour souligne en effet que le verbe « recevoir » appliqué à une requête ne doit pas être entendu dans son sens littéral de « réception », ni dans son sens technique de « recevabilité » mais vise plutôt le « pouvoir » de la Cour de « connaître » de cette requête, c’est-à-dire sa « compétence pour en connaître », comme elle le dit d'ailleurs très clairement au paragraphe 37 in fine de l'arrêt.
8. Lu à la lumière du paragraphe 39 de l'arrêt, le paragraphe 31 doit donc être interprété comme visant exclusivement la question de la compétence de la Cour. Sauf à préciser le sens de l'expression « entre autres », la Cour aurait en conséquence dû faire l'économie de cet ajout.
9. Même débarrassé de l'incertitude introduite par cet ajout, le paragraphe 31 de l'arrêt, ainsi que le paragraphe 34, posent la question de la compétence de la Cour en des termes qui ne reflètent pas fidèlement la démarche libérale adoptée par la Cour dans le traitement de la requête.
10. Dans ces deux paragraphes de l'arrêt, la question de la compétence de la Cour est en effet posée par référence exclusive à l’article 5, paragraphe 3, et à l’article 34, paragraphe 6, du Protocole. Or, l’article 5 traite essentiellement de la question de la « saisine de la Cour » comme le laisse clairement entendre son intitulé. Ainsi posée, la question de la compétence personnelle de la Cour en l'espèce ne pouvait que recevoir la réponse apportée au paragraphe 37 de l'arrêt, à savoir que le Az n’ayant pas fait la déclaration prévue par l’article 34, paragraphe 6, du Protocole, la Cour n’a pas compétence pour connaître de requêtes introduites contre lui par des individus. C’est là une constatation qui pouvait être faite rapidement, au terme de l'examen préliminaire de la compétence de la Cour prévu à l’article 39 du Règlement.
11. Bien que d’une importance fondamentale au regard de la question de la compétence personnelle de la Cour, l’article 5, paragraphe 3, et l’article 34, paragraphe 6, du Protocole doivent être lus dans leur
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contexte, c’est-à-dire, en particulier, à la lumière de l’article 3 du même protocole, intitulé « Compétence de la Cour ».
12. En effet, bien qu’elles entretiennent des relations étroites, les questions de « compétence » de la Cour et de « saisine » de celle-ci n’en demeurent pas moins distinctes, comme le suggère d’ailleurs le paragraphe 39 de l’arrêt ;! c'est précisément cette distinction qui explique pourquoi la Cour n’a pas rejeté de plano la requête sur la base d’une absence manifeste de compétence, et ce, par la voie d’une simple lettre du Greffe, et qu’elle a pris le temps de se prononcer sur cette requête par la voie très solennelle d’un arrêt.
13. La requête a été reçue au Greffe de la Cour le 29 décembre 2008 etelle a été inscrite au rôle général sous le numéro 001/2018. Elle a été notifiée au Az le 5 janvier 2009 ; le même jour, le Président de l’Union africaine, ainsi que par son intermédiaire le Conseil exécutif et les autres Etats parties au Protocole, ont été informés de son dépôt.
14. Dès son dépôt, la requête a ainsi fait l’objet d’un certain nombre d'actes de procédure, dont une inscription au rôle général de la Cour? et une notification au Az.
15. Pour leur part, les requêtes ou communications adressées à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples,* à la défunte Commission européenne des droits de l’'homme,* à la
1 Sur ce point, voir par exemple Ai Af qui relève ce qui suit : « compétence et saisine ne sont pas seulement distinctes conceptuellement, elles sont séparées dans le temps. Normalement, la compétence précède la saisine, […]. Dans certains cas, cependant, la séquence peut se trouver inversée », « Compétence et saisine : un nouvel aspect du principe de la juridiction consensuelle », in Ac Bq (Ed), Theory of international law at the threshold of the 21st Century — Essays in Honour of An Ab, Au As Bc, The Hague/London/ Boston, 1996, p. 839.
