Ae c. Aa
Ab Ac Ae c. Rwanda
RJCA 575
(procédure) (2016) 1 RICA 575 575
(procédure) (2016) 1
Ab Ac Ae c. République du Rwanda
Ordonnance sur la procédure, 3 juin 2016. Fait en anglais et en français,
le texte anglais faisant foi.
Juges A, THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ,
TAMBALA, ORÉ, GUISSE, KIOKO, BEN ACHOUR, BOSSA et
MATUSSE
Amicus curiae (autorisation d'intervention, discrétion de la Cour, 38, 39)
Procès équitable (liberté de communiquer avec son conseil, 47-50)
Preuve (technologie permettant d’obtenir des preuves par
vidéoconférence non disponible et non prévue dans le Règlement de la
Cour, 57 ; la documentation relative aux procédures nationales devrait
être publique, 66)
I Objet de la requête
1. Le 3 octobre 2014, la Cour a été saisie d’une requête introductive d'instance présentée par Ab Ac Ae Cci-après dénommée « la requérante ») contre la République du Rwanda, (ci- après dénommée « le défendeur »).
2. La requérante est citoyenne rwandaise et chef du parti d’opposition Forces démocratiques unifiées (FDU Inkingi).
3. La requête est dirigée contre l’Attorney général de la République du Rwanda en sa qualité de représentant du défendeur.
4. La requérante prie la Cour de rendre les ordonnances et de décider des réparations suivantes ;
j) Dire que les articles 1, 7, 10 et 11, 18 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme ; les articles 7, 3, 9 et 15 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte »); et les articles 7, 14, 15, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont été violés.
ñ) Abroger avec effets rétroactifs les articles 116 et 463 de la loi organique N° 01/2012 du 2 mai 2012 relative au Code pénal, ainsi que ceux de la loi No 84/2013 du 28 octobre 2013 relative à la répression des crimes de l'idéologie du génocide ;
iv) Annuler toutes les décisions qui ont été prises depuis l'enquête préliminaire jusqu’au prononcé du dernier jugement ;
v) Libérer la requérante sous condition ; et
576 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
vi) Lui adjuger les dépens et les réparations.
Il. Résumé des faits
5. La requérante soutient qu’au début du génocide survenu au Rwanda en 1994, elle se trouvait aux Pays-Bas, pour ses études universitaires en économie et en gestion des entreprises.
6. Elle affirme qu’en 2000, elle a été portée à la tête d’un parti politique, le « Rassemblement républicain pour la démocratie au Rwanda (RDR) ». La requérante soutient en outre qu’elle était membre de parti depuis 1998.
7. Selon la requérante, quelque temps après, la fusion entre ce parti et deux autres formations politiques a donné naissance à un nouveau parti politique, les « Forces démocratiques unifiées » (FDU Inkingi), dont la requérante assure la direction.
8. La requérante soutient en outre qu’en 2010, après avoir passé près de 17 ans à l’étranger, elle a décidé de retourner au Rwanda pour contribuer à l’œuvre de reconstruction nationale, avec, au nombre de ses priorités, faire enregistrer un parti politique, le FDU Inkingi.
9. Elle affirme en outre qu’elle n’a pas pu atteindre cet objectif car, à partir du 10 février 2010, elle a fait l’objet de poursuites par la police judiciaire, par le Procureur et par les cours et tribunaux du défendeur. Elle déclare qu’elle a été accusée de propagation de l’idéologie du génocide, de complicité de terrorisme, de sectarisme et de divisionnisme, d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État, de propagation de rumeurs de nature à inciter la population à se soulever contre les autorités politiques, de création de branche armée de mouvement rebelle et de tentative de recours au terrorisme.
10. Le 30 octobre 2012 et le 13 décembre 2013, la requérante a été condamnée à 8 ans puis à 15 ans de prison, respectivement par la Haute Cour et par la Cour suprême du Rwanda.
11. La requérante affirme que toutes les voies de recours internes ont été épuisées.
IN. Procédure
12. Par lettre du 3 octobre 2014, le Conseil de la requérante a saisi la Cour de la présente requête et par lettre du 19 novembre 2014, le Greffe a signifié la requête au défendeur.
