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30/09/2011 | CADHP | N°RANDOM503531322

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 30 septembre 2011, RANDOM503531322


Texte (pseudonymisé)
98 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Ah Ac'o Ab c. Parlement panafricain (compétence) (2011) 1 RICA 98
Ah Ac'o Ab c. Parlement panafricain
Décision du 30 septembre 2011. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges A, AKUFFO, MUTSINZI, NGOEPE, GUINDO,
OUGUERGOUZ, TAMBALA, THOMPSON, ORE
La Cour a rejeté la requête en raison de son objet et du fait qu’elle avait
été introduite contre une entité non étatique.
Compétence (compétence matérielle, rupture de contrat de travail, 6)
Opinion individuelle :

OUGUERGOUZ
Compétence (la compétence personnelle devrait être déterminée en
premier, 6)
1. ...

98 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Ah Ac'o Ab c. Parlement panafricain (compétence) (2011) 1 RICA 98
Ah Ac'o Ab c. Parlement panafricain
Décision du 30 septembre 2011. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges A, AKUFFO, MUTSINZI, NGOEPE, GUINDO,
OUGUERGOUZ, TAMBALA, THOMPSON, ORE
La Cour a rejeté la requête en raison de son objet et du fait qu’elle avait
été introduite contre une entité non étatique.
Compétence (compétence matérielle, rupture de contrat de travail, 6)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Compétence (la compétence personnelle devrait être déterminée en
premier, 6)
1. Par requête en date du 6 juin 2011, Ah Ac'o Ab, domicilié à Yaoundé, Cameroun, a introduit une instance devant la Cour contre le Parlement Panafricain, alléguant le non respect du paragraphe 4 de son contrat de travail, de l’article 13(a) et (b) du Statut et Règlement du personnel de l’OUA, ainsi que le refus inapproprié de renouveler son contrat et de reclasser son poste.
2. Conformément à l’article 34(1) du Règlement intérieur de la Cour, le Greffe a accusé réception de la requête par lettre datée du 7 juin 2011.
3. Par lettre datée du 4 août 2011, le Greffe a demandé au requérant d'indiquer les violations des droits de l’homme alléguées, les éléments de preuve qu’il avait l'intention de produire ainsi que la preuve de l'épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 34(1) et (4) du Règlement intérieur de la Cour.
4. Par lettre en date du 22 août 2011, le requérant a répondu au Greffe en communiquant d’autres conclusions et en mettant en évidence les violations alléguées par le Parlement Panafricain :
a du paragraphe 4 de son contrat de travail et de l’article 13(a) et (b) du Règlement du personnel de l’'OUA, en refusant de renouveler son contrat et en publiant la vacance de son poste malgré les rapports d'évaluation satisfaisants sur son rendement ; et
de la décision du Conseil Exécutif EX.CL/DEC 348(XI) de juin 2007 concernant la rémunération du personnel ainsi que le reclassement de son poste.
5. L'article 3(1) du Protocole dispose que « La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l’application de la Charte, du

Ah Ac'o c. Le Parlement panafricain (compétence) (2011) 1 RJCA98 99
présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés ».
6. Il ressort des faits de l'affaire et des demandes faites à la Cour par le requérant que la requête se fonde exclusivement sur une rupture de contrat, en rapport avec l’article 13(a) et (b) du Statut et Règlement du personnel de l'OUA, pour lequel la Cour n’a pas compétence aux termes de l’article 3 du Protocole. Il s’agit donc d’une instance qui, en vertu du Statut et Règlement du personnel de l'OUA, relève de la compétence du Tribunal administratif ad hoc de l’Union africaine. En outre, conformément à l’article 29(1)(c) de son Protocole, la Cour qui a compétence pour connaître de toute affaire en appel émanant du Tribunal administratif ad hoc est la Cour africaine de justice et des droits de l'homme. La Cour de céans conclut donc qu’elle n’a manifestement pas compétence pour connaître de cette requête.
7. Par ces motifs,
LA COUR, à l'unanimité,
Déclare, qu’en vertu de l’article 3 du Protocole, elle n’a pas compétence pour connaître de la requête introduite par Ah Ac'o Ab contre le Parlement Panafricain.
Opinion individuelle : OUGOUERGOUZ
1. A l’instar de mes collègues, je suis d'avis que la requête introduite contre le Parlement panafricain par Monsieur Ah Ac'o Ab doit être rejetée. S'agissant toutefois à mes yeux d’un cas d’'incompétence manifeste de la Cour, j'estime que cette requête n’aurait pas dû donner lieu à une décision de la Cour ; elle aurait dû être rejetée de plano par une simple lettre du Greffe (voir sur ce point, mon opinion individuelle jointe à l’arrêt rendu le 15 décembre 2009 dans l'affaire Ad Aa c. République du Sénégal), ainsi que mon opinion dissidente jointe à la décision rendue récemment dans l'affaire Ae Ag Af c. République du Cameroun et République fédérale du Nigéria).
2. La requête de Monsieur Ah Ac'o Ab ayant fait l’objet d’un traitement judiciaire par la Cour, elle aurait, en tout état de cause, dû être rejetée sur une base juridique plus explicite.
3. La motivation de la décision est toute entière contenue dans le paragraphe 6 ainsi libellé « || ressort des faits de l'affaire et des demandes faites à la Cour par le requérant que cette requête se fonde exclusivement sur une rupture de contrat, en rapport avec l’article 13(a) et (b) du Statut et Règlement du personnel de l'OUA, pour lequel la Cour n’a pas compétence aux termes de l’article 3 du Protocole. Il s'agit donc d’une instance qui, en vertu du Statut et Règlement du personnel de l’OUA, relève de la compétence du Tribunal administratif ad hoc de l’Union africaine. En outre, conformément à l’article 29(1)(c) de son Protocole, la Cour qui a compétence pour connaître de toute affaire en appel émanant du Tribunal administratif ad hoc est la Cour africaine de

