398 RECUEIL
Ao Ay
AH 398
DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Aj et autres c Tanzanie (révision) (2016) 1
Ao Ay Aj et autres c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 3 juin 2016. Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant
foi.
Juges : THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ,
GUISSE, KIOKO, BEN ACHOUR, BOSSA et MATUSSE
Les requérants ont introduit cette demande en vue de faire réviser la
décision de la Cour rejetant leur requête au motif qu’elle était irrecevable.
Les requérants ont fondé leur demande en révision sur la découverte de
nouveaux éléments de preuve. La Cour a rejeté ladite demande au motif
que les nouvelles allégations des requérants ne constituaient pas de
nouveaux éléments de preuve au sens des dispositions applicables du
Règlement intérieur de la Cour.
Recevabilité (les conditions de recevabilité caratère cumulatif des, 52)
Révision de l’arrêt (preuves déjà examinées, 41, 46, de nouvelles
preuves n’auraient pas affecté la décision, 49, 51)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Révision du jugement (différence entre les faits et les éléments de
preuve, 7, 8, 11, 12 ; conditions de recevabilité 13, 20 ; nécessité de
circonspection en cas de révision 23, 24).
I Objet de la requête
1. Messieurs Ao Ay Aj et autres (ci-après « les requérants ») ont introduit devant la Cour, par les soins de leur Conseil, le Cabinet Chabruma et Associés, une demande en révision de l’arrêt rendu le 28 mars 2014 (ci-après « l'arrêt initial ») dans l'affaire qui les oppose à la République-Unie de Tanzanie (ci-après « l’État défendeur »), en vertu des articles 28(3) du Protocole et 61(4) du Règlement.
2. Pour rappel, les requérants, ex employés de la Communauté de l'Afrique de l'Est (ci-après la « CAE ») avaient saisi la Cour par une requête datée du 17 janvier 2012 et dirigée contre l'Etat défendeur. Ils alléguaient notamment que le non-paiement de l'intégralité des pensions et indemnités de licenciement dues par le Gouvernement tanzanien en vertu de l'Accord de médiation de 1984 constitue une violation de la Déclaration universelle des droits de l’homme, notamment des articles 7 sur le droit à la non-discrimination, 8 sur le droit à un recours effectif, 23 sur le droit au travail et à la juste rémunération, 25 sur le droit à un niveau de vie suffisant et 30 sur l'obligation des Etats de ne pas se livrer à une activité ou accomplir un
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acte visant la destruction des droits et libertés qui sont énoncés dans la Déclaration. Ils alléguaient aussi que la brutalité et l’humiliation qu’ils ont subies de la part de la police constituent également une violation de la Déclaration
3. Statuant le 28 mars 2014, la Cour a conclu à l’irrecevabilité de ladite requête. Les motifs de son arrêt indiquent
« 3) Sur la recevabilité de la requête, à l'unanimité,
iv. Retient l'exception d’irrecevabilité soulevée par l’État défendeur tirée du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne les violations liées à la demande d’indemnisation
Retient également l'exception d'irrecevabilité soulevée par l'État défendeur, tirée du non-respect de l'épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne les violences policières
4) Déclare en conséquence la requête irrecevable »
Il Résumé de la procédure devant la Cour
4. Le 30 juin 2014, la Cour a reçu une requête émanant de Ao Ay
5. Par lettre en date du 18 septembre 2014, le Greffe a, en application de l’article 35(3) du Règlement, communiqué à l’État défendeur la requête en révision et, par une autre lettre du 12 novembre 2014, invité ce dernier à présenter son mémoire en réponse dans un délai de 30 jours à compter de la réception de la lettre
6. Par courriel du 12 décembre 2014, l’État défendeur indiquait avoir transmis au Greffe son mémoire en réponse. Le Greffe ayant constaté que le mémoire n’était pas joint au courriel a, par un courriel du 15 décembre 2014, informé l'Etat défendeur. Par courriel du 17 décembre 2014, celui-ci a effectivement transmis sa réponse.
7. Par note verbale en date du 29 décembre 2014, le Ministère des affaires étrangères de la République-Unie de Tanzanie a fait une autre transmission au Greffe de son mémoire daté du 12 décembre 2014, en réponse à la requête
8. Par lettre du 6 janvier 2015, le Greffe a accusé réception du mémoire à l’Etat défendeur, l’a informé que les annexes mentionnées dans la note de transmission ne sont pas jointes et lui a donné un délai de 7 jours pour transmettre lesdites annexes. Par note verbale du 9 janvier 2015, l'Etat défendeur a transmis les annexes manquantes.
9. Par une autre lettre datée du 6 janvier 2015, le Greffe a transmis aux requérants une copie du mémoire en réponse de l’État défendeur et les a invités à produire leurs observations dans un délai de 30 jours à compter de la réception de la lettre
10. Par lettre du 30 janvier 2015, reçue au Greffe le 2 février 2015, le conseil des requérants a transmis une Réplique à laquelle l'Etat défendeur a également répondu dans un mémoire daté du 9 mars 2015 et reçu au Greffe le 18 mars 2015
11. Le 29 mai 2015, la Cour a déclaré la procédure écrite close et les parties en ont été informées le 8 juin 2015
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A. Arguments des requérants
12. Les requérants allèguent dans leur requête en révision que « l'arrêt de la Cour indiquant que les requérants ne s'étaient pas conformés à l’article 56(5) de la Charte africaine faute d’avoir apporté la preuve de l'épuisement des voies de recours internes doit être révisé parce que les éléments de preuve produits ne s'étaient pas vus accorder le poids qui convenait ».