2 L'inscription d’une requête ou une communication au rôle général d’un organe judiciaire ou quasi-judiciaire peut être défini comme un « acte de reconnaissance, qui établit que telle communication est bien une saisine et réalise, au jour de la réception, l’introduction de l'instance », Ah Br, Droit du contentieux international, LGDJ-Montchrestien, Paris, 2005, p. 400.
3 L'article 102 du Règlement intérieur de la Commission africaine, tel qu’adopté le 6 octobre 1995, est ainsi rédigé: « 1. Conformément au présent règlement, le Secrétaire transmet à la Commission toutes les communications qui lui sont présentées pour que la Commission les examine conformément à la Charte. 2. Aucune communication concernant un Etat partie qui n’est pas partie à la Charte ne sera reçue par la Commission ni inscrite sur une liste en vertu de l’article 103 du présent règlement » (C’est moi qui souligne), voir http:/Www.achpr.org/français/ _info/rules_fr.html (site consulté le 9 décembre 2009). Du temps où les Etats membres de l’Union africaine n'étaient pas encore tous partie à la Charte africaine, lorsque la Commission recevait une communication dirigée contre un Etat non partie, elle se contentait d'écrire au requérant pour l’informer qu’elle n’était pas compétente pour en connaitre, elle ne notifiait pas la communication à l'Etat concerné, Bj Bz Av, The Ad Commission on Human and Peoples’ Rights - Practice and Procedures, Bh Aj Ap, The Hague/London/ Boston, 1996, p. 57.
4 « Lorsqu'une plainte est introduite par une simple lettre, même si elle est complète, la pratique de la Commission est d'adresser au requérant un formulaire de requête. Les divers points figurant dans ce formulaire permettent un traitement efficace de la recevabilité de la requête. Le requérant est prié de retourner ce formulaire dûment completé et accompagné des annexes requises. Eventuellement, les réponses à
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Commission interaméricaine des droits de l’'homme,* au comité des droits de l'homme des Nations Unies® ou à la Cour internationale de Justice, par exemple,” font l’objet d’un filtrage avant leur enregistrement ou leur notification aux Etats contre lesquels elles sont introduites.
16. Dans la présente espèce, la requête n’est pas passée par cette phase procédurale initiale de filtrage. Elle a fait l’objet d’un traitement similaire à celui des requêtes introduites devant la Cour internationale de Justice antérieurement au 1“" juillet 1978, date d’entrée en vigueur de son nouveau Règlement.® Avant cette date, toutes les requêtes
certains points du formulaire peuvent se réferer à des éléments figurant déjà dans l’acte introductif d'instance. En règle générale (en dehors des cas d'urgence) ce n’est qu'après réception de ce formulaire que la requete est enregistrée au rôle de la Commission et qu’il lui est donné un numero d'ordre [.…] On dit de l'enregistrement qu'il transforme une « plainte » en une requête au sens de l’article 25 de la Convention » (c'est moi qui souligne), Bf Bv, « La procédure devant la Commission européenne des droits de l'homme », Bf Bv (et autres) Introduire un recours à Strasbourg ? Een Cc At Bs te Straatsburg ?, Am Bm, Bruxelles, 1986, p. 24.
5 La compétence de la Commission interaméricaine en matière de communications individuelle est aujourd’hui automatique à l'égard de tous les Etats membres de l’Organisation des Etats Américains, qu’ils soient ou non partie à la Convention américaine des droits de l'homme, voir les articles 27, 49 et 50 du Règlement de la Commission, tel qu’amendé en juillet 2008 ; l’article 26 de ce règlement prévoit cependant une étape procédurale initiale que l’on peut assimiler à celle de l'examen de la récevabilité prima facie de la requête. Un auteur a décrit cette étape procédurale comme suit : « La Commission réceptionne la pétition et l’enregistre. En pratique, le Secrétariat exécutif de la Commission est chargé de vérifier si la pétition est récevable prima facie. Si c’est le cas, il enregistre et ouvre le dossier [...]. Si les conditions de forme ne sont pas réunies, [il] peut demander au pétitionnaire de compléter sa pétition», Ar Bd, La Convention américaine des droits de l'homme — Mécanismes de protection et étendue des droits et libertés, Bruylant, Bruxelles, 2007, p. 163.
