X c. Tanzanie (fond) (2018) 2 RICA 415 415
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Requête 027/2015 Aq X c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt, 21 septembre 2018. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges ORÉ, B, BEN ACHOUR, MATUSSÉ, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
La Cour a jugé, que lorsqu'’aucune assistance judiciaire gratuite n'avait
été fournie dans un cas de crime grave, l’État a violé le droit à un procès
équitable. La Cour a ordonné l’indemnisation.
Compétence (procédure nationale, 20, 35)
Recevabilité (épuisement des recours internes, recours extraordinaire,
34 ; introduction dans un délai raisonnable, 45)
Procès équitable (défense, assistance judiciaire gratuite, 69, 70)
Égale protection (allégation devant être étayée, 75)
Réparation (remise en liberté, 81 ; indemnisation, 84, 85)
Opinion individuelle : BEN ACHOUR
Réparation (proportionnalité, remise en liberté, 14-18)
Opinion dissidente conjointe B, MATUSSE, CHIZUMILA et
ANUKAM
Dépens (chaque partie supportera ses frais et dépens, 6, 11)
| Les parties
1 Le requérant, le Sieur Aq X, est un citoyen de la République-Unie de Tanzanie. Il a été condamné à une peine de 30 ans de réclusion pour crime de viol. I! purge actuellement sa peine à la prison centrale de Butimba, à Mwanza.
2 L'État défendeur est la République-Unie de Tanzanie, qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte ») le 21 octobre 1986, et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole ») le 10 février 2006. Il a par ailleurs déposé la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole le 29 mars 2010.
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Il. Objet de la requête
A Faits de la cause
3 Il ressort du dossier devant la Cour que dans l'affaire pénale n° 155/2005 devant le Tribunal de district de Af, le requérant a été reconnu coupable de viol d’une fillette âgée de 10 ans et condamné à 30 ans de réclusion le 30 mars 2006, en vertu des articles 130(1) et (2) (e) et (1) du Code pénal tanzanien, tel que modifié en 2002.
4 Le requérant a interjeté appel en matière pénale n° 43/2006 devant la Haute Cour de Tanzanie à Bukoba (ci-après dénommée «Haute Cour »), suivi de l’appel n° 124/2009 devant la Cour d'appel de Tanzanie siégeant à Mwanza (ci-après dénommée « Cour d’appel »). 5. La Haute Cour et la Cour d'appel ont confirmé la peine respectivement, le 29 mars 2007 et le 16 février 2012, et le requérant a introduit un recours en révision devant la Cour d'appel le 19 août 2014. Ce recours en révision est toujours pendant, selon le requérant.
B Violations alléguées
6 Le requérant allègue les violations suivantes :
1 La Cour d'appel a « rendu un arrêt entaché d'erreurs en défaveur du requérant le 16 février 2012 et lui a causé des dommages irréparables, pour avoir refusé d'examiner sa demande de révision, alors que d’autres recours déposés après le sien ont été enregistrés et inscrits au rôle des audiences. ».
Il La Cour d'appel « . n’a pas tenu compte de tous les moyens présentés en défense mais elle les a regroupés en trois moyens principaux. Cette approche a été préjudiciable au requérant dans la mesure où elle constitue une violation de son droit fondamental à ce que sa cause soit entendue, inscrit à l’article 3(2) de la Charte. »
iii. N’ayant pas bénéficié d’une assistance judiciaire, il a « été privé du droit à ce que sa cause soit entendue, ce qui lui a causé un préjudice. Cette procédure est en violation des droits protégés par l’article 7(1)(c) et (d) de la Charte et par les articles 1 et 107(2)(b) de la Constitution tanzanienne de 1997 » (ci-après dénommée « la Constitution tanzanienne »).
7 En résumé, le requérant allègue la violation des articles 3(2) et 7(1)(c) et (d) de la Charte.
I. Résumé de la procédure devant la Cour
8 La requête a été déposée le 10 octobre 2015 et notifiée à l’État
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défendeur le 23 décembre 2015, l’invitant à déposer la liste de ses représentants dans un délai de trente (30) jours et de faire connaître sa réponse à la requête dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de réception de la notification, conformément à l’article 35(2) (a) et (4)(a) du Règlement.
9. Le 22 février 2016, l’État défendeur a transmis à la Cour les noms et adresses de ses représentants.
10. Le 31 mars 2016, la requête a été communiquée à la Présidente de la Commission de l’Union africaine et, par l'intermédiaire de celle- ci, au Conseil exécutif de l’Union africaine et aux États parties au Protocole, conformément à l’article 35(3) du Règlement.
11. Le 22 mai 2017, l’État défendeur a déposé son Mémoire en défense qui a été communiqué au requérant par lettre datée du 30 mai 2017.
12. Le 28 juin 2017, le requérant a déposé sa Réplique, qui a été communiquée à l’État défendeur par lettre datée du 17 juillet 2017.
13. La Cour a décidé de clôturer la procédure écrite à compter du 9 octobre 2017, en application de l’article 59(1) de son Règlement intérieur. Le Greffe en a informé les Parties le même jour.
14. Le 6avril 2018, les Parties ont été informées que la Cour n’allait pas tenir d'audience publique, les écritures et les pièces versées au dossier étant suffisantes.
IV. Mesures demandées par les parties
15. Le requérant demande à la Cour d’ordonner les mesures suivantes :
i. Rendre justice, en annulant la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son encontre et ordonner sa remise en liberté ;
ii. Ordonner des mesures de réparation pour la violation de ses droits, et
iii. Ordonner toutes autres mesures ou réparation que la Cour estime appropriées.
16. L'État défendeur demande à la Cour de dire:
i. Qu'elle n’est pas compétente pour examiner l'affaire et que la requête n’est pas recevable ;
ii. Qu'il « n’a pas violé les articles 3(2), 7(1), 7(1)(c) et 7(1)(d) de la Charte » ;
iii. Qu'il « ne doit pas payer de compensation au requérant »;
iv. Que la requête est rejetée au motif qu’elle est sans fondement ; v. Que le requérant doit supporter les frais de la procédure.
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V. Sur la compétence
17. En vertu de l’article 39(1) de son Règlement, la Cour, « procède à un examen préliminaire de sa compétence. ».
A. _Exceptions d’incompétence matérielle
18. L'État défendeur invoque le défaut de compétence de la Cour pour examiner des questions soulevées par le requérant, au motif qu’en demandant de revoir des éléments de fait et de droit déjà examinés par les instances judiciaires internes, d’ordonner l’annulation des arrêts rendus par ces instances ainsi que la remise en liberté d’une personne déclarée coupable, le requérant demande de ce fait à la Cour de siéger en tant que juridiction d'appel, alors qu’elle n’est pas dotée de cette compétence, au regard des articles 3(1) du Protocole et 26 de son Règlement intérieur. À l’appui de cet argument, l’État défendeur se fonde sur l’arrêt rendu par la Cour de céans dans la requête n° 001/2013, Ai Ar Av c. République du Malawi.