13. Par lettre du 6 février 2015, le Greffe a transmis la requête à tous les Etats parties au Protocole, à la Présidente de la Commission de l’Union africaine (ci-après désignée « CUA ») et au Conseil exécutif de l’Union africaine.
14. Par lettre du 23 janvier 2015, le défendeur a déposé sa réponse à la requête et par lettre du 14 avril 2015 la requérante a déposé sa réplique à la réponse du défendeur.
15. Par lettre du 4 janvier 2016, la Cour a notifié aux parties que l’audience publique portant sur la requête était fixée au 4 mars 2016.
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16. Par lettres des 10 février 2015, 26 janvier 2016 et 1er mars 2016, Me Gatera Gashabana, un des conseils de la requérante, a demandé à la Cour si la requérante pouvait assister physiquement à l’audience publique et comparaître en tant que témoin, et si la technologie de vidéoconférence pouvait être utilisée pour permettre à la requérante de suivre la procédure devant la Cour dans l'affaire en l'espèce. Par lettres du 26 janvier 2016 et du 2 mars 2016, le Greffe de la Cour a répondu à la requérante que la Cour n’estimait pas sa présence nécessaire à l'audience publique et a rejeté la demande de la requérante de comparaître en tant que témoin qu’elle n’avait pas non plus les moyens de recourir à la technologie de vidéoconférence.
17. Par lettres du 29 février 2016 et du fer mars 2016 adressées au Greffe de la Cour, les représentants de la requérante ont demandé le report de la date de l'audience publique. Dans la lettre du 1er mars, le représentant de la requérante a toutefois demandé à la Cour de l'entendre sur les questions de procédure,
18. Par lettre datée du 1er mars 2016 reçue le 2 mars 2016, le défendeur a notifié à la Cour le dépôt de l'instrument de retrait de la déclaration qu’il avait faite en vertu de l'article 34(6) du Protocole portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désigné « le Protocole »). Dans sa lettre, l'Etat défendeur précise que :
« La République du Rwanda demande qu’après le dépôt dudit instrument, la Cour suspende toutes les affaires concernant la République du Rwanda, notamment l'affaire citée ci-dessus, jusqu'à ce qu’une révision de la déclaration soit faite et notifiée à la Cour en temps opportun. »
19. Par lettre du 2 mars 2016, le Greffe a accusé réception des lettres de la requérante datées respectivement du 29 février 2016 et du 1er mars 2016 et a informé la requérante que l’audience publique aurait lieu comme prévu le 4 mars 2016, et que la Cour ne disposait pas des moyens nécessaires pour permettre à la requérante de comparaître par voie de vidéoconférence. Le Greffe a également notifié à la requérante la lettre du défendeur datée du 1er mars 2016.
20. Par lettre du 2 mars 2016, le Greffe a accusé réception de la lettre du défendeur datée du 1er mars 2016 et l’a informé que l’audience publique aurait lieu comme prévu le 4 mars 2016. Le Greffe a également notifié au défendeur les lettres de la requérante datées respectivement du 29 février 2016 et du 1er mars 2016,
21. Par lettre datée du 3 mars 2016, le Bureau du Conseiller juridique et Direction des Affaires juridiques de la CUA a notifié à la Cour le dépôt par le défendeur, de l'instrument de retrait de la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole, reçu à la CUA le 29 février 2016. 22. Par lettre du 3 mars 2016, le défendeur a accusé réception de la lettre de la Cour datée du 2 mars 2016 et a indiqué qu'il n'avait aucune objection à la demande de la requérante de reporter la date de l'audience publique, Le défendeur a également demandé l'autorisation d’être entendu sur sa demande du 2 mars 2016 de suspendre les affaires pendantes devant la Cour le concernant.
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23. Lors de l’audience publique du 4 mars 2016, la requérante était représentée par Me Gatera Gashabana et Dr Ad Af. Le défendeur n’a pas comparu à l’audience.