6 Le Secrétaire général des Cb Bp tient en permanence un régistre des communications qu’il soumet au Comité ; il ne peut toutefois en aucun cas inscrire sur ce registre une communication dirigée contre un Etat non partie au Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, voir les articles 84 et 85 du Règlement intérieur du Comité des droits de l'homme, Doc, Cb Bp, CCPR/C/3/Rev. 7, 4 août 2004, voir http://Www.unher.ch/tbs/doc/nsf/ (Symbol)/CCPR.C.3.Rev.7.Fr?Opendocument (site consulté le 9 décembre 2009). Lorsqu'il reçoit une telle communication, le Secrétaire général se contente d'informer son auteur que celle-ci ne peut être reçue du fait que l'Etat contre lequel elle est dirigée n’est pas partie au Protocole facultatif. Bn Al, U.N, Covenant on Civil and Political Rights - CCPR Commentary, 2"* By Am, N.P Engel Publisher, Kehl am Rhein, 2005, pp. 824-825.
7 Il convient de souligner que la référence à la pratique des Cours européenne et interaméricaine des droits de l'homme est d’un intérêt limité ici dans la mesure où la question de la compétence personnelle se pose en des termes différents devant ces deux juridictions. Dans le cadre interaméricain, les individus n'ayant pas d'accès direct à la Cour, la question de la compétence personnelle ne se pose en effet qu’en ce qui concerne les États parties ; dans le cadre européen, où les individus ont accès direct à la Cour, celle-ci a une compétence automatique sur la seule base de la participation des Etats membres du Conseil de l'Europe à la Convention européenne des droits de l'homme.
8 L'article 38, paragraphe 5, du Règlement actuel de la Cour internationale de Justice est libellé comme suit : « Lorsque le demandeur entend fonder la compétence de la Cour sur un consentement non encore donné ou manifesté par l'Etat contre lequel la requête est formée, la requête est transmise à cet Etat. Toutefois, elle n'est pas
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introductives d'instance, y compris celles contre des Etats n'ayant pas au préalable accepté la compétence de la Cour au moyen de la déclaration facultative de juridiction obligatoire prévue à l’article 36, paragraphe 2 du Statut, étaient en effet inscrites au rôle général et notifiées aux Etats contre lesquels elles étaient introduites, ainsi qu’au Secrétaire général des Cb Bp, et par son intermédiaire, à tous les autres membres de l'Organisation.
17. Comme indiqué au paragraphe 13 ci-dessus, des actes de procédure similaires à ces derniers ont été posés relativement à la requête de Monsieur Ag ; celle-ci a notamment été portée à la connaissance du Az sous couvert d’une lettre en date du 5 janvier 2009.
18. Le Az a accusé réception de la requête par lettre en date du 10 février 2009 ; dans cette lettre, il a fait connaître le nom de ses représentants devant la Cour. À ce stade, il aurait pu se contenter d'indiquer qu’il n’avait pas fait la déclaration prévue à l’article 34, paragraphe 6, du Protocole et qu’en conséquence la Cour n’était pas compétente pour connaître de la requête sur la base de l’article 5, paragraphe 3, dudit protocole. En faisant connaître le nom de ses représentants devant la Cour, il laissait toutefois entendre qu'il n’excluait pas de se présenter devant celle-ci et de participer à la procédure, le doute subsistant sur l’objet de sa participation
contestation de la compétence de la Cour, contestation de la recevabilité de la requête ou défense au fond.
