An c. Tanzanie (fond) (2018) 2 RICA 381 381
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Requête 002/2016 Au As An c. République-Unie de
Tanzanie
Arrêt, 11 mai 2018. Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant
foi.
Juges ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSE, BEN ACHOUR,
MATUSSE, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et BENSAOULA
Le requérant a été reconnu coupable et condamné à 30 ans
d’emprisonnement pour viol sur mineur. Il a introduit cette requête,
alléguant une violation de son droit à une égale protection de la loi ainsi
que du droit de jouir du meilleur état de santé possible. La Cour a conclu
qu’il n’y avait pas eu violation de la Charte africaine.
Compétence (la Cour n’est pas une juridiction d'appel, 19)
Recevabilité (épuisement des recours internes, recours extraordinaire,
33)
Égale protection de la loi (les allégations doivent être étayées, 51-52)
| Les parties
1 La requête est introduite par le sieur Au As An Aci-après dénommé « le requérant »), citoyen de la République-Unie de Tanzanie, qui purge actuellement une peine de trente (30) ans de réclusion à la Prison centrale de Butimba, à Mwanza, pour crime de viol sur une mineure.
2 L'État défendeur, à savoir la République-Unie de Tanzanie, est devenu partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte »), le 21 octobre 1986, et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole »), le 10 février 2006. Il a par ailleurs déposé la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole le 29 mars 2010.
Il. Objet de la requête
A Faits de la cause
3 Il ressort du dossier que le 14 août 2006, dans l'affaire pénale n° 110/2006 devant la Cour de district de Tarime, le requérant a été reconnu coupable de viol sur une mineure de 15 ans et condamné à 30 (trente) ans de réclusion et douze coups de fouet, ainsi qu'au
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paiement de cinq cent mille (500.000) shillings tanzaniens, aux termes des articles 130(1)(2)(e) et 131(1) du Code pénal de la République- Unie de Tanzanie, tel qu’amendé en 2002, Titre 16 du Recueil des lois tanzaniennes (ci-après dénommé « le Code pénal »).
4 Le requérant a formé les recours n° 85/2012 devant la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Mwanza (ci-après nommée « la Haute Cour ») et n° 327/2013 devant la Cour d’appel de Tanzanie siégeant à Mwanza (ci-après nommée « la Cour d’appel »). Les deux cours ont confirmé la condamnation respectivement le 13 septembre 2013 et le 30 octobre 2014.
B Violations alléguées
5. Le requérant allègue que les droits suivants ont été violés :
| le droit à une égale protection de la loi, inscrit à l’article 3(2) de la Charte;
ii. le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale, inscrit à l’article 16 de la Charte.
I. Résumé de la procédure devant la Cour
6 La requête a été déposée au Greffe le 4 janvier 2016 et signifiée à l'État défendeur par lettre datée du 25 janvier 2016, l’invitant à déposer la liste de ses représentants dans un délai de trente (30) jours et à faire connaître sa réponse à la requête dans un délai de soixante (60) jours, à compter de la date de réception de la notification, conformément à l’article 35(2)(a) et (4)(a) du Règlement intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »).
7 Par lettre du 11 mars 2016, reçue au Greffe le 22 mars 2016, le requérant a déposé des observations additionnelles qui ont été communiquées à l’État défendeur le 29 mars 2016.
8 Par lettre du 12 avril 2016, la requête a été communiquée au Conseil exécutif de l'Union africaine et, par l’intermédiaire de la Présidente de la Commission de l'Union africaine, aux États parties au Protocole, conformément à l’article 35(3) du Règlement.
9 Par lettre du 20 janvier 2017, reçue au Greffe le 06 février 2017, l’État défendeur a déposé sa réponse, en justifiant le retard accusé par la nécessité de recueillir les informations nécessaires auprès des entités concernées. La Cour a examiné et accueilli la réponse de l’État défendeur dans l'intérêt de justice.
10. Par lettre du 9 février 2017, le Greffe a transmis au requérant la réponse de l’État défendeur.
11. Par lettre du 29 mars 2017, reçue au Greffe le 5 avril 2017,
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le requérant a déposé sa réplique qui a été communiquée à l’État défendeur par lettre en date du 11 avril 2017.
12. La Cour a décidé de clôturer la procédure écrite à compter du 14 juin 2017, en application de l’article 59(1) de son Règlement.