19. Le requérant réfute les arguments de l’État défendeur et affirme que bien qu’elle ne soit pas une juridiction d’appel, la Cour est compétente pour connaître de tout différend portant sur la violation des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme, réviser les décisions rendues par les juridictions nationales, et réexaminer des éléments de preuve, annuler une peine et ordonner l’acquittement d’une victime de violations des droits de l'homme.
20. En réponse à l'exception d’incompétence matérielle, la Cour réitère sa position, telle qu’elle l’a exprimée dans l'affaire Ai Ar Av c. République du Malawi', à savoir qu’elle n’est pas une instance d'appel des décisions rendues par les juridictions internes. Toutefois, comme elle l’a souligné dans l'arrêt du 20 novembre 2016 dans l'affaire Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie et réitéré dans l'arrêt du 3 juin 2016 dans l'affaire Bt Bl c. République-Unie de Tanzanie, cela n’écarte pas sa compétence pour apprécier si les procédures devant les juridictions nationales répondent aux normes internationales établies par la Charte ou par les autres instruments applicables des droits de l'homme auxquels l’État
1 Requête 001/2013. Décision du 15/3/2013, Ai Ar Av c. République du Malawi (Ci-après dénommée « Décision Ai Ar Av c. Malawi »), para 14.
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défendeur est partie”. En réalité, ces faits relèvent de la compétence de la Cour en vertu de l’article 3(1) du Protocole.
21. En conséquence, la Cour rejette l'exception d’incompétence matérielle.
B. Autres aspects de la compétence
22. La Cour fait observer que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence personnelle, temporelle et territoriale et que rien dans le
dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente au regard de ces trois aspects. Elle constate donc qu’en l’espèce, elle a :
i. la compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur est un État partie au Protocole et qu’il a déposé la déclaration requise à l'article 34(6) de ce même Protocole, autorisant les requérants à saisir directement la Cour en vertu de l’article 5(3) du Protocole ;
ii. la compétence temporelle, dans la mesure où, de par leur nature, les violations alléguées se poursuivent et que le requérant demeure condamné sur la base de ce qu’il considère comme une procédure inéquitable ;
iii. la compétence territoriale, étant donné que les violations alléguées sont intervenues sur le territoire d’un État partie au Protocole, à savoir l’État défendeur.
23. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître de la présente requête.
VI. Sur la recevabilité
24. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, «[I]a Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».
25. En application de l’article 39(1) de son Règlement intérieur, « la Cour procède à un examen préliminaire (…) des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l’article 40 du Règlement. »
26. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance le contenu de l’article 56 de la Charte, est libellé comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes
2 Requête 005/2013. Arrêt du 20/11/2015, Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie (Ci-après dénommée « Arrêt Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie »), par. 130 et requête 007/2013. Arrêt du 3/6/2016, Bt Bl c. République-Unie de Tanzanie (Ci-après dénommée Arrêt Bt Bl c. République-Unie de Tanzanie »), para 29
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doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat;
2. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse;
5. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l'Union africaine ».
A. Conditions de recevabilité contestées entre les parties
27. La Cour fait observer que l’État défendeur a soulevé deux exceptions d’irrecevabilité : l’une relative à l'épuisement des voies de recours internes, et l’autre relative au délai raisonnable pour introduire une requête.
i. Exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes
28. L'État défendeur fait valoir que « l’épuisement des voies de recours internes est un principe fondamental du droit international et que le requérant aurait dû épuiser tous les recours internes avant de saisir une instance internationale comme la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ».
29. Pour étayer ses arguments, l’État défendeur s’est fondé sur la jurisprudence de la Commission dans les Communications n°333/2006 Sharingon et autres c. Tanzanie et n° 275/03, Article 19 c. Érythrée ». 30. L'État défendeur soutient encore que la violation alléguée des dispositions des articles 1 et 107A(2)(b) de la Constitution tanzanienne de 1977 aurait dû être contestée en introduisant une requête portant
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sur la violation de droits fondamentaux*, conformément à l’article 30(3) de la Constitution tanzanienne et à la Loi sur l’application des droits et des devoirs fondamentaux, chapitre 3, telle qu’amendée en 2002.
31. L'État défendeur soutient également que l’assistance judiciaire est prévue par la loi sur l'assistance judiciaire (Code de Procédure pénale), telle qu'amendée en 2002, (ci-après dénommée la Loi sur l'assistance judiciaire), et affirme que le requérant n’a jamais demandée une telle assistance devant les juridictions nationales.
32. Le requérant réfute les allégations de l’État défendeur relatives à l'irrecevabilité de sa requête, arguant du fait qu’il lui était impossible de déposer une requête portant sur la violation de droits fondamentaux, la violation dont il est question étant le fait de la Cour d'appel et qu’il ne pouvait donc pas déposer une telle requête devant une Haute Cour composée d’un seul juge pour contester un arrêt rendu par une formation de trois juges de la plus haute instance judiciaire du pays.
33. La Cour note que le requérant a interjeté appel et a eu accès à la plus haute juridiction de l’État défendeur, à savoir la Cour d'appel, afin qu’elle se prononce sur les différentes allégations, en particulier celles relatives aux violations du droit à un procès équitable.
34. En ce qui concerne la requête portant sur la violation de droits fondamentaux, la Cour a déjà établi que ce recours constitue, dans le système judiciaire tanzanien, un recours extraordinaire que le requérant n’était pas tenu d’épuiser avant de saisir la Cour de céans.* 35. Sur l’allégation selon laquelle le requérant n’a pas soulevé la question de l'assistance judiciaire au niveau national et que c’est devant la Cour de céans qu’il l’a fait pour la première fois, la Cour estime, conformément à l’arrêt rendu dans l'affaire Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie, que ce grief fait partie d’un « faisceau de droits et garanties » qui se rapportent à l'appel dans les procédures au niveau national qui ont abouti à la confirmation de sa déclaration de culpabilité et de sa condamnation à 30 ans de réclusion. L'assistance judiciaire participe « d’un ensemble de droits et garanties » relatifs au droit à un procès équitable, objets des recours du requérant en appel ou qui en constituait le fond. En conséquence, les autorités judiciaires nationales ont amplement eu la possibilité de statuer sur cette allégation même sans que le requérant ne l'ait explicitement soulevée. Il ne serait donc pas raisonnable d’exiger du requérant qu’il dépose
3 Recours judiciaire devant la Haute cour contre les violations des droits et devoirs fondamentaux prévus aux articles 12 au 29 de la Constitution tanzanienne.