19. Par une deuxième lettre en date du 17 février 2009, le Az demandait à la Cour une prorogation du délai pour la présentation de ses observations aux fins «de se mettre convenablement en état de répondre à la requête du demandeur ». Ce faisant. le Az manifestait son intention de se conformer aux prescriptions de l’article 37 du Règlement aux termes duquel « l’État défendeur répond à la requête dont il fait l’objet dans un délai de soixante (60) Jours qui pourrait être prorogé par la Cour, s’il y a lieu ». Dans cette lettre non plus, il n’excluait pas une éventuelle acceptation de la compétence de la Cour ; à ce stade encore, il aurait pu arguer du fait qu’il n'avait pas fait la déclaration prévue à l’article 34, paragraphe 6, du Protocole et contester sur cette base la compétence de la Cour.
20. Quand bien même il n'aurait pas fait la déclaration susmentionnée, le Az, par son attitude, laissait entrevoir une possibilité, si mince soit-elle, d’acceptation de la compétence de la Cour pour connaître de la requête.
inscite au rôle général de la Cour et aucun acte de procédure n’est effectué tant que l'Etat contre lequel la requête est formée n'a pas encore accepté la compétence de la Cour aux fins de l'affaire » (c'est moi qui souligne).
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21. Le principe fondamental en matière d'acceptation de la compétence d’une juridiction internationale est en effet celui du consensualisme, lui-même dérivé de celui de la souveraineté de l'Etat. Le consentement de l'Etat est la condition sine qua none à la compétence de toute juridiction internationale,° quel que soit le moment auquel ce consentement est exprimé et la manière par laquelle
22. Ce principe de la juridiction consensuelle est également consacré par le Protocole. En matière contentieuse, la Cour ne peut ainsi exercer sa juridiction qu’à l'égard des Etats parties au Protocole. L’étendue de sa compétence en la matière et les modalités de sa saisine sont traitées aux articles 3 et 5, respectivement, du Protocole.
23. En devenant parties au Protocole, les États membres de l’Union africaine acceptent de plein droit la compétence de la Cour pour connaître de requêtes émanant des autres Etats parties, de la Commission africaine ou des organisations inter-gouvernementales africaines. La compétence de la Cour relativement aux requêtes émanant d’individus ou d'organisations non gouvernementales n’est pour sa part pas automatique ; elle est conditionnée par l'expression facultative du consentement des Etats parties concernés.
24. C’est ce que prévoit le paragraphe 6 de l’article 34 du Protocole rédigé comme suit :
« À tout moment à partir de la ratification du présent Protocole, l’État doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5(3) du Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un État partie qui n’a pas fait une telle déclaration ».
Ainsi formulée, cette disposition soulève deux questions.
25. La première est celle du sens à donner au verbe « doit » utilisé dans la première phrase, celui-ci suggérant que le dépôt de la déclaration par l’État partie est pour celui-ci une « obligation » et non pas simplement une « faculté »
26. Ainsi compris, l’article 34, paragraphe 6, obligerait les États parties à faire une telle déclaration après le dépôt de leur acte de ratification (ou d’adhésion)."" Cette prescription n’a toutefois pas de véritable portée juridique dans la mesure où aucun délai n’est spécifié. Elle n’a pas non plus beaucoup de sens quand on la lit à la lumière de son
9 «Il est bien établi en droit international qu’aucun Etat ne saurait être obligé de soumettre ses différends avec les Etats soit à la médiation, soit à l'arbitrage, soit enfin à n'importe quel procédé de solution pacifique, sans son consentement », Cour permanente de Justice internationale, Statut de la Carélie orientale, Avis consultatif du 23 juillet 1923, Série B, p. 27.
10 « Ce consentement peut être donné une fois pour toutes sous la forme d’une obligation librement acceptée ; il peut, par contre, être donné dans un cas déterminé, en dehors de toute obligation préexistante » id.
11 A la différence de la version française, la version anglaise du paragraphe 6 prévoit que le dépôt de la déclaration doit être fait au choix à deux moments différents : « At the time of the ratification of this Protocol or any time thereafter » (c'est moi qui souligne) ; les versions arabe et portugaise de ce paragraphe 6 sont identiques à la version anglaise.