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Justice et des droits de l'homme. La Cour de céans conclut donc qu’elle n’a manifestement pas compétence pour connaître de cette requête ».
4. La Cour s'intéresse ainsi en premier lieu au fondement matériel de la requête, c’est-à-dire à la nature du droit prétendument violé, plutôt qu’à l’entité contre laquelle la requête est dirigée. Ce faisant, la Cour examine la requête d’abord sous l'angle de sa compétence matérielle, et non pas, comme il s’imposait, sous celui de sa compétence personnelle.
5. La Cour invoque en effet les « termes de l’article 3 du Protocole » pour dire qu’elle « n’a pas compétence » pour connaître d’une requête « fond[é]e exclusivement sur une rupture de contrat, en rapport avec l’article 13(a) et (b) du Statut et Règlement du personnel de l’OUA ». Elle conclut donc implicitement que l’affaire qui lui est soumise ne concerne pas, comme le requiert l’article 3(1) du Protocole, « l’interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droit de l’homme et ratifié par les Etats concernés ».
6. Or, la Cour devait de prime abord se pencher sur sa compétence personnelle ou ratione personae ; ce n'est qu'une fois sa compétence personnelle établie, qu’elle devait examiner sa compétence matérielle (ratione materiae) et/ou, le cas échéant, sa compétence temporelle (ratione temporis) et géographique (ratione loci). Sa juridiction n’étant pas obligatoire," la Cour doit en effet d’abord s'assurer qu’elle a compétence ratione personae pour connaître de la requêt.?
7. Cette compétence personnelle de la Cour doit à son tour s'apprécier à deux niveaux différents : au niveau du défendeur (contre qui une requête peut être introduite ?) et à celui du demandeur (par qui une requête peut être introduite ?).
8. Aux termes du Protocole, les requêtes ne peuvent être introduites que contre un « Etat » et celui-ci doit bien évidemment être partie au Protocole. L'article 2 du Protocole prévoit en effet que la Cour complète les fonctions de protection que la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples a conférées à la Commission africaine ; or, il ressort clairement de la Charte africaine que seuls des « Etats », parties à celle-ci, peuvent faire l’objet d’une communication introduite devant la Commission africaine. Le Protocole n’a pas entendu déroger à ce principe, comme en témoignent ses articles 3(1), 5(1)(c)), 7, 26, 30, 31 et 34(6), dont aucun ne fait référence à une entité autre que l’« Etat » (« Etats concernés », « Etat contre lequel une plainte a été introduite », « Etats intéressés »,* « Etats parties »).
1 Les Etats concernés doivent en effet être parties au Protocole et, le cas échéant, avoir procédé au dépôt de la déclaration facultative.
2 Voir par exemple la démarche suivie par la Cour internationale de Justice, dont la juridiction n’est pas non plus obligatoire, dans son arrêt rendu le 11 juillet 1996 dans l'affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, exceptions préliminaires, C.l.J. Recueil 1996, pp. 609, 612, 613, 614 et 617, paragraphes 16, 23, 26, 27 et 34.
3 L'expression « Etats intéressés » dans la version française de l’article 26(1) du Protocole a été traduite par “States concerned” dans la version anglaise de la même disposition.