24. À la demande de la requérante, la Cour a entendu les représentants de la requérante sur les questions de procédure et ont demandé à la Cour de prendre les mesures suivantes à ce sujet :
«i. rejeter le mémoire d'amicus curiae présenté par la Commission nationale de lutte contre le génocide ;
ii. ordonner au défendeur de faciliter l'accès des représentants de la requérante à leur cliente ;
ii. ordonner au défendeur de faciliter l'accès de la requérante à la technologie de vidéoconférence afin de lui permettre de suivre la procédure devant la Cour dans l'affaire en l’espèce ;
iv. ordonner au défendeur de se conformer à l’ordonnance rendue par la Cour le 7 octobre 2015 et de déposer les documents pertinents. »
25. À l'issue de l'audience publique, le 18 mars 2016, la Cour a rendu une ordonnance portant mesures provisoires, dans laquelle la Cour :
«i. Ordonne aux parties de déposer leurs observations écrites sur le retrait, par le défendeur, de la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole, dans les quinze (15) jours suivant réception de la présente ordonnance.
ii. Décide que la décision sur les effets du retrait par le défendeur de la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole sera rendue à une date ultérieure qui sera notifiée aux parties.
iii. Ordonne à la requérante de déposer ses observations écrites sur les questions de procédure mentionnées au paragraphe 15 ci-dessus, dans les quinze (15) jours suivant réception de la présente ordonnance ».
26. Par lettre du 29 mars 2016, la Cour a signifié aux parties l’ordonnance qu'elle avait rendue le 18 mars.
27. Par lettre du 13 avril 2016, le défendeur a déposé ses observations sur l’ordonnance rendue par la Cour le 18 mars 2016
28. Par lettre du 15 avril 2016 reçue le 18 avril 2016, la requérante a déposé ses observations sur l’ordonnance rendue par la Cour le 18 mars 2016
29. Par lettre du 4 mai 2016, le Greffe a signifié les observations du défendeur sur l’Ordonnance de la Cour du 18 mars 2016 à la requérante et lui a demandé de déposer ses observations éventuelles dans un délai de 15 (quinze) jours.
30. Par lettre du 4 mai 2016, le Greffe a signifié les observations de la requérante sur l’Ordonnance de la Cour du 18 mars 2016 au défendeur et lui a demandé de déposer ses observations éventuelles dans un délai de 15 (quinze) jours.
31. Le présent arrêt porte sur la compétence de la Cour à la lumière du retrait par le défendeur de la déclaration mentionnée au paragraphe 24 de la présente ordonnance.
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Question n°1 : Demande de la requérante à la Cour de ne pas faire droit à la demande de la Commission nationale de lutte contre le génocide d’intervenir en qualité d’amicus curiae
32. Au cours de l'audience publique, la requérante a formulé une requête orale étayée plus tard par des observations écrites demandant à la Cour de ne pas accorder à la Commission nationale de lutte contre le génocide (ci-après désignée « NCFAG ») le statut d’amicus curiae et de ne pas recevoir ses observations,
33. La requérante conteste la neutralité de la NCFAG, au motif que celle-ci n’est pas indépendante vis-à-vis du défendeur, dans la mesure où il s'agit d’un organe officiel responsable devant le Président, dont les politiques et orientations sont définies par le Conseil consultatif qui agit sous les ordres du Président de l'Etat défendeur.
34. La requérante fait aussi valoir que la NCFAG joue un rôle important dans la mise en oeuvre des lois réprimant le génocide, lois qui sont vagues et sujettes à des critiques. Elle soutient encore que le Secrétaire exécutif de la NCFAG a publiquement critiqué la requérante, 35. Le défendeur n’a pas déposé ses observations sur cette question. 36. La Cour se fonde sur l’article 45 de son Règlement intérieur pour statuer sur la question. Cet article est libellé comme suit :
« La Cour peut, soit d'office, soit à la demande d’une partie, ou le cas échéant, des représentants de la Commission, se procurer tous les éléments de preuve qu’elle estime aptes à l’éclairer sur les faits de la cause. Elle peut notamment décider d’entendre en qualité de témoin ou d'expert, ou à tout autre titre, toute personne dont les dépositions, dires ou déclarations lui paraissent utiles à l’accomplissement de sa tâche » (non souligné dans l'original).