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contexte et en particulier de l’article 5, paragraphe 3, et de la seconde phrase de l’article 34, paragraphe 6 qui précise que «la Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration ». I! convient donc de conclure que le dépôt de la déclaration est facultatif ; cette conclusion est corroborée par un examen des travaux préparatoires du Protocole.
27. La deuxième question soulevée par le paragraphe 6 de l’article 34 est celle de savoir si le dépôt de la déclaration facultative par les Etats parties est le seul moyen par lequel ceux-ci peuvent exprimer leur consentement à la compétence de la Cour pour connaître d’une requête individuelle dirigée contre eux.
28. À cet égard, on relèvera tout d’abord que l’article 34, paragraphe 6, n’exige pas que le dépôt de la déclaration facultative soit « préalable » au dépôt de la requête ; il prévoit simplement que la déclaration peut être faite « à tout moment à partir de la ratification ». Rien n'empêche ainsi un Etat partie de faire cette déclaration « après » qu’une requête ait été introduite contre lui. En application du paragraphe 4 de l’article 34 du Protocole, la déclaration, à l’instar des actes de ratification ou d'adhésion, entre en vigueur au moment de son dépôt et déploie ses effets à cette date. Le Az avait ainsi toute liberté de faire une telle déclaration après le dépôt de la requête.
29. Si un Etat partie peut consentir à la compétence de la Cour en déposant « à tout moment » une déclaration facultative, rien dans le Protocole ne s'oppose non plus à ce qu’il puisse, après le dépôt de la requête, exprimer son consentement d’une autre manière que par le biais de la déclaration facultative.
30. La seconde phrase du paragraphe 6 de l’article 34, ne doit donc pas, à l'instar de sa première phrase, faire l’objet d’une interprétation littérale. Elle doit être lu à la lumière de l’objet et du but du Protocole et
12 Voir le paragraphe 1 de l’article 6 (« Compétences exceptionnelles ») projet de Bx Bg (septembre 1995), Projet de Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, Réunion d'experts juridiques gouvernementaux sur la création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 6-12 septembre 1995, Le Cap, Afrique du Sud, Doc. OAU/LEG/EXP/AFC/HPR/PRO (Il) Rev. |, l’article 6, paragraphe 1, du projet de Nouakchott (avril 1997), Draft (Nouakchott) Protocol to the Ad Aw on Human and Peoples’ Rights on the Establishment of an Ad COurt on Human and Peoples’ Rights, Second Ae Ak Experts Meeting on the Establishment of an Ad Court on Human and Peoples’ Rights, 11-14 April, 1997, Nouakchott, Mauritanie, Doc OAU/EXP/JUR/CAFDHP/ RAP (2), l’article 34, paragraphe 6, du projet d’Be Ay AHdécembre 1997), Projet de Protocol relative à la Charte africaine des droits de l'homme et des peoples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, Troisième réunion des experts gouvernementaux (élargis aux diplomates) sur la création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 0813 décembre 1997, Be Ay, Ethiopie, Doc. OAU/LEG/EXP/AFCHPR/PRO (III) et le paragraphe 35 du Rapport de cette troisième réunion d'experts, Rapport - Troisième réunion des experts juristes gouvernementaux élargie aux diplomates sur la création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 08/11 décembre 1997, Be Ay, Ethiopie, Doc. OAU/LEG/EXP/AFCHPR/RPT (III), Rev. 1.
13 Une telle possibilité est par exemple codifiée à l'article 62, paragraphe 3, de la Convention américaine des droits de l'homme et l’article 48 de la Convention européenne des droits de l'homme (avant sa révision par le Protocole No. 11)
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en particulier de l’article 3, intitulé « Compétence de la Cour ». L'article 3 prévoit en effet, de manière générale, que «la Cour a compétence pour connaitre de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie » ; il prévoit également que la Cour possède la « compétence de sa compétence ». C’est donc à la Cour d'apprécier souverainement les conditions de validité de sa saisine, et ce, à la seule lumière du principe du consensualisme.