13. Par lettre datée du 6 avril 2018, les parties ont été informées que la Cour allait trancher l'affaire sur la base des observations écrites et des pièces versées au dossier, sans tenir d'audience publique.
IV. Mesures demandées par les parties
14. Le requérant demande à la Cour de prendre les mesures suivantes :
i. lui faire justice, en annulant la déclaration de culpabilité et la peine prononcées et en ordonnant sa remise en liberté ;
ii. lui octroyer des compensations pour la violation de ses droits ;
iii. ordonner toute autre mesure ou réparation que la Cour estime appropriée.
15. L'État défendeur a demandé à la Cour de prendre les mesures suivantes :
i. constater qu’elle n’est pas compétente pour connaître de l’affaire et que la requête ne remplit pas les conditions de recevabilité ;
ii. dire qu’il n’a pas violé les articles 3(2) et 7(1)(c) de la Charte ;
iii. dire que le requérant n’a pas droit à des mesures de réparation ;
iv. rejeter la requête, car elle est sans fondement ;
v. ordonner que les frais de la procédure soient mis à la charge du requérant.
V. _ Sur la compétence
16. Conformément à l’article 39(1) de son Règlement intérieur, « [IJa Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence. ».
A. _Exceptions d’incompétence matérielle
17. Dans son mémoire en réponse, l’État défendeur soulève une exception d'incompétence tirée du fait qu’en demandant à la Cour de céans de réexaminer les preuves produites devant les juridictions
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internes et examinées par celles-ci, le requérant appelle la Cour à siéger en tant que juridiction d’appel, raison pour laquelle l’État défendeur soutient que la Cour n’est pas compétente en l'espèce. À cet effet, l’État défendeur cite l’arrêt rendu par la Cour dans la requête 001/2013 Ernest At Ag c. République du Malawi.
18. Le requérant réfute les allégations de l’État défendeur et affirme que la Cour est compétente chaque fois que des dispositions de la Charte et des autres instruments pertinents des droits de l'homme sont violées, ce qui habilite la Cour à réexaminer le jugement rendu par les juridictions internes ainsi que les éléments de preuve y relatives, à annuler la peine prononcée et à l’acquitter. À cet égard, le requérant cite l'arrêt rendu par la Cour dans la requête 005/2013 - Al Ao c. République-Unie de Tanzanie.
19. La Cour réitère la position qu’elle a exprimée dans l'affaire Ernest At Ag c. République du Malawi," à savoir qu’elle n’est pas une instance d'appel des décisions rendues par les juridictions nationales. Toutefois, comme elle l’a souligné dans l’arrêt du 20 novembre 2016 dans l'affaire Al Ao c. République-Unie de Tanzanie, cela n’écarte pas sa compétence pour apprécier si les procédures devant les juridictions nationales répondent aux normes internationales établies par la Charte ou par les autres instruments applicables des droits de l’homme auxquels l’État défendeur est partie.
20. En l'espèce, le requérant allègue des violations de ses droits protégés par la Charte. En conséquence, la Cour a compétence pour déterminer si les procédures internes qui constituent le fondement de la requête dont elle est saisie ont été menées conformément aux normes internationales énoncées dans la Charte.
21. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception de l’État défendeur tirée du fait que la Cour agit en l'espèce comme une juridiction d'appel et déclare qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de la requête.
B. Autres aspects de la compétence
22. La Cour fait observer que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence personnelle, temporelle et territoriale et que rien dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente au regard de ces trois
1 Requête 001/2013. Décision du 15/3/2013, Ernest At Ag c. République du Malawi, par. 14.
2 Requête 005/2013. Arrêt du 20/11/2015, Al Ao c. République-Unie de Ae AAl Ao c. Tanzanie), par. 130 et Requête 007/2013. Arrêt du 3/6/2016, Av Am c. République-Unie de Ae AAv Am c. Tanzanie), par. 29.
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aspects. Elle constate donc qu’en l'espèce, elle a :
i. la compétence personnelle, dans la mesure où |’ État défendeur est un État partie au Protocole et qu’il a déposé la déclaration requise à l’article 34(6) de ce même Protocole autorisant les requérants à saisir directement la Cour en vertu de l’article 5(3) du Protocole ;
ii. la compétence temporelle, dans la mesure où, de par leur nature, les violations alléguées se poursuivent et que le requérant demeure condamné sur la base de ce qu'il considère comme une procédure inéquitable ;
iii. la compétence territoriale, étant donné que les violations alléguées sont intervenues sur le territoire d’un Etat partie au Protocole, à savoir l’État défendeur.
