Ae Ac c. Aa
A 611
Tanzanie (mesures provisoires) (2015) 1 RICA 611 611
(mesures provisoires) (2015) 1
Ae Ac c. République-Unie de Tanzanie
Ordonnance portant mesures provisoires, 18 mars 2016. Fait en anglais,
en français en portugais et en arabe, le texte anglais faisant foi.
Juges X, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA,
GUISSE, KIOKO, BEN ACHOUR et MATUSSE
N’a pas siégé conformément à l’article 22 : RAMADHANI et ORÉ
N’a pas participé : BOSSA
Le requérant alléguait la violation du droit à un procès équitable dans une
procédure ayant abouti à sa condamnation à la peine capitale. La Cour a
estimé des mesures provisoires étaient nécessaires pour éviter un
préjudice irréparable en dépit du moratoire de fait adopté par l’État
défendeur et du fait qu'aucune exécution n’avait eu lieu depuis
longtemps.
Mesures provisoires (peine capitale, 19-21)
I Objet de la requête
1. Le 6 janvier 2015, la Cour a reçu une requête introductive d'instance présentée par Ae Ac Cci-après désigné «le requérant »), contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après désignée «le défendeur »), alléguant que le défendeur a violé ses droits inscrits dans les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme.
2. Le requérant qui est actuellement incarcéré à la Prison centrale d'Ukonga à Dar es-Salaam (AaB a été condamné à mort pour meurtre le 30 mars 2010 par la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Moshi. Le 28 février 2014, la Cour d'appel, qui est la plus haute juridiction de Tanzanie, a confirmé la condamnation à mort.
3. Le requérant affirme, notamment, que :
(a) sa condamnation ne saurait être considérée comme l'aboutissement d'un procès juste et équitable. || affirme que son droit à un procès équitable a été violé et que plusieurs de ses droits ont été bafoués durant la procédure.
(b) il allègue en outre qu’à l'exception du procès tenu en 2010, la République-Unie de Tanzanie ne lui a fourni aucune assistance linguistique à aucune des autres étapes essentielles de l'affaire, notamment lors de l’interrogatoire pour recueillir sa déposition au commissariat de police, alors qu’au moment de son arrestation, il ne pouvait parler correctement et comprendre que le français. Par
612 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
ailleurs, la Tanzanie n’a pris aucune disposition pour lui permettre de bénéficier d’une assistance consulaire.
(c) il soutient également qu’après son arrestation, le défendeur n’a pas pris les mesures appropriées pour sécuriser ses biens qui se trouvaient dans sa maison à Ab, et qu’il a été, de ce fait, arbitrairement dépossédé de ces biens.
Il. Procédure devant la Cour
4. La requête a été reçue au Greffe le 6 janvier 2015.
5. En application de l’article 35(2)(b) et 35(4)(b) du Règlement intérieur de la Cour, le 21 janvier 2015, le Greffe a communiqué copie de la requête à la République de Côte d'Ivoire, l’invitant à intervenir dans la procédure, conformément à l’article 5(2) du Protocole, en attirant l'attention sur les dispositions relatives à une telle intervention, prévues à l’article 53(1) du Règlement intérieur de la Cour.
6. Par note verbale datée du 1° avril 2015, la Côte d'Ivoire a informé le Greffe de son intention d’intervenir dans la procédure.
7. Par lettre du 5 janvier 2016, le défendeur a déposé sa réponse à la requête.
8. Le 2 mars 2016, le Greffe a reçu la requête de la Côte d'Ivoire aux fins d'intervention dans la procédure.
IN. Compétence de la Cour
9. Lorsqu'elle est saisie d’une requête, la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence, en application des articles 3 et 5 du Protocole.
10. Toutefois, avant d’ordonner des mesures provisoires, la Cour ne doit pas établir qu’elle est compétente pour connaître du fond de l’affaire, elle doit simplement être convaincue qu’elle est compétente,
11. L'article 3(1) du Protocole dispose que « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés ».
12. Le défendeur ayant ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples le 9 mars 1984 et le Protocole, le 10 février 2006, il est de ce fait partie aux deux instruments ; en outre, le 29 mars 2010, il a également fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes introduites par les individus et les ONG, au sens des articles 34(6) et 5(3) du Protocole.
Voir requête n°002/2013 Commission africaine des droits de l'homme des peuples c. Libye (Ordonnance portant mesures provisoires datée du 15 mars 2013) et requête n°006/2012 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Ad (Ordonnance portant mesure provisoires datée du 15 mars 2013) ; requête n°004/2011 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (Ordonnance portant mesures provisoires datée du 25 mars 2011).
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13. Les droits dont la violation est alléguée par le requérant étant protégés par l’article 7 de la Charte et l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après dénommé PIDCP), la Cour a prima facie, compétence ratione materiae pour connaître de l'espèce. Le défendeur a adhéré au PIDCP le 11 juin 1976 et a déposé l'instrument d'adhésion à la même date.
14. Au vu de ce qui précède, la Cour est convaincue que, prima facie, elle est compétente pour connaître de la requête en l'espèce.
IV. Sur les mesures provisoires
15. Dans sa requête, le requérant ne demande pas à la Cour d’ordonner des mesures provisoires ;
16. En vertu de l’article 27(2) du Protocole et de l’article 51(1) du Règlement intérieur de la Cour, celle-ci peut ordonner des mesures provisoires d’office « dans les cas d'extrême gravité et lorsqu'il s'avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes » et « qu’elle estime devant être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice » ;
17. Il appartient à la Cour de décider, dans chaque situation, si à la lumière des circonstances particulières de l'affaire, elle doit exercer la compétence que lui confère les dispositions ci-dessus.
18. Le requérant est un condamné à mort et la requête semble révéler une situation d’extrême gravité ainsi que le risque de dommages irréparables à la personne du requérant.
19. Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, qui révèlent un risque d'application de la peine de mort, ce qui risque de porter atteinte aux droits du requérant protégés par l'article 7 de la Charte et l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après désigné PIDCP), la Cour décide d'exercer la compétence que lui confère l’article 27(2) du Protocole.
20. La Cour constate que la requête en l'espèce révèle une situation d'extrême gravité et présente un risque de porter atteinte aux droits des requérants protégés par les articles 7 de la Charte et 14 du PIDCP, si la peine de mort venait à être appliquée.
21. En conséquence, la Cour conclut que ces circonstances exigent une ordonnance portant mesures provisoires, en application de l’article 27(2) du Protocole et de l’article 51 de son Règlement intérieur, pour préserver le statu quo ante, en attendant la décision sur la requête principale.
22. Pour lever toute ambiguïté, la présente ordonnance est de nature provisoire et ne préjuge en rien des conclusions que la Cour dégagera sur sa compétence, sur la recevabilité de la requête et sur le fond.
Par ces motifs,
23. La Cour, à l’unanimité, ordonne au défendeur :
a) De surseoir à l'application de la peine de mort infligée au requérant, en attendant que la Cour se prononce sur la requête principale.
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b) De faire rapport à la Cour, dans les trente (30) jours de la
réception de la présente ordonnance, des mesures prises pour la
mettre en œuvre.