13. Selon les requérants, pour apprécier si les voies de recours internes ont été épuisées, la Cour doit tenir compte des évènements ayant donné lieu aux demandes à elle adressées concernant le paiement des indemnités de cessation de service et le dédommagement suite aux brutalités policières, lesquelles seraient survenues respectivement après l’Acte de règlement en 2005 et au moment de son exécution le 23 mai 2011.
14. Ils expliquent en outre tous les efforts qu’ils auraient entrepris pour épuiser les voies de recours internes devant les juridictions tanzaniennes et pour porter leurs préoccupations aux autorités judiciaires et politiques.
15. Les requérants affirment aussi ne pas être concernés par les affaires pendantes devant les juridictions internes.
16. Par ailleurs, revenant sur la demande de dédommagement suite aux brutalités policières, les requérants font valoir que la Cour est, à leurs yeux, l'instance idéale pour examiner cette question au risque d’avoir un procès inéquitable.
17. Les requérants déclarent enfin avoir découvert de nouveaux éléments de preuves pour fonder la révision de l'arrêt initial conformément au Règlement. Ils produisent en annexes de leur requête plusieurs documents au titre de ces nouveaux éléments, notamment :
i. Lettre des anciens employés de la CAE au Président de la Cour d'Appel en date du 5 octobre 2011 ; Selon les requérants, cette lettre a été adressée au Président de la Cour d’appel pour le voir accéder à leur demande d’indemnisation.
ii. Lettre-réponse du cabinet du Président de la Cour d'appel datée du 1°" novembre 2011 ; Selon les requérants, cette lettre serait la réponse du Président à leur courrier du 5 octobre 2011. Cette réponse ne les aurait pas satisfaits.
iii. Article de journal « Habari Leo » en date du 16 mars 2011 ;
Les requérants ont produit cet article de journal qui selon eux met en relief l'implication personnelle du Président de la République qui a instruit le gouvernement de procéder au règlement de leurs prestations de fin de service. Ils assimilent la non-exécution de ces instructions à une prolongation anormale de la procédure.
iv. Journal « Au Al (Toleo n° 983) » édition du lundi 13 août
Les requérants ont également produit ce journal pour évoquer les paiements qui auraient été effectués de façon frauduleuse à des
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personnes qui n’y avaient pas droit, mettant ainsi en péril les fonds qui leur étaient destinés.
v. Accord de Médiation de la CAE de 1984 ;
Les requérants font remarquer que cette copie de l'Accord constitue un document complet contrairement à la copie qui avaient été déposée lors de la procédure initiale.
vi. Rapports du Au Ah and An Av Centre de 2010, 2011 et 2012 ;
Pour corroborer le fait que la procédure a connu une prolongation anormale dans le litige qui les oppose à l’État défendeur, les requérants soumettent à la Cour des Rapports de Au Ah and An Av Centre des années 2010, 2011, 2012 qui auraient constaté et fait état de ladite prolongation devant les juridictions internes.
vii. Lettre datée du 11 Mai 2012 ;
Au titre des preuves nouvelles, les requérants produisent une lettre du 11 mai 2012 qui, selon eux, prouve que les voies de recours internes ont été épuisées.
viii. Compte rendu sur la prolongation de façon anormale prédite par Dr. V. Umbricht ;
Comme le titre l'indique, ce compte rendu produit par les requérants est à leur sens, une prédiction qu’aurait faite Dr V. Umbricht sur la prolongation anormale de la procédure concernant l'affaire de règlement de prestations de fin de service des ex employés de la CAE.
ix. Lettre du mandataire de la Couronne en date du 25 février 1987 adressée à l’ancien Ministre des finances et des affaires économiques et de la planification, M. Ac As Ad, signée par le gestionnaire des fonds, M. Az ;
Les requérants produisent également ce document pour justifier, comme ils le disent, de « la ventilation détaillée des fonds de la CAE du 20 janvier 1987 ».
18. Eu égard aux motifs évoqués, les requérants prient la Cour de réviser l’arrêt du 28 mars 2014.
B. Arguments de l’État défendeur
19. Pour sa part, l’État défendeur répondant à la requête, soutient que les décisions de la Cour sont définitives et sans appel, à moins d’être en présence d'éléments nouveaux de preuve importants dont les requérants n’avaient pas connaissance au moment où le jugement a été rendu.
20. Pour l’État défendeur, les lettres datées du 5 octobre 2011 et du 1°" novembre 2011, le journal du 16 mars 2011, la lettre du 11 mai 2012, le journal du 13 août 2007, l’Entente de la CAE ainsi que les Rapports de 2010-2012 du Legal and An Av Centre produits par les requérants ne constituent pas de nouvelles preuves qui justifieraient l'épuisement des voies de recours internes étant entendu qu’une procédure d’appel impliquant ces derniers est toujours pendante sous le n°73/2004.
21. Par ailleurs, poursuit l’État défendeur, les allégations selon lesquelles les requérants n'auraient pas eu droit à un procès équitable sont erronées étant entendu que le système judiciaire de la Tanzanie
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est indépendant et que ces derniers ont conclu un règlement à l'amiable en présence d’un avocat et en toute liberté.