23. Au vu de ce qui précède, la Cour déclare qu’elle est compétente pour connaître de la requête.
VI. Sur la recevabilité
24. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, «La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte. »
25. En application de l’article 39(1) de son Règlement intérieur, « la Cour procède à un examen préliminaire (…) des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l’article 40 du Règlement. »
26. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance le contenu de l’article 56 de la Charte, est libellé comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat;
2. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse;
5. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre
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saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l'Union africaine. »
27. La Cour fait observer que l’État défendeur n’a soulevé qu’une seule exception d’irrecevabilité, à savoir celle relative à l'épuisement des voies de recours internes.
A. Les conditions de recevabilité en discussion entre les parties : exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes
28. L'État défendeur affirme que le requérant n’as pas épuisé des voies de recours internes en ce qui concerne les allégations de violation du droit à une égale protection de la loi et du droit à l'assistance judiciaire, puisque les violations alléguées sont soulevées pour la première fois devant la Cour de céans.
29. || soutient également que le droit à une égale protection de la loi est prévu à l’article 13(1) de la Constitution tanzanienne de 1977, de telle manière que les violations alléguées pourraient être contestées au moyen d’un recours en inconstitutionnalité, tel que prescrit dans Loi sur l'application des droits et devoirs fondamentaux.
30. À l’appui de son argument, l’État défendeur invoque les jurisprudences de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples dans l'affaire Article 19 c. Érythrée et de la Cour de céans dans les affaires n° 003/2011 — Ap Ac c. République du Malawi et n° 003/2012 - Peter Ai Aa c. République-Unie de Tanzanie.
31. Dans sa réplique, le requérant réaffirme qu’il a épuisé toutes les voies de recours internes et, au sujet du recours en inconstitutionnalité, il allègue que le juge de la Haute Cour ne pourrait jamais rendre un jugement allant dans un sens contraire à l’arrêt rendu par une formation de juges de la Cour d’appel. En ce qui concerne l’allégation de l'Etat défendeur sur l’assistance judiciaire, le requérant soutient que l'assistance judiciaire demandée est celle prévue à l’article 31 du Règlement.
32. La Cour note que le requérant a interjeté appel et a saisi la plus haute juridiction de l’État défendeur, à savoir la Cour d'appel, afin qu’elle se prononce sur les différentes allégations, en particulier celles relatives aux violations du droit à un procès équitable.
33. En ce qui concerne le recours en inconstitutionnalité, la Cour a déjà établi que ce recours constitue, dans le système judiciaire
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tanzanien, un recours extraordinaire que le requérant n’était pas tenu
34. Sur l'exception tirée du fait que c'était la première fois que la question du défaut d'assistance judiciaire était soulevée, la Cour considère que cette exception est devenue sans objet puisque, selon le requérant, l'assistance judiciaire demandée est celle prévue à l’article 31 du Règlement.
35. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le requérant a épuisé les voies de recours internes visées aux articles 56(5) de la Charte et 40(5) du Règlement. Elle rejette en conséquence l'exception d'irrecevabilité de la requête.
B. Les conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les parties
36. Les conditions relatives à l'identité du requérant, à la compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine, aux termes utilisés dans la requête, à la nature des preuves, à l’introduction de la requête dans un délai raisonnable et au principe selon lequel la requête ne doit pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies ou de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine (alinéas 1, 2, 3, 4, 6 et 7 de l’article 40 du Règlement) ne sont pas en discussion entre les parties. 37. Pour sa part, la Cour note que rien dans les pièces versées au dossier par les Parties n’indique que l’une quelconque de ces conditions n’a pas été remplie en l'espèce. Elle estime en conséquence que les conditions énoncées ci-dessus ont été remplies.
38. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la requête remplit toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 40 du Règlement et la déclare recevable en conséquence.
VII. Sur le fond
3 Arrêt Al Ao c. Tanzanie, op. cit. paras 60 — 62 ; Arrêt Av Am c. Tanzanie, para 66 — 70 ; Requête 011/2015. Arrêt du 28/9/2017, Ak Ah c. République-Unie de Tanzanie, para 44.
