18 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE
Commission africaine des droits de l'homme et
Libye (mesures provisoires) (2011) 1 RICA 18
VOL 1 (2006-2016)
des peuples c
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Grande
Ae C B A et Socialiste
Ordonnance portant mesures provisoires, 25 mars 2011. Fait en arabe,
anglais et français, le texte anglais faisant foi.
Juges Y, AKUFFO, MUTSINZI, NGOEPE, GUINDO,
MULENGA, RAMADHANI, TAMBALA, THOMPSON et ORE
Mesures provisoires relatives aux violations des droits de l'homme en
Libye.
Mesures provisoires (sans que la Commission ne les ait requises, 8, 9 ;
hormis les plaidoiries écrites et audiences, 13 ; cas de risque imminent de
perte en vies humaines, 13 ; sur le fond, 24)
Vu la requête en date du 3 mars 2011, reçue au Greffe de la Cour le 16 mars 2011, par laquelle la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après la « Commission ») a introduit une instance contre la Grande Ae C B A et socialiste (ci- après la « Libye »), à raison de violations graves et massives des droits de l'homme garantis par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après la « Charte »).
Vu le paragraphe 2 de l'article 27 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après le « Protocole ») et l’article 51 du Règlement de la Cour.
La Cour rend l’ordonnance suivante :
1. Considérant que, dans sa requête, la Commission affirme qu’elle a été saisie de plaintes successives contre la Libye, au cours de sa neuvième session extraordinaire tenue à Banjul (Gambie) du 23 février au 3 mars 2011.
2. Considérant que la Commission expose qu'il est allégué ce qui suit dans les plaintes :
. suite à la détention d’un avocat de l’opposition, des manifestations pacifiques se sont déroulées le 16 février 2011 dans la ville de Benghazi située dans la partie Est de la Libye ;
le 19 février 2011, d’autres manifestations ont eu lieu à Benghazi, Ab Ac, Aa, Ad et Af, et ont été sauvagement réprimées par les forces de sécurité qui ont tiré sans discernement sur les manifestants, entraînant des morts et occasionnant des blessures à de nombreuses personnes ;
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des sources hospitalières ont fait état de l'accueil le 20 février 2011, dans leurs établissements, d'individus tués ou blessés par balles, à la poitrine, au cou et à la tête ;
les forces de sécurité libyennes ont fait un usage excessif d'armes lourdes et de mitrailleuses contre la population, y compris par des bombardements aériens ciblés et des attaques de tous genres ; et que . ce sont là des atteintes graves aux droits à la vie et à l'intégrité physique, à la liberté d'expression, de manifestation et de réunion ;
3. Considérant que la Commission conclut que ces actes constituent des violations graves et massives des droits consacrés par les articles 1, 2, 4, 5, 9, 11, 12, 13 et 23 de la Charte.
4. Considérant que, le 21 mars 2011, en application du paragraphe 1 de l'article 34 du Règlement intérieur de la Cour, le Greffe de la Cour a accusé réception de la requête.
5. Considérant que, le 22 mars 2011, en application de l'alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 35 du Règlement intérieur de la Cour, le Greffe a communiqué copie de la requête à la Libye, et a invité celle-ci à lui indiquer, dans les trente (30) jours de la réception, les noms et adresses de ses représentants, conformément à l'alinéa a) du paragraphe 4 de l’article 35 ; que le Greffe a, en outre, invité la Libye à répondre à la requête dont il fait l’objet dans un délai de soixante (60) jours, conformément à l’article 37 du Règlement.
6. Considérant que, en application du paragraphe 3 de l’article 35 du Règlement, par lettre en date du 22 mars 2011, le Greffe a informé du dépôt de la requête le Président de la Commission de l’Union africaine et, par son intermédiaire, le Conseil exécutif de l'Union africaine ainsi que tous les autres Etats parties au Protocole.
7. Considérant que, en application de l'alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 35 du Règlement, par lettre en date du 23 mars 2011, le Greffe a communiqué copie de la requête aux plaignants qui avaient saisi la Commission ;
8. Considérant que, par lettre en date du 23 mars 2011, le Greffe a informé les parties à l'affaire que, compte tenu de l'extrême gravité et de l'urgence de la question, la Cour pourrait, d'office, et conformément au paragraphe 2 de l’article 27 du Protocole et au paragraphe 1 de l’article 51 de son Règlement, indiquer des mesures provisoires ;
9. Considérant que, dans sa requête, la Commission n’a pas demandé à la Cour d’ordonner des mesures provisoires ;
10. Considérant toutefois que le paragraphe 2 de l’article 27 du Protocole et le paragraphe 1 de l’article 51 du Règlement confèrent à la Cour le pouvoir d’ordonner d’office, « [djans les cas d’extrême gravité ou d'urgence et lorsqu'il s'avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes », des mesures provisoires « qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice ». 11. Considérant que c’est à la Cour qu’il appartient de décider dans chaque cas si, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, elle doit user du pouvoir que lui confèrent les dispositions susvisées.