31. Le consentement d’un État partie est la seule condition à la juridiction de la Cour en matière de requêtes individuelles. Ce consentement peut être exprimé préalablement à l’introduction d’une requête dirigée contre lui, par le dépôt de la déclaration visée au paragraphe 6 de l’article 34 du Protocole. || peut aussi se manifester postérieurement, soit de manière formelle par le dépôt d’une telle déclaration, soit de manière informelle ou implicite par la voie du forum
32. Le forum prorogatum ou « prorogation de compétence » peut s’entendre comme le fait pour un Etat d'accepter la compétence d’une juridiction internationale postérieurement à la saisine de celle-ci manière par un autre Etat ou un individu, et ce, soit de manière expresse, soit de manière tacite par des actes concluants ou un comportement non équivoque.'° C’est surtout cette possibilité que les lettres du Az en date du 10 et 17 février 2009 avaient permis à la Cour d’envisager dans la présente affaire.
33. Jusqu'au 9 avril 2009, date de réception au Greffe des observations écrites du Az, la possibilité d’une acceptation par ce dernier de la compétence de la Cour existait. Ce n’est qu’à cette date qu’il est apparu de manière non équivoque que le Az n’avait pas l’intention d'accepter la compétence de la Cour pour connaître de la requête.
34. || appartenait alors à la Cour de prendre acte de l'absence de consentement du Az à ce qu’elle connaisse de la requête et d’en
14 « Normalement, la compétence précède la saisine. [...] Dans certains cas, cependant, la séquence peut se trouver inversée. Tell est l'essence de la théorie du forum prorogatum selon laquelle la Cour peut avoir été valablement saisie d’une requête alors même que sa compétence n'aurait pas existé au moment du dépôt de cette dernière et n'aurait acquise qu’ultérieurement, grâce à l’assentiment du défendeur », Ai Af, op. cit, p. 839.
15 « Forum prorogatum: Formule latine habituellement traduite par l'expression « juridiction prorogée ». Fait pour un Etat d'accepter la compétence d’une juridiction internationale institutionnalisée, telle la Cour internationale de Justice, postérieurement à la saisine, soit par une déclaration expresse à cet effet, soit par des actes concluants impliquant une acceptation tacite. Ces actes concluants peuvent consister en la participation effective à l'instance, en plaidant sur le fond, ou par des conclusions au fond ou tout autre acte impliquant l'absence d’objection contre une future décision au fond. Un tel comportement vaut, selon l’opinion de la Cour [internationale de Justice], acceptation tacite de sa compétence, qui ne peut plus être révoquée ensuite, en vertu du principe de la bonne foi ou de l’estoppel », Jean Salmon (Ed.), Dictionnaire du droit international, Bruylant/AUF, Bruxelles, 2001, p. 518. Sur cette doctrine, voir par exemple Aq Ax Z Ca Ao, « Le forum prorogatum devant la Cour internationale de Justice : les ressources d’une institution ou la face du consensualisme » in Annuaire Africain de Droit International, 1998, Volume 5, pp. 91-114.
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tirer les conséquences en mettant fin à l'affaire et en rayant celle-ci du rôle général.