22. Pour toutes ces raisons, l’État défendeur prie la Cour de :
i. Rejeter la demande des requérants sur la base de l’article 38 du Règlement ;
ii. Confirmer la première décision rendue dans cette affaire sous le n° 001/2012 ;
iii. Lui adjuger le bénéfice des dépens et toute(s) autre(s) mesure(s) qu’il plaira à la Cour de prendre.
IV. Exception soulevée par les requérants sur la réponse de l’État défendeur
23. Dans leur réplique, les requérants soulèvent l’irrecevabilité du mémoire de l’État défendeur au motif que ce dernier a soumis sa réponse en dehors du délai, soit plus de trois mois après la date limite, sans aucune explication.
24. A l'appui de leur demande, les requérants invoquent l’article 70(1) du Règlement et la lettre du 12 novembre 2014 adressée aux conseils de l’État défendeur par le Greffe.
V. Réponse de l’État défendeur par rapport à l’exception soulevée par les requérants
25. En réponse, l’État défendeur soutient que l’allégation des requérants visant à faire croire que le mémoire a été introduit hors délai est infondée pour les motifs ci-après :
i. La lettre de la Cour datée du 18 septembre 2014 ne prévoyait pas de délai pour la réponse de l’État défendeur ;
ii. L'État défendeur se fonde sur l’article 37 du Règlement lui accordant 60 jours pour répondre. |! affirme avoir reçu le 17 novembre 2014 une lettre du Greffier de la Cour datée du 12 novembre 2014 l’informant qu’il disposait d’un délai de 30 jours à compter de la réception pour réagir ;
iii. L'Etat défendeur a transmis, par courriel, sa réponse à la Cour le 12 décembre 2014, soit avant l'expiration de la période mentionnée par le Greffier, mais a omis de joindre le mémoire ;
iv. Par courriel du 13 décembre 2014, le Greffe a accusé réception et, par un autre courriel du 15 décembre 2014, a fait remarquer à ce dernier que le mémoire n’était pas joint. L'État défendeur a pris connaissance du courriel le 17 décembre 2014 et a envoyé le jour même le mémoire ainsi que ses annexes.
26. Pour ces raisons, l’État défendeur estime qu'il a respecté toutes les indications du Greffe et prie en conséquence la Cour de rejeter l'exception préliminaire et en tout état de cause, lui permettre tout de même d'introduire son mémoire.
VI. Sur l’exception préliminaire
27. Concernant le mémoire de l’État défendeur dont les requérants demandent le retrait de la procédure actuelle, la Cour note tout d’abord que ledit mémoire lui est parvenu par courriel le 17 décembre 2014 à la
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suite de deux courriers que le Greffe lui a adressés les 18 septembre et 12 novembre 2014.
28. La Cour fait observer que la lettre du 18 septembre 2014 ne prévoyait aucun délai pour le dépôt du mémoire en réponse, tandis que celle du 12 novembre 2014 comblait cette lacune en fixant un délai de 30 jours à l'Etat défendeur pour déposer ledit mémoire. || y a lieu de noter qu’une copie de la même lettre a été envoyée aux requérants pour information.
29. La Cour relève que l’État défendeur a reçu la lettre du Greffe le 17 novembre 2014 de sorte qu’il avait jusqu'au 17 décembre 2014 pour transmettre son mémoire en réponse. La Cour constate que l'État défendeur a déposé son mémoire dans le délai prévu à cet effet.
30. Par ailleurs, la Cour considère qu’en l'espèce, le fait pour elle d'adresser aux requérants une lettre datée du 6 janvier 2015 pour leur transmettre le mémoire de l’État défendeur ne signifie pas que l’État défendeur a déposé son mémoire en dehors du délai.
31. De ce fait, la Cour estime que le mémoire de l'État défendeur a été valablement déposé et rejette en conséquence l'exception tirée du non- respect du délai.
VII. Sur la recevabilité de la requête en révision
32. En application de l’article 28 du Protocole, la Cour a le pouvoir de réviser son arrêt. Aux termes de cette disposition,
« 2. L’arrêt de la Cour est pris à la majorité, il est définitif et ne peut pas faire l’objet d'appel
3.La Cour peut, sans préjudice des dispositions de l'alinéa (2) qui précède, réviser son arrêt, en cas de survenance de preuves dont elle n ’avait pas connaissance au moment de sa décision et dans les conditions déterminées dans le Règlement intérieur. »
33. L'article 67(1) du Règlement est ainsi libellé :
« En application de l’article 28(3) du Protocole, une partie peut demander à la Cour de réviser son arrêt, en cas de découverte de preuves dont la partie n'avait pas connaissance au moment où l'arrêt était rendu. Cette demande doit intervenir dans un délai de six (6) mois à partir du moment où la partie concernée a eu connaissance de la preuve découverte. »
34. L'article 67(3) dudit Règlement dispose comme suit : « … la Cour statue sur la recevabilité de la requête par un arrêt. »