4 Arrêt Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie, op. cit, paras. 60 — 62 ; Arrêt Bt Bl c. République-Unie de Tanzanie, op. cit., pars. 66 — 70 ; requête 011/2015. Arrêt du 28/9/2017, Bm At c. République-Unie de Tanzanie (Ci-après dénommée « Arrêt Bm At Bb »), para 44.
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une nouvelle requête devant les juridictions internes pour demander réparation de ce grief.®
36. En conséquence, la Cour considère que le requérant a épuisé les voies de recours internes visées aux articles 56(5) de la Charte et 40(5) du Règlement. Elle rejette donc l'exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non-épuisement des voies de recours internes.
ii. Exception d’irrecevabilité tirée du non-respect d’un délai raisonnable
37. L'État défendeur affirme que même si la Cour venait à conclure que le requérant a épuisé les recours internes, il n’en demeurait pas moins vrai que sa requête n’a pas été déposée dans un délai raisonnable après l'épuisement des voies de recours.
38. Toujours selon l’État défendeur, même si l’article 40(6) du Règlement ne précise pas le temps considéré comme un délai raisonnable, la jurisprudence internationale en matière de droits de l'homme a établi qu’une période de six mois était considérée comme un délai raisonnable dans lequel le requérant aurait dû avoir déposé sa requête et que telle était la position adoptée par la Commission africaine des droits l'homme et des peuples dans la Communication n° 308/05, Am Ag c. Zimbabwe.
39. || soutient encore qu’entre le 16 février 2012, date de la décision de la Cour d’appel, et le 10 octobre 2015, date de la saisine de la Cour de céans, trois (3) ans et six (6) mois s'étaient écoulés. || considère que ce délai n’est pas raisonnable x e rien n’a empêché le requérant d'introduire la requête plus tôt.
40. Lerequérant réfute les allégations de l’État défendeur concernant le non-respect du délai raisonnable et affirme qu'aucune disposition du Règlement ne prévoit la manière d'évaluer ce qui est considéré comme délai raisonnable avant de déposer des requêtes devant la Cour. À cet effet, le requérant cite la décision de la Cour dans la requête 013/2011, Ayants-droit du feu An Bk et autres c. Bu Br, rappelant que la Cour a établi que ce délai est examiné au cas par cas ».
41. | affirme ensuite qu’il attendait la décision de la Cour d'appel de Tanzanie sur sa requête en révision de la décision du 16 février 2012, ce qui a pris un temps considérable.
42. La Cour considère que la question qui se pose est de savoir si le temps qui s’est écoulé entre l'épuisement des voies de recours internes et sa saisine est un délai raisonnable au sens de l’article 40(6) du Règlement.
5 Arrêt Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie, op. cit., paras 60 — 65.
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43. La Cour note que les voies de recours internes ont été épuisées le 16 février 2012, date de la décision de la Cour d'appel, et que la requête a été déposée au Greffe de la Cour de Céans le 10 octobre 2015. Entre la décision de la Cour d'appel et le dépôt de la requête au Greffe de la Cour de céans, il s’est écoulé plus de trois (3) ans, sept mois (6) et vingt-quatre (24) jours.
44. Dans l'arrêt Ayants-droit de feu An Bk et autres c. Bu Br, la Cour a établi le principe selon lequel « le caractère raisonnable d’un délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire, et doit être apprécié au cas par cas ».° 45. La Cour note que le requérant est profane en matière de droit, indigent et incarcéré ; qu’il ne bénéficie pas d’un conseil ni d’une assistance judiciaire” et qu’il a tenté d'exercer des recours extraordinaires en déposant une requête en révision de la décision de la Cour d’appel®. La Cour considère que ces raisons constituent des motifs suffisants pour justifier le dépôt de la requête trois (3) ans, sept (7) mois et vingt-quatre (24) jours après la décision de la Cour d’appel. 46. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception d'irrecevabilité tirée du non-respect du délai raisonnable.
B. Conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les parties
47. Les conditions relatives à l'identité du requérant, à la compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine, au langage utilisé dans la requête, à la nature des preuves, et au principe selon lequel la requête ne doit pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies ou de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine (alinéas 1, 2, 3, 4 et 7 de l’article 40 du Règlement) ne sont pas en discussion entre les parties.
48. La Cour note que rien dans les pièces versées au dossier par les Parties n'indique que l’une quelconque de ces conditions n’a pas été remplie en l'espèce. Elle estime en conséquence que les conditions énoncées ci-dessus ont été remplies.
6 Requête 013/2011. Arrêt sur les exceptions préliminaires du 21/06/2013, Ayants droit de feu An Bk et autres c. Bu Br, par. 121. Voir aussi Arrêt Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie, para 73 ; Arrêt Bl c. Tanzanie, par. 91 ; Arrêt Bm At c. Tanzanie, para 52.
7 Arrêt Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie, op. cit., para 74.
8 Requête n° 006/2015. Arrêt 23 mars 2018, Bd Ba AIAe BpZ et Bo Bd AIBc BvZ c. République-Unie de Tanzanie, para 61.
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49. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la requête remplit toutes les conditions de recevabilité énoncées aux articles 56 de la Charte et 40 du Règlement et la déclare recevable en conséquence.
VII. Sur le fond
A. Violations alléguées du droit à un procès équitable
50. Le requérant allègue deux violations du droit à un procès équitable, à savoir : la violation du droit à ce que sa cause soit entendue par une juridiction et la violation du droit à l'assistance judiciaire.
i. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue par une juridiction
51. Le requérant allègue que la Cour d’appel n'a pas examiné tous ses arguments, du fait qu’elle les a consolidés en trois groupes, alors que chacun de ses moyens d'appel avait été invoqué à des fins différentes. Selon le requérant, cela a affecté le bien-fondé de chacun de ses moyens et violé par conséquent « [..] son droit fondamental à ce que sa cause soit entendue par une juridiction, comme le prévoit l’article 3(2) de la Charte ». Le requérant soutient également que la victime aurait dû être soumise à une procédure de voir-dire.
52. L'État défendeur réfute les allégations du requérant et soutient que tous les arguments avancés par celui-ci avaient été dûment examinés par la Cour d’appel, qui a estimé que des trois arguments présentés, seul le troisième était pertinent. Dans celui-ci, il avançait notamment que «… le Ministère public n’avait pas été en mesure de rassembler des preuves au-delà du doute raisonnable. ».