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12. Considérant que, au vu des circonstances particulières de l'espèce, la Cour a décidé de se prévaloir du pouvoir qu’elle tient de ces dispositions.
13. Considérant que, dans la situation présente, où existe un risque imminent de pertes en vies humaines, et compte tenu du conflit en cours en Libye, qui rend difficile la signification en temps voulu de la requête à la partie défenderesse et la tenue subséquente d’une procédure orale, la Cour a décidé de rendre une ordonnance en indication de mesures provisoires, sans présentation de pièces de procédure écrite par les parties ni tenue d’une procédure orale.
14. Considérant que, conformément aux articles 3 et 5 du Protocole, pour connaître d’une requête, la Cour doit s'assurer qu’elle a compétence.
15. Considérant toutefois que, avant d’ordonner des mesures provisoires, la Cour n’a pas besoin de s'assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l'affaire, mais a simplement besoin de s'assurer qu’elle a, prima facie, compétence.
16. Considérant que le paragraphe 1 de l’article 3 du Protocole dispose que « [Ja Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés ».
17. Considérant que la Libye a ratifié le 19 juillet 1986 la Charte, qui est entrée en vigueur le 21 octobre 1986 ; qu’elle a ratifié le 19 novembre 2003 le Protocole, qui est entré en vigueur le 25 janvier 2004 ; que la Libye est partie aux deux instruments.
18. Considérant que la Commission est citée à l'alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole au nombre des entités ayant qualité pour saisir la Cour.
19. Considérant que, à la lumière de ce qui précède, la Cour s'est assurée qu’elle a, prima facie, une compétence pour connaître de la requête.
20. Considérant qu’il ressort de la requête qu’il existe une situation d'extrême gravité et d’urgence, de même qu’un risque de dommages irréparables aux personnes qui sont l’objet de la requête.
21. Considérant qu'il est allégué dans la requête que les organisations internationales, tant universelles que régionales, mentionnées ci- après, dont la Libye est membre, ont examiné la situation qui prévaut dans ce pays :
« Le 23 février 2011, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a exprimé « sa profonde préoccupation face à la situation qui prévaut en Grande Ae C B A et socialiste et condamn{é] fermement l’utilisation indiscriminée et excessive de la force et des armes contre les manifestants pacifiques en violation aux Droits de l'Homme et au Droit international humanitaire, causant des pertes importantes en vies humaines et la destruction de biens » ;
» Le 21 février 2011, le Secrétaire général de la Ligue des États arabes a appelé à un arrêt de la violence, affirmant que les aspirations des
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peuples arabes au changement étaient légitimes, et la Ligue arabe a suspendu la Libye ;
« Le Conseil de sécurité des Nations Unies a, dans la résolution 1970 (2011) qu’il a adoptée le 26 février 2011, dénoncé « les violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme, notamment la répression exercée contre des manifestants pacifiques », relevant en outre que « les attaques systématiques et généralisées qui se commettent en Ae arabe libyenne contre la population civile pourraient constituer des crimes contre l'humanité », et a décidé de saisir le Procureur de la Cour pénale internationale de la situation qui règne en Ae arabe libyenne depuis le 15 février 2001 ;
22. Considérant que, de l'avis de la Cour, il existe dès lors une situation d'extrême gravité et d’urgence, de même qu’un risque de dommages irréparables aux personnes qui sont l’objet de la requête, en particulier pour ce qui est des droits de celles-ci à la vie et à l'intégrité physique, tels que garantis par la Charte.
23. Considérant que, au vu de ce qui précède, la Cour conclut que les circonstances exigent qu’elle ordonne, de toute urgence et sans autre procédure, des mesures provisoires, en vertu du paragraphe 2 de l’article 27 du Protocole et de l’article 51 de son Règlement.
24. Considérant que les mesures ordonnées par la Cour sont nécessairement de nature provisoire et ne préjugent en rien les conclusions auxquelles elle pourrait parvenir au sujet de sa compétence, de la recevabilité de la requête et quant au fond de
25. Par ces motifs,
LA COUR, ordonne à l’unanimité les mesures provisoires suivantes :
1) La Grande Ae C B A et socialiste doit immédiatement s'abstenir de tout acte qui pourrait entraîner des pertes en vies humaines ou une atteinte à l'intégrité physique des personnes, et qui pourrait constituer une violation des dispositions de la Charte ou d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels elle est partie ;
2) La Grande Ae C B A et socialiste doit faire rapport à la Cour, dans un délai de quinze (15) jours à compter de la date de réception de la présente ordonnance, sur les mesures prises par elle pour mettre en œuvre celle-ci.