35. La Cour examinera la condition relative à la découverte des preuves nouvelles et celle relative au délai.
36. En ce qui concerne la découverte de preuves nouvelles, les requérants ont affirmé à la page 3 paragraphe h de leur requête ce qui suit: « Nous avons trouvé de tels éléments … » et ont produit les documents tels que décrits au paragraphe 18 du présent arrêt, notamment :
i. Lettre des anciens employés de la CAE au Président de la Cour d'Appel en date du 5 octobre 2011 ;
ii. Lettre réponse du cabinet du Président de la Cour d’appel en date du 12" novembre 2011 ;
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iii. Article de journal « Habari Leo » en date du 16 mai 2011 ;
iv. Journal « Au Al (Toleo n° 983) » édition du lundi 13 août
v. Accord de Médiation de la CAE du 1984 ;
vi. Rapports du Au Ah and An Av Centre de 2010, 2011 et 2012 ;
vi. Lettre datée du 11 Mai 2012 pour prouver l'épuisement des voies de recours internes ;
viii. Compte rendu sur la prolongation de façon anormale prédite par Dr. V. Umbricht ;
ix. Lettre du mandataire de la Couronne en date du 25 février 1987 adressée à l’ancien Ministre des finances et des affaires économiques et de la planification, M. Ac As Ad, signée par le gestionnaire des fonds, M. Az.
37. La Cour rappelle que dans son arrêt initial dont la révision est demandée, la requête a été déclarée irrecevable au motif que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. Dans cet arrêt, la Cour a également considéré que « l'affaire en l'espèce n’a pas été prolongée de façon anormale par l’État défendeur » (paragraphe 135 de l’arrêt initial).
38. Dans ces conditions, la Cour se limitera aux pièces que les requérants présentent comme étant des preuves nouvelles de l'épuisement des voies de recours internes ou de la prolongation anormale de délai pour décider si lesdites pièces mettent effectivement en cause les conclusions auxquelles elle est arrivée le 28 mars 2014.
39. La Cour considère ainsi que l'Article de journal du 16 mars 2016 (iii), la lettre du 11 mai 2012 (vii) les Rapports de Au Ah and An Av Centre de 2010, 2011 et 2012(vi) et enfin le compte rendu de l'entretien de Dr V. Aa (viii) constituent les pièces susceptibles de retenir son attention.
40. S'agissant de la lettre du 11 mai 2012, la Cour note que celle-ci a été déjà produite par les requérants lors de la procédure initiale, en réponse à une lettre du Greffe datée du 30 avril 2012 leur demandant de « fournir la preuve que la requête remplit les conditions prescrites à l’article 34 du Règlement intérieur de la Cour ». La Cour relève que dans cette lettre du 30 avril 2012, les requérants entendaient démontrer, selon leur propre terme, « en quoi leur requête se conforme aux dispositions contenues dans l’article 34 du Règlement intérieur de la Cour ». Ils ont également expliqué, toujours selon eux, « la preuve de l’épuisement des voies de recours internes, notamment les jugements et toutes les annexes disponibles en vue d’une meilleure efficacité dans la gestion de l'affaire ». (Traduction)
41. La Cour en déduit qu’il ne s’agit pas de preuve nouvelle, étant entendu que la pièce a été amplement appréciée par elle dans son arrêt du 28 mars 2014, notamment dans les paragraphes 27 et 28.
42. S'agissant de l’Article de journal du 16 mars 2011, des Rapports de Au Ah and An Av Centre de 2010, 2011 et 2012 et de l'entretien du Dr V. Umbricht, la Cour note que les requérants produisent ces pièces comme preuves nouvelles d’une prolongation anormale de délai.
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43. La Cour relève que la pièce relative aux Rapports du Au Ah and An Av Centre de 2010, 2011 et 2012 traite de l’affaire relative au paiement des pensions à un groupe d’ex- employés de la CAE. Ces rapports font également état de la lenteur de la procédure, de la politisation de l'affaire et des violations des droits de l'homme constatées notamment les droits des femmes âgées.
44. En ce qui concerne la pièce relative à la prolongation prédite par Dr V. Umbricht, la Cour note qu’il s'agit d’un compte rendu d’un entretien entre Dr V. Aa, alors liquidateur de la CAE, et le Président Nyerere le 7 mai 1984 à Msasani.
45. || résulte de l’analyse que les pièces suscitées figurent au nombre des pièces déposées par les requérants respectivement en annexes 12 et 4.1 au mémoire du 27 janvier 2012 reçu au Greffe le 30 janvier 2012 et ont dès lors été soumises à l'appréciation de la Cour lors de la précédente procédure ayant abouti à l’arrêt du 28 mars 2014.
46. La Cour en déduit qu’il ne s'agit pas de nouvelles preuves et doivent en conséquence être écartées.
47. Concernant l'Article de journal du 16 mai 2011, la Cour relève que c’est pour la première fois que les requérants lui communiquent une telle pièce.
48. La Cour note que l’auteur de cet article rapporte des instructions données par le Président de la République-Unie de Tanzanie, M. Ag, au Ministre des Finances pour le paiement des anciens retraités de la Communauté de l’Afrique de l'Est et l'adoption de mesures appropriées en vue d’un prompt règlement du dossier.
49. La Cour fait remarquer que quoique produit pour la première fois devant elle, rien dans cet article ne présente un caractère pertinent susceptible d'influencer la décision initiale. De fait, la prolongation anormale des recours s'apprécie au regard des recours que l'on a effectivement exercés ou tenté d'exercer devant les juridictions internes et non à la lumière des discours et des rapports.
50. Au demeurant, la Cour trouve assez surprenant que les requérants prétendent avoir eu connaissance d’un article de journal aussi important pour leur cause seulement après que la Cour ait rendu sa décision le 28 mars 2014 alors que ledit article était à la portée du public depuis le 16 mars 2011, date de sa parution.