53. La Cour note que l’allégation du requérant ne relève pas de l’article 3(2), qui dispose que « Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi », mais de l’article (7)(1) de la Charte, ainsi libellé : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. (…) »
54. La Cour considère que la question qui se pose est celle de savoir si les arguments présentés en appel avaient été dûment examinés par la Cour d'appel, conformément à l’article 7(1) ordonné plus haut. Sur ce point, la Cour a toujours considéré que l'examen des éléments de preuve est du ressort des juridictions nationales, du fait qu’elle n’est pas une juridiction d'appel. Toutefois, elle peut examiner les procédures pertinentes devant les instances nationales pour déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites par la Charte ou par
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tous les autres instruments ratifiés par l’Etat concerné.®
55. La Cour note que lors de son recours devant la Cour d’appel, le requérant avait soulevé deux questions, à savoir : le manque de preuve concluante sur l’âge de 15 ans attribué à la victime et le fait que le crime n’a pas été prouvé au-delà du doute raisonnable.
56. La Cour fait observer que la Cour d'appel avait considéré que la seule question importante était celle de savoir si l'acte matériel de viol (la pénétration) avait été commis par le requérant. Après l'examen de la question, la Cour d'appel a conclu que le requérant était l’auteur du viol et a confirmé la peine.
57. La Cour note que le requérant n’a pas rapporté de preuves suffisantes pour étayer son allégation relative à l’âge de la victime et n’a pas démontré en quoi une procédure de voir-dire aurait affecté la décision de sa condamnation. Or, la Cour a estimé dans le passé que, «[d] es affirmations d’ordre général selon lesquelles un droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves plus concrètes sont requises ».‘° 58. En outre, la Cour note que rien dans le dossier n'indique que l'appréciation de la preuve par la Cour d’appel était manifestement erronée. En conséquence, la Cour conclut que la violation alléguée n’a pas été prouvée et la rejette.
ii. Violation alléguée du droit à l’assistance judiciaire
59. Le requérant fait valoir « … qu’il n’a pas bénéficié de représentation juridique, qu’il a été privé de son droit à ce que sa cause soit entendue », ce qui lui a causé préjudice et qu’«…une telle situation constitue une violation des droits fondamentaux inscrits à l’article 7(1)(c) et (d) de la Charte, mais aussi des articles 1 et 107A(2) (b) de la Constitution tanzanienne ».
60. Il réfute les arguments de l’État défendeur et confirme le fait qu’il «… n’a jamais demandé d'assistance judiciaire» et considère que les dispositions portant sur l'assistance judiciaire « … ne prévoient pas de procédure ni de directives sur la manière de solliciter une telle
61. L'État défendeur réfute les allégations du requérant selon lesquelles sa législation interne ne prévoit pas de procédure pour demander l'assistance judiciaire et lui demande d’en apporter des preuves. Il affirme en outre que cette assistance est prévue à l’article
9 — Arrêt Ai Ar Av AH Aw, op. cit, para 14; Arrêt Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie, op. cit, para 130; Ao Bt Bl c. République-Unie de Tanzanie, para 25 et 26.
10 Arrêt Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie, op. cit., para 140.
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310 du Code de procédure pénale, à l'article 3 de la Loi sur l'assistance judiciaire et à l’article 31(1) du Règlement intérieur de la Cour d'appel de 2009.
62. || soutient qu’en tout état de cause, l'autorité judiciaire compétente demande, en cas de besoin, une assistance judiciaire au nom de l’accusé, pour autant que les conditions suivantes soient réunies : l'accusé doit être indigent, incapable de s'acquitter des honoraires d’un avocat et l'intérêt de la justice doit le justifier.
63. L'État défendeur demande à la Cour de tenir compte du fait que l’assistance judiciaire est fournie progressivement et qu'elle est obligatoire dans les affaires de meurtre et d’homicide. Il précise que cette assistance judiciaire est offerte par toutes les juridictions. Il existe cependant des contraintes qui peuvent empêcher le respect du caractère obligatoire de cette commission d’office dans toutes les affaires, notamment le nombre insuffisant d'avocats pour répondre à ce besoin, ainsi que des contraintes liées aux moyens financiers et aux autres ressources.
64. L'État défendeur fait encore valoir que le droit d’être représenté par un avocat de son choix est assuré à tous ceux qui n’en ont pas les moyens. S'agissant de l'assistance judiciaire, il n’est ni aisé ni même évident de fournir au prévenu un avocat bénévole de son choix. L'État défendeur demande donc à la Cour de tenir compte du fait que l'assistance judiciaire n’est pas un droit absolu et que les États exercent leur pouvoir discrétionnaire dans son application, en fonction de leur capacité à le faire et que c’est de cette manière que fonctionne le système d’assistance judiciaire en vigueur dans le pays.
65. En conclusion, l’État défendeur indique que son système d'assistance judiciaire est en cours de révision et que les résultats du processus seront communiqués à la Cour en temps opportun.
66. La Cour note que l’article 7(1)(c) de la Charte dispose que :
«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
.…c. le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix».
67. La Cour relève que même si ce texte garantit le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix, il ne prévoit pas expressément le droit à une assistance judiciaire gratuite. 68. Dans son arrêt Bi Bn c. République-Unie de Tanzanie, la Cour de céans a toutefois considéré que l’assistance judiciaire gratuite est un droit innérent au procès équitable, en particulier le droit à la défense garanti à l’article 7(1)(c) de la Charte. Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour a également établi qu’une personne accusée d’une infraction pénale a automatiquement droit à une assistance judiciaire
X c. Tanzanie (fond) (2018) 2 RICA 415 427
gratuite, même si elle n’en a pas fait la demande, lorsque l'intérêt de la justice l'exige, en particulier si elle est indigente, si l'infraction est grave et si la peine prévue par la loi est lourde.”
69. En l'espèce, il n’est pas contesté que le requérant n’a pas bénéficié d’une assistance judiciaire gratuite tout au long de son procès. Le requérant ayant été déclaré coupable d’un crime grave, à savoir le viol, passible d’une lourde peine de trente (30) ans de réclusion, il ne fait aucun doute que l'intérêt de la justice justifiait l’octroi d’une assistance judiciaire gratuite dès lors que le requérant n'avait pas les moyens requis pour rémunérer les services d’un conseil. À cet égard, l'État défendeur ne conteste pas l’indigence du requérant et ne laisse pas entendre que celui-ci avait la capacité financière de rémunérer un avocat. Dans ces circonstances, il est manifeste que le requérant aurait dû bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite. Le fait qu’il ne l’ait pas sollicitée est sans pertinence et n’exonère pas l’État défendeur de la responsabilité de lui en octroyer une.
70. En ce qui concerne les allégations relatives à la marge d'appréciation dans la mise en œuvre du droit à l'assistance judiciaire, à son caractère non absolu et au manque de moyens financiers, la Cour considère qu’elles ne sont pas pertinentes en l'espèce, les conditions définies pour l’octroi obligatoire de l'assistance judiciaire étant toutes réunies.