Ah Ac'o c. Le Parlement panafricain (compétence) (2011) 1 RJCA98 101
9. L'article 5 du Protocole mentionne bien, outre l’Etat, la Commission africaine, les organisations intergouvernementales africaines, les individus et les organisations non-gouvernementales, mais c’est pour les autoriser à introduire une instance contre un Etat partie, non pas pour en faire des « défendeurs » potentiels devant la Cour.*
10. Organe de l'Union africaine (voir l’article 5 de l’Acte constitutif de l’Union), le Parlement panafricain n’est donc pas, en l’état actuel du Protocole, une entité contre laquelle une requête peut être introduite devant la Cour ; c'est ce qu'il suffisait à la Cour d’indiquer clairement.
11. C’est en fait ce que la Cour paraît vouloir dire, mais de manière alambiquée, dans les deuxième et troisième phrases du paragraphe 8 de sa décision, qui se lisent comme suit : « I! s'agit donc d’une instance qui, en vertu du Statut et Règlement du personnel de l’OUA, relève de la compétence du Tribunal administratif ad hoc de l’Union africaine. En outre, conformément à l’article 29(1)(c) de son Protocole, la Cour qui a compétence pour connaître de toute affaire en appel émanant du Tribunal administratif ad hoc est la Cour africaine de Justice et des droits de l’homme ».
12. Il ne semble pas que la Cour ait voulu conclure qu’une rupture de contrat de travail en tant que telle n’entre pas dans le champ de sa compétence matérielle ; ce serait là en effet une conclusion hâtive dans la mesure où une telle question entretient des liens étroits avec le droit de chaque personne « de travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes », garanti notamment par l’article 15 de la Charte africaine. C’est uniquement parce que cette rupture concerne un contrat de travail conclu entre le requérant et le Parlement panafricain que la Cour considère qu’elle n'entre pas dans sa compétence, sans toutefois préciser s’il s’agit là d’un cas d’incompétence matérielle ou personnelle.
13. Dans la présente espèce, la Cour aurait dû adopter la démarche qui a été la sienne jusqu’à lors dans l'examen des requêtes, à savoir commencer par la vérification de sa compétence personnelle.
14. En se penchant d'emblée sur sa compétence matérielle, comme elle l’a fait dans la présente instance, la Cour prend le risque de s'exprimer sur des questions dont la réponse n’est pas nécessaire aux fins d’établir sa compétence pour connaître de l'affaire. Si, en effet, la Cour devait commencer par examiner la question, pas toujours facile à élucider, de savoir si une violation alléguée concerne bien un droit de l’homme garanti par la Charte africaine ou un autre instrument international pertinent relatif aux droits de l'homme et que sa réponse soit affirmative, ses recherches et conclusions en la matière pourraient s'avérer vaines si elle constatait ultérieurement que l'entité contre
4 A ma comnaissance, l'Union européenne est la seule entité non étatique susceptible d'être, dans un proche avenir, attraite devant une juridiction statuant en matière de violations de droits de l'homme ; des pourparlers sont en effet en cours pour permettre à l'Union européenne d’adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme et, en conséquence, de faire l’objet de requêtes devant la Cour européenne des droits de l'homme (voir le site http://www.touteleurope.eu/fr/
copie-1.html ; site consulté le 3 octobre 2011).

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laquelle la requête est introduite ne peut pas être attraite devant la Cour, soit parce qu’elle n’est pas partie au Protocole, soit parce qu’elle n’a pas fait la déclaration prévue par l’article 34(6) de ce protocole ou soit parce qu’elle n’est pas partie au traité international pertinent invoqué.
15. Je ferais également observer que l'examen que la Cour fait de sa compétence matérielle est incomplet car il me semble péremptoire d'affirmer, comme l’elle le fait au paragraphe 6 de la décision, que la requête « se fonde exclusivement sur une rupture de contrat, en relation avec l’article 13(a) et (b) du Statut et Règlement du personnel de l’OUA ».
16. Dans sa requête, telle que complétée par sa lettre du 22 août 2011, le requérant attire en effet l'attention de la Cour sur un recours qu'il aurait introduit auprès du Tribunal administratif ad hoc de l’Union africaine, le 29 janvier 2009. Le 15 avril 2009, ce recours aurait été déclaré recevable par le Secrétaire par intérim du Tribunal et le 29 septembre 2010, après de nombreux rappels adressés à ce dernier, le requérant aurait été informé de ce que le Tribunal n'a pas « pu siéger au cours des dix (10) dernières années faute de moyens adéquats et de manque de Secrétaires du Tribunal ». Le requérant allègue que deux années et quatre mois après que son recours ait été déclaré recevable, le Tribunal n’avait toujours pas siégé et que c’est devant le « silence » de ce dernier qu’il a décidé de saisir la Cour.
17. Bien que le requérant n’ait pas explicitement allégué la violation de son « droit à ce que sa cause soit entendue », la Cour aurait également pu se poser la question de savoir si ce droit entrait dans le champ de sa compétence ; il s’agit pourtant d’un droit garanti par la Charte africaine (article 7) à laquelle fait référence l’article 3(1) du Protocole. La Cour ne pouvait toutefois répondre à cette question sans avoir au préalable identifier le sujet passif ou le débiteur du droit en question ; ce faisant, elle aurait été inévitablement amenée à se prononcer sur la question de sa compétence personnelle.
18. Pour toutes les raisons susmentionnées, je considère qu’en l'espèce la Cour aurait dû indiquer clairement : 1) que le Protocole autorise le dépôt de requêtes contre les seuls Etats parties à cet instrument, 2) que le Parlement panafricain ne peut donc pas être attrait devant elle, et 3) qu’elle est en conséquence manifestement incompétente ratione personae pour connaître de la requête. L’incompétence de la Cour étant manifeste, la requête n'aurait, en tout état de cause, pas dû faire l’objet d’un examen judiciaire par la Cour mais aurait dû être rejetée de plano par une simple lettre du Greffe.


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM503531322
Date de la décision : 30/09/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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