51. En tout état de cause, la Cour considère que l’article de journal du 16 mars 2011 ne constitue pas une preuve nouvelle au sens de l’article 67(1) du Règlement en ce qu’elle n'aurait pas pu permettre de changer la décision prise par la Cour dans son arrêt du 28 mars 2014.
52. La Cour précise que les conditions de recevabilité d’une requête en révision sont cumulatives, le défaut de l’une suffit à entrainer l’irrecevabilité de la requête. Dans l'affaire El Sa/vador/ Ai Y Ak,‘ la ClJ va dans ce sens en faisant observer « qu’une
1 Cour Internationale de Justice, Affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras c. Ak (intervenant), Arrêt 18 décembre 2003, par. 20.
406 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
requête en révision ne peut être admise que si chacune des conditions prévues est remplie. Si l’une d’elles fait défaut, la requête doit être écartée ».
53 élai. La Cour ne juge donc pas utile d'examiner la condition relative au
54. En conséquence ladite requête doit être déclarée irrecevable.
55. Par ces motifs
La Cour,
À l’unanimité,
i) Dit que la requête en révision du 28 juin 2014 ne remplit pas la condition de preuves nouvelles.
ii) -— La déclare irrecevable en application de l’article 67(1) du Règlement.
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
1. Bien que je souscrive aux conclusions de la Cour quant à l’irrecevabilité de la demande en révision de son arrêt du 28 mars 2014, introduite par Messieurs Ao Ay Aj et autres le 28 juin 2014, j'estime que la Cour aurait dû poser plus clairement les conditions auxquelles doit satisfaire la demande en révision pour qu’elle soit recevable aux termes du Protocole et du Règlement. En effet, il appartenait à la Cour de se prononcer clairement sur certaines ambiguïtés du Protocole et du Règlement en la matière et de combler les lacunes de ces instruments en spécifiant les autres conditions essentielles auxquelles doit satisfaire la demande de révision pour être déclarée recevable.
[. Les ambiguïtés du Protocole et du Règlement
2. Je relèverais à cet égard que les versions anglaise et française du paragraphe 3 de l’article 28 du Protocole ne concordent pas. C’est certainement la raison pour laquelle une des trois conditions posées par ce paragraphe n’est pas identique à celle prévue par le paragraphe 1 de l’article 67 du Règlement.
3. La version française du paragraphe 3 de l’article 28 du Protocole permet en effet à la Cour de réviser son arrêt en cas de survenance de preuves « dont elle n’avait pas connaissance au moment de sa décision »;* la version anglaise de ce paragraphe ne contient pas pour sa part une telle condition?
1 « La Cour peut [...] réviser son arrêt, en cas de survenance de preuves dont elle n'avait pas connaissance au moment de sa décision et dans les conditions déterminées dans le Règlement intérieur ».
2 «[...]the Court may review its decision in the light of new evidence under conditions to be set out in the Rules of Procedure ».
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4. Quant au paragraphe 1 de l’article 67 du Règlement, tant sa version anglaise que sa version française prévoit que c’est la « partie » qui demande la révision qui ne doit pas avoir eu connaissance de la preuve nouvelle au moment où l'arrêt a été rendu ;* il n’est pas fait référence à l'ignorance de la preuve par la « Cour » avant le prononcé de son arrêt.
5. À cet égard, il n’est pas sans importance de faire observer que des instruments régissant le fonctionnement d'autres juridictions internationales, qui traitent de la question de la révision,* exigent que tant la Cour que la partie qui demande la révision doivent avoir été dans cette ignorance ; il en va ainsi de l’article 61(1) du Statut de la Cour internationale de Justice,* de l'article 25 du Protocole portant création de la Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l’Ouest® et de l’article 80(1) du Règlement de la Cour européenne des droits de l'homme.” Il en va de même de l’article 48(1) du Protocole portant Statut de la Cour africaine de Justice et des droits de l'homme,® appelé à remplacer le Protocole portant création de la
3 La version française de l’article 28(3) du Protocole prévoit en outre que la Cour peut revoir sa décision « en cas de survenance de preuves », alors que la version anglaise de la même disposition prévoit que la Cour peut revoir sa décision «in the light of new evidence »; les deux versions linguistiques de l’article 67(1) du Règlement se réfèrent pour leur part à la « découverte » (« discovery ») d’une telle preuve. Ces discordances terminologiques n’emportent pas selon moi de conséquences juridiques particulières quant à l'examen de la recevabilité des demandes en révision.
4 La Convention américaine des droits de l'homme, pas plus que le Statut et le Règlement de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, ne contiennent de dispositions relatives à la révision des arrêts ; ces trois instruments font seulement référence à la question de l'interprétation des arrêts. Voir toutefois la demande de révision de l'arrêt Ax At c. Ak introduite par la Commission interaméricaine mais déclarée irrecevable par la Cour dans son ordonnance du 13 septembre 1997, Case of Genie-Lacayo v Ak (Application for C A of the Judgment of Merits, Reparations and Costs), Order of the Court of 13 September 1997.
5 «La révision de l’arrêt ne peut être éventuellement demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision, sans qu’il y ait, de sa part, faute à l'ignorer »
6 « La demande en révision d’une décision n’est ouverte devant la Cour que lorsqu'elle est fondée sur la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, au moment du prononcé de la décision, était inconnu de la Cour et du demandeur, à condition toutefois qu’une telle ignorance ne soit pas le fait d’une négligence ».