71. En conséquence, la Cour conclut que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
72. Le requérant soutient que bien qu’il ait déposé sa requête en révision devant la Cour d’appel et fourni tous les moyens et éléments de preuve pour l’étayer, sa requête en révision n'avait pas été inscrite au rôle des audiences alors que d’autres requêtes déposées plus tard avaient été enregistrées, inscrites au rôle et tranchées.
73. L'État défendeur se limite à réfuter cette allégation et à inviter le requérant à rapporter des éléments de preuve pour l’étayer.
74. La Cour estime que la situation décrite par le requérant est prévue par l’article 3(2) de la Charte qui dispose que « Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi ».
75. La Cour, se réfère à sa jurisprudence citée au paragraphe 57 du présent arrêt et note que le requérant fait des allégations d’ordre
11 Ibid., para 123, Voir également l'arrêt Bt Bl c. Tanzanie, op. cit, paras 138 et 139.
428 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018) … général sans rapporter de preuves suffisantes pour les étayer. En conséquence, la Cour conclut que la violation alléguée n’a pas été prouvée et la rejette.
VIII. Sur les réparations
76. Le requérant demande à la Cour de rétablir la justice, en annulant sa déclaration de culpabilité, la peine prononcée contre lui et d’ordonner sa remise en liberté ; de lui octroyer une indemnisation pour la violation des droits fondamentaux et d’ordonner toute mesure qu’elle estime appropriée.
77. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la requête dans son intégralité ainsi que les mesures demandées par le requérant, car elles sont dénuées de tout fondement.
78. L'article 27(1) du Protocole portant création de la Cour dispose que « Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation. »
79. À cet égard, l’article 63 du Règlement intérieur de la Cour dispose que «[I]Ja Cour statue sur la demande de réparation (...) dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme ou des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ». 80. Ayant constaté la violation du droit du requérant à l'assistance judiciaire (paragraphe 71 du présent arrêt), la Cour rappelle sa position, énoncée dans l'affaire Ac Bm Bf Az c. République- Unie de Tanzanie, sur la responsabilité de l'État, selon laquelle «
toute violation d’une obligation internationale ayant causé un préjudice doit être réparée ».!”
81. En ce qui concerne la demande du requérant aux fins d'annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son encontre, et d’ordonner directement sa remise en liberté, la Cour réitère sa décision selon laquelle elle n'est pas une juridiction d'appel pour la simple raison qu’elle ne relève pas du même système judiciaire que les tribunaux nationaux et elle n’applique pas «la même loi que les tribunaux nationaux tanzaniens, c’est-à-dire la loi tanzanienne ». Elle n’examine pas le détail des questions de fait et de droit que les tribunaux nationaux sont habilités à traiter."
82. La Cour rappelle également sa décision dans l'affaire Alex
12 Requête n° 011/2011. Arrêt du 13/6/2014, Ac Bm Bf Az, c. République-Unie de Tanzanie, op. cit., para 27.
13 Bt Bl Ap AJ de Tanzanie, op. cit, para. 28.
X c. Tanzanie (fond) (2018) 2 RICA 415 429
Bn c. République-Unie de Tanzanie, dans laquelle elle a déclaré qu’« elle ne peut ordonner la remise en liberté du requérant que dans des circonstances exceptionnelles ou impérieuses»'*. Tel serait le cas, par exemple, si un requérant démontre à suffisance ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses constatations, que l'arrestation ou la condamnation du requérant repose entièrement sur des considérations arbitraires et que son emprisonnement continu résulterait en un déni de justice. Dans de telles circonstances, la Cour, en vertu de l’article 27(1) du Protocole, ordonne à l’État défendeur de prendre « toutes les mesures appropriées », y compris la remise en liberté du requérant.
83. La Cour relève toutefois que sa décision n'empêche pas l'État défendeur d’envisager lui-même de telles mesures s’il les juge appropriées.
84. La Cour relève, en revanche, qu’en l'espèce le droit du requérant à l'assistance judiciaire a été violé mais sans pour autant affecter l'issue de son procès. Elle fait observer également que la violation qu’elle a constatée a causé un préjudice moral au requérant qui en a demandé une compensation adéquate conformément à l’article 27(1) du Protocole.
85. En conséquence, la Cour accorde au requérant le montant de trois cent mille (300 000 TSH) shillings tanzaniens, à titre de réparation équitable.
IX. Sur les frais de procédure
86. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de la procédure à la charge du requérant.
87. Le requérant n’a formulé aucune demande sur la question.
88. La Cour note que l’article 30 de son Règlement intérieur dispose qu’« [à] moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure.»
89. Dans la présente affaire, la Cour ayant constaté la violation par l’État défendeur du droit du requérant à l’assistance judiciaire, décide que l’État défendeur supportera les frais de procédure.
90. Par ces motifs,
La Cour,
Sur la compétence
14 Arrêt Bi Bn Arrêt c. République-Unie de Tanzanie, para 157.
430 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
ii. Déclare qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité.
iv. Déclare la requête recevable.
Sur le fond
V. Dit que l’allégation de violation du droit du requérant à ce que sa cause soit entendue, prévue à article 7(1), n’a pas été établie ;
vi. Dit que l'allégation de violation du droit du requérant à l’égale protection de la loi, prévue à article 3(2) de la Charte, n’a pas été établie ;
vi. Dit que l’État défendeur a violé le droit du requérant à la défense prévu par l’article 7(1)(c) de la Charte, en ce qui concerne l’octroi de l'assistance judiciaire gratuite.
viii. Rejette les demandes du requérant d'annuler sa déclaration de culpabilité et sa remise en liberté.
Sur les réparations
ix. Accorde au requérant une somme de trois cent mille (300 000 TSH) shillings tanzaniens à titre de réparation ;
x. Ordonne à l’État défendeur de verser ce montant au requérant et d’en faire rapport à la Cour dans les six mois suivant la date de notification du présent arrêt ; et
xi. À la majorité de six (6) voix pour et quatre (4) contre, les Juges Ben B et Ah Ap Y, Bg Bf C et Stella |. ANUKAM ayant émis une opinion dissidente :
Sur les frais de procédure ;
xii. Met les frais de procédure à la charge de l’État défendeur.
X c. Tanzanie (fond) (2018) 2 RJCA 415 431
Opinion individuelle : BEN ACHOUR
1. J'ai voté pour l’ensemble de l’arrêt Aq X c. République - Unie de Tanzanie ci-dessus, et j'adhère à l’ensemble du raisonnement de la Cour qu’à l’ensemble du dispositif. Je suis cependant réservé quant aux motifs développés dans le paragraphe 81de l'arrêt.