35. Sous l’empire de l’ancien Règlement de la Cour internationale de Justice (antérieurement au 1° juillet 1978), lorsqu'une instance était introduite contre un Etat n’ayant pas au préalable accepté la compétence de la Cour au moyen de la déclaration facultative et que cet Etat n'acceptait pas la juridiction de la Cour aux fins de ladite instance après y avoir été invité par le demandeur, il était mis fin à celle- ci par la voie d’une ordonnance succincte.'® Dans le cadre de la Cour européenne des droits de l'homme, devant laquelle les questions de compétence se posent beaucoup plus rarement que celles de recevabilité des requêtes, lorsqu'il n'existe pas de doute sérieux sur l'irrecevabilité d’une requête, la décision y relative est notifiée au requérant par simple lettre. ‘7
36. En l'espèce, le Az ayant formellement déposé les exceptions préliminaires dans son « mémoire en réponse »'° du 9 avril 2009, la Cour a estimé devoir se conformer aux prescriptions de l’article 52, paragraphe 7, de son Règlement qui prévoit que « la Cour statue sur l’exception préliminaire par un arrêt motivé ».°
37. L'examen par la Cour des exceptions préliminaires du Az commandait cependant qu’elle traite la question de sa compétence de manière plus complète en consacrant notamment des développements à l’éventualité d’un forum prorogatum. Cette éventualité est tout au plus évoquée au paragraphe 37 de l'arrêt où la Cour, parlant du constat que le Az n’a pas fait la déclaration facultative, conclut que cet Etat « n’a pas accepté la compétence de la Cour pour connaître sur cette base de requêtes dirigées contre lui et émanant directement d'individus ou d’ONG » (c’est moi qui souligne), suggérant ainsi que le Az aurait pu accepter sa compétence sur une autre base.
38. C’est pourtant cette perspective d’un forum prorogatum, si mince soit-elle, qui explique pourquoi la requête de Monsieur Ag n’a pas été rejetée au lendemain du 10 février 2009 et c’est le dépôt
16 Voir par exemple, « Affaire du traitement en Hongrie d’un avion des États-Unis d'Amérique », Ordonnance du 12 juillet 1954, ClJ Recueil 1954, p. 100 ou encore « Incident aérien du 7 octobre 1952 », Ordonnance du 14 mars 1956, CIJ Recueil 1956, p. 10.
17 La compétence personnelle de la Cour européenne en matière de communications individuelle est en effet automatique : la Cour a donc essentiellement à traiter au préalable de la question de recevabilité des requêtes, à cet égard, l’article 53 de son Règlement intérieur, intitulé « Procédure devant un comité », prévoit, en son paragraphe 2, que « conformément à l’article 28 de la Convention, le comité peut, à l'unanimité, déclarer une requête irrecevable ou la rayer du rôle de la Cour, lorsque pareille décision peut être prise sans autre examen. La décision est définitive. Elle est portée à la connaissance du requérant par lettre » (c'est moi qui souligne).
18 Expression utilisée dans la formule de signature à la page 17 des observations écrites du Az.
19 La référence à l’article 39 du Règlement faite au paragraphe 29 de l'arrêt ne me parait pas opportune ici car cette disposition concerne l'examen préliminaire par la Cour de sa compétence, c'est-à-dire une phase de la procédure au cours de laquelle elle doit s'assurer qu’elle possède au moins une compétence prima facie pour connaitre d’une requête. Au stade de l'examen d’une exception préliminaire d'incompétence, la Cour doit se prononcer définitivement sur sa compétence.
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d’exceptions préliminaires par le Az qui explique pourquoi la Cour n’a pas mis fin à l'instance par le biais moins solennel d'une ordonnance ou d’une simple lettre du Greffe.
39. Le dépôt d’exceptions préliminaires par le Az peut à son tour s'expliquer par le respect scrupuleux par cet Etat des prescriptions des articles 37 et 52, paragraphe |, du Règlement.
40. La question se pose aujourd’hui de savoir si « toutes » les requêtes reçues au Greffe devraient être inscrites au rôle général de la Cour, être communiquées aux Etats contre lesquels elles sont dirigées et, surtout, comme le prescrit l’article 35, paragraphe 3, du Règlement, être notifiée au Président de la Commission de l’Union africaine et, par son intermédiaire, au Conseil exécutif de l'Union, ainsi qu’à tous les autres Etats parties au Protocole. Organe judiciaire, la Cour a dès la réception d’une requête, l'obligation de s'assurer de sa compétence pour en connaître,” et ce, de manière au moins prima facie. C’est là très certainement l’objet de l'examen préliminaire par la Cour de sa compétence, prévu à l’article 39 du Règlement. Un tri devrait en conséquence être opéré entre les requêtes individuelles à l'égard desquelles la Cour et celles à l'égard desquelles elle ne l’est pas, ce qui est le cas lorsque l'Etat partie concerné n’a pas fait la déclaration facultative. Dans cette dernière hypothèse, la requête devrait être rejetée de plano par voie de simple lettre du Greffe. Elle pourrait éventuellement être communiquée à l’État partie concerné mais ce n’est que si celui-ci acceptait la compétence de la Cour que la requête pourrait être inscrite au rôle de la Cour” et être notifiée aux autres Etats parties. L'idée est d'éviter de donner une publicité intempestive ou indue aux requêtes individuelles que la Cour n’a manifestement pas la compétence d’examiner.