7 «Encas de découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l'issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l'époque de l'arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie, cette dernière peut, dans le délai de six mois à partir du moment où elle a eu connaissance du fait découvert, saisir la Cour d’une demande en révision de l'arrêt dont il s’agit ». La Convention européenne des droits de l'homme ne contient pour sa part aucune disposition relative à la révision des arrêts de la Cour ; voir toutefois la jurisprudence de la Cour européenne en la matière, infra, note de bas de page 15. 8 Le paragraphe 1 de cet article se lit en effet comme suit : « La révision d’un arrêt ne peut être demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision, sans qu'il y ait, de sa part, faute à l’ignorer »).
408 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
cour actuelle, et adopté le 1er juillet 2008.°
6. Ces quatre instruments juridiques font par ailleurs référence à la découverte d’un « fait » et non pas d’une « preuve », ce qui est sensiblement différent.
7. Le fait peut en effet être défini comme un « événement qui s’est produit, qui a eu lieu »'° et la preuve comme la « démonstration de l'existence d’un fait »." Bien qu’il existe des liens étroits entre un « fait » et une « preuve », il s'agit donc là de deux concepts distincts.
8. La jurisprudence internationale semble toutefois considérer qu’une preuve puisse constituer un fait dont la découverte pourrait ouvrir droit à la révision d’un arrêt.
9. La Cour permanente de Justice internationale s'était prononcée de manière restrictive sur cette question, un document nouvellement produit ne pouvait selon elle constituer un « fait » nouveau. ‘? La Cour internationale de Justice ne s’est pour sa part pas exprimé clairement sur cette question dans les trois arrêts qu’elle a rendus sur des requêtes en révision ;'* elle ne semble toutefois pas exclure qu’un document probant puisse être considéré comme un « fait ».14
9 Ce protocole entrera en vigueur lorsqu'il aura été ratifié par quinze (15) Etats ; à la date du 1er avril 2016, il avait été signé par trente (30) Etats et ratifié par cinq (5) Etats seulement.
10 Jean Salmon (dir.), Dictionnaire de Droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 493.
11 Ab Ar, Dictionnaire de la terminologie du droit international, Sirey, Paris, 1960, p. 474 ; la preuve peut également être définie comme suit : « A - Démonstration de l'existence d’un fait ou B - Elément utilisé pour faire cette démonstration », Jean Salmon (dir.), Dictionnaire de Droit international public, op. cit, p. 874.
12 « De faits nouveaux ; il n’en existe pas en l'espèce. || est vrai que, suivant une communication faite à la Cour par la Conférence des Ambassadeurs, la Conférence n’aurait eu connaissance des documents envoyés par l’État serbe-croate-slovène à l’appui de sa demande de révision, qu’en juin 1923. Mais, dans l'opinion de la Cour, des documents nouvellement produits ne constituent pas par eux-mêmes de faits nouveaux ; aucun fait nouveau, dans le sens propre du mot, n’a été invoqué », Cour permanente de Justice internationale, Affaire du Monastère de Saint-Naoum (Frontière albanaise), avis consultatif du 4 septembre 1924, Série B, No. 9, p. 22.
13 Demande en révision et en interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 en l'affaire du Plateau continental (Am c. Jamahiriya arabe libyenne) (Am c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.l.J. Recueil 1985, p. 192 ; Demande en révision de l'arrêt du 11 juillet 1996 en l'affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Z c. Aw), exceptions préliminaires (Aw c. Z), arrêt, C.1.J. Recueil 2003, p. 7 ; Demande en révision de l'arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (EI Salvador/Honduras, Ak (intervenant)) (E/ Af c. Honduras), arrêt, C.l.J. Recueil 2003, p. 392.
14 Demande en révision et en interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 en l'affaire du Plateau continental, pp. 203-204, paragraphes 19 à 21, et p. 213, paragraphes 38- 39. Voir également l'opinion dissidente du Juge Paolillo jointe à l'arrêt rendu le 18 décembre 2003 dans l'affaire relative à la Demande en revision de l'arrêt du 11 septembre 1992 en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime, pp. 421-423, paragraphes 29-34.
Aj et autres c. Tanzanie (révision) (2016) 1 RICA 398 409
10. Les cours européenne'5 et interaméricaine,'° pour leur part, admettent également qu’un document puisse constituer un « fai t » dont la découverte est susceptible d’ouvrir droit à la révision de leurs arrêts.
11. S'il ressort de ce bref survol jurisprudentiel qu’une « preuve » peut constituer un « fait », on ne saurait cependant conclure qu’un « fait » consiste nécessairement dans une « preuve ». Le concept de « fait » est en effet plus large que celui de « preuve ». Comme il a à juste titre été souligné, « que ce soit dans le contexte de la révision ou dans un autre contexte, la notion de « fait » n’a jamais été limitée à des preuves physiques ni à des documents ». ‘7
12. La distinction entre « preuve » et « fait » n’est donc pas une pure question sémantique dans la mesure où elle peut emporter des conséquences juridiques importantes quant à la recevabilité d’une demande en révision introduite sur la base de l’article 28(3) du Protocole. || serait en conséquence souhaitable que la Cour apporte un jour les éclairages nécessaires en la matière et qu'elle ne limite pas l'ouverture de la procédure de la révision à la seule découverte d’une « preuve ».