2. Le refus de la Cour d’ordonner la libération du requérant repose, à mon avis, sur une motivation contestable. En effet la Cour affirme dans le paragraphe 81 qu’elle « réitère sa décision selon laquelle elle n’est pas une juridiction d'appel ». Cela est plus qu’évident, car nous sommes en présence d’une Cour continentale ayant « compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte du [...] Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés ».' Et la Cour de justifier cette assertion en ajoutant « pour la simple raison qu’elle ne relève pas du même système judiciaire que les tribunaux nationaux, elle n’applique pas la ‘même loi que les tribunaux tanzaniens ; c’est-à-dire la loi tanzanienne’ et elle n'examine pas le détail des questions de fait et de droit que les tribunaux nationaux sont habilités à traiter ». Là encore la justification ne cadre pas avec ce que la Cour dira pour argumenter les raisons de son refus d’ordonner la remise en liberté. Ce dernier repose en réalité sur les raisons invoquées dans le paragraphe 82, qui pour la première fois dans la jurisprudence de la CAfDHP, donne une liste, certes non exhaustive de « circonstances exceptionnelles ou impérieuses » qui pourraient amener la Cour à prononcer la remise en liberté, motifs qui n’ont aucun rapport avec le fait que la Cour africaine n’est pas une Cour d'appel tanzanienne. En adoptant cette argumentation on dirait que la Cour ferme à jamais la possibilité pour elle d’ordonner la libération d’un requérant en détention ou en emprisonnement arbitraire.
3. Malgré cela, j'approuve la décision de la Cour de refuser la demande de libération. En effet, et dans le cas de l'espèce, la Cour n’a retenu, à juste titre, qu’un seul grief à l'encontre de l'Etat défendeur, à savoir, la violation de l’article 7(1)(c) relativement au droit du Requérant à la défense concernant le bénéfice de l'assistance judiciaire.
4. Cette violation, est certes importante comme n’importe quelle violation d’un droit de l’homme. Il n y a effectivement pas de violation des droits de l'homme non importante. Mais les conséquences à tirer
1 Article 2 du Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
2 Voir : paragraphes 65 à 69 de l'arrêt.
432 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
des violations au niveau de la réparation sont variables.
5. La violation établie par la Cour en l'espèce ne concerne pas un droit fondamental* ou intangible de l'homme“. Par ailleurs, il n’y a pas eu dans cette affaire une cascade de violations. La seule violation établie par la Cour, n’a pas été déterminante quant à la régularité du procès intenté contre le Requérant du fait du crime de viol d’une fillette âgée de 10 ans. La Cour le dit expressément dans la paragraphe 84
6. Selon les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation de violations flagrantes du droit international des droits de l'homme et des violations graves du droit international humanitaire, la restitution comme forme de réparation vise à rétablir la victime dans la situation originale où elle aurait été avant la violation, et peut inclure « la restauration de la liberté, la jouissance des droits de l'homme, de l'identité, de la vie familiale et de la citoyenneté, le retour sur le lieu de résidence et la restitution de l'emploi et des biens ».°
7. La Cour permanente de Justice internationale a souligné qu’ «[i]| est un principe de droit international que la réparation d’un tort peut consister en une indemnité correspondant au suite de l'acte
3 Selon une acception générale, « Les droits fondamentaux désignent l’ensemble des droits subjectifs essentiels de l'individu qui font l’objet d’une protection au sein des Etats de droit et des démocraties. Les droits fondamentaux sont aussi appelés libertés fondamentales, et sont inhérents à la notion même d'’individu ». https://droit-finances.commentcamarche.com/faq/23746-droits-fondamentaux- definition. Dans le cadre de l'Union européenne, la notion de droit fondamental a été consacré par la Charte des droits fondamentaux qui a été signée et proclamée par les présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission lors du Conseil européen de Nice le 7 décembre 2000. Cf. L. Burgorgue-Larsen, A. Bs, F. As (dir.), Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Partie Il. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2005, 837p.
4 En droit international des droits de l’homme, les droits intangibles sont ceux exclus par l'article 4 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) de toute dérogation, à savoir :
* Droit à ne pas se voir imposer une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale (art. 4 al. 1 PIDCP)
- Droit à la vie (art. 6 PIDCP)
- Droit à ne pas être torturé ou subir des traitements cruels, innumains ou dégradants (art. 7 PIDCP)
* Droit à ne pas être tenu en esclavage ou en servitude (art. 8 $ 1 et 2 PIDCP)
* Droit à ne pas être emprisonné pour n'avoir pas exécuté une obligation contractuelle (art. 11 PIDCP)
- Droit à ne pas se faire appliquer rétroactivement la loi pénale (art. 15 PIDCP)
- Droit à être reconnu comme personnalité juridique en tous lieux. (art. 16 PIDCP) * Liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 18 PIDCP).
5 Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire ; Résolution 60/147 adoptée par l'Assemblée générale le 16 décembre 2005.
6 Principe 19.
X c. Tanzanie (fond) (2018) 2 RJCA 415 433
contraire au droit international »,” une position réitérée par la Cour européenne des droits de l'homme qui a estimé qu’« un jugement dans lequel la Cour constate une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que possible la situation qui existait avant la violation ».® Plus loin, l’auguste Cour ajoute « Le principe essentiel, qui découle de la notion même d'acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis. Restitution en nature, ou, si elle n'est pas possible, paiement d’une somme correspondant à la valeur qu’aurait la restitution en nature ; allocation, s’il y a lieu, de dommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par la restitution en nature ou le paiement qui en prend la place ».°
8. Pour sa part, la Commission africaine a reconnu l'importance de la restitution, et a jugé qu’un État en violation des droits énoncés dans la Charte africaine doit « prendre des mesures pour veiller à ce que les victimes de violations des droits de l'homme aient accès aux voies de recours efficaces, y compris la restitution et l'indemnisation »1°, Une ordonnance de restitution doit spécifier précisément quels droits de la victime doivent être restaurés de manière à indiquer à l’État la meilleure façon de corriger la violation et mettre la victime dans la situation antérieure à la commission de la violation, dans la mesure du possible.
9. Dans ses principes fondamentaux et directives, l'Organisation des Nations Unies évoque une variété de violations exigeant des formes spécifiques de restitution dont le rétablissement du droit à un procès équitable, la restauration de la liberté, la restauration de la citoyenneté et le retour dans son lieu de résidence, etc.