37. En vertu de l’article 45 de son Règlement intérieur, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de se procurer, de toute personne, des éléments de preuve qui lui paraissent utiles pour statuer sur une affaire. 38. Le rôle de l’amicus curiae dans la procédure est de fournir à la Cour des arguments ou des avis susceptibles de l’aider dans l’examen des questions juridiques dont elle est saisie. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer les entités qui ont qualité pour intervenir en qualité d’amicus curiae. Dans l’exercice de ce pouvoir, le 10 juillet 2015, la Cour a autorisé la NCFAG à intervenir en qualité d’amicus curiae. En outre, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de retenir les éléments qu’elle considère comme impartiaux dans le mémoire d’amicus curiae. En conséquence, la décision ultime concernant les entités qui sont autorisés à intervenir en qualité d’amicus curiae ainsi les éléments du mémoire d’amicus curiae qu’elle prend en considération relève de la discrétion de la Cour.
39. Pour ce motif, la Cour rejette la demande de la requérante et confirme sa décision du 10 juillet 2015 autorisant la NCFAG à intervenir en qualité d’amicus curiae dans la procédure en l’espèce.
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Question n°2 : Demande de la requérante à la Cour d’ordonner au défendeur de faciliter l’accès de à requérante par ses représentants
40. La requérante allègue que l’État défendeur a intimidé ses représentants en soumettant Me Gatera Gashabana à une « fouille complète » lorsqu’il s’est rendu à la prison pour prendre contact avec elle, ce qui constitue une violation des lois et règlements relatifs à l'exercice de la profession d’avocat et du concept de relation privilégiée entre l'avocat et son client, La requérante soutient en outre que cette fouille constitue une violation des articles 48, 50, 54 et 57 de la loi n°83/ 2013 portant création, organisation et fonctionnement du Barreau du Rwanda.
41. La requérante affirme aussi que son co-conseil, Dr Ad Af a toujours des difficultés à obtenir un visa pour entrer en République du Rwanda malgré le fait qu’elle s’y soit déjà rendue plusieurs fois avant son intervention dans l'affaire concernant la requérante. Celle-ci affirme encore que le traitement de la demande de visa de Dr Ad Af est demeure « en cours ».
42. Toujours selon la requérante, ces restrictions constituent une atteinte à son droit de saisir la Cour et à son droit à un recours efficace.
43. En appui à ces allégations, la requérante cite plusieurs lettres dénonçant les actes alléguées d'intimidation qui avaient été précédemment versées au dossier devant la Cour. Dans la lettre du 15 février 2016 adressée au Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Rwanda, Me Gatera Gashabana, représentant de la requérante, affirme que lorsqu'il s’est rendu à la prison pour entrer en contact avec sa cliente, la Direction de la prison l’a informé qu’elle avait reçu des instructions de sa hiérarchie pour qu'avant toute visite, il soit procédé à la fouille des documents en sa possession, faute de quoi il ne serait pas autorisé à rencontrer sa cliente.
44. Le défendeur n’a pas déposé ses observations sur cette question. 45. L'article 28 du Règlement intérieur de la Cour dispose que : « [TJoute partie à une affaire a le droit de se faire représenter par un conseil juridique et/ou par toute autre personne de son choix ».
46. L'article 28 consacre le droit des parties dans une affaire dont la Cour est saisie de comparaître elles-mêmes ou de se faire représenter par un conseil juridique de leur choix. L'article 32 créé l'obligation envers les Etats d'apporter leur coopération pour faciliter la procédure devant la Cour. Il ressort de la lecture combinée de ces deux articles que le défendeur est tenu d'assister la requérante et ses représentants pour faciliter la procédure devant la Cour de céans.
47. La Cour considère qu’une fouille physique du représentant de la requérante, conformément aux pratiques sécuritaires préalables à l’accès à la prison, ne porterait pas atteinte aux droits de la requérante ou de son représentant. Toutefois, la fouille des documents du représentant de la requérante est une atteinte aux normes internationales relatives aux droits de l'homme appliquées par la Cour de céans.
Ae c. Rwanda (procédure) (2016) 1 RJCA 575 581
48. Lorsqu'elle examinait la question de la fouille des documents d'un avocat dans l'affaire André et un autre c. France (requête no18603/03), la Cour européenne a conclu que :
« La Cour estime que des perquisitions et des saisies chez un avocat portent incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l'avocat et son client. D'ailleurs, la protection du secret professionnel est notamment le corollaire du droit qu'a le client d’un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de < l’accusé > ».