13. Dans la présente espèce, la Cour a statué sur la recevabilité de la demande en révision dont elle est saisie (paragraphes 32-52 de l'arrêt) sans identifier clairement les trois conditions prescrites par le Protocole et le Règlement, à savoir que la demande doit : 1) faire état de la survenance de preuves nouvelles, 2) dont la Cour « ou/et » la partie
15 Voir les trois arrêts rendus par la Cour européenne en matière de révision. Affaire Ae c. France (Révision), requête No. 13416/87, arrêt du 10 juillet 1996, p. 9, paragraphes 19, 20 et 24 ; la Cour a considéré que des documents ayant force probante (une lettre et l'inventaire d’un dossier d'appel) pouvaient constituer des « faits » au sens de son règlement et a donc déclaré recevable la demande en révision introduite par la Commission européenne ; voir également l’arrêt du 28 janvier 2000 rendu en l'affaire McGinley and Egan c, Royaume Uni (Révision), requêtes 21825/93 et 23414/94, dans lequel la Cour a considéré que des lettres pouvaient constituer des « faits » (paragraphe 31) mais a rejeté la demande en révision parce que ces faits « pouvaient raisonnablement être connus » des requérants avant le prononcé de l'arrêt initial (paragraphe 36). Voir enfin l'arrêt du 30 juillet 1998 rendu en l'affaire Gustafsson c. Suède (Révision), requête 15573/89 ; la Cour ne s'est toutefois pas prononcée sur la notion de « fait ») et a rejeté la demande sur la seule base de l'influence non décisive des nouveaux éléments sur
16 « The application for C A must be based on important facts or situations that were unknown at the time the judgment was delivered. The judgment may therefore be impugned for exceptional reasons, such as those involving documents the existence of which was unknown at the time the judgment was delivered:; documentary or testimonial evidence or confessions in a judgment that has acquired the effect of a final judgment and is later found to be false; when there has been prevarication, bribery, violence, or fraud, and facts subsequently proven to be false, such as a person having been declared missing and found to be alive », Case of Genie-Lacayo v, Ak (Application for C A of the Judgment on Merits, Reparations and Costs), Order of the Court of 13 September 1997, op. cit., p. 5, paragraphe 12.
17 Opinion dissidente du Juge Vojin Dimitrijevich jointe à l'arrêt relatif à la Demande en révision de l'arrêt du 11 juillet 1996 en l'affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, p. 54, paragraphe 6 ; voir également l'opinion dissidente du Juge Vladien S. Vereshchetin (ibid., p. 40, paragraphe 10) et l'opinion individuelle du Juge Ahmed Mahiou (ibid p. 70, paragraphe 2).
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demanderesse n’avait pas connaissance au moment où l’arrêt a été rendu, et 3) être déposée dans un délai de six mois à partir du moment où ladite partie a eu connaissance de la preuve découverte.
14. Plus fondamental encore, la Cour n’a pas non plus indiqué que les trois conditions susmentionnées bien que nécessaires sont toutefois insuffisantes à ouvrir droit à la révision de ses arrêts. J'en viens donc maintenant aux lacunes du Protocole et du Règlement qu’il appartenait à mon sens à la Cour de combler par voie d’interprétation.
Il. Les lacunes du Protocole et du Règlement
15. Une preuve découverte après le prononcé d’un arrêt et inconnue de la Cour et de la partie qui l’invoque et invoquée dans le délai de six mois après sa découverte, ne saurait en effet suffire à ouvrir droit à la révision d’un arrêt. Encore faut-il que la partie qui l’invoque n’ait pas fait preuve d’un manque de diligence en la matière ; en d'autres termes, cette partie ne doit pas avoir commis de négligence ou de faute à ignorer la preuve nouvelle avant le prononcé de l'arrêt dont la révision est demandée. Il faut également, et surtout, que la preuve découverte soit de nature à exercer une influence décisive sur l'arrêt rendu. Il s'agit de deux conditions essentielles prévues par le Statut de la Cour internationale de Justice, le Protocole portant création de la Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, le Règlement de la Cour européenne des droits de l'homme et le Protocole portant Statut de la Cour africaine de Justice et des droits de l’homme (voir supra, paragraphe 5).
16. La Cour se devait donc de faire usage des pouvoirs inhérents à sa fonction judiciaire et du principe selon lequel « la cour connaît le droit » (jura novit curia), et statuer sur la base des principes généraux de droit procédural tels que reflétés par les quatre instruments susmentionnés. 17. C’est à la lumière de ces principes généraux de droit procédural que la Cour aurait dû interpréter les articles 28(3) du Protocole et 67(1) du Règlement, sauf bien entendu à vouloir délibérément les écarter de manière à ouvrir largement le recours en révision, ce qui aurait cependant pour effet de dénaturer l'institution de la révision.
18. Avant de se prononcer sur la recevabilité de la demande en révision, la Cour devait donc poser clairement toutes les conditions de recevabilité d’un recours en révision, qu'elles soient ou pas expressément prévues par le Protocole et le Règlement.
19. La lecture des motifs de l'arrêt (paragraphes 32-52 de l'arrêt) laisse penser que les conditions ouvrant droit à révision d’un arrêt sont au nombre de deux : « la condition relative à la découverte des preuves nouvelles et celle relative au délai » (paragraphe 35).