10. Au cas où les violations constatées par la Cour ne nécessitent pas une mesure de restitution intégrale, comme la remise en liberté ou la reprise du procès il va de soi que la réparation adéquate est la réparation pécuniaire ; et c'est cette solution qu’a choisie la Cour en
7 CPJI, 13 septembre 1928, Affaire de l’Usine de Charzôw (Demande en indemnité), Série À — N°77.
8 CEDH, Papamichalopoulos et autres c. Grèce, demande n° 14556/89, Arrêt du 31 octobre 1995, para 34.
9 Page 47.
10 Commission africaine, Sudan A AG organisation & Centre on Bq AG and Evictions (COHRE) c. Soudan, dispositif (para. 229 (d)).
434 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
11. L'article 27(1) du Protocole à la Charte portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuple (ci-après le Protocole) stipule que : « Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ». Il ressort de cet article que la Cour bénéficie d’une totale latitude dans la détermination des mesures de réparation de nature à « [rJ)emédier à la situation ».
12. Comparé aux articles similaires de la Convention européenne (article 41) et de la Convention interaméricaine (article 63 $ 1), cet article 27 du Protocole est assez généreux et se rapproche beaucoup de l’article 63 de la Convention interaméricaine." Comme nous l’avons annoncé plus haut, l’article 41 de la Convention européenne ne confère à la Cour européenne des droits de l'homme la possibilité de prononcer des « satisfactions équitables » que « [s]i le droit interne ne permet d'effacer qu’imparfaitement les conséquences d’une violation et, même en pareil cas, que «s'il y a lieu» de le faire ». En d’autres termes, l'octroi d’une satisfaction équitable ne découle pas automatiquement du constat par la Cour européenne des droits de l'homme qu'il y a eu violation d’un droit garanti par la Convention européenne des droits de l'homme ou ses Protocoles. C’est pourquoi, la Cour européenne n’a prononcé la libération du requérant que rarement. Par contre l’article 63(1) de la Convention interaméricaine est assez libéral puisqu'il dispose que « Lorsqu'elle reconnaît qu’un droit ou une liberté protégés par la présente Convention ont été violés, la Cour ordonnera que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté enfreints. Elle ordonnera également, le cas échéant, la réparation des conséquences de la mesure ou de la situation à laquelle a donné lieu la violation de ces droits et le paiement d’une juste indemnité à la partie lésée ».
13. Même si le Protocole ne parle pas, comme la Convention interaméricaine, de la possibilité pour la Cour « d’ordonner que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté enfreints », l’article 27 parle de « [mJesures appropriées afin de remédier à la situation », ce qui revient au même.
14. || est généralement admis dans la doctrine’? et dans la jurisprudence que la remise en liberté ou la reprise du procès ne s’imposent que si la Cour estime qu’il n’y a pas proportionnalité
11 H Au « La réparation des violations des droits de l'homme : pratique des organes régionaux et universels ». Audiovisual Ab of International Law, http://
12 D Bj Be in International A AG law 2ed (2009).
X c. Tanzanie (fond) (2018) 2 RICA 415 435
entre la mesure de réparation intégrale demandée et la violation constatée, notamment si celle-ci ne concerne qu’un seul aspect du droit à un procès équitable qui n’a pu, au vu des éléments du dossier, vicier l’ensemble du procès à ses différents stades. Mais au cas où une série de violations substantielles, est établie, la condition des « circonstances exceptionnelles ou impérieuses » se trouve remplie et la mesure de restitution intégrale devrait être prononcée sous forme d'ordonnance de libération ou de reprise du procès conforment aux normes et standards internationaux du procès équitable.
15. Laviolation du droit du Requérant à bénéficier de l’aide judiciaire, outre qu’elle n’a pas fondamentalement vicié l'issue du procès, ne constitue pas à mon avis, une « circonstance exceptionnelle ou impérieuse » qui aurait pu amener la Cour à prononcer une mesure de restitution telle que la libération du Requérant ou la reprise du procès. 16. IIn’yaselonmoi« circonstances exceptionnelles ouimpérieuses » que si, et seulement si, la violation touche un droit fondamental de l'homme ou s’il y a une cascade de violations, qui auraient eu des conséquences irréparables et qui auraient substantiellement vicié l'issue du procès. Dans les mesures de réparation ordonnées par la Cour, il faut toujours qu’il y ait proportionnalité entre la gravité des atteintes aux droits de l'homme, la nature, l'ampleur et l’étendue des mesures de réparation. La Cour a eu l’'heureuse initiative dans l'arrêt ci-dessus de donner quelques exemples de « circonstances exceptionnelles ou impérieuse ». Pour elle, et j'y adhère totalement, « tel serait le cas, par exemple si un Requérant démontre à suffisance ou si la Cour t elle-même établi, à partir de ces circonstances que l'arrestation ou la condamnation du Requérant repose entièrement sur des considérations arbitraires et que son emprisonnement continu résulterait en un déni de justice » (para 82).
17. A mon avis le critère essentiel pour décider de la nature et de l’ampleur des mesures de réparation est celui la proportionnalité entre la ou les violations constatées d’une part, et la ou les mesures de réparation décidées. Plus les violations sont lourdes, ou plus les violations sont nombreuses plus la réparation doit s'approcher de la restitution intégrale comme l’ordonnance de libération ou la reprise du procès, etc.
18. Enl’espèce, la violation comme indiqué n’a pas « affecté l'issue [du] procès ». La réparation de la violation de l’article 7(1)(c) de la Charte établie par la Cour ne peut se résoudre à mon avis que par des dommages et intérêts pécuniaires et c'est ce que fait la Cour pour la première fois, en accordant au requérant une compensation forfaitaire dont le montant a été souverainement et en fonction des pièces du dossier et de la gravité de l'infraction pénale, estimé par la Cour.
19. Pour toutes ces raisons j'ai été favorable avec certaines
436 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
nuances à la solution préconisée par cet arrêt. Je reste convaincu que la Cour, a en vertu de l’article 27(1) du Protocole, toute la latitude pour apprécier la nature des « mesures appropriées de nature à remédier à la situation ».
Opinion dissidente : B, MATUSSE, CHIZUMILA et ANUKAM
1. Nous souscrivons largement aux constatations de la majorité des juges sur le fond de la requête en l'espèce, mais nos points de vue divergent sur la question particulière des frais de procédure telle que tranchée au paragraphe 89 de l'arrêt. Dans ce paragraphe, la majorité a décidé que « l’État défendeur supportera les frais de procédure ». Après mûre réflexion, nous sommes d’avis que cette décision de la majorité qui ordonne à l’État défendeur de supporter tous les frais en l'espèce n’est pas correcte pour les raisons ci-après.
2. Tout d’abord, nous tenons à souligner que les litiges internationaux relatifs aux droits de l'homme opposent principalement, mais pas exclusivement, un individu et un État et qu’en raison de la nature des procédures et de l'inégalité des capacités des parties, la partie qui succombe ne supporte pas toujours les frais de procédure, tel que le voudrait la norme dans d’autres formes de litige. Dans les cas notamment où l'individu est la partie perdante, en principe, il ne doit pas être pénalisé pour avoir exercé son droit à ce que sa cause soit entendue en étant tenu d’assumer la totalité des frais du litige.
3. Il n’est fait exception à cette règle que lorsque l’État démontre à suffisance que l’individu a abusé de ses droits ou a agi de mauvaise foi en déposant des plaintes fantaisistes alors que pleinement conscient / sachant pertinemment qu’il n’en devait rien faire. Même lorsque la mauvaise foi de l’individu est suffisamment démontrée, sa capacité financière et le montant des frais encourus par l’État doivent guider la décision quant à savoir si l'individu doit supporter les frais. || appartient donc aux juges d'apprécier et d’identifier, eu égard aux contextes spécifiques de chaque affaire, la partie qui doit supporter les frais de procédure.
4. En l’espèce, il ressort clairement du dossier que l’État défendeur a demandé à la Cour d’ordonner que le requérant supporte les frais de procédure. Par contre, le Requérant n'a soumis aucune demande
X c. Tanzanie (fond) (2018) 2 RICA 415 437
concernant les dépens et n’a fourni aucun document prouvant qu’il avait engagé des frais dans le cadre de sa requête.
5. D'autre part, la Cour a estimé, à juste titre, que l’État défendeur a violé le droit du requérant à la défense du fait de ne lui avoir fourni aucune assistance judiciaire pendant son procès, en violation de l’article 7(1)(c) de la Charte (voir paragraphe 71 de l'arrêt). À partir de cette constatation, il est clair que l’État défendeur est la partie qui a succombé et que, conformément au principe général susmentionné, selon lequel la partie qui succombe supporte les frais de procédure, il serait normal que l’État défendeur supporte les frais de procédure.
6. Toutefois, l’article 30 du Règlement dispose qu’ «À moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure». Conformément à cet article, le principe général par défaut est donc que chaque partie supporte ses propres frais, à moins que la Cour n'en décide autrement. Par le passé, la Cour a moult fois appliqué cette disposition et estimé dans la plupart des cas que chaque partie devait supporter ses propres frais de procédure, même lorsqu'il était prouvé que l’État défendeur avait violé la Charte et d’autres instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme et qu'aucune des parties n’avait déposé de mémoire sur les frais de procédure*. Cela renforce le fait que les frais de procédure ne sont pas des dommages-intérêts pour les violations des droits de l'homme en tant que tels, mais une indemnisation ou un remboursement des frais engagés par une partie dans le cadre du litige.
7. En l’espèce, l’opinion de la majorité est donc clairement contraire à la position établie de la Cour. Même si nous n'avons pas de problème avec ce changement d'approche, nous pensons néanmoins que ce changement aurait dû être motivé par des raisons impérieuses ou, tout au moins, par des justifications adéquates, ce que la majorité n’a pas fait. Nous constatons, pour le déplorer, que dans un autre arrêt, Ay Ad c. République-Unie de Tanzanie, rendu le même jour avec des faits similaires relativement aux frais de procédure, la Cour s’est contredite en décidant que chaque partie supportera ses propres dépens. Or dans cette affaire comme dans l’espèce, le Requérant n’a ni réclamé le remboursement de ses frais de procédure, ni fourni aucune pièce justificative d’une quelconque dépense, et seul l’État défendeur a demandé à la Cour de condamner le requérant aux dépens ; malgré ces faits, la majorité a accepté que chaque partie supporte ses propres
1 Voir Requête N° 010/2015, Arrêt du 11/05/2018, Bh Ax c. République- Unie de Tanzanie, para 90, Requête N° 046/2016, Arrêt du 11/05/2018 APDF & IHRDA c. République du Mali, para 134, Requête N° 011/2015, Arrêt du 28/09/2017 Bm At c. République-Unie de Tanzanie, para 98, Requête
par. 101
438 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
frais de procédure.?
8. Par conséquent, nous estimons que la position de la Cour dans la présente affaire fait apparaître des divergences injustifiées dans ses décisions, eu égard aux affaires similaires qu’elle a tranchées jusqu’à présent.
9. En outre, conformément à la jurisprudence constante des juridictions similaires des droits de l'homme, une partie n’a droit au remboursement des frais et dépenses que dans la mesure où il a été démontré que ces frais ou dépenses ont été engagés en effet et par nécessité et que leur montant est raisonnable. Cela exige que le requérant étaye ses affirmations par des preuves démontrant qu’il a encouru lesdits frais ou dépenses et qu’ils étaient en effet nécessaires pour la poursuite de sa procédure.
10. Tel n’est pas le cas en l'espèce. Comme indiqué précédemment, le Requérant n’a présenté aucun mémoire ni aucune réclamation en ce qui concerne les frais de procédure, ni fourni de document indiquant qu’il avait engagé des frais. Au moment où elle ordonne à l'État défendeur de supporter les frais de procédure, la majorité n’a pas précisé le montant que l’État défendeur est censé supporter, ni donné aucune indication concernant la nécessité pour le Requérant d’engager la dépense, ou le caractère raisonnable du montant dépensé. De plus, la Cour n’a pas indiqué, comme elle l’a fait dans certaines autres affaires“, qu’elle déterminerait dans une procédure ultérieure distincte, le montant exact des frais que le Requérant est en droit d'obtenir à titre de remboursement. On ne voit donc pas clairement ce que la majorité a considéré comme frais qui devraient être supportés par l’État défendeur, d’autant plus que le Requérant se représente lui-même et que la Cour dans ce cas n’impose guère de frais.
11. Nous en concluons que la Cour aurait dû, pour rester cohérente, maintenir sa position établie selon laquelle, en l'absence d'observations ou de réclamations liées aux frais de procédure de l’une ou des deux parties, chaque partie supporte ses propres frais de procédure. Sinon, la Cour aurait dû justifier par des raisons suffisantes la nécessité de déroger à cette position dans ce cas particulier.
2 Requête N° 016/2016 Arrêt du 21/09/2018 Ay Ad c. République-Unie de Tanzanie, paras 107-110.
3 Requêtes Numéros 68762/14 et 71200/14 Arrêt du 20 septembre 2018, Affaire Aa c. Azerbaijan para 236. Séries C N° 352. Arrêt du 13/03/2018, Affaire Al Al et al. c. Colombia. Fond, Réparations et Dépens. Cour interaméricaine des droits de l'homme, para 230.
4 Dans de précédentes affaires, la Cour a déferré la question des frais de procédure à une phase ultérieure pour l’examiner en même temps que d’autres formes de réparation. Voir Requête n°012/2015. Arrêt du 22 /032018 Ak Aj Ak c. République-Unie de Tanzanie, para 131.