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A. Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
39. Le requérant allègue que l’arrêt de la Cour d'appel a été rendu « sans tenir dument compte des comptes rendus d'audience, ce qui a porté préjudice à [sa] défense. » Il allègue en outre que deux de ses moyens d'appel n’ont pas été examinés par la Cour d'appel, au motif que celle-ci a considéré qu’il ne les avait pas soulevés dans son recours devant la Haute Cour.
40. Toujours selon le requérant, en excluant ces moyens d’appel, la Cour d'appel a uniquement examiné les questions de procédure, au lieu de prendre en considération l'intérêt de la justice. || allègue en conséquence la violation de son droit à une égale protection de la loi, prévu à l’article 3(2) de la Charte.
41. Dans sa réplique, le requérant réfute l’argument de l’État défendeur selon lequel il a avoué avoir commis le crime et maintient qu’il a toujours plaidé non coupable. || affirme que la question en discussion devant les juridictions nationales aurait dû porter sur le mariage entre la victime et lui plutôt que sur un crime de viol, étant donné qu’il vivait maritalement avec la victime.
42. Le requérant allègue encore que l’âge de la victime est sujet à contradiction : le Ministère public lui attribue l’âge de 15 ans, tandis que sa mère affirme qu’elle en a 16, et qu'avant qu’ils ne commencent à vivre ensemble, la victime lui avait affirmé elle-même qu’elle avait 18 ans.
43. Toujours selon le requérant, dans la communauté à laquelle il appartient, il est courant qu’un homme et une femme vivent sous le même toit avant de remplir les formalités du mariage traditionnel. Il allègue avoir fait à la mère de la victime une offre de dot d’une valeur supérieure à celle offerte par une autre personne, afin de pouvoir épouser la victime.
44. Le requérant allègue également qu’en l'occurrence, même si la victime était âgée de moins de 18 ans, la mère avait donné son consentement pour qu'ils vivent ensemble, sinon elle n'aurait jamais gardé le silence pendant deux semaines, sans rien dire à ses voisins, avant de se présenter seulement après tout ce temps au domicile du requérant pour réclamer sa fille et l'affaire à la police.
45. L'État défendeur réfute les allégations du requérant selon lesquelles la Cour d’appel n’a pas examiné ses arguments relatifs à l’âge de la victime et au consentement de la mère de celle-ci. L'État défendeur soutient que la Cour d'appel ne les avait pas pris en compte, car elle avait estimé qu’ils n'étaient pas pertinents, en raison du fait qu’il avait lui-même admis avoir eu des rapports sexuels avec une mineure et que ces arguments n'ont pas été soulevés devant la Haute Cour.
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46. L'État défendeur soutient que la question qui doit être tranchée est celle de l’âge de la victime. Étant donné qu’il avait été prouvé qu’elle était âgée de 16 ans, il restait à déterminer si durant la période où elle vivait sous le même toit que le requérant, elle avait eu des rapports sexuels avec celui-ci. Or, selon l’État défendeur, le requérant a confirmé les déclarations de la victime en avouant avoir eu des relations sexuelles avec elle au moins une fois pendant la période où ils vivaient ensemble dans la maison du requérant.
47. L'État défendeur soutient encore que le requérant a non seulement avoué avoir eu des rapports sexuels avec la victime, il n’a non plus interrogé cette dernière sur son âge et sur les rapports sexuels allégués lors du contre-interrogatoire. Selon l’État défendeur, ce silence vaut acceptation tacite de la véracité du témoignage de la victime.
48. Le requérant allègue la violation de l’article 3(2) de la Charte qui garantit le droit à une égale protection de la loi. Toutefois, il ressort du dossier et des allégations du requérant que la disposition pertinente est plutôt l’article 3(1) de la Charte, qui dispose que « Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi. »
49. La Cour a précédemment considéré que le droit à l’égalité devant la loi signifie également que « [t]ous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice ».* En l'espèce, la Cour constate que dans son recours devant la Cour d’appel, le requérant a invoqué trois moyens, à savoir : (i) l'absence de pièce à conviction (acte de naissance) confirmant que la victime est une mineure ; (ii) le fait que l'absence de consentement des parents de la victime n’avait pas été établi ; et (iii) le fait que la cour n’avait pas statué sur le fond de l'affaire, après appréciation de tous les éléments de preuve versés au dossier. 50. La Cour note qu’il ressort du dossier que la Cour d'appel s’est déclaré incompétente pour connaitre des allégations qui n'avaient pas été invoquées ni tranchées par première juridiction d’appel.S Par contre, la Cour d’appel a considéré que la victime avait seize (16) ans au moment du crime et a confirmé la condamnation du requérant.