20. Or, ces conditions sont selon moi au nombre de cinq :
1) La demande doit être fondée sur la découverte d’une « preuve »,
2) La preuve dont la découverte est invoquée doit être de nature à exercer une influence décisive sur l'arrêt dont la révision est demandée,
3) Cette preuve doit, avant le prononcé de l’arrêt en question, avoir été inconnue de la Cour et de la partie qui l’invoque,
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4) || ne doit pas avoir eu faute de la partie qui l’invoque à ignorer la preuve en question,
5) La demande en révision doit être introduite « dans un délai de six mois à partir du moment où la partie concernée a eu connaissance de la preuve découverte ».
21. || suffisait ensuite à la Cour d'indiquer, comme elle l’a fait au paragraphe 51 de l'arrêt, que ces conditions sont cumulatives et que si l’une d’entre elles fait défaut la demande de révision doit être rejetée, puis de vérifier si ces conditions étaient effectivement remplies en
22. La Cour est toutefois passé directement à l'examen de la condition relative à la « découverte des preuves nouvelles » sans indiquer en quoi consistera cet examen (paragraphes 35-51). Ce faisant, elle a à peine évoqué la condition, pourtant fondamentale, de l'influence décisive que doit exercer la preuve nouvelle sur l’arrêt à réviser (paragraphe 49) et celle non moins fondamentale de l'absence de négligence de la part des requérants à ignorer cette preuve avant le prononcé dudit arrêt (paragraphe 50). Elle n’a tiré aucune conclusion quant à cette dernière condition et est ensuite revenue (paragraphe 51) à son constat figurant au paragraphe 49 semblant faire de celui-ci le fondement de sa décision. Une démarche plus systématique aurait sans nul doute conféré plus de clarté au raisonnement de la Cour dans le présent arrêt.
23. De par sa nature et son objet, le recours en révision d’un arrêt de la Cour ne doit être exercé et accepté qu’à titre exceptionnel de manière à ne pas porter atteinte au principe de l'autorité de la force jugée (res judicata) dont sont revêtues les décisions de la Cour et de tout organe judiciaire.'8 I| convient en effet de ne pas mettre en péril la sécurité juridique en encourageant les parties non satisfaites par un arrêt de la Cour à demander la révision de celui-ci.
24. Pour que le recours en révision ne se transforme pas en une procédure d’appel ordinaire non prévue par le Protocole, il doit obéir à des conditions strictes qui doivent être interprétées de manière tout aussi stricte par la Cour. Aux fins de garantir le bon usage du recours en révision, il est donc impératif que les plaideurs potentiels devant la Cour soient fixés sur le sens à donner aux textes régissant cette voie de recours extraordinaire.
25. La prévisibilité des normes procédurales est en effet gage de sécurité juridique et pour qu’elles soient prévisibles, ces normes doivent être claires et intelligibles. En attendant une éventuelle refonte
18 Cela a été souligné comme suit par la Cour interaméricaine des droits de l'homme : «The legal motives envisaged as reasons for the remedy of revision are restrictive in nature, inasmuch as the remedy is always directed against orders that have acquired the effect of res judicata, that is, against judgments of a decisive nature or interlocutory judgments that are passed and put an end to the proceeding), Case of B X Ak (Application for C A of the Judgment of Merits, Reparations and Costs), op. cit, p. 5, paragraphe 11 ; voir également, Cour européenne des droits de l'homme, requête No. 13416/87, Affaire Ae c. France (Révision), arrêt du 10 juillet 1996, p. 9, paragraphe 21.
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du Règlement sur la question de la révision en particulier,'° cette clarification doit être faite à l’occasion des prononcés judiciaires de la Cour ; en effet, les arrêts, avis consultatifs et ordonnances possèdent indéniablement des vertus pédagogiques dont il ne faut pas sous- estimer l'importance, spécialement durant les premières années d'existence de la Cour. La Cour aurait en conséquence dû saisir la nouvelle occasion? offerte par le présent arrêt pour poser clairement les conditions de recevabilité d’un recours en révision en faisant usage du plutôt large pouvoir d'interprétation que lui confèrent implicitement les articles 60 et 61 de la Charte africaine, relatifs aux « principes
19 Pour des raisons de sécurité juridique, il serait également souhaitable d’introduite une limite temporelle dans laquelle toute demande de révision peut être introduite ; voir par exemple l’article 25(4) du Protocole portant création de la Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest qui prévoit une date limite de 5 ans ou encore l’article 61(5) du Statut de la Cour internationale de Justice et l’article 48(5) du Protocole portant Statut de la Cour africaine de Justice et des droits de l'homme, qui prévoient tous deux qu'aucune demande en révision ne pourra être introduite après l'expiration d’un délai de dix ans à dater du prononcé de l'arrêt dont la révision est demandée.
20 Voir à ce propos l'arrêt rendu par la Cour le 28 mars 2014 relativement à l'interprétation et la révision de son arrêt du 21 juin 2013 dans l’affaire Aq Ap c. République du Malawi, ainsi que les paragraphes 9 à 16 de mon opinion individuelle jointe audit arrêt.
21 Le Protocole portant Statut de la Cour africaine de Justice et des droits de l'homme et le Protocole portant création de la Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l’Ouest rentrent sans l’ombre d’un doute dans la catégorie des instruments africains visés à l’article 60 ; le Statut de la Cour internationale de Justice, qui fait partie intégrante de la Charte des Nations, est pour sa part clairement une de ces « conventions internationales générales établissant des règles expressément reconnues par les Etats membres de l’Union africaine » auxquelles se réfère l'article 61.