738 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Aa Ac c. Tanzanie (mesures provisoires) (2016)
1 RJCA 738
Aa Ac c. République-Unie de Tanzanie
Ordonnance portant mesures provisoires, 18 novembre 2016. Fait en
anglais et en français, le texte anglais faisant foi.
Juges : ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSE, BEN ACHOUR, BOSSA,
MATUSSE, MENGUE et MUKAMULISA
Le requérant alléguait la violation du droit à un procès équitable dans une
procédure ayant abouti à sa condamnation à la peine capitale. La Cour a
estimé des mesures provisoires étaient nécessaires pour éviter un
préjudice irréparable en dépit du moratoire de fait adopté par l’État
défendeur et du fait qu'aucune exécution n'avait eu lieu depuis
longtemps.
Mesures provisoires (peine capitale, 16-18)
I Objet de la requête
1. Le 1°" septembre 2016, la Cour a reçu une requête introductive d'instance présentée par Aa Ac Aci-après dénommé « le requérant »), contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « le défendeur »), pour violation alléguée de ses droits fondamentaux.
2. Le requérant, actuellement détenu à la prison centrale de Butimba, a été condamné à la peine capitale par la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Ab, le 25 juin 2012. La peine a été confirmée le 25 septembre 2013 par la Cour d’appel, qui est la plus haute juridiction de Tanzanie.
3. Le requérant allègue notamment ce qui suit :
(a) Au cours du procès devant la Haute Cour de Tabora, ses droits fondamentaux ont été violés, du fait que ses déclarations n’ont pas été prises en considération sans donner les motifs de leur rejet.
(b) Son droit à un procès équitable a été violé, car il a été privé du droit de recourir à un interprète alors qu’il ne comprenait pas la langue utilisée par la Cour.
(c) Le Tribunal de première instance et la Cour d'appel ont procédé à une évaluation inadéquate et discriminatoire des éléments de preuve, pour s'être fondés sur les dépositions des témoins à charge qui manquaient de crédibilité.
(d) Le Ministère public n’a pas pu prouver la culpabilité du requérant au- delà du doute raisonnable, en particulier, en ce qui concerne la doctrine de la possession récente, en l'occurrence, s'agissant de la propriété d’une bicyclette ;
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Il. Procédure devant la Cour
4. La requête a été reçue au Greffe de la Cour le 1° septembre 2016.
5. Conformément à l’article 36 du Règlement de la Cour, par notification datée du 16 novembre 2016, le Greffe a signifié la requête au défendeur.
6. Lorsqu'elle est saisie d’une requête, la Cour doit procéder à un examen préliminaire de sa compétence, en application des articles 3 et 5 du Protocole.
7. Toutefois, avant d’ordonner des mesures provisoires, la Cour n’a pas à se convaincre qu’elle a compétence sur le fond de l’affaire, mais simplement s'assurer qu’elle a compétence prima facie.‘
8. L'article 3(1) du Protocole dispose que « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés ».
9. L'État défendeur a ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte » ) le 9 mars 1984, le Protocole le 10 février 2006 et est partie aux deux instruments ; le 29 mars 2010, il a également fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d'individus et d'organisations non gouvernementales conformément aux articles 34(6) et 5(3) du Protocole lus conjointement.
10. Les violations alléguées qui font l’objet de la plainte portent sur des droits protégés par les articles 3(2), et 7(1)(c) de la Charte. La Cour a donc la compétence matérielle (rationae materiae) pour connaître de la requête en l’espèce.
11. À la lumière de ce qui précède, la Cour s’est assurée qu’elle a compétence prima facie, pour examiner la requête.
IV. Sur les mesures provisoires
12. Dans sa requête, le requérant n’a pas demandé à la Cour d’ordonner des mesures provisoires.
13. En vertu de l’article 27(2) du Protocole et de l’article 51(1) de son Règlement intérieur, la Cour peut d’office ordonner des mesures provisoires « dans les cas d’extrême gravité et lorsqu'’il s'avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes » et
Voir requête n° 002/2013 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (ordonnance portant mesures provisoires datée du 15 mars 2013) et requête n° 006/2012 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Ad (ordonnance portant mesure provisoires datée du 15 mars 2013) ; requête n° 004/2011 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (ordonnance portant mesures provisoires datée du 25 mars 2011).
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« qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice ».
14. Il appartient à la Cour de décider dans chaque situation si, à la lumière des circonstances particulières de l'affaire, elle doit exercer la compétence qui lui est conférée par les dispositions ci-dessus.
15. Le requérant est condamné à la peine capitale et la requête semble révéler une situation d'extrême gravité, ainsi qu’un risque de dommages irréparables pour lui.
16. Compte tenu des circonstances de l’espèce qui révèlent un risque d'application de la peine capitale susceptible de porter atteinte à la jouissance des droits prévus aux articles 3(2) et 7(1) (c) de la Charte, la Cour décide d'exercer ses pouvoirs en vertu de l'article 27(2) du Protocole.
17. La Cour constate que la requête en l'espèce révèle une situation d'extrême gravité et présente un risque de violations irréparables des droits du requérant, protégés par les articles 3(1) et (2), 5 et 7(1)(a)(c) et (d) de la Charte, si la peine capitale venait à être appliquée.
18. En conséquence, la Cour conclut que les circonstances exigent une Ordonnance portant mesures provisoires, en application de l’article 27(2) du Protocole et de l’article 51 de son Règlement intérieur, pour préserver le statu quo, en attendant la décision sur la requête principale.
19. Pour lever toute ambiguïté, la présente Ordonnance est de nature provisoire et ne préjuge en rien des conclusions que la Cour formulera sur sa compétence, la recevabilité et le fond de la requête.
20. La Cour, à l’unanimité, ordonne au défendeur :
a) de surseoir à l’application de la peine capitale à l'encontre du requérant, sous réserve de la décision relative à la requête principale ; b) de faire rapport à la Cour dans les soixante (60) jours de la date de réception de la présente Ordonnance, sur les mesures prises pour la mettre en œuvre.