49. Outre les normes établies en droit international, la Cour relève que les lois nationales du défendeur, notamment les articles 50, 54, 56 et 57 de la loi no 83/2013 du 11 septembre 2013 portant création, organisation et fonctionnement de l'Ordre des Avocats du Rwanda, consacrent et garantissent le droit de communiquer avec les clients détenus ainsi que le droit au secret professionnel et prévoient des procédures de perquisition d’un cabinet d’avocats.
50. La Cour considère en conséquence que le défendeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour faciliter l'accès à la requérante par ses représentants, Par ailleurs, le défendeur doit s'abstenir de prendre toute mesure susceptible de porter atteinte aux droits des représentants de la requérante au secret professionnel et de communiquer librement avec elle.
Question n°3 : Demande de la requérante à la Cour d’ordonner au défendeur de mettre à la disposition de la requérante la technologie de vidéoconférence pour suivre son procès devant la Cour
51. La requérante demande à la Cour d’ordonner au défendeur de mettre à sa disposition les facilités de vidéoconférence pour lui permettre de suivre l'affaire et de déposer devant la Cour. La requérante soutient que le défendeur dispose des facilités de vidéoconférence, qui ont précédemment été utilisées dans le cadre des procédures devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda,
52. Selon la requérante, la présence physique d’une personne accusée est un principe de base couramment appliqué dans un procès équitable et même si les procédures devant la Cour ne relèvent pas du domaine pénal de par leur nature, elles concernent la procédure pénale visant la requérante devant les juridictions du défendeur et qui, selon elle, aurait été conduite de façon injuste.
53. La requérante fait encore valoir que l'empêcher de participer à la procédure par voie de vidéoconférence signifie qu’elle ne peut pas s'adresser directement à la Cour et qu’elle sera complétement coupée de la procédure en l'espèce, ce qui portera atteinte à son droit à un recours efficace.
54. Le défendeur n’a pas déposé ses observations sur cette question. 55. La Cour relève que l'importance de la présence physique d’un requérant en tant qu’exigence procédurale est nettement distincte de la
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protection du droit de celui-ci à participer à l'instance. Alors que la présence d’un requérant aux audiences est protégée par le droit d’avoir accès à la Cour, le droit de participer est protégé par le droit de se défendre soi-même ou d’être représenté par un conseil. En l'espèce, la participation de la requérante dans la procédure est assurée par ses représentants dûment habilités à cette fin.
56. La Cour fait aussi observer qu’en vertu de l’article 27 (1) de son Règlement intérieur, la procédure devant elle comporte une phase écrite et, si nécessaire, une phase orale. En outre, en application de l’article 45 dudit Règlement intérieur, la Cour peut décider d'entendre en qualité de témoin toute personne dont la déposition lui parait utile à l’accomplissement de sa tâche. Il appartient donc à la Cour de déterminer, à sa discrétion, si elle doit organiser une procédure orale et si elle y citera des témoins à la barre. La Cour réitère sa décision du 26 janvier 2016 qu’elle n’estime pas que la présence de la requérante est nécessaire et, qu’en conséquence, elle rejette la demande de la requérante de comparaître devant la Cour en qualité de témoin.
57. La Cour relève en outre que les procédures devant elle sont régies par son propre Règlement intérieur et celui-ci ne prévoit pas encore la possibilité de recueillir des dépositions par voie de vidéoconférence. Les dispositions à prendre pour recueillir des dépostions par voie de vidéoconférence impliquent l’installation du matériel et des logiciels requis, le déploiement du personnel du Greffe au lieu où se trouve le témoin et la conclusion d’un accord de coopération entre la Cour et l’État dans lequel se trouve le témoin. À cet égard, la Cour rappelle sa décision du 2 mars 2016 informant la requérante que la Cour ne dispose pas de moyens nécessaires pour permettre à la requérante participer à la procédure grâce à la technologie de vidéoconférence.
58. En l'absence de règles régissant la déposition au moyen de la technologie de vidéoconférence, la Cour estime qu’elle ne peut pas obliger l’État défendeur à faciliter l’utilisation de la technologie de vidéoconférence pour permettre à la requérante de suivre ou de participer à la procédure devant la Cour et rejette en conséquence la demande de la requérante à cet effet.