51. La Cour note que le requérant n’a pas démontré en quoi le refus par la Cour d'appel d'examiner deux de ses allégations en appel constitue une violation de son droit à une égale protection de la loi. Or, la Cour de céans a établi que, « [d]es affirmations d’ordre général selon lesquelles un droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves
5 « En l'espèce, en se fondant sur la position qu’elle a établie, la Cour estime qu’elle n'est pas légalement saisie des moyens d'appels 2 et 3 car ils ont été soulevés pour la première fois devant la deuxième juridiction d'appel et sont par conséquent sans fondement».
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plus concrètes sont requises »..°
52. Par ailleurs, il ressort des documents versés au dossier que la Cour d’appel a justifié le rejet de deux des arguments du requérant en évoquant le fait qu’ils portaient sur des questions qui n’ont jamais été soulevées auparavant devant les juridictions inférieures. À cet égard, la Cour de céans ne considère pas que le requérant a été traité de façon inéquitable ou qu’il a subi un traitement discriminatoire pendant la procédure devant les juridictions internes.”
53. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation de violation de l’article 3(1) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit du requérant de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible
54. Dans sa réplique le requérant allègue la violation par l’État défendeur de son droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale, pour n'avoir pas reconnu qu’il était marié à la victime, un droit garanti par l’article 16 de la Charte.
55. L'État défendeur n’a formulé aucune observation sur cette allégation.
56. L'article 16 de la Charte dispose que :
«1. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d'atteindre.
2. Les États parties à la présente Charte s'engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l’assistance médicale en cas de maladie. »
57. La Cour relève que le requérant allègue la violation de son droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’il soit capable d'atteindre, à cause du refus de l’État défendeur de reconnaître son mariage avec la victime.
58. La Cour estime que le requérant n’a pas démontré en quoi le refus allégué de l’État défendeur de reconnaître son mariage avec la victime constitue une violation de son droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale.
59. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’allégation du requérant n’a pas été établie et la rejette en conséquence.
6 Arrêt Al Ao, op. cit, para 140. Voir aussi Arrêt Af Aq Ab et Aw Ad Ar Aj, op. cit, paras 150 — 153.
Tanzanie, para 85.
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VIII. Sur les réparations
60. Dans la requête, il est demandé à la Cour de rendre les mesures suivantes : ordonner que le requérant soit rétabli dans ses droits; annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son encontre ; ordonner sa remise en liberté; et ordonner des mesures visant à remédier à toutes les violations de ses droits fondamentaux. 61. Dans sa réponse, l’État défendeur demande à la Cour de déclarer la requête non fondée, de la rejeter en intégralité et de dire que le requérant n’a droit à aucune réparation.
62. L'article 27(1) du Protocole dispose que « Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation. »
63. À cet égard, l’article 63 du Règlement dispose que «La Cour statue sur la demande de réparation (...) dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme ou des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».
64. La Cour note qu’en l'espèce, n'ayant pas constaté une violation, la question des réparations ne se pose pas et qu’elle rejette en conséquence la demande du requérant sur les réparations.
IX. Sur les frais de procédure
65. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de la procédure à la charge du requérant.
66. Le requérant n’a formulé aucune demande spécifique sur la question.
67. La Cour note que l’article 30 de son Règlement intérieur dispose qu’ « À moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
68. La Cour considère que dans les circonstances de la présente affaire, il n’y a aucune raison pour qu’elle décide autrement et, en conséquence, dit que chaque partie supporte ses frais de procédure.
69. Par ces motifs,
La Cour,
Sur la compétence
ii. Dit qu'elle est compétente.
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Sur la recevabilité
iii. Rejette l'exception d’irrecevabilité;
iv. Déclare la requête recevable.
Sur le fond
V. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du requérant de bénéficier d’une totale égalité devant la loi, prévu à l’Article 3(1) de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du requérant de jouir du meilleur état de santé physique et mentale, prévu à l’article 16 de la Charte;
vil. Dit que la question des réparations ne se pose pas et rejette la demande sur ce chef;
viii. Dit que chaque partie supporte ses frais de procédure.