41. À cet égard, il est important de souligner que les auteurs potentiels de requêtes individuelles peuvent à l'heure actuelle éprouver certaines difficultés à connaître la situation d’un État africain par rapport à la déclaration facultative. Seule, en effet, la liste des Etats parties au Protocole est publiée sur le site électronique de la Commission de
20 Sur cette question, voir par exemple Bo Bi, La preuve devant les juridictions internationales, Editions Bruylant, Editions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 2005, p. 55. La Cour internationale de Justice a ainsi indiqué : « la Cour, conformément à son Statut et à sa jurisprudence constante, n’en doit pas moins examiner d'office la question de sa propre compétence pour connaitre de la requête du Gouvernement de la Grèce », Plateau continental de la mer Egée, arrêt, CIlJ Recueil 1978, p. 7, paragraphe 15. Pour la pratique de la Cour interaméricaine, voir Ar Bd, La Convention américaine des droits de l'homme - Mécanismes de protection et étendue des droits et libertés, Bruylant, Bruxelles, 2007, p. 238, paragraphe 277, ou la pratique d’organes quasi-judiciaires tel que le Comité des droits de l'homme par exemple, voir Ar Bd, La jurisprudence du Comité des droits de l'homme des Cb Bp - Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son mécanisme de protection individuelle, Bruylant, Bruxelles, 2007, p. 346.
21 Comme l’a, à juste titre, souligné un auteur, l'inscription au rôle général d’un organe judiciaire « consiste pour l’essentiel à écarter les correspondances farfelues, et autres communications plus ou moins obligeantes, qui « ne peuvent pas » être considérées comme des actes introductifs d'instance », Ah Br, op. cit, p. 400.
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l’Union africaine et cette liste ne mentionne pas les États qui ont fait la déclaration facultative. I| serait donc souhaitable que la liste des Etats ayant fait une telle déclaration soit également publiée sur ce site aux fins d'information des individus et des organisations non gouvernementales.
42. La Cour, quant à elle, ne saurait se satisfaire d’une telle publication dans la mesure où celle-ci ne présente pas de caractère officiel et ne reflète pas « en temps réel » l’état de participation au Protocole et au système de la déclaration facultative. À ce jour, la liste des Etats parties au Protocole et celle des Etats parties ayant fait la déclaration facultative, bien qu’intéressant la Cour au premier chef, ne lui sont pas notifiées automatiquement par le Président de la Commission de l'Union africaine, dépositaire du Protocole. Le Protocole ne fait pas obligation au dépositaire de communiquer les déclarations au Greffier de la Cour, son article 34, paragraphe 7, se contentant de prévoir que les déclarations doivent être déposées auprès du Président de la Commission de l’Union africaine « qui transmet une copie aux Etats parties ». Le Statut de la Cour internationale de Justice? ou la Convention américaine des droits de l'homme” prévoient pour leur part que les dépositaires des déclarations facultatives d'acceptation de la juridiction obligatoire de la ClJ et de la Cour interaméricaine, respectivement, doivent en transmettre copie aux greffiers desdites cours. Bien que les services concernés de la Commission de l’Union africaine n’y soient pas juridiquement tenus, il serait donc également souhaitable qu’à l’avenir ils informent la Cour de toute modification des deux listes susmentionnées.
22 Article 36, paragraphe 4.
23 Article 62, paragraphe 2.