Question n° 4 : Demande de la requérante à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de mettre en œuvre l’ordonnance rendue par la Cour le 7 octobre 2015 et de déposer les documents pertinents.
59. La requérante demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de se conformer à la décision de la Cour du 7 octobre 2015 et de déposer les lois nationales, les actes d'accusation ainsi que les comptes rendus des audiences devant les juridictions nationales relativement aux charges retenues contre elle devant les cours et tribunaux de l'Etat défendeur. La requérante demande à la Cour de tirer toutes les conséquences juridiques qu’elle estime appropriées, au cas où le défendeur ne se conformerait pas à ladite décision.
60. Le défendeur n'a pas déposé ses observations sur cette question. La Cour note cependant qu’en réponse à la décision rendue par la Cour le 7 octobre 2015, l’État défendeur a déposé ses arguments le 23
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décembre 2015 en indiquant qu’il faisait face à des difficultés pour exécuter la décision de la Cour. Il a fait valoir que les documents demandés par la Cour n’étaient pas en sa possession, mais qu’ils étaient disponibles auprès de la requérante et de la Cour suprême du Rwanda. L'État défendeur a ajouté qu’il n'avait pas automatiquement le droit de tenir les documents demandés.
61. L'État défendeur a également fait valoir que pour se conformer à la demande de la Cour, il devrait déposer une requête devant la Cour suprême du Rwanda, en se fondant sur l’ordonnance de la Cour et il devrait fournir les motifs pour lesquels il aurait besoin de tels documents.
62. L'État défendeur soutient encore que c’est la requérante qui a fait référence à ces documents et qu’en vertu de l’article 34(1) du Règlement intérieur de la Cour, il incombe à la requérante de déposer auprès de la Cour tous les éléments de preuve qu’elle a l’intention de produire.
63. L'État défendeur fait encore valoir que même si la Cour suprême du Rwanda venait à ordonner que les documents en question soient mis à la disposition de l’État défendeur pour qu’il puisse en tirer des copies, le coût serait prohibitif, compte tenu du volume desdits documents. L’État défendeur affirme qu'il ne dispose pas suffisamment de ressources et qu’il n'est pas à même de régler les factures relatives à la reprographie des documents auxquels la requérante ou par la Cour fait référence.
64. Pour trancher cette question, la Cour se fonde sur l’article 41 de son Règlement intérieur, libellé comme suit : « La Cour peut, avant ou durant les débats, demander aux parties de produire tout document pertinent et de fournir toutes les explications pertinentes. En cas de refus, elle en prend acte ».
65. L'article ci-dessus confère à la Cour le pouvoir de demander aux parties de produire tout document qu’elle estime pertinent.
66. L'État défendeur lui-même reconnaît que les documents demandés sont en la possession exclusive de la Cour suprême du Rwanda et de la requérante. La Cour est d'avis que les documents demandés sont des documents officiels de l’État qui sont sous la garde principale de l’État défendeur. Il s’agit de documents publics ou qui font partie des comptes rendus d'audience devant des juridictions nationales et qui devraient être publics de par leur nature.
67. La Cour considère que les motifs invoqués par l’État défendeur pour expliquer la non-application de sa décision du 7 octobre 2015 sont insuffisants. La Cour conclut de même qu’aucun préjudice ne sera causé à l’État défendeur si celui-ci dépose les documents demandés auprès de la Cour.
68. Par ces motifs,
La Cour, à l’unanimité :
i. Rejette la demande de la requérante à la Cour de ne pas recevoir le mémoire d’amicus curiae de la Commission nationale de lutte contre le génocide.
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ii. Ordonne à l’État défendeur de faciliter l’accès à la requérante par ses représentants et de s'abstenir de prendre des mesures susceptibles de porter atteinte au droit de la requérante d'accéder à ses représentants et le droit des représentants de la requérante au secret professionnel ainsi qu’à celui de communiquer librement avec leur cliente.
iii. Rejette la demande de la requérante à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de faciliter l'accès à la technologie de vidéoconférence pour permettre à la requérante de suivre la procédure devant la Cour et d’y participer.
iv. Ordonne à l’État défendeur de déposer au Greffe de la Cour copie des documents demandés dans sa décision du 7 